le programme des récitiations 2015

Transcription

le programme des récitiations 2015
ILFM – Programme des récitations, promotion 2015-2016
VERSION FINALE
Les textes à apprendre sont les textes numérotés et inscrits en gras. Les autres ne sont que des échos, pour enrichir
votre lecture.
Texte 1 – Paul Verlaine, « Art Poétique »
De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.
Il faut aussi que tu n'ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l'Indécis au Précis se joint.
C'est des beaux yeux derrière des voiles,
C'est le grand jour tremblant de midi,
C'est, par un ciel d'automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !
Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !
(…)
De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée
Vers d'autres cieux à d'autres amours.
Que ton vers soit la bonne aventure
Eparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym...
Et tout le reste est littérature.
Textes complémentaires
Paul Verlaine, Sagesse
Ecoutez la chanson bien douce
Qui ne pleure que pour vous plaire.
Elle est discrète, elle est légère :
Un frisson d’eau sur de la mousse !
La voix vous fut connue (et chère ?),
Mais à présent elle est voilée
Comme une veuve désolée,
Pourtant comme elle encore fière,
Et dans les longs plis de son voile
Qui palpite aux brises d’automne,
Cache et montre au cœur qui s’étonne
La vérité comme une étoile.
Elle dit, la voix reconnue,
Que la bonté c’est notre vie,
Que de la haine et de l’envie
Rien ne reste, la mort venue.
Elle parle aussi de la gloire
D’être simple sans plus attendre,
Et de noces d’or et du tendre
Bonheur d’une paix sans victoire.
Accueillez la voix qui persiste
Dans son naïf épithalame.
Allez, rien n’est meilleur à l’âme
Que de faire une âme moins triste !
Elle est en peine et de passage,
L’âme qui souffre sans colère,
Et comme sa morale est claire !...
Écoutez la chanson bien sage.
Texte 2 – Charles Péguy, Le Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc, La souffrance
Les voilà repartis sur la route affameuse. Dans la poussière, dans la boue, dans la faim. Dans
l’avenir, dans la détresse, dans l’anxiété de l’avenir. Qui leur donnera, mon Dieu, qui leur
donnera le pain de chaque jour. Mais au contraire ils marcheront dans la détresse et dans la
faim de chaque jour. Ils pleuraient encore en riant. Et ils riaient en pleurant, comme un rayon
de soleil tout à travers leurs larmes. Leurs grosses larmes oubliées glissaient et tombaient sur
leur pain. C’était comme les dernières gouttes de pluie quand le soleil est revenu. Ils
mangeaient sur leur pain, tartinées, le reste de leurs larmes. Qu’importent nos efforts d’un
jour ? qu’importent nos charités ? Je ne peux pourtant pas donner toujours. Je ne peux pas
donner tout. Je ne peux pas donner à tout le monde. Je ne peux pourtant pas faire manger aux
passants tout le pain de mon père. Et même alors, est-ce que ça paraîtrait ? dans la masse des
affamés. Pour un blessé que nous soignons par hasard, pour un enfant à qui nous donnons à
manger, la guerre infatigable en fait par centaines, elle, et tous les jours, des blessés, des
malades et des abandonnés. Tous nos efforts sont vains ; nos charités sont vaines. La guerre
est la plus forte à faire la souffrance. Ah ! maudite soit-elle et maudits ceux qui l’ont apportée
sur la terre de France.
Nous aurons beau faire, nous aurons beau faire, ils iront toujours plus vite que nous, ils en
feront toujours plus que nous, davantage que nous. Il ne faut qu’un briquet pour brûler une
ferme. Il faut, il a fallu des années pour la bâtir. Ça n’est pas difficile ; ça n’est pas malin. Il faut
des mois et des mois, il a fallu du travail et du travail pour pousser une moisson. Et il ne faut
qu’un briquet pour flamber une moisson. Il faut des années et des années pour faire pousser
un homme, il a fallu du pain et du pain pour le nourrir, et du travail et du travail et des travaux
et des travaux de toutes sortes. Et il suffit d’un coup pour tuer un homme.
Textes Complémentaires
Paul Verlaine, Sagesse
Mon Dieu m’a dit : Mon fils, il faut m’aimer. Tu vois
Mon flanc percé, mon cœur qui rayonne et qui saigne,
Et mes pieds offensés que Madeleine baigne
De larmes, et mes bras douloureux sous le poids
De tes péchés, et mes mains ! Et tu vois la croix,
Tu vois les clous, le fiel, l’éponge, et tout t’enseigne
À n’aimer, en ce monde amer où la chair règne,
Que ma Chair et mon Sang, ma parole et ma voix.
Ne t’ai-je pas aimé jusqu’à la mort moi-même,
Ô mon frère en mon Père, ô mon fils en l’Esprit,
Et n’ai-je pas souffert, comme c’était écrit ?
N’ai-je pas sangloté ton angoisse suprême
Et n’ai-je pas sué la sueur de tes nuits,
Lamentable ami qui me cherches où je suis ?
Victor Hugo, Melancholia
Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer. Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue. Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : - Petits comme nous sommes,
Notre père, voyez ce que nous font les hommes !
Ô servitude infâme imposée à l'enfant !
Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant
Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée,
La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée,
Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain ! -
D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !
Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre,
Qui produit la richesse en créant la misère,
Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !
Progrès dont on demande : Où va-t-il ? que veut-il ?
Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme,
Une âme à la machine et la retire à l'homme !
Que ce travail, haï des mères, soit maudit !
Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit,
Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !
Ô Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même,
Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux,
Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux !
Texte 3 – Jean Giono, Que ma Joie demeure
Bobi, un étranger, arrive sur le plateau de Grémone, terre dure où vivent quelques familles de
paysans. Il va leur faire redécouvrir l’importance de la Joie, qui passe d’abord par une ouverture,
simple et généreuse, du cœur au monde. Par un matin de grand gel, Bobi répand un sac de blé
sur le sol, pour attirer les oiseaux.
Les yeux regardaient l’oiseau, mais le regard est en forme de rayon, et au-dessus, il y a une
zone où on voit les choses sans se les nommer parce que c’est le halo du rayon de l’œil. Ce que
l’on voit dans ce halo, c’est toujours déformé comme ce qu’on voit dans le brouillard.
Il sembla que le ciel faisait comme le couvercle d’une caverne où des gouttes d’eau se forment,
se gonflent, et d’où elles tombent. L’illusion y était en plein ; même l’éblouissement de lumière
des gouttes d’eau traversées de soleil dans leur chute. Mais, dès que tout cela arrivait dans le
regard – toujours fixé sur le petit verdier ébouriffé, si verdelet, si goulu et déjà si chuintant – ce
n’étaient plus des gouttes d’eau, c’étaient des oiseaux. Des autres. On avait la tête pleine de
deux images : la caverne d’azur, les grosses gouttes, le bruit enfantin des eaux sonores et puis,
non, voilà des oiseaux, et la caverne c’est le ciel, et le bruit c’est les oiseaux qui chantent, et le
mordoré ce n’est pas le fugitif du soleil mais ce sont les plumages de toutes les couleurs qui
s’ouvrent, et froutent, et freinent pour que l’oiseau puisse se poser doucement dans le blé.
(…) « Il nous faudra des poètes. Un homme comme toi peut réveiller le grand appétit de tous.
Tu m’as touché dans un endroit que chaque jour je couvre de terre. Et je l’ai senti tout vivant
en bas dessous, à ton appel, comme l’eau à la baguette du sourcier : tu sais que j’ai besoin de
joies. Tu sais que personne ne peut vivre sans joie. La vie c’est la joie. »
Textes Complémentaires
Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, II, 8
Et que faudrait-il faire ?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,
Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ?
Non, merci. Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers ? se changer en bouffon
Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre,
Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
Non, merci.(…) Calculer, avoir peur, être blême,
Aimer mieux faire une visite qu'un poème,
Rédiger des placets, se faire présenter ?
Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais..chanter,
Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l'œil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plait, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre, - ou faire un vers !
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
A tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
N'écrire jamais rien qui de soi ne sortit,
Et modeste d'ailleurs, se dire mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !
Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard,
Ne pas être obligé d'en rien rendre à César,
Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,
Bref, dédaignant d'être le lierre parasite,
Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !
Texte 4 – Pierre Corneille, Horace, tirade de Camille
Rome, l'unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant !
Rome qui t'a vu naître, et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore !
Puissent tous ses voisins ensemble conjurés
Saper ses fondements encor mal assurés !
Et si ce n'est assez de toute l'Italie,
Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie;
Que cent peuples unis des bouts de l'univers
Passent pour la détruire et les monts et les mers !
Qu'elle même sur soi renverse ses murailles,
Et de ses propres mains déchire ses entrailles !
Que le courroux du Ciel allumé par mes vœux
Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux !
Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre,
Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre,
Voir le dernier Romain à son dernier soupir,
Moi seule en être cause et mourir de plaisir !
Textes complémentaires
Jean Racine, Phèdre, I, 3
Mon mal vient de plus loin. À peine au fils d’Égée
Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait être affermi ;
Athènes me montra mon superbe ennemi :
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler :
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables !
Par des vœux assidus je crus les détourner :
Je lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner ;
De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée :
D’un incurable amour remèdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brûlait l’encens !
Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,
J’adorais Hippolyte ; et, le voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je faisais fumer,
J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer.
Je l’évitais partout. Ô comble de misère !
Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.
Contre moi-même enfin j’osai me révolter :
J’excitai mon courage à le persécuter.
(…)
Vaines précautions ! Cruelle destinée !
Par mon époux lui-même à Trézène amenée,
J’ai revu l’ennemi que j’avais éloigné :
Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.
Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :
C’est Vénus tout entière à sa proie attachée.
François de Malherbe, Il n’est rien de si beau … (1608)
Il n'est rien de si beau comme Caliste est belle :
C'est une œuvre où Nature a fait tous ses efforts :
Et notre âge est ingrat qui voit tant de trésors,
S'il n'élève à sa gloire une marque éternelle.
La clarté de son teint n'est pas chose mortelle :
Le baume est dans sa bouche, et les roses dehors :
Sa parole et sa voix ressuscitent les morts,
Et l'art n'égale point sa douceur naturelle.
La blancheur de sa gorge éblouit les regards :
Amour est en ses yeux, il y trempe ses dards,
Et la fait reconnaître un miracle visible.
En ce nombre infini de grâces, et d'appas,
Qu'en dis-tu ma raison ? crois-tu qu'il soit possible
D'avoir du jugement, et ne l'adorer pas ?
Texte 5 – Jean Anouilh, « Le chêne et le roseau », Fables, 1962
Le chêne un jour dit au roseau :
« N'êtes-vous pas lassé d'écouter cette fable ?
La morale en est détestable ;
Les hommes bien légers de l'apprendre aux marmots.
Plier, plier toujours, n'est-ce pas déjà trop
Le pli de l'humaine nature ? »
« Voire, dit le roseau, il ne fait pas trop beau ;
Le vent qui secoue vos ramures
(Si je puis en juger à niveau de roseau)
Pourrait vous prouver d'aventure,
Que nous autres, petites gens,
Si faibles, si chétifs, si humbles, si prudents,
Dont la petite vie est le souci constant,
Résistons pourtant mieux aux tempêtes du monde
Que certains orgueilleux qui s'imaginent grands. »
Le vent se lève sur ces mots, l'orage gronde.
Et le souffle profond qui dévaste les bois,
Tout comme la première fois,
Jette le chêne fier qui le narguait par terre.
« Hé bien, dit le roseau, le cyclone passé
Il se tenait courbé par un reste de vent -
Qu'en dites-vous donc mon compère ?
(Il ne se fût jamais permis ce mot avant.)
Ce que j'avais prédit n'est-il pas arrivé ? »
On sentait dans sa voix sa haine
Satisfaite. Son morne regard allumé.
Le géant, qui souffrait, blessé,
De mille morts, de mille peines,
Eut un sourire triste et beau
Et, avant de mourir, regardant le roseau,
Lui dit : « Je suis encore un chêne ».
Texte Complémentaires
Jean de La Fontaine, « Le Chêne et le roseau », Fables
Le chêne un jour dit au roseau :
"Vous avez bien sujet d'accuser la nature ;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ;
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau,
Vous oblige à baisser la tête.
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est aquilon ; tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrai de l'orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
- Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci :
Les vents me sont moins qu'à vous redoutables ;
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin." Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le nord eût porté jusque là dans ses flancs.
L'arbre tient bon ; le roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.