Passeurs de vie, passeurs d`histoires

Transcription

Passeurs de vie, passeurs d`histoires
« La science de ton passé est ton passeport pour l’avenir » (Christine de Suède)
Passeurs de vie, passeurs d’histoires
Dans quelques mois, les portes de l’ancienne filature, la Maison Rouge de Saint Jean du
Gard, s’ouvriront aux visiteurs du nouveau Musée des Vallées cévenoles, aboutissement
fructueux de l’action tenace et acharnée durant des décennies de son créateur et conservateur :
Daniel Travier.
A cette occasion Raymond Achilli a réalisé un film sur une idée originale de Xavier
Fernbach, conseiller pour les musées à la Direction régionale des Affaires Culturelles du
Languedoc-Roussillon. 1
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Daniel Travier, sans doute le meilleur connaisseur des Cévennes de notre temps, est l’acteur
principal de ce documentaire, ce qui n‘est que justice car c’est lui qui, dans le milieu des années
60, a eu l’idée d’exposer sa collection d’objets de la vie cévenole accumulés depuis son
adolescence.
Devant le succès remporté à Saint Jean du Gard puis à Chamborigaud, cette exposition
temporaire deviendra permanente et s’installera dans un ancien relais d’affenage dans la
Grand’rue de Saint Jean prenant alors le nom de Musée des Vallées cévenoles.
Assis dans sa bibliothèque, Daniel Travier s’arrête de feuilleter une ancienne Bible pour
nous conter comment, grâce à son grand’père il a senti, dès l’enfance, le lien qui existait entre
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Ce film, d’un peu moins d’une heure, a été présenté en juin 2016 au Conseil départemental du Gard et
gravé sur DVD. A l’heure actuelle nous ne connaissons pas les conditions de sa diffusion auprès du grand public.
un objet et son possesseur, celui qui l’avait utilisé dans sa vie quotidienne ou dans une circonstance particulière et témoignait de la vie et de la culture d’une époque.
Ainsi son grand’père lui racontait la participation de son propre grand’père, grognard de la
Garde impériale, à des événements historiques qui lui avaient valu la Légion d’Honneur épinglée sur sa vareuse par Napoléon en personne. En témoignait cette croix au ruban rouge que le
grand’père sortait avec dévotion de sa boîte d’origine et montrait à l’enfant ému, car il avait
appris en classe les batailles d’Austerlitz et de Iéna, dont le vainqueur avait, en signe
d’affection, « tiré l’oreille » de son trisaïeul.
Après la découverte, grâce au grand’père, du sens pédagogique et de la charge émotionnelle
que pouvait porter un objet matériel, la rencontre avec le pasteur Cadix lui ouvre une nouvelle
porte.
Il rend régulièrement visite à ce pasteur qui possède une bibliothèque garnie « de livres du
sol au plafond » C’est là que l’adolescent, peu féru de lecture jusqu’alors, va prendre conscience
que les livres sont une source considérable de savoir.
Sa mère, enseignante, l’emmène dans les musées de la région. Nîmes, bien sûr, mais aussi
Arles et son musée arlaten où, à la vue de scènes familières, reconstituées avec des éléments
d’époque, « la chambre de l’accouchée » notamment, il a comme une révélation. Ainsi ces
objets caractéristiques d’une époque et d’un lieu ont une histoire, sont les témoins d’une tradition, d’une culture, d’un savoir qu’on peut, à son tour, transmettre par leur présentation intelligente qui leur donne du sens et permet leur conservation.
Son père, artisan ébéniste, fabrique et restaure des meubles. Il l’accompagne chez ses clients
dont il peut ainsi observer le mode de vie, leurs meubles et leurs objets en situation.
Ainsi, passant de l’aspect intellectuel du savoir à la connaissance des objets matériels utilisés
dans la vie sociale de sa région il acquiert cette passion qui le conduit, malgré des études
d’ingénieur, à opter définitivement pour la conservation des objets et la muséologie.
Le film insère dans ce monologue quelques interventions de deux de ses amis proches,
notamment par la passion qu’ils partagent : le recteur Philippe Joutard, historien de l’épopée
camisarde et promoteur du recueil de l’histoire orale et Jean-Noël Pelen, ancien élève du précédent et auteur du livre « L’autrefois des Cévenols » écrit d’après les récits et souvenirs de
personnes âgées.
Le professeur Joutard s’indigne du fait, qu’à une certaine époque, Daniel Travier n’ait pas
été reconnu par le monde des conservateurs et des ethnologues. Certains le considéraient
comme un amateur, accusant le sens péjoratif de ce terme. Philippe Joutard déclare « A peine à
vingt deux ans il avait une maturité dans le domaine ethnographique qui en faisait l’égal d’un
universitaire…Il avait une formation par la pratique. »
De plus, la vision muséographique de Daniel Travier était originale dans la présentation des
éléments exposés : point de barrière ni de vitre entre le visiteur et l’objet. On peut toucher un
outil et ainsi ajouter son ADN aux traces des mains calleuses des générations de paysans qui en
ont poli le manche. Ou encore caresser un meuble luisant d’avoir été frotté à la cire par des
lignées de ménagères. Le conservateur veut qu’on puisse établir un contact charnel avec l’objet
et ainsi créer un lien, même virtuel avec son ancien utilisateur.
Certes, cette volonté passionnée de recueillir, avant leur disparition, des objets du passé, de
les conserver, de rechercher leur histoire, car les uns ne vont pas sans l’autre, peut sembler
incongrue, intempestive dans notre civilisation avide de progrès technique et poussée par
l’impatience de la nouveauté. Mais c’est une erreur d’analyse.
Philippe Joutard insiste sur ce point : ce musée n’est pas seulement une collection d’activités
disparues (la soie, la châtaigne) et rassemblées « pour la beauté du mort » Mais au contraire il
doit montrer la vitalité d’une population habitée par une culture tournée vers l’avenir.
A son tour, Jean-Noël Pelen, ethnologue, souligne combien «.. il partage avec Daniel le désir
de témoigner d’une profonde authenticité des gens des Cévennes » et il ajoute « le passé est un
réservoir de savoirs et de possibilités pour un devenir »
L’histoire dont témoignent ces objets c’est celle des rapports de l’homme à son territoire.
C’est grâce à eux, au milieu d’eux que les Cévenols ont acquis ces savoir-faire qui leur ont
permis de faire des Cévennes « leur » montagne.
En 1854, dans ses « Pensées diverses » Lamennais affirmait « Le passé est une lampe placée
à l’entrée de l’avenir pour dissiper les ténèbres qui le couvrent »
Le nouveau Musée des Vallées cévenoles doit permettre d’allumer cette lampe et d’éclairer
l’avenir afin de tracer le nouveau chemin, celui des Cévennes de notre siècle.
Robert Chalavet

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