Textauszug - Vitrac - Victor ou les enfants au pouvoir

Transcription

Textauszug - Vitrac - Victor ou les enfants au pouvoir
La pièce se déroule en 1909, chez les Paumelle : c’est l’anniversaire de Victor,
neuf ans, un mètre quatre-vingt-dix. Avant l’arrivée des invités à cette fête de
famille qui se terminera par plusieurs morts, l’enfant-adulte a délibérément
cassé un vase de Sèvres et veut en faire porter la responsabilité à la bonne,
Lili.
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VICTOR . On ne me croirait pas, parce que je n’ai jamais rien cassé de ma vie.
Pas un piano, pas un biberon. Tandis que toi, tu as déjà à ton actif la
pendule, la théière, la bouteille d’eau de noix, etc. Si je m’accuse, voilà
mon père: Le cher enfant, il veut sauver Lili. Et ma mère : Victor, ce que
tu fais là est très bien ; vous, Lili, je vous chasse. Parce qu’il y aura du
monde, on ne t’insultera pas davantage. Que veux-tu, tu as cassé le vase,
je n’y peux rien. Rien du tout : Car puisque je ne puis pas être coupable, je
ne peux pas l’avoir cassé.
LILI. Pourtant, il est cassé.
VICTOR . Oui, tu as eu tort. (Un temps.) Sans doute, je pourrais dire que c’est
le cheval...
LILI. Le cheval ?
VICTOR . Oui, le fameux dada qui devait naître du gros coco. Si j’avais trois
ans, je le dirais, mais j’en ai neuf, et je suis terriblement intelligent.
LILI. Ah ! si j’avais cassé le verre seulement...
VICTOR . Je suis terriblement intelligent. (S’approchant de Lili et imitant la
voix de son père.) Ne pleurez pas Lili, ne pleurez pas, chère petite fille.
LILI. Victor ! qu’est-ce qui te prend ?
VICTOR , même jeu. Je vous en supplie ne pleurez pas. Madame veut vous
congédier, mais madame n’est rien ici. C’est moi qui suis le maître.
D’ailleurs madame m’adore, moins pourtant que je ne vous aime. Je
plaiderai pour vous, et j’obtiendrai gain de cause. Je vous le jure. Chère Lili.
(Il l’embrasse.) Je vous sauverai. Comptez sur moi, et au petit jour, je vous
apporterai moi-même la bonne nouvelle dans votre chambre. Cher agneau
de flamme ! Tour du soir ! Rose de David ! Bergère de l’étoile ! (Il se lève
d’un bond et se met à crier de toutes ses forces, les bras levés.)
Priez pour nous, priez pour nous, priez pour nous !
(Puis il part d’un grand éclat de rire.)
LILI, se parlant à elle-même, rageusement. Non, non, non. Je partirai, je
partirai. Je veux partir tout de suite. Victor est devenu fou. Ce n’est plus
un enfant.
VICTOR . Il n’y a plus d’enfants. Il n’y a jamais eu d’enfants.
Roger Vitrac: Victor ou les enfants au pouvoir (1928)

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