L`article 17 de la Convention européenne des droits de

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L`article 17 de la Convention européenne des droits de
L’ARTICLE 17
DE LA CONVENTION EUROPÉENNE
DES DROITS DE L’HOMME
EST-IL INDISPENSABLE (*) ?
Introduction
1. J. Goebbels écrivait : « Cela restera toujours l’une des meilleures farces de la démocratie d’avoir elle-même fourni à ses ennemis mortels le moyen par lequel elle fut détruite » ( 1).
A l’instar des rédacteurs des autres grands instruments internationaux de protection des droits de l’homme ( 2) et de certaines
constitutions nationales ( 3), les pères fondateurs de la Convention
européenne des droits de l’homme ne partagèrent pas l’humour pour
le moins singulier — mais hélas lucide — de l’idéologue du nazisme.
Devant l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe, M. Maccas ( 4) affirmait au contraire que « la liberté humaine, justement
parce qu’elle est sacrée, ne doit pas devenir la panoplie d’où ses
ennemis pourront détacher les armes par lesquelles ils pourront
ensuite, en toute liberté, supprimer cette liberté ». La Convention,
rompant avec les pages les plus noires de l’Histoire, ne pouvait logiquement offrir la plume apte à les réécrire ( 5). Option fut donc prise
(*) Ce texte est la version abrégée et réactualisée de notre contribution intitulée
« L’article 17 de la Convention européenne des droits de l’homme : incertain et inutile? », publiée dans l’ouvrage Pas de liberté pour les ennemis de la liberté. Groupements
liberticides et droit, sous la dir. de H. Dumont, P. Mandoux, A. Strowel et F. Tulkens, Bruxelles, Bruylant, 2000, pp. 139 à 197.
(1) Texte original : « Das wird immer einer der besten Witze der Demokratie bleiben,
dass sie irhen Todfeiden die Mittel selber stellte, durch die sie vernichtet wurde », cité par
G.H. Fox et G. Nolte, « Intolerant Democracies », (36) Harvard International Law
Journal, 1995, p. 1.
(2) Voy. notamment, Déclaration universelle des droits de l’homme, article 30;
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 5 ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, article 5 ; Convention interaméricaine des droits de l’homme, article 29, a ; Charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne, article 54.
(3) Voy. notamment, Loi fondamentale allemande, art. 18 et 21.
(4) Recueil des travaux préparatoires, vol. 1, p. 109.
(5) On ne peut à cet égard partager les conclusions de B. de Lamy, qui, mettant
en cause la philosophie sous-jacente à l’article 17 elle-même, en vient à affirmer : « Le
système démocratique, qui se caractérise par la tolérance et l’esprit d’ouverture, doit
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en faveur d’une démocratie « apte à se défendre » ( 6), irrésolue à son
propre suicide, et prête pour ce faire à « sortir d’elle-même » en privant ses ennemis de ce qui en constitue pourtant les piliers essentiels. Cette option se trouve concrétisée par l’article 17, lequel dispose que :
« Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être
interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un
individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés reconnus par la présente Convention ou à des limitations plus amples
des ces droits ou libertés que celles prévues à ladite Convention ».
2. Paradoxalement, eu égard à l’importance de l’option qu’il
consacre et des enjeux qui lui sont sous-jacents ( 7), cet article 17
demeura, et demeure à ce jour, à l’arrière-plan du droit conventionnel. Symptomatiques sont, à cet égard, les constats respectifs
atteints, en 1998, par MM. Spielmann et Jambrek, tous deux juges
auprès de l’ancienne Cour européenne des droits de l’homme. Le
premier ( 8) relevait que la jurisprudence relative à l’article 17 était
relativement restreinte, et caractérisée par une « géométrie
variable » rétive à toute véritable théorisation. Le second ( 9), quant
à lui, manifestait le souci de « réaffirmer la pertinence » de cette disposition dans un contexte caractérisé par la montée de l’extrêmedroite.
Cette position d’arrière-plan de l’article 17 signale déjà ses origines dans les travaux préparatoires de la Convention. Issue d’une
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laisser s’exprimer toutes les idées, mêmes celles qui visent à sa destruction » (B. de
Lamy, La liberté d’opinion et le droit pénal, Paris, L.G.D.J., 2000, pp. 58-59).
(6) Voy. Cour eur. dr. h., arrêt Vogt c. l’Allemagne du 26 septembre 1995, § 51;
Comm. eur. dr. h., req. n o 32013/96, déc. Heinz Reisz c. l’Allemagne du 20 octobre
1997, inédite.
(7) Qui n’aperçoit en effet, pour reprendre les termes de l’arrêt Klass (Cour eur.
dr. h., arrêt Klass c. la République fédérale d’Allemagne du 6 septembre 1978, § 49),
le danger qu’une démocratie n’en vienne à se détruire, à prétexte de se défendre?
Voy. également, E. Brems, « Demokratie en zelfverdediging », Demokratie op het
einde van de 20ste eeuw, Academia Analecta, Klasse der letteren, 1994, p. 334.
(8) A. Spielmann, « La Convention européenne des droits de l’homme et l’abus de
droit », Mélanges en hommage à L.-E. Pettiti, Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 682-683.
(9) Opinion concordante jointe par le juge Jambrek à Cour eur. dr. h., arrêt Lehideux et Isorni c. la France du 23 septembre 1998, Rec., 1998-VIII, ici p. 2892.
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proposition tardive, cette disposition ne suscita que très peu de
débats et de réflexions ( 10).
Cette position d’arrière-plan s’alimente, à l’heure actuelle, d’un
soupçon doctrinal largement partagé concernant l’utilité théorique
de l’article 17 au sein du système conventionnel de limitation des
droits et libertés (I), soupçon que conforte sa très large sous-utilisation jurisprudentielle (II). Les explications et justifications de la
désaffection observée ne sont pas toutes convaincantes ; quoique
latents, les dangers en sont par contre, à notre estime, bien réels
(III).
I. — L’utilité théorique de l’article 17
au sein du système conventionnel de limitation
des droits et libertés
3. L’article 17 est-il indispensable ? La question paraîtra saugrenue. Elle ne l’est cependant pas. L’absence d’effet utile de cette disposition pourrait tout d’abord se déduire, au titre de conséquence
nécessaire, de l’« ambiguïté foncière » qui affecte son libellé (I.1.).
Cette première hypothèque levée, s’en présenterait immédiatement
une autre, liée quant à elle au caractère restreint du champ d’application ratione materiae de la déchéance des droits et libertés stipulée
par l’article 17 (I.2.).
I.1. — L’autosabordement d’effet utile de l’article 17 ?
Rejet d’une thèse doctrinale majoritaire
4. L’« ambiguïté foncière » que l’on a souvent prêtée ( 11) à l’article 17 résulte de l’enchâssement complexe, en son sein, de deux
normes adressées à deux catégories distinctes d’acteurs conventionnels.
Les Etats parties, tout d’abord, se voient empêchés d’invoquer
l’une quelconque des dispositions conventionnelles — cela visera
essentiellement les clauses de limitation — aux fins de destruction
(10) Concernant les travaux préparatoires de l’article 17, voy. spéc. P. Le Mire,
« Article 17 », La Convention européenne des droits de l’homme. Commentaire article par
article, sous la dir. de L.-E. Pettiti, E. Decaux et P.-H. Imbert, Paris, Economica,
1995, pp. 510 à 512.
(11) Les termes sont apparus pour la première fois sous la plume de M.-A. Eissen,
Réaction au rapport présenté par M. F.G. Jacobs à l’occasion du quatrième colloque
international sur la Convention européenne des droits de l’homme, Rome, 1975, p. 203.
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des droits et libertés garantis. L’article 17 fait par ailleurs obstacle
à ce que l’Etat puisse s’autoriser de l’une ou l’autre disposition
conventionnelle pour restreindre lesdits droits et libertés de manière
plus ample que ce que la Convention prévoit elle-même.
Seconde catégorie d’acteurs visés, les individus et groupements
d’individus se voient astreints à des obligations rigoureusement
symétriques. D’une part, il leur est impossible de prendre appui sur
la Convention aux fins de se livrer à un acte ou une activité visant
à la destruction des droits et libertés garantis. Cette « déchéance »
est, parmi les normes consacrées par l’article 17, celle qui retient
habituellement l’essentiel de l’attention doctrinale et jurisprudentielle. Parallèlement, les individus et groupements d’individus se
voient empêchés d’invoquer la Convention aux fins de limiter les
droits et libertés y consacrés de manière plus large que ce que cet
instrument prévoit lui-même.
5. De la mise en œuvre combinée de ces différentes normes résulterait, selon une importante doctrine essentiellement francophone ( 12), l’ « autosabordement » d’effet utile de l’article 17 et, en
particulier, de la déchéance de protection conventionnelle qu’il
organise à l’endroit des activités liberticides des individus et groupements d’individus.
Enoncée pour la première fois par M. T. Opshal ( 13) durant l’audience précédant l’arrêt Golder c. le Royaume-Uni du 21 février
1975 ( 14), cette thèse de l’« autosabordement » est résumée comme
suit par MM. Velu et Ergec ( 15) :
« Le principe d’effet utile voudrait que [l’article 17] autorisât
les Etats à soumettre les ‘ liberticides ’ à des limitations dépassant
(12) Voy. en effet, M.-A. Eissen, Réaction..., op. cit., p. 203 ; P. Le Mire,
« Article 17 », op. cit., p. 522; R. Ergec, Les droits de l’homme à l’épreuve des circonstances exceptionnelles. Etude sur l’article 15 de la Convention européenne des droits de
l’homme, Bruxelles, Bruylant, 1987, p. 178 et références citées en note infrapaginale
n o 22; J. Velu et R. Ergec, La Convention européenne des droits de l’homme,
Bruxelles, Bruylant, 1990, pp. 138-139, n o 176 ; J.-F. Renucci, Droit européen des
droits de l’homme, Paris, L.G.D.J., 1999, p. 371 ; J.-F. Flauss, « L’abus de droit dans
le cadre de la Convention européenne des droits de l’homme », R.U.D.H., 1992,
p. 464; J.E.S. Fawcett, The Application of the European Convention on Human
Rights, Oxford, Clarendon Press, 1987, p. 315.
(13) Compte-rendu des audiences publiques d’octobre 1974, Série B, pp. 228-229.
Voy. également la déclaration de M. Fawcett à l’occasion des audiences publiques de
janvier 1980 précédant l’arrêt Guzzardi c. l’Italie, Série B, vol. 35, p. 107.
(14) Cour eur. dr. h., arrêt Golder c. le Royaume-Uni du 21 février 1975.
(15) J. Velu et R. Ergec, op. cit., pp. 138-139, n o 176.
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celles que tolèrent les autres dispositions de la Convention (...).
Mais, d’un autre côté, les termes de l’article 17 interdisent précisément à l’Etat d’apporter des limitations plus amples que celles prévues à la Convention. Pris à la lettre, ces termes ôtent tout contenu
au titre des limitations à charge des ‘ liberticides ’. A notre avis, la
contradiction peut être résolue en considérant l’article 17 comme
une simple règle d’interprétation des clauses qui ménagent des restrictions aux droits et libertés. Considérées isolément, ces clauses
peuvent suffire à incriminer les activités portant atteinte aux
libertés. L’article 17 se bornera simplement à étayer l’argumentation de l’interprète. Ici aussi, on aperçoit que l’article 17 n’est pas
une disposition indispensable. »
6. Pour communément admises qu’elles soient, ces propositions
n’emportent pas notre conviction, et ce, pour les trois raisons suivantes.
La première raison est d’ordre purement logique. Le raisonnement
de MM. Velu et Ergec conduit en effet à neutraliser l’effet utile de
la déchéance liberticide en invoquant à son encontre l’interdiction
de limitations plus amples que celles qui sont conventionnellement
prévues. Les termes du raisonnement peuvent cependant être
inversés. En effet, il n’est pas moins défendable d’affirmer que c’est
en réalité la première règle de l’article 17 qui contrecarre l’invocabilité de la seconde. En d’autres termes, l’article 17, second membre
de phrase, en tant qu’il interdit les « limitations plus amples », serait
également une disposition de la Convention qui, conformément au
premier membre de phrase de l’article 17, ne pourrait être interprétée comme cautionnant les actes et activités liberticides.
La seconde raison est d’ordre historique. Issue d’une proposition
tardive ( 16), la conjonction des deux règles de l’article 17 n’a pas été
réellement discutée lors des travaux préparatoires ; a fortiori l’ambiguïté qui en résultait n’a-t-elle pas été aperçue. Préalablement au
dépôt de cette proposition cependant, avaient été émises plusieurs
suggestions — demeurées sans suites — tendant à ne consacrer, sur
le modèle de l’article 30 de la Déclaration universelle des droits de
l’homme, que la première règle de l’article 17. L’intention alors exprimée, et non démentie par la suite, était d’offrir à la démocratie un
garde-fou efficace contre ses propres débordements. Instruit de ce
rappel, n’aperçoit-on pas que la thèse de l’« ambiguïté foncière » et
de l’« autosabordement » procède d’une priorité non justifiée de la
(16) Supra, n o 2.
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lettre — maladroite — sur l’esprit de l’article 17 ( 17)? Pareille priorité ne prend-t-elle pas le contre-pied des canons interprétatifs qui,
depuis l’origine, furent ceux des organes de Strasbourg ( 18) ?
La troisième raison, d’ordre technique, résulte enfin de la nature
juridique précise de la norme stipulée par l’article 17 à l’endroit des
activités liberticides. Techniquement parlant en effet, l’objet direct
de cette disposition n’est pas de conférer aux Etats une compétence
de limitation des droits et libertés conventionnels faisant l’objet
d’un abus ( 19). Il s’agit davantage, comme le rappelle J. Velaers ( 20),
d’une déchéance, c’est-à-dire, d’une norme interprétative empruntant le fonctionnement des limitations immanentes du droit constitutionnel allemand : chacun des droits garantis par la Convention
est réputé « contracter » son champ d’application aux fins d’en
« soustraire » ( 21) de plano l’activité liberticide, en manière telle que
cette dernière ne puisse bénéficier d’aucun « soutien » ( 22) de la part
de l’instrument conventionnel. Concrètement, cela signifie que la
liberté d’expression revendiquée à dessein liberticide devra être
considérée comme n’étant pas « couverte » par l’article 10, § 1 er de la
Convention, et que les limitations dont elle fera l’objet ne seront pas
comptables des conditions de validité énoncées par le paragraphe 2
de cette disposition. Celles-ci, par conséquent, ne devront pas être
mobilisées ( 23). De ces prémisses découle, en bonne logique, qu’il ne
pourra, techniquement, jamais y avoir application simultanée, et
donc, neutralisation mutuelle, des deux règles de l’article 17. En
effet, si les droits et libertés mobilisés à dessein liberticide sont
(17) Comp. J.-F. Flauss, « L’abus de droit.... », op. cit., p. 464.
(18) Voy. notamment, J. Callewaert, « La Convention européenne des droits de
l’homme entre effectivité et prévisibilité », Les droits de l’homme au seuil du troisième
millénaire. Mélanges en hommage à Pierre Lambert, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 99.
(19) Voy. en ce sens, parmi beaucoup d’autres, K. Vasak, La Convention européenne des droits de l’homme, Paris, Pedone, 1964, p. 71, n o 134 ; F. Sudre, Droit
international et européen des droits de l’homme, 3 e éd., Paris, P.U.F., 1997, p. 145,
n o 110.
(20) J. Velaers, De beperkingen van de vrijheid van meningsuiting, Deel 1,
Anvers, Maklu, 1990, p. 255.
(21) Le terme évocateur de « soustraction » est emprunté à Cour eur. dr. h., arrêt
Jersild c. le Danemark du 23 septembre 1994, § 35 (quoique l’article 17 ne soit pas
expressément mentionné. Dans un sens identique, voy. Cour eur. dr. h., arrêt Ibrahim Aksoy c. la Turquie du 10 octobre 2000, § 63). Voy. également, avec mention
expresse de l’article 17, Cour eur. dr. h., arrêt Lehideux et Isorni c. la France du
23 septembre 1998, § 47.
(22) Voy. Comm. eur. dr. h., req. n o 9228/80, rapport Glassenapp c. l’Allemagne
du 11 mai 1984, op. cit., § 89.
(23) J. Velaers, op. cit., p. 255 et références citées en notes infrapaginales 103 et
104.
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réputés ne pas être garantis par la Convention, force est de conclure
que l’applicabilité du premier membre de phrase de l’article 17
exclut celle du second membre de phrase. Celui-ci ne porte en effet que
l’interdiction de limitations plus amples des droits et libertés
conventionnellement garantis ( 24), catégorie à laquelle les droits
revendiqués à des fins liberticides sont censés, par fiction interprétative, ne pas appartenir ( 25).
Dût-il convaincre, le raisonnement qui précède conduit à soutenir, contrairement aux tenants de la thèse de l’« ambiguïté foncière », que l’article 17 ne saborde pas lui-même l’effet utile de la
déchéance qu’il stipule à l’endroit des individus ou groupements
abusant de leurs prérogatives conventionnelles. Cette déchéance
conserve donc, en théorie, vocation à constituer le fondement autonome de limitations dépassant celles que tolèrent les autres dispositions de la Convention, et non simplement le lubrifiant argumentatif superflu de la mise en œuvre desdites dispositions.
I.2. — Déchéance et restrictions :
un parfait double emploi ?
7. L’intérêt pratique pour un Etat à invoquer la déchéance de
l’article 17 serait évident si une telle invocation permettait de limiter des droits ou libertés dont le droit conventionnel — textuel ou
prétorien — n’autorise pas, « en temps normal », la limitation ( 26).
Cet intérêt pratique devient cependant difficilement envisageable
sitôt que le domaine d’invocabilité se trouve au contraire cantonné
aux prérogatives conventionnelles « limitables » « en temps normal ».
Or, c’est précisément à un tel cantonnement que conduit la jurisprudence européenne depuis l’arrêt Lawless ( 27). Celle-ci enseigne en
effet que seuls « les droit positifs [utilisés] en vue de la destruction
de l’ordre dans une société démocratique » ( 28) sont susceptibles de
déchéance. Cette catégorie inclut certainement les droits déduits de
l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile
(24) Tel est en effet le sens du démonstratif « ces » utilisé par le second membre
de phrase de l’article 17.
(25) Voy. en ce sens, quoique très implicitement, M.-A. Eissen, Réactions..., op.
cit., p. 203.
(26) Voy. en ce sens, F.G. Jacobs et R.C.A. White, The European Convention on
Human Rights, 2nd ed., Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 312.
(27) Cour eur. dr. h., arrêt Lawless c. l’Irlande du 1 er juillet 1961.
(28) Voy. Comm. eur. dr. h., req. n o 332/57, rapport Lawless c. l’Irlande du
19 décembre 1959, § 141.
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et de la correspondance) ( 29), 9 (liberté de conscience et de religion) ( 30), 10 (liberté d’expression) ( 31), 11 (liberté d’association) ( 32),
14 (égalité et non-discrimination) ( 33) et 3 du premier Protocole
additionnel (électorat et éligibilité) ( 34). Quoique la jurisprudence
demeure muette sur ce point, la doctrine s’accorde à reconnaître que
l’article 2 du quatrième Protocole additionnel (liberté de circulation) compte également au nombre des droits susceptibles de
déchéance ( 35). En revanche, les prérogatives consacrées par les
articles 5 (liberté et sûreté), 6 (procès équitable) et 7 (non-rétroactivité et légalité des incriminations et des peines) se voient immunisées de la déchéance de l’article 17 ( 36), en tant qu’elles concrétisent
des « devoirs imposés à l’autorité publique » ( 37), et ne présentent, en
conséquence, pas de « pouvoir causal liberticide », au sens du droit
pénal. La doctrine majoritaire associe le même sort aux droits indérogeables ( 38) — déclarés insusceptibles d’abus ( 39) —, ainsi qu’aux
(29) Voy. Comm. eur. dr. h., req. n o 5026/71, rapport Klass c. la République Fédérale d’Allemagne du 9 mars 1977, § 68.
(30) Voy. pour un exemple récent, Cour. eur. dr. h., req. n o 32307/96, déc. d’irrecevabilité Hans Jörg Schimanek c. l’Autriche du 1 er février 2000, non publiée.
(31) Telle est du reste la disposition à l’encontre de laquelle la déchéance de l’article 17 est la plus souvent invoquée. Voy. p. ex. Cour eur. dr. h., arrêt Lehideux et
Isorni c. la France du 23 septembre 1998, § 47.
(32) Voy. Cour eur. dr. h., arrêt Parti Communiste Unifié de la Turquie c. la Turquie du 31 janvier 1998, § 60 (solution implicite).
(33) Pourvu toutefois que l’article 14 — qui n’a pas d’existence indépendante —
soit invoqué en combinaison avec une disposition conventionnelle à l’encontre de
laquelle l’article 17 est « invocable ». Voy. en ce sens, Comm. eur. dr. h., req.
n o 12774//87, déc. H., W., P. et K. c. l’Autriche du 12 octobre 1989, D.R., vol. 62,
p. 224. Contra, J.-F. Flauss, « L’abus de droit... », op. cit., p. 463 et note infrapaginale n o 26.
(34) Voy. en ce sens, Comm. eur. dr. h., req. n o 8348/78 et 8406/78, déc. Glimmerveen et Hagenbeek du 11 octobre 1979, D.R., vol. 18, pp. 207-208.
(35) Voy. en ce sens, J. Velu et R. Ergec, op. cit., p. 140, n o 178. Comp.
E. Brems, « Demokratie... », op. cit., p. 321.
(36) Voy. Cour eur. dr. h., arrêt Lawless c. l’Irlande du 1 er juillet 1961, § 7 (l’exclusion des articles 5 et 6 procède des termes mêmes de l’arrêt. Celle de l’article 7 ressort
de manière implicite mais certaine de la confrontation de la défense du gouvernement
irlandais avec le libellé des griefs soulevés par la requête initiale).
(37) Comm. eur. dr. h., req. n o 332/57, rapport Lawless c. l’Irlande du
19 décembre 1959, p. 180.
(38) Voy. en ce sens, parmi beaucoup d’autres, J. Velu et R. Ergec, op. cit.,
p. 140, n o 178.
(39) Voy. en ce sens, T. Vilhjamlsson, « Artikel 17 EMRK in seiner Rechtsanwendung », Grundrechtsmissbrauch und Grundrechtsverwirkung, Vienne, Österreichische Juristenkommission, 1972, p. 18.
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autres droits à caractère processuel (art. 13, art. 1 à 4 du septième
protocole additionnel) ( 40).
8. Quoiqu’à ce jour encore imparfaite et sujette à contestations
plus ou moins explicites ( 41), cette délimitation du champ d’application ratione materiae de la déchéance stipulée par l’article 17 n’en
soulève pas moins de manière aiguë la question de son utilité
concrète. En effet, les « droits positifs à pouvoir causal liberticide »
susvisés ont cette caractéristique commune d’être assortis, « en
temps normal », d’une possibilité — textuelle ou prétorienne — de
« restriction » dont les ratios téléologiques (protection des droits
d’autrui défense de l’ordre,..) incluent largement l’hypothèse (destruction des droits et libertés) visée par l’article 17. La proportionnalité est par ailleurs exigée de part et d’autre ( 42). L’équipollence
fonctionnelle semble donc totale, et l’utilité de l’article 17, difficilement représentable : P.-H. Teitgen ( 43) et, à sa suite, le gouvernement irlandais ( 44) dans le cadre de l’affaire Lawless, n’affirmaient
pas autre chose.
9. Problématique, l’effet utile de la déchéance de l’article 17 n’est
cependant pas, à notre estime, totalement introuvable. Par analogie
avec le raisonnement que livre R. Ergec pour fonder l’utilité de la
dérogation (art. 15) en droit conventionnel ( 45), l’on rappellera en
effet que les restrictions visées par les paragraphes 2 des articles 8
à 11 et 2 du quatrième Protocole additionnel, ainsi que les limitations implicites affectant les prérogatives déduites de l’article 3 du
premier Protocole additionnel ( 46), doivent en principe se heurter à
une limite matérielle absolue (Schranken der Schranken) : l’intangi(40) Voy. e. a. J.-F. Flauss, « L’abus de droit... », op. cit., p. 423, note infrapaginale 25.
(41) Concernant les interrogations et éventuelles insatisfactions que suscite cette
jurisprudence, voy., en détail, S. Van Drooghenbroeck, « L’article 17 de la Convention européenne des droits de l’homme : incertain et inutile ? », op. cit., pp. 153-157
et références citées.
(42) Voy. en effet, en ce qui concerne l’article 17, Comm. eur. dr. h., req. n o 214/
56, rapport De Becker c. la Belgique du 8 janvier 1960, § 279.
(43) Ce dernier estimait en effet, dans le cadre des travaux préparatoires de la
Convention, que l’article 6 de l’instrument en projet, ancêtre des actuels « paragraphes 2 » des articles 8 à 11, suffisait à permettre une légitime défense démocratique. Point n’était n’était donc besoin de prévoir une clause spécifique (Propos rapportés par P. Le Mire, « Article 17 », op. cit., p. 511).
(44) Contre-mémoire présenté par le gouvernement irlandais le 27 août 1960, Série B,
p. 229.
(45) Voy. en effet, R. Ergec, op. cit., pp. 28 et s.
(46) Voy. Cour eur. dr. h., arrêt Mathieu-Mohin et Clerfayt c. la Belgique du
2 mars 1987, § 52.
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bilité de la « substance » des droits et libertés en cause. Cette intangibilité serait elle-même impliquée par la référence à la « société
démocratique » contenue dans les clauses de restrictions concernées ( 47). En soustrayant pour sa part de plano l’activité liberticide
à toute protection conventionnelle, en ce compris à celle desdites
clauses de restrictions, la déchéance de l’article 17 pourrait donc
permettre de surmonter ce principe d’intangibilité : ici s’aperçoit
son utilité pratique.
II. — L’utilisation jurisprudentielle
de l’article 17
10. Quoique théoriquement concevable selon les reconstructions
auxquelles nous nous sommes livrés, l’utilité de l’article 17 transparaît relativement mal de la pratique jurisprudentielle développée à
son propos. A tout le moins en va-t-il ainsi dans le cadre du contentieux « classique », « vertical », généré par cette disposition, c’est-àdire, de l’ensemble des instances strasbourgeoises initiées par un
individu à l’encontre de l’Etat ayant limité ses droits et libertés prétendument utilisés à dessein liberticide (II.1). Parallèlement à ce
contentieux s’en développe progressivement un autre, portant cette
fois-ci sur la conventionnalité des limitations aux droits des « ennemis des ennemis de la liberté ». Quoique nulle référence expresse à
l’article 17 n’y figure à ce jour, s’aperçoit néanmoins une manière
d’application « horizontale » de la déchéance, à plusieurs égards problématique (II.2).
II.1. — L’application « verticale » :
l’article 17 et les « ennemis de la liberté »
11. Dans une étude récente, le juge A. Spielmann ( 48) qualifiait
de « géométrie variable » l’approche suivie par les organes de Strasbourg dans l’application de l’article 17 et les effets assignés à cette
application.
L’on ne pourrait mieux dire. L’étude de la jurisprudence de l’ancienne Commission confronte en effet à trois types d’affaires. Dans
les premières (II.1.1), de loin minoritaires, l’article 17 a assumé sa
(47) Voy. entre autres, J. Velu et R. Ergec, op. cit., p. 151 ; P. van Dijk et
G.H.J. van Hoof, Theory and Practice of the European Convention on Human Rights,
3 e éd., Londres/La Haye/Boston, Kluwer, 1998, p. 537.
(48) A. Spielmann, « La Convention... », op. cit., p. 682.
Rev. trim. dr. h. (2001)
551
fonction originale de déchéance pleine et entière. Dans les secondes
(II.1.2), l’article 17 a purement et simplement été ignoré, nonobstant la pertinence qu’eut a priori pu présenter son invocation. Dans
les troisièmes, enfin (II.1.3), l’article 17 ne fut utilisé que dans une
version « douce », comme arrière-fond interprétatif apparemment
somptuaire des restrictions de « droit commun » aux droits et
libertés mis en cause.
La jurisprudence de la Cour, peu fournie sur ce thème, contribue
pour sa part à rendre la problématique plus nébuleuse encore
(II.1.4).
II.1.1. L’invocation de l’article 17 comme déchéance pure et simple
dans la jurisprudence de l’ancienne Commission
12. Il n’existe à notre connaissance que deux précédents à l’occasion desquels l’article 17 fut mobilisé en sa fonction première de
déchéance pure et simple.
La première affaire mit en cause la conventionnalité de la dissolution du Parti communiste allemand, et donna lieu à une décision du
20 juillet 1957 ( 49). Formée sous le visa des articles 9, 10 et 11, la
requête sera déclarée irrecevable. Jugé en substance que le recours
à la dictature du prolétariat, prôné par ledit Parti, emportait destruction d’un bon nombre de droits conventionnellement garantis.
Partant, la requête sub judice ne pouvait, en application de l’article 17, « s’appuyer sur aucune disposition de la Convention ».
La seconde décision fut quant à elle rendue le 11 octobre 1979, en
l’espèce Glimmerveen et Hagenbeek ( 50). Sous le visa des articles 10 et
3 du premier Protocole additionnel, les requérants, auteurs de propos racistes, se plaignaient, d’une part, de l’atteinte à leur liberté
d’expression que représentait leur condamnation pénale à raison
desdits propos, et, d’autre part, du refus, fondé sur les mêmes
motifs, d’enregistrer leur candidature aux élections municipales
d’Amsterdam et de La Haye. Invoquant l’article 17, la Commission
jugea cependant l’un et l’autre griefs irrecevables, affirmant que
« les requérants cherchent essentiellement à utiliser [les dispositions
conventionnelles en cause] pour fonder sur la Convention un droit
(49) Comm. eur. dr. h., req. n o 250/57, déc. Parti communiste allemand c. l’Allemagne du 20 juillet 1957, Annuaire 1, ici pp. 224-225.
(50) Comm. eur. dr. h., req. nn o 8348/78 et 8406/78, déc. Glimmerveen et Hagenbeek c. les Pays-Bas du 11 octobre 1979, op. cit.
552
Rev. trim. dr. h. (2001)
de se livrer à des activités qui (...) sont contraires à la lettre et à
l’esprit [de cet instrument] ».
De manière particulièrement intéressante, l’on constate que, dans
les deux décisions examinées, le motif d’irrecevabilité retenu fut
l’incompatibilité ratione materiae de la requête avec les dispositions
de la Convention, au sens de l’article 27, § 2 ancien (article 35, § 3
nouveau). Cette sanction procédurale — fort opportunément baptisée « guillotine » par J.-F. Flauss ( 51) — est parfaitement congruente
à la nature juridique de l’article 17 comme déchéance : les droits
revendiqués à dessein liberticide ne sont pas garantis par la Convention.
II.1.2. L’article 17 ignoré par la jurisprudence de l’ancienne Commission
13. L’on trouvera de nombreuses décisions où, nonobstant l’inscription des faits litigieux dans une problématique incontestablement liberticide, toute référence implicite ou explicite à l’article 17
fut absente, la requête ayant été traitée, et déclarée en l’occurrence
irrecevable, à l’aune du seul droit commun des restrictions aux
droits et libertés dont la violation était dénoncée ( 52).
Semblables décisions intervinrent, notamment ( 53), à propos des
déchéances perpétuelles de liberté d’expression, d’électorat et d’éligibilité frappant les « inciviques » belges à l’issue de la Seconde
(51) J.-F. Flauss, « L’abus de droit... », op. cit., p. 464.
(52) Cette absence ne peut être mise exclusivement au compte de la négligence des
agents du gouvernement défendeur : norme d’interprétation, l’article 17 peut être
soulevé d’office par les organes strasbourgeois (voy. J. Velaers, De beperking..., op.
cit., p. 262), fut-ce dans le silence des parties. Tel avait au demeurant été le cas dans
la décision du Parti communiste allemand (supra, n o 12).
(53) Voy. encore, Comm. eur. dr. h., req. n o 277/57, déc. X., Y. et Z. c. la République fédérale d’Allemagne du 20 décembre 1957, Annuaire 1, pp. 219 et s. (compatibilité avec les articles 8, 9, 10, 11 et 14, de la condamnation pénale de l’un des requérants pour avoir refusé de remettre aux autorités une machine à imprimer appartenant au Parti communiste allemand et pour avoir hébergé un ancien dirigeant de ce
parti). L’abence d’invocation expresse ou implicite de l’article 17 est ici d’autant plus
étonnante que cette décision intervient cinq mois après la décision du Parti communiste allemand, Leading-Case de la jurisprudence de la Commission relative à l’article 17 (supra, n o 12). Voy. également Comm. eur. dr. h., req. n o 11002/84, déc. Hendrikus van der Heijden c. les Pays-Bas du 8 mars 1985, D.R., 41, pp. 264 et s. (compatibilité avec les articles 10 et 11 du licenciement d’un employé, membre d’un parti
hostile à l’immigration, par la Fondation limbourgeoise pour l’immigration. Absence
de référence à l’article 17). Voy. enfin les décisions citées infra, n o 14 in fine.
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553
Guerre mondiale ( 54) ; de la condamnation par les juridictions autrichiennes d’une personne s’étant livrée à des activités visant la restauration du national-socialisme ( 55), ou encore ; d’une condamnation prononcée en Italie à l’encontre d’une personne pour avoir
fondé un mouvement politique dont la doctrine, le programme et les
emblèmes s’inspiraient du Parti fasciste dissous ( 56).
II.1.3. L’article 17 comme arrière-fond interprétatif superflu des
clauses de restrictions dans la jurisprudence de la Commission
14. Nombre d’auteurs ( 57) ont observé, voire approuvé ( 58), que
depuis la décision Kühnen de 1988 ( 59), l’article 17 ne soit plus uti-
(54) Dans le cadre de l’affaire De Becker, l’argument du Gouvernement belge
fondé sur l’article 17 fut expressément rencontré, et au demeurant rejeté (Comm. eur.
dr. h., req. n o 214/56, rapport De Becker c. la Belgique du 8 janvier 1960, op. cit.).
Postérieurement intervinrent cependant plusieurs décisions dont toute référence à
l’article 17 est absente : Comm. eur. dr. h., req. n o 924/60, déc. X. c. la Belgique du
27 mars 1963, Annuaire, 6, pp. 150 et s. (déchéance de liberté d’expression); Comm.
eur. dr. h., req. n o 9777/82, déc. T. c. la Belgique du 14 juillet 1983, D.R., vol. 34,
p. 158 (déchéance de liberté d’expression) ; Comm. eur. dr. h., req. n o 8701/79, déc.
X. c. la Belgique du 3 décembre 1979, D.R., vol. 18, pp. 250 et s. (déchéance des
droits de vote et d’éligibilité) ; Comm. eur. dr. h., req. n o 16692/90, déc. Van Wambeke c. la Belgique du 12 avril 1991, inédite (déchéance des droits de vote et d’éligibilité). Dans un sens identique aux deux dernières décisions citées, voy. Comm. eur.
dr. h., req. n o 6573/74, déc. X. c. les Pays-Bas du 19 décembre 1974, D.R., vol. 1,
pp. 87 et s.
(55) Comm. eur. dr. h., req. n o 1747/62, déc. X. c. l’Autriche du 13 mars 1963,
Annuaire, 6, pp. 425 et s. Intervenant dans des espèces très similaires, les décisions
H., W., P. et K. c. l’Autriche du 12 octobre 1989 (Comm. eur. dr. h., req. n o 12774/88,
D.R., vol. 62, pp. 216 et s.) et Schimanek c. l’Autriche du 1 er février 2000 (Cour eur.
dr. h., req. n o 32307/96, décision d’irrecevabilité non encore publiée) parviendront à
une solution identique, en invoquant cette fois-ci l’article 17 comme arrière-fond
interprétatif de l’article 10, § 2. Eu égard au précédent de 1963, l’on comprendra
cependant que pareille invocation était superflue. Voy. infra, n o 14 in fine.
(56) Comm. eur. dr. h., req. n o 6741/74, déc. X. c. l’Italie du 21 mai 1976, D.R.,
vol. 5, pp. 83 et s. Saisi d’une affaire identique, le Comité des droits de l’homme des
Nations-Unies invoquera par contre l’article 5 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques, équivalent fonctionnel de l’article 17 de la Convention :
M.A. v. Italy, Communication n o 117/1981 (21 septembre 1981), U.N. Doc. Sup.
n o 40 (A/39/40) at 190 (1984) ; EuGRZ, 1984, p. 293.
(57) Voy. e.a., G. Cohen-Jonathan, « Discrimination raciale et liberté d’expression? A propos de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 23 septembre 1994. Jersild c. Danemark », R.U.D.H., 1995, p. 4.
(58) Voy. en effet, J.A. Frowein, « How to Save Democracy From Itself ? », The
H. Gilman International Colloquium on Democracy, (26) Israel Yearbook on Human
Rights, 1996, p. 36.
(59) Comm. eur. dr. h., déc. M. Kühnen c. la République fédérale d’Allemagne du
12 mai 1988, D.R., 56, pp. 205 et s.
554
Rev. trim. dr. h. (2001)
lisé par la Commission comme déchéance pure et simple, mais bien
plus modestement, comme « instrument de mesure de la nécessité,
dans une société démocratique, des restrictions » ( 60) imposées aux
droits et libertés des liberticides. Cantonné à cette nouvelle et unique fonction d’adjuvant interprétatif, l’article 17 ne laisse plus
entrevoir sa réelle utilité ; d’aucuns n’ont d’ailleurs pas hésité à le
déclarer superflu ( 61).
15. Assurément sévère, cette proposition est néanmoins corroborée par l’étude attentive de ce qui constitue le plus important
contentieux liberticide porté devant l’ancienne Commission depuis
1988 : le contentieux des restrictions à la liberté d’expression des
auteurs de propos révisionnistes et/ou négationnistes ( 62).
Dans chacune des affaires concernées ( 63), le raisonnement de la
Commission consista à se « référer » ou à « tenir compte » de l’article 17 lorsqu’elle se prononça — en l’occurrence de manière systématiquement affirmative — sur la « nécessité dans une société
démocratique » de l’ingérence querellée ( 64).
(60) Pour reprendre les termes de P. Wachsmann, « La jurispudence récente de la
Commission européenne des droits de l’homme en matière de négationnisme », La
Convention européenne des droits de l’homme. Développements récents et nouveaux défis,
Actes de la journée d’études du 30 novembre 1996 organisée à l’Institut des Hautes
études européennes à Strasbourg à la mémoire de M.-A. Eissen, Bruxelles, Bruylant,
1997, p. 107.
(61) A. Spielmann, « La Convention... », op. cit., p. 686 ; B. de Lamy, op. cit.,
p. 59.
(62) Sur ce contentieux, voy. G. Cohen-Jonathan, « Négationnisme et droits de
l’homme. Droit européen et international (la sentence du Comité des droits de
l’homme Faurisson c. La France) », cette Revue, 1997, spéc. pp. 571 à 589 ; P. Wachsmann, « La jurisprudence récente... », op. cit., pp. 101 à 112.
(63) Voy. Comm. eur. dr. h., req. n o 26551/95, déc. D.I. c. l’Allemagne du 26 juin
1996; Comm. eur. dr. h., req. n o 34889/97, déc. Karl-August Hennicke c. l’Allemagne
du 21 mai 1997 ; Comm. eur. dr. h., req. n o 25096/95, déc. Otto E.F.A. Remer c. l’Allemagne du 6 septembre 1995, D.R., 82-B, pp. 117 et s.; Comm. eur. dr. h., req.
n o 36773/97, déc. Herwig Nachtmann c. l’Autriche du 9 septembre 1998 ; Comm. eur.
dr. h., req. n o 19459/92, déc. F.P. c. l’Allemagne du 29 mars 1993 ; Comm. eur. dr.
h., req. n o 21128/92, déc. Udo Walendy c. l’Allemagne du 11 janvier 1995, D.R., 80-A,
pp. 94 et s.; Comm. eur. dr. h., req. n o 31159/96, déc. Pierre Marais c. la France du
24 juin 1996, D.R., 86-A, pp. 184 et suiv. ; Comm. eur. dr. h., req. n o 25992/94, déc.
National Demokratische Partei Deutschlands, Bezirksverband München-Öberbayern c.
l’Allemagne du 29 novembre 1995, D.R., 84-B, pp. 149 et s.; Comm. eur. dr. h., req.
n o 25062/94, déc. Gerd Honsik c. l’Autriche du 18 octobre 1995, D.R., 83-B, pp. 77
et s.; Comm. eur. dr. h., req. n o 21318/93, déc. Oschenberger c. l’Autriche.
(64) Tel fut également le raisonnement suivi par la Cour d’arbitrage de Belgique
lorsqu’elle rejeta le recours en annulation formé contre la loi du 23 mars 1995 portant répression du négationnisme (C.A., n o 45/96, 12 juillet 1996, Mon. b., 27 juillet
→
Rev. trim. dr. h. (2001)
555
16. Semblable allusion était-elle indispensable au soutènement de
la conclusion finalement atteinte ? L’on peut en douter.
Tout d’abord, la motivation de certaines décisions postérieures à
1988 laisse clairement apparaître le caractère surabondant de l’argument pris de l’article 17, qui, méthodologiquement, ne fait que
confirmer une conclusion préalablement atteinte sur la base du seul
droit commun de l’article 10, § 2 ( 65). Ensuite et surtout, l’on remarquera qu’avant 1988, la conventionnalité de la répression du négationnisme avait de toute façon déjà été affirmée à trois reprises ( 66)
par la Commission, sans recours implicite ou explicite à l’article 17,
sur la seule base du « droit commun » de l’article 10, § 2.
II.1.4. L’utilisation de l’article 17 par la Cour
17. Depuis l’arrêt Lawless ( 67), la jurisprudence de la Cour est largement muette concernant l’article 17 et son utilité dans le droit
conventionnel. Rendus à propos de la liberté d’expression de fonctionnaires soupçonnés d’obédience communiste, pour le premier, et
national-socialiste, pour le second, les arrêts Glassenapp et Kosiek c.
la République fédérale d’Allemagne du 28 août 1986 n’eurent pas
←
1996). Par contre, nulle référence à l’article 5 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques — équivalent fonctionnel de l’article 17 — ne fut nécessaire
au Comité des droits de l’homme pour déclarer conforme à l’article 19 du Pacte la
condamnation de R. Faurisson sur la base de la loi française dite « Gayssot » (R. Faurisson c. la France, Communication n o 550/1993, U.N. Doc. CCPR/C/58/D/550/1993
(1996) ; R.U.D.H., 1997, pp. 545-549).
(65) Voy. p. ex., Comm. eur. dr. h., req. n o 36773/97, déc. Herwig Nachtmann c.
l’Autriche du 9 septembre 1998. Dans la déc. H., W., P. et K. c. l’Autriche du
12 octobre 1989 (op. cit.), la référence à l’article 17 n’intervient qu’au stade de l’examen du grief pris de la violation des articles 10 et 14 combinés. Au préalable, la Commission avait conclu, sans référence à l’article 17, au non-fondement manifeste du
grief présenté sous le visa de l’article 10 considéré isolément.
(66) Voy. en effet, Comm. eur. dr. h., req. n o 9235/81, déc. X. c. la République
fédérale d’Allemagne du 16 juillet 1982, D.R., vol. 29, pp. 202-203 (Interdiction faite
au requérant de réitérer ses déclarations qualifiant de « mensonge » l’assassinat de
millions de Juifs sous le III e Reich) ; Comm. eur. dr. h., req. n o 9777/82, déc. T. c.
la Belgique du 14 juillet 1983, D.R., vol. 34, pp. 164-165 (Poursuite de la requérante
pour avoir édité l’ouvrage de L. Degrelle intitulé « Lettre au Pape à propos d’Auschwitz »); Comm. eur. dr. h., req. n o 11001/84, déc. Dietlieb Felderer c. la Suède du
1 er juillet 1985, non publiée (condamnation du requérant pour avoir représenté un
homme nu, baptisé « Zyklon B. Goldman », dont il est affirmé que les passages en
chambre à gaz furent facteurs de beauté et de santé).
(67) Cour eur. dr. h., arrêt Lawless c. l’Irlande du 1 er juillet 1961, op. cit.
556
Rev. trim. dr. h. (2001)
l’opportunité de se prononcer sur la question de l’article 17 ( 68). Par
ailleurs, si les arrêts Sidiropoulos et autres c. la Grèce ( 69) et Parti communiste unifié de la Turquie c. la Turquie ( 70) furent l’occasion de
prises de positions explicites sur ladite question — respectivement à
propos du refus d’enregistrement d’une association culturelle macédonienne et de la dissolution d’un parti d’obédience communiste —,
ils ne fournissent guère d’indications sur l’utilité de l’article 17, la
Cour ayant rejeté l’allégation des gouvernements défendeurs concernant le caractère liberticide des activités et visées des requérants
concernés. Occasionnellement enfin, et à l’instar de l’ancienne Commission, la Cour s’abstint de toute allusion à l’article 17, en dépit de
la pertinence qu’eût pu présenter sa mise en jeu au regard des
matières concernées. Au grand dam de ses commentateurs ( 71), tel fut
le cas dans l’arrêt Vogt c. l’Allemagne ( 72)relatif à la révocation d’une
enseignante pour son appartenance au DKP allemand, et ce, en dépit
des arguments présentés par le gouvernement défendeur sur ce point.
Tel fut également le cas dans une décision d’irrecevabilité Hogefeld c.
l’Allemagne du 20 janvier 2000 ( 73), où la Cour conclut, sans invocation de l’article 17, à la compatibilité avec l’article 10 du refus opposé
à la requérante, ancienne figure emblématique de la Fraction armée
rouge, de se faire interviewer en prison par des journalistes.
(68) Cour eur. dr. h., arrêt Glassenapp c. la République fédérale d’Allemagne du
29 août 1986 ; Cour eur. dr. h., arrêt Kosiek c. l’Allemagne du 29 août 1986. La Cour
conclut, dans l’une et l’autre affaires, que la question centrale était celle, non de la
liberté d’expression des fonctionnaires concernés, mais bien du droit d’accès à la
fonction publique, non garanti par la Convention. Elle estima par conséquent l’article 10 inapplicable, sans avoir à se prononcer sur la licéité des ingérences querellées.
(69) Cour eur. dr. h., arrêt Sidiropoulos et autres c. la Grèce du 10 juillet 1998.
(70) Cour eur. dr. h., arrêt Parti communiste unifié de la Turquie c. la Turquie du
31 janvier 1998. Voy. également, dans un sens identique quant aux conclusions de
la Cour, Cour eur. dr. h., arrêt Parti socialiste et autres c. la Turquie du 25 mai 1998,
ainsi que Cour eur. dr. h., arrêt Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP) c. la
Turquie du 8 décembre 1999. Par une décision du 3 octobre 2000, la Cour européenne
des droits de l’homme a jugé recevables les griefs présentés, sous le visa des articles 9,
10 et 11, par le Refah Partisi à l’encontre de sa dissolution par la Cour constitutionnelle turque. Ici encore, l’article 17 est invoqué par le gouvernement défendeur en
soutien de la licéité de l’ingérence querellée (Cour eur. dr. h., req. n o 41340/98, décision de recevabilité Refah Partisi (Parti de la Prospérité), N. Erbakan, S. Kazan et
A. Tekdal c. la Turquie du 3 octobre 2000).
(71) Voy. en effet, F. Sudre, « Fonction publique et droits de l’homme. L’arrêt
Vogt de la Cour européenne des droits de l’homme ou l’art de l’illusionnisme juridique », obs. sous Cour eur. dr. h., arrêt Vogt c. l’Allemagne du 26 septembre 1995, cette
Revue, 1996, spéc. pp. 419-421.
(72) Cour eur. dr. h., arrêt Vogt c. l’Allemagne du 26 septembre 1995.
(73) Cour eur. dr. h., req. n o 35402/97, décision d’irrecevabilité Birgit E. Hogefeld
c. l’Allemagne du 20 janvier 2000, non publiée.
Rev. trim. dr. h. (2001)
557
18. L’identification de l’utilité prêtée par la Cour à l’invocation
de l’article 17 se concentrera donc dans l’analyse de deux espèces,
analyse dont les résultats sont largement ambigus, voire carrément
déroutants.
La première espèce est l’affaire Jersild c. le Danemark, tranchée
par un arrêt de la Cour du 23 septembre 1994 ( 74), et relative à la
condamnation pénale d’un journaliste pour avoir diffusé à la télévision les propos outrageusement racistes d’un groupe de « blousons
verts ». Analysant la nécessité dans une société démocratique de
l’ingérence subie par la liberté d’expression du requérant, la Cour
affirme (§ 35) :
« Nul doute que les remarques qui ont valu leur condamnation
aux blousons verts (...) étaient plus qu’insultantes pour les
groupes visés et ne bénéficiaient pas de la protection de l’article 10
(voir, par exemple, les décisions de la Commission sur la recevabilité des requêtes nn o 8348/78 et 8406/78, Glimmerveen et Hagenbeek, D.R., 18, p. 187, et n o 12194/86, Künhen c. Allemagne,
D.R., 56, p. 205). »
Quoique nulle référence expresse n’y figure, il n’est pas douteux
que l’article 17 inspire ce dictum de l’arrêt ( 75) ; en témoigne à suffisance l’appui pris par ce dernier sur deux décisions de la Commission comportant quant à elles une invocation explicite de cette disposition conventionnelle. Est en revanche plus mystérieux le type
d’utilisation de l’article 17 privilégié par la Cour. Les termes « ne
bénéficiaient pas » évoquent en effet irrésistiblement la « déchéance »
pure et simple ( 76). Néanmoins, la mobilisation des précédents issus
de la Commission est source d’ambiguïté. Si la décision Glimmerveen
et Hagenbeek ( 77) assignait à l’article 17 sa fonction originale de
déchéance, la décision Künhen ( 78) constituait en revanche le Leading-Case de la relégation de cette disposition au rang d’adjuvant
interprétatif du droit commun des restrictions aux droits et libertés
conventionnels ( 79).
(74) Cour eur. dr. h., arrêt Jersild c. le Danemark du 23 septembre 1994.
(75) Voy. G. Cohen-Jonathan, « Discrimination... », op. cit., p. 3.
(76) Ibidem, p. 4.
(77) Voy. supra, n o 12.
(78) Voy. supra, n o 14.
(79) Voy. en ce sens, l’analyse de B. Duarté, « Les partis politiques, la démocratie
et la Convention européenne des droits de l’homme », obs. sous Cour eur. dr. h., arrêt
Parti Communiste Unifié de la Turquie c. la Turquie du 31 janvier 1998, cette Revue,
1999, pp. 333-334, note infrapaginale 96.
558
Rev. trim. dr. h. (2001)
L’incertitude quant aux positions précises de la Cour survivait
donc à l’arrêt Jersild ( 80). Elle ne sera pas dissipée, mais au
contraire renforcée par l’arrêt Lehideux et Isorni c. la France du
23 septembre 1998 ( 81), lequel intervient à propos de la compatibilité avec l’article 10 de la condamnation des requérants pour avoir
fait publier dans le quotidien Le Monde un encart publicitaire invitant à la révision du procès de Philippe Pétain.
A l’estime du gouvernement défendeur, la requête devait être
« guillotinée », c’est-à-dire, déclarée incompatible ratione materiae
avec la Convention en application de la déchéance pure et simple
stipulée par l’article 17 ; nonobstant les dénégations des requérants,
l’éloge de la politique de Pétain ne serait rien d’autre que celui de
la collaboration avec l’ordre hitlérien, fondé sur le racisme et l’antisémitisme qui ont conduit aux atrocités nazies et à l’extermination
de six millions de juifs.
En dépit de l’opposition d’une forte minorité en son sein, la décision de recevabilité de la Commission ( 82) refusa de faire droit à l’argument pris de l’article 17, estimant en substance que l’encart
publicitaire litigieux ne contenait pas de termes de discrimination
raciale, ni d’autres déclarations visant à abolir ou restreindre les
droits et libertés conventionnellement garantis. En bonne méthode,
c’est donc sans plus de référence à cet article 17 que la Commission,
dans son rapport du 8 avril 1997, se prononcera — in specie négativement — sur la validité de l’ingérence litigieuse dans la liberté
d’expression des requérants.
Devant la Cour, l’Etat français plaidera une nouvelle fois in
limine litis l’irrecevabilité de la requête, sur la base de l’article 17 mobilisé au titre de déchéance pure et simple (§ 35). La Cour
oppose cependant qu’elle (§ 38)
« (...) entend statuer sur l’application de l’article 17 en ayant
égard à toutes les circonstances de la cause. Ainsi entamera-t-elle
l’examen du respect de l’article 10, dont elle appréciera toutefois
les exigences à la lumière de l’article 17 ».
(80) Dans un sens identique à cet arrêt, voy. récemment, Cour eur. dr. h., arrêt
Ibrahim Aksoy c. la Turquie du 10 octobre 2000, § 63.
(81) Cour eur. dr. h., arrêt Lehideux et Isorni c. la France du 23 septembre 1998 ;
cette Revue, 1999, pp. 350 et s. et obs. G. Cohen-Jonathan, « L’apologie de Pétain
devant la Cour européenne des droits de l’homme ».
(82) Comm. eur. dr. h., req. n o 24664/94, déc. Lehideux et Isorni c. la France du
24 juin 1996.
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559
Dans le cadre de l’examen annoncé, la Cour s’autorisera deux obiter dicta particulièrement intéressants. Il est tout d’abord affirmé
que (§ 47) « la négation ou la révision [de l’Holocauste] se verrait
soustraite par l’article 17 à la protection de l’article 10 ». Il est par
ailleurs soutenu que (§ 53) « (...) la justification d’une politique pronazie ne saurait bénéficier de la protection de l’article 10 ». Ces
considérants évoquent irrésistiblement ceux de l’arrêt Jersild ci-dessus rappelés ; ils leur sont du reste directement empruntés. Par le
fait même de cet emprunt cependant, ils prolongent — voire même
renforcent ( 83) — l’incertitude quant à la portée assignée par la Cour
à l’article 17 : déchéance pure et simple ou arrière-fond interprétatif ?
Estimant notamment que l’encart litigieux ne ressortit, ni du
négationnisme ou du révisionnisme, ni de l’apologie de la politique
nazie, le juge européen conclut in fine à l’absence de nécessité dans
une société démocratique de la condamnation querellée, et, partant,
à la violation de l’article 10.
A ce stade, le raisonnement de la Cour demeurait compréhensible,
à tout le moins sur un plan méthodologique ; tout juste pouvait-on
regretter qu’il entretienne l’ambiguïté de la jurisprudence Jersild
quant à la portée assignée à l’article 17.
Néanmoins, l’arrêt du 23 septembre 1998 crut bon d’ajouter, en
finale de sa motivation, que (§ 58) :
« [La conclusion selon laquelle la condamnation des requérants
viole l’article 10] autorise la Cour à estimer qu’il n’y a pas lieu
d’appliquer l’article 17 ».
Cette finale est assurément déconcertante. Non seulement introduit-elle une contradiction dans le raisonnement de la Cour ( 84),
mais en plus heurte-t-elle de plein front la ratio legis même de l’article 17. N’est-ce pas en effet précisément lorsque le « droit commun » de la Convention se trouve à lui seul incapable de ne pas cautionner une activité potentiellement liberticide, que l’invocation et
(83) Le renforcement de l’incertitude découle de ce que, préalablement aux obiter
dicta litigieux, la Cour avait annoncé vouloir « apprécier les exigences de l’article 10
à la lumière de l’article 17 », ce qui évoque irrésistiblement la fonction d’arrière-fond
interprétatif de cette dernière disposition conventionnelle (voy. en ce sens,
B. Duarté, « Les partis politiques... », op. cit., p. 334, note infrapaginale 96).
(84) Voy. en ce sens, la virulente mais judicieuse critique de G. Cohen-Jonathan,
« L’apologie... », op. cit., p. 372. Moins critique, voy. A. Nieuwenhuis, « Noot onder
E.H.R.M., Lehideux et Isorni, 23 septembre 1998 », Mediaforum, 1999, p. 20.
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l’application de l’article 17 présentent tout leur intérêt ? Partant, en
s’autorisant à ne pas appliquer cette disposition conventionnelle au
motif qu’elle constate préalablement la violation de l’article 10, la
Cour n’en vient-elle pas à nier purement et simplement l’intérêt,
l’utilité, voire même plus radicalement, le sens profond de l’article 17 ( 85) ?
✩
19. Résumons-nous. Pour théoriquement envisageable qu’elle
soit, l’utilité de l’article 17 est cependant difficilement discernable
dans la jurisprudence des organes de la Convention intervenue au
contentieux « vertical » mettant aux prises le « liberticide » et l’Etat
s’efforçant de contrer ses menées. La Commission, tout d’abord,
adopte une position à géométrie variable où s’entrecroisent, sans
réelle possibilité de systématisation, la mobilisation — rare — de
l’article 17 au titre de déchéance pure et simple, l’omission — occasionnelle — de toute référence à cette disposition, et enfin, son utilisation — quod plerumque fit — au titre de lubrifiant argumentatif
somptuaire d’une motivation axée au premier chef sur la mise en
œuvre du droit commun conventionnel. La Cour, quant à elle,
demeure obscure quant à l’utilité qu’elle conçoit de l’article 17, s’autorisant même à laisser entendre, dans une totale confusion logique
et méthodologique, que cette utilité serait inexistante.
II.2. — L’application « horizontale » : l’article 17
et les « ennemis des ennemis de la liberté »
20. Concevra-t-on que l’article 17 déploie une manière d’ « effet
horizontal », en ce qu’il ferait obstacle à ce que le respect de droits
et libertés d’un « liberticide » puisse être tenu comme motif légitime
de restriction des droits et libertés concurrents d’une autre personne ?
Récemment soulevée par Sylvie Peyrou-Pistouley ( 86), la question
ne reçoit pas de réponse définitive, la Cour s’étant jusqu’à présent
abstenue de toute référence expresse à l’article 17 en présence de
(85) Le raisonnement de l’arrêt Lehideux contraste singulièrement avec celui de
l’arrêt Parti communiste unifié de la Turquie du 31 janvier 1998 (op. cit.), où la Cour,
s’apprêtant à conclure à la violation du droit commun de l’article 11, § 2 (§§ 57 à 59),
se pencha précisément sur l’application aux faits litigieux de l’article 17 (§ 60).
(86) S. Peyrou-Pistouley, « L’extension regrettable de la liberté d’expression à
l’insulte », obs. sous Cour eur. dr. h., arrêt Oberschlick c. l’Autriche (n o 2) du 1 er juillet
1997, cette Revue, 1998, spéc. p. 602.
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561
pareils conflits de droits. S’offrent cependant d’ores et déjà divers
indices d’une « horizontalisation » très implicite des effets de cette
disposition conventionnelle.
Au travers des arrêts Oberschlick c. l’Autriche du 1 er juillet
1997 ( 87) et Lopes Gomes da Silva c. le Portugal du 28 septembre
2000 ( 88), s’aperçoit tout d’abord une particulière indulgence du
juge européen à l’endroit des journalistes dont les propos vitriolés,
voire les excès langagiers, entendent réagir aux discours « extrêmedroitisants » de certains hommes politiques. « Imbécile » ; « mélange
incroyable de grossièreté réactionnaire, de bigoterie fasciste et d’antisémitisme vulgaire » : tels sont ainsi les qualificatifs dont l’article 10 autorise l’usage légitime à l’endroit, respectivement de Jorg
Haider et de Silva Resende, candidat à la mairie de Lisbonne et
auteur d’écrits aux relents salazaristes et lepénistes.
Plus significatif encore est l’arrêt News Verlag GmbH et CoKG c.
l’Autriche du 11 janvier 2000 ( 89). Activiste néo-nazi, le sieur B fut
arrêté en raison de sa participation présumée à l’envoi de lettres
piégées à des politiciens et autres personnages publics autrichiens.
En décembre 1993, le journal News publia divers commentaires sur
le sujet, illustrés de photographies du prévenu, prises notamment à
l’occasion de son mariage. A la requête de ce dernier, les juridictions
autrichiennes interdirent, pour l’avenir, semblables publications.
Appelée à statuer sur la conventionnalité de cette interdiction, la
Cour s’estima confrontée à une apparence de conflit entre, d’une
part, la liberté d’expression du journaliste (art. 10) et, d’autre part,
le droit au respect de la vie privée du sieur B (art. 8). L’arrêt du
11 janvier 2000 désamorcera cependant ce conflit, jugeant à l’examen que le droit garanti au prévenu par l’article 8 ne se trouvait
pas en jeu. Tout d’abord, celui-ci n’était pas inconnu du public.
Ensuite, les articles litigieux ne dévoilaient pas les détails de sa vie
privée (§ 54). Enfin, la Cour crut bon d’ajouter que (§ 54) :
« (...) it has to be borne in mind that the offences he was suspected of, namely offences under the Prohibition Act and aiding and
abetting assault through letter bombs, were offences with a political
background directed against the foundations of a democratic
society ».
(87) Cour eur. dr. h., arrêt Oberschlick c. l’Autriche (n o 2) du 1 er juillet 1997.
(88) Cour eur. dr. h., arrêt Lopes Gomes da Silva c. le Portugal du 28 septembre
2000.
(89) Cour eur. dr. h., arrêt News Verlag GmbH c. l’Autriche du 11 janvier 2000.
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En creux de ce dictum se dessine, de manière relativement nette,
une application « horizontale » de la philosophie sous-jacente à l’article 17 aux fins de déchoir, ou à tout le moins de minorer, la protection conventionnelle des intérêts du supposé liberticide — le
sieur B fut ultérieurement acquitté des charges pesant sur lui... —
qui pourraient légitimer la restriction des droits fondamentaux
d’une autre personne.
Pareille déchéance emporte-t-elle l’adhésion ? L’on se montrera
quelque peu sceptique. Tout d’abord, et pour s’en tenir aux circonstances de l’espèce, l’on soulignera la quasi-inexistence in concreto du
« pouvoir causal liberticide » des droits dont la déchéance est finalement, quoiqu’implicitement, admise par la Cour. Sauf à embrasser
une logique particulièrement scabreuse, l’on n’aperçoit en effet pas
en quoi le droit à l’image du sieur B se présente comme l’instrument
direct et potentiellement efficient de ses visées de destruction des
droits et libertés conventionnellement garantis. Ensuite, et plus fondamentalement, il nous apparaît que l’introduction d’une logique de
déchéance au sein des conflits entre droits nés des rapports interindividuels ouvre la porte à une « privatisation » anarchique et fertile
en débordements de la lutte contre les activités liberticides, laquelle
devrait, selon nous, demeurer l’apanage des autorités publiques, en
termes de prérogatives et de devoirs.
III. — La sous-utilisation de l’article 17 :
explications et dangers
21. Quelles explications pourrait-on fournir de la désaffection des
organes de la Convention vis-à-vis de l’article 17, telle que nous
nous sommes efforcés de la mettre en lumière au point précédent ?
Trois pistes, inégalement convaincantes, semblent pouvoir être suggérées.
La première, parfois évoquée par la doctrine ( 90) et les institutions
strasbourgeoises elles-mêmes ( 91), insiste sur la relativité historique
(90) Voy. en ce sens, J. Velaers, De beperking..., op. cit., pp. 260-261 ; E. Brems,
« Demokratie... », op. cit., p. 325 ; P. Mertens, « Les organes du Conseil de l’Europe
et le concept de ‘ démocratie ’ dans le cadre des deux affaires grecques », Rev. b. dr.
int, 1971, p. 147 in fine.
(91) Voy. en ce sens, l’opinion partiellement dissidente jointe par le juge Spielmann à l’arrêt Glassenapp c. la République fédérale d’Allemagne du 28 août 1986.
Voy. également les interventions du délégué de la Commission, M. Trechsel, lors de
l’audience du 22 février 1995 précédant l’arrêt Vogt. Voy. enfin, le rapport rendu
dans cette dernière affaire par la Commission, le 30 novembre 1993, § 81.
Rev. trim. dr. h. (2001)
563
de l’article 17. Celui-ci est fils d’une époque et de contextes géopolitiques déterminés où se mêlaient les souvenirs encore vifs de la subversion de la République de Weimar par le régime national-socialiste, et la crainte, non moins vive, du communisme. Cinquante
années se sont cependant écoulées ; les contextes politiques ont subi
de profondes mutations qui virent s’affirmer les assises de l’Etat de
droit. Le mur de Berlin s’est effondré. Les craintes du passé sont
aplanies. N’est-il pas fatal, dès lors, que l’article 17, qui affirmait de
telles craintes, passe à l’arrière-plan du droit conventionnel ? L’explication est sans doute valable pour ce qui concerne la menace
communiste sur la démocratie ; elle est par contre insatisfaisante
pour légitimer la sous-utilisation de l’article 17 dans le contexte,
propre aux années quatre-vingt-dix, de retour en force de l’extrêmedroite. L’Etat de droit démocratique est-il encore autant assuré de
ses bases face aux scores électoraux d’un Jorg Haider en Autriche,
d’un Christian Blocher en Suisse, ou du Vlaams Blok à Anvers ?
La seconde explication serait éventuellement d’ordre stratégique.
Il s’agirait pour les organes de Strasbourg, via une utilisation restreinte de l’article 17, de ne pas donner de « mauvaises idées » à certains Etats toujours prompts à brandir cette disposition à tort et à
travers pour étouffer en leur sein tout authentique pluralisme politique. Que l’on songe à la manière dont la Cour constitutionnelle turque motiva invariablement les dissolutions de partis politiques ultérieurement condamnées par la Cour européenne des droits de
l’homme ( 92).
La troisième explication résiderait, enfin, dans les habitus judicandi du juge européen des droits de l’homme. L’adjudication de
l’article 17 comme déchéance pure et simple, façon Parti Communiste allemand ou Glimmerveen et Hagenbeek ( 93), s’appuie sur un raisonnement judiciaire relativement « mécanique », peu nuancé, voire
même « fruste », pour reprendre les mots de C. Tomuschat ( 94). Sitôt
qu’est rapportée la preuve de la visée liberticide qui sous-tend les
(92) Voy. en particulier, Cour eur. dr. h., arrêt Parti socialiste et autres c. la Turquie du 25 mai 1998, op. cit, § 15 ; Cour eur. dr. h., arrêt Parti de la liberté et de la
démocratie c. la Turquie du 8 décembre 1999, op. cit., § 14. Voy. également, Cour eur.
dr. h., req. nn o 41340/98 et 41342/98, décision de recevabilité Refah Partisi (Parti de
la prospérité), N. Erbakan, S. Kazan et A. Tekdal c. la Turquie du 3 octobre 2000, op.
cit.
(93) Supra, n o 12.
(94) C. Tomuschat, « Democratic Pluralism : The Right to Political Opposition »,
The Strenght of Diversity. Human Rights and Pluralist Democracy, sous la dir. de
A. Rosas et J. Helgersen, Martinus Nijhoff Publishers, Londres/Dordrecht/Boston,
1992, p. 33.
564
Rev. trim. dr. h. (2001)
activités de la personne concernée, la déchéance pourra être constatée. Par contre, seront en principe irrelevantes les considérations
relatives à l’importance des droits déchus et au préjudice qu’occasionne cette déchéance ; il n’y aura pas place, en d’autres termes,
pour une balance des intérêts en présence menée à la lumière de
l’ensemble des circonstances de la cause ( 95). Or, cette mise en
balance, opérée dans un examen minutieux et « prudent » du litige,
ne constitue-t-elle pas, précisément, le mode de raisonnement privilégié du juge européen dans l’ensemble des secteurs du droit conventionnel? Ne peut-on expliquer, sur cette base, qu’il répugne à se
départir de la balance au profit du « glaive » de l’article 17 utilisé
comme déchéance pure et simple ?
22. Conjugués, les trois motifs susénumérés peuvent éventuellement expliquer la réticence des organes de la Convention à l’égard
d’un usage plus franc de la déchéance stipulée par l’article 17, et
leur inclination corrélative à traiter prioritairement la problématique des liberticides à l’aide des seules ressources du droit commun
conventionnel.
23. Paradoxalement, cette option ne débouche pas, à notre
estime, sur quelque laxisme ou permissivité patents vis-à-vis des
abus de droits et libertés conventionnels. Même si l’on a pu légitimement regretter, sur le fond, l’issue des arrêts Jersild ( 96) et Lehideux et Isorni ( 97), n’en demeure pas moins que la jurisprudence de
la Cour et de l’ancienne Commission apparaît, in globo, relativement
ferme et sévère à l’endroit des extrémismes liberticides de tous
bords.
L’on pourra s’en réjouir. Ne peut-on cependant craindre, parallèlement, que l’estompement de la distinction entre les régimes juridiques respectivement applicables aux liberticides et aux non-liberticides n’induise, dans le long terme, un véritable « nivellement par le
bas » de la protection conventionnelle des droits et libertés ? En
d’autres termes, la sous-utilisation de l’article 17 à l’égard des
acteurs conventionnels auquel il s’adresse ne risque-t-elle pas de
(95) Voy. en ce sens, a contrario, la critique adressée par les professeurs van Dijk
et van Hoof (Theory and Practice..., op. cit., 3 e éd., p. 753), à la décision rendue par
la Commission en l’affaire Glimmerveen et Hagenbeek.
(96) Voy. en particulier, G. Cohen-Jonathan, « Discrimination... », op. cit., ainsi
que P. Lambert, « Racisme et liberté d’expression dans la Convention européenne
des droits de l’homme », Protection des droits de l’homme : la perspective européenne.
Mélanges R. Ryssdal, sous la dir. de L. Wildhaber, F. Matscher, H. Petzold et
P. Mahoney, Cologne, Carl Heymans, 2000, pp. 735-736 et 741-742.
(97) Voy. G. Cohen-Jonathan, « L’apologie de Pétain... », op. cit.
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565
devoir être « compensée » par une extension corrélative des pouvoirs
de limitations qu’offre le « droit commun », extension opérée au préjudice de l’ensemble des acteurs conventionnels passibles de ce droit
commun, sans être pour autant liberticides ?
Mutatis mutandis, l’objection ici élevée est du même ordre que
celle que divers auteurs ( 98) firent valoir à l’encontre de la mise sur
pied, prônée par certains juges strasbourgeois ( 99), d’un régime
« assoupli » de limitation des libertés en « circonstances quasi-exceptionnelles » (terrorisme, criminalité mafieuse), situées à mi-chemin
entre les « circonstances normales » et les « circonstances de guerre
ou de danger public menaçant la vie de la nation » visées par l’article 15. Ici encore était redouté que l’abolition des summae divisiones de la Convention se paie d’un abaissement global de la protection par elle offerte.
24. Indépendamment de ces premières considérations, l’on reconnaîtra sans peine, avec Régis de Gouttes ( 100), que le message
adressé par le juge européen aux liberticides de toutes espèces aurait
tout à gagner, en terme de clarté, de pédagogie, et donc de dissuasion, à être délivré de façon abrupte par le glaive de la déchéance
de protection conventionnelle pure et simple, plutôt qu’à être dilué
et obscurci dans la casuistique du droit commun, de ses (trop) subtiles balances des intérêts contextualisées, et de ses distinguos pas
toujours convaincants.
25. Pour ces raisons, et parce que l’actualité démontre que les
ennemis de la démocratie n’ont pas désarmé, l’article 17 et la
déchéance pure et simple qu’il stipule nous semblent devoir être
revitalisés et remis à l’avant-plan du droit conventionnel. L’on
n’ignore pas qu’un tel plaidoyer s’exerce à contre-courant de la
jurisprudence européenne et des réflexions de ses commentateurs les
plus avertis ( 101), lesquels mettent en exergue le péril qu’une démo-
(98) Voy. F. van Hoof, « The Future of the European Covention on Human
Rights. Judge Martens’ Position on Questions of Construction : a Dissenting Opinion », N.Q.H.R., 1989, spéc. pp. 458-459 et 463.
(99) Voy. essentiellement l’opinion dissidente jointe par le Juge Martens à Cour
eur. dr. h., arrêt Brogan et autres c. le Royaume-Uni du 29 novembre 1988.
(100) R. de Gouttes, « A propos de conflit entre le droit à la liberté d’expression
et le droit à la protection contre le racisme », Mélanges en hommage à L.E. Pettiti,
Bruxelles, Bruylant, 1998, pp. 250 et s., et spéc. pp. 258-259.
(101) Voy. en particulier, J.A. Frowein, « Incitement Against Democracy as a
Limitation of Freedom of Speech », Freedom of Speech and Incitement Against Democracy, sous la dir. de D. Kretzmer et F. Kershman Hazan, Londres/La Haye/Boston, Kluwer, 2000, p. 36.
566
Rev. trim. dr. h. (2001)
cratie encourt lorsqu’elle « sort d’elle-même » pour se défendre, jusqu’à, disent-ils, employer les armes de ses propres ennemis. L’on
n’ignore pas non plus les difficultés auxquelles s’expose la mise en
œuvre de l’article 17 lorsqu’il est « pris au sérieux », et ce, tant sur
un plan probatoire ( 102) qu’aux fins de concrétiser la notion à
maints égards complexe de « destruction des droits et libertés » qui
en circonscrit l’hypothèse d’application ( 103). Personne n’a cependant jamais prétendu que la confrontation entre la démocratie et sa
propre survie puisse être de tout repos, intellectuel, juridique ou
politique.
Sébastien VAN DROOGHENBROECK
Aspirant F.N.R.S.,
Assistant aux Facultés universitaires
Saint-Louis
✩
(102) Voy. sur cette question, S. Van Drooghenbroeck, « L’article 17 de la
Convention européenne des droits de l’homme : incertain et inutile ? », op. cit.,
pp. 166 à 172.
(103) Voy. sur ce point ibidem, pp. 158 à 165.