H9 - Lissage géographique : une méthode pour

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H9 - Lissage géographique : une méthode pour
Congrès national des Observatoires régionaux de la santé 2008 - Les inégalités de santé
Marseille, 16-17 octobre 2008
H9 - Lissage géographique : une méthode pour représenter de façon plus
satisfaisante l’offre de soins
P. Enderlin, F. Imbert
ORS Alsace, Strasbourg, France
RESUME
Introduction. La représentation cartographique de l’offre de soins se heurte au problème du choix
du découpage territorial utilisé, y compris dans une région comme l’Alsace réputée sans problème
de répartition de l’offre de soins. D’ordinaire on représente une densité d’offre de soins en
rapportant le nombre de professionnels de santé d’un territoire à sa population. Cette méthode
pose problème dans la mesure où la patientèle des praticiens d’un territoire donné ne se limite pas
aux seules populations de ce territoire. Afin de contourner cette difficulté méthodologique nous
avons utilisé la méthode de lissage géographique pour représenter l’offre de soins libérale en
Alsace pour une dizaine de spécialités.
Matériel et méthodes. Le lissage géographique consiste à représenter non pas la valeur observée
en un territoire donné, mais une moyenne pondérée des valeurs observées alentour. Les
pondérations sont décroissantes en fonction de la distance, jusqu’à s’annuler à la distance appelée
rayon de lissage. Cette technique permet en outre d’attribuer une valeur en n’importe quel point de
l’espace, puisqu’il suffit de connaître les distances aux points d’observation.
Résultats. Contrairement à ce que l’on observe pour les spécialistes, principalement installés dans
les grandes agglomérations de la région, l’analyse de la carte lissée pour les généralistes met en
évidence une offre plutôt bien répartie sur l’ensemble du territoire alsacien, à l’exception de
certains fonds de vallée, de la zone située entre Colmar et Mulhouse et du sud de l’Alsace où
l’offre y est plus disséminée. Lorsque l’on s’intéresse à la distance moyenne de recours aux soins,
il apparaît que 83 % de la population consulte ou rend visite à un praticien installé à 5 km ou moins
de son domicile, contre 40 % seulement pour les gynécologues obstétriciens par exemple. En
outre, il existe une corrélation entre offre et recours aux soins pour certaines spécialités médicales.
De même certaines zones cumulent difficulté d’accès aux soins et situation sociale défavorable.
Discussion et conclusion. Les cartes lissées permettent de contourner les problèmes posés par
le choix d’un échelon géographique d’analyse. En comparaison à une carte cantonale, et plus
encore à une carte communale, de densité brute, les cartes lissées présentent moins de variations
locales, ne ressemblent plus à des mosaïques et deviennent par conséquent nettement plus
lisibles. Le croisement avec d’autres indicateurs (consommation de soins, distances parcourues
par les patients, vieillissement des professionnels de santé) permet en outre de repérer des
territoires en situation de fragilité du point de vue de l’offre de soins.
Mots-clés : Lissage Géographique, Offre de Soins, Inégalités Géographiques, Inégalités Sociales
Keywords: Geographical Smoothing, Offer of Care, Geographical Inequalities, Social Inequalities
INTRODUCTION / OBJECTIFS
La représentation cartographique de phénomènes continus se heurte inévitablement aux
problèmes posés par le choix de l’échelon géographique d’analyse et du mode de discrétisation,
en particulier dans le cas de la représentation de l’offre de soins. Un examen attentif de la
distribution des données permet le plus souvent de retenir le mode de discrétisation adéquat. Dans
le cas d’une analyse infra-départementale de l’offre de soins, le choix du découpage territorial est
moins aisé qu’il n’y parait a priori. En effet, les découpages administratifs et sanitaires
généralement utilisés dans ce type d’analyse, bien qu’étant faciles à mettre en œuvre, à lire et
interpréter, ne permettent pas de rendre fidèlement compte de la réalité. Ainsi, l’utilisation de ce
type de zonage pose problème dans la mesure où les consultations et/ou visites d’un praticien d’un
territoire donné ne se limitent pas aux seules populations du territoire. De même, les déplacements
des patients ne se limitent pas aux frontières du territoire retenu. Afin de contourner cette difficulté
méthodologique nous avons utilisé une méthode de lissage géographique pour représenter l’offre
de soins libérale en Alsace pour une dizaine de professions de santé : généraliste, cardiologue,
gynécologue et gynécologue obstétricien, ophtalmologue, pédiatre, radiologue, psychiatre et
neuropsychiatre, chirurgien-dentiste, infirmier, masseur kinésithérapeute et orthophoniste. Dans
l’optique d’étudier le plus finement possible les disparités d’accès géographique aux soins cette
analyse a été utilement complétée par un examen des distances effectivement parcourues par les
patients pour se rendre au cabinet du professionnel de santé (ou par le praticien lors d’une visite),
le taux de consommation des patients et l’activité des professionnels de santé, le vieillissement des
professionnels de santé. Un rapprochement avec des indicateurs sociaux a également été réalisé.
MATERIELS / METHODES
Lissage géographique
L’ensemble de ces calculs ont été réalisés à partir de données 2007 de consommation de soins
libéraux des habitants et de dénombrement de professionnels de santé libéraux fournies par
l’Urcam Alsace. La technique de lissage utilisée ici, consiste à représenter non pas la valeur
observée en un point ou au centre d’un territoire donné (le centre d’une commune dans le cas
présent), mais une moyenne pondérée des valeurs observées au voisinage de ce point dans un
rayon prédéfini. Une fonction statistique nommée « biweight » (cf. formule ci-après) a été utilisée
pour pondérer les populations et le nombre de professionnels de santé en fonction inverse de la
distance des valeurs observées alentour jusqu’à la distance appelée rayon de lissage ou distance
d’intérêt du lissage. Ce rayon a été fixé pour chaque profession en prenant comme référence la
distance de recours aux soins correspondant au neuvième décile des distances parcourues par les
patients dans le cas d’une consultation ou par les médecins dans le cas d’une visite. Il est par
exemple de 10 km pour les médecins généralistes et de 15 km pour les médecins spécialistes. La
méthode est relativement complexe à mettre en œuvre dans la mesure où elle exige de prendre en
compte non seulement l’offre et la population régionale mais également celles des départements
limitrophes afin d’éliminer les « effets de bordure » et de manipuler une matrice de distance
comptant autant de lignes et de colonnes que de communes prises en compte.
Pondération (p) en fonction de la distance (d)
distance d’intérêt (D) = 10 km
1,0
distance
d'intérêt du
lissage (D)
⎡ ⎛ d ⎞2 ⎤
p = ⎢1 − ⎜ ⎟ ⎥
⎢⎣ ⎝ D ⎠ ⎥⎦
avec d < D
2
poids
0,8
0,6
0,4
0,2
0,0
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9 10 11 12 13 14 15
distance en km
Discrétisation
La discrétisation est l’opération qui consiste à découper en classes une série de valeurs continues
(variable quantitative). Cette opération vise à simplifier l’information en regroupant les objets
géographiques (communes ou cantons dans le cas présent) en classes homogènes et distinctes
2
entre elles. Il existe un grand nombre de méthodes de discrétisation avec d’innombrables
variantes, justifiées par la nécessité de prendre en compte des cas particuliers. Dans cet article,
nous avons fait le choix de la méthode de discrétisation de « Jenks ». Cette méthode repose sur
l’analyse de la variance, c’est à dire sur l’analyse de la dispersion des valeurs de la série autour de
la moyenne. Elle vise à minimiser la variance intra-classes (donc à créer des classes les plus
homogènes possibles) et à maximiser la variance inter-classes (donc à créer des classes les plus
différentes les unes des autres). Sa mise en œuvre est cependant coûteuse en temps de calcul et
requiert généralement l’emploi d’un logiciel d’analyse statistique ou d’un système d’information
géographique (SIG). Dans le cas présent nous avons utilisé ArcView 3.2 pour réaliser l’ensemble
des cartes de ce document. Enfin, le nombre de classes a été volontairement limité à cinq afin de
ne pas nuire à la lisibilité des cartes en les saturant d’informations.
RESULTATS
Les cartes figurées ci-après représentent la densité de médecins généralistes libéraux installés sur
le territoire alsacien en 2007. Elles sont basées sur le calcul de densités soit brutes, à l’échelon
communal et cantonal, soit lissées à l’échelon communal (selon la méthode décrite
précédemment).
Premier constat, la carte de densité lissée (au milieu) apparaît d’emblée comme étant le meilleur
compromis entre lisibilité, comparativement à la carte des densités brutes communales (à gauche)
et mise en évidence de phénomènes locaux, comparativement à celle des densités brutes
cantonales (à droite). Dans le sud de l’Alsace, cet avantage de la carte lissée apparait clairement,
car elle met bien en évidence la concentration des généralistes dans quelques centres urbains,
phénomène qui ne peut être analysé avec les cartes brutes. La carte lissée permet également de
mieux appréhender la situation de cantons limitrophes présentant des densités brutes très
contrastées. Ainsi, l’accès géographique aux soins des habitants du canton de La Petite-Pierre ou
de celui de Neuf-Brisach est difficile à interpréter à partir de la carte des densités cantonales
brutes. En effet, si ces cantons présentent des densités de généraliste faibles, ils sont entourés de
cantons aux offres moyennement ou très élevées. La carte lissée permet de surmonter cette
difficulté d’interprétation.
Densité communale (brute) de médecins
généralistes libéraux pour 100 000
habitants en Alsace en 2007
Densité communale lissée de médecins
généralistes libéraux pour 100 000
habitants en Alsace en 2007
Densité cantonale (brute) de médecins
généralistes libéraux pour 100 000
habitants en Alsace en 2007
Canton de La Petite-Pierre
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Distance de lissage = 10 km
Canton de Neuf-Brisach
Sources : URCAM Alsace, INSEE RP99, GeoFla (IGN) – Exploitation ORS Alsace
Une lecture plus approfondie de la carte lissée met en évidence une offre de médecins
généralistes libéraux plutôt bien répartie sur l’ensemble du territoire alsacien (cantons à faible
densité entourés de cantons à forte densité), à l’exception de certains fonds de vallée, de la zone
située entre Colmar et Mulhouse, et du sud de l’Alsace où l’offre y est plus disséminée. Parmi la
dizaine d’autres spécialités étudiées, l’offre de médecine générale est la seule, avec les infirmiers
et dans une moindre de mesure les masseurs-kinésithérapeutes, qui apparaisse comme étant une
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offre de proximité, la plupart des médecins spécialistes étant installés dans les grandes
agglomérations de la région (Strasbourg, Mulhouse et Colmar).
Cette observation est confirmée par l’analyse des distances moyennes de recours aux soins. Il
apparaît ainsi que 83 % de la population consulte ou rend visite à un généraliste installé à 5 km ou
moins (à « vol d’oiseau ») de son domicile, contre 40 % seulement pour les gynécologues
obstétriciens par exemple.
Le rapprochement avec les données de consommation de soins offre d’autres perspectives
d’analyse. Par exemple, il apparaît que dans une région comme l’Alsace la distance ne semble pas
constituer un frein systématique au recours aux soins, dans la mesure où les cantons présentant
les distances moyennes de recours (effective) aux soins les plus élevées ne sont pas forcément
ceux dont les consommations moyennes par habitant sont les plus faibles, et ce, quelle que soit la
profession considérée.
Néanmoins, il existe pour certaines spécialités une corrélation entre offre et recours aux soins
libéraux. Si à l’échelle des cantons le lien statistique entre consommation et offre (lissée) de soins
est relativement faible pour les généralistes comme globalement pour l’ensemble des spécialistes
(Carré du coefficient de corrélation linéaire (R²) respectivement égal à 0,24 et 0,38), ce n’est pas le
cas pour la psychiatrie par exemple (R² = 0,58). Ainsi, dans le canton de Strasbourg l’offre de
psychiatrie est, comparativement au reste du territoire alsacien, très élevée et la consommation
(standardisée sur l’âge) y est près de deux fois et demie plus élevée environ qu’en moyenne
régionale.
Un rapprochement avec des indicateurs sociaux permet également de repérer certaines zones qui
cumulent difficulté d’accès aux soins et situation sociale défavorable. Principalement localisés dans
le département du Haut-Rhin, et plus particulièrement dans le sud de l’Alsace, ces cantons
présentent des indicateurs socioéconomiques (taux de demandeurs d’emploi de fin de mois,
pourcentage de ménages dont les prestations légales représentent au moins 50% des revenus,
adultes de 18-59 ans couverts par l’API, l’AAH ou le RMI) défavorables conjugués à une offre de
soins libéraux nettement plus faible qu’en moyenne régionale (en particulier pour les spécialistes)
et des consommations de soins sensiblement plus faibles. L’offre ne suffit pas toujours à répondre
à la demande des habitants avec des taux de fuite (part des consultations et visites des patients
d’un territoire donné réalisés par des professionnels de santé installés hors de ce territoire) qui
dépassent très largement les taux d’attraction (part des consultations et visites des professionnels
de santé d’un territoire donné concernant des patients domiciliés en dehors de ce territoire) et des
distances parcourues par les habitants pour accéder aux professionnels de santé particulièrement
élevées. De plus le besoin de remplacement dans ces territoires se fera plus pressant dans les
prochaines années en raison de l’âge élevé des professionnels qui y sont installés.
Dans ce paysage, le canton de Strasbourg occupe une place à part. En effet, bien que présentant
une situation sociale parmi les plus défavorables de la région (avec Mulhouse), il se caractérise à
l’inverse par une offre de soins libéraux parmi les plus élevées de la région, avec pour
conséquence une activité des professionnels sensiblement inférieure à la moyenne régionale.
Dans les dix prochaines années, Strasbourg sera également moins concerné par le vieillissement
de ses médecins spécialistes. La consommation de soins y est également plus élevée qu’en
moyenne sur l’ensemble du territoire alsacien.
DISCUSSION / CONCLUSION
L’utilisation d’une technique de lissage géographique permet de contourner les problèmes posés
par le choix de l’échelon géographique d’analyse. Ainsi transformé, les densités étudiées
présentent moins de variations locales brusques en comparaison à des densités brutes
communales ; les cartes lissées ne ressemblent plus à un « patchwork » et deviennent par
conséquent beaucoup lisibles. En outre, la simple lecture d’une carte de densités lissées
communales permet de mieux apprécier l’apport du lissage géographique dans la mise en
évidence de phénomènes locaux.
Le croisement avec d’autres indicateurs (consommation soins, distances parcourues par les
patients, vieillissement des professionnels de santé) permet en outre de repérer des territoires en
situation de fragilité du point de vue de l’offre de soins. Une mise en perspective avec des
indicateurs sociaux, dans une région réputée sans problème de répartition de l’offre de soins, et se
distinguant nettement de la plupart des autres régions métropolitaines par des indicateurs socioéconomiques plus favorables (revenu moyen par habitant, taux de chômage, …), permet
également d’identifier des zones présentant un cumul d’indicateurs négatifs.
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Bien que la technique de lissage géographique employée ici apparaisse bien adaptée à l’analyse
de l’offre de soins, il convient néanmoins de rester prudent quant à l’interprétation des résultats. En
effet, la méthode présente certaines limites. La première d’entre elles n’est pas directement liée à
la méthode utilisée mais est subordonnée à la disponibilité de certaines données. Dans cet article,
nous avons uniquement tenu compte de la distance euclidienne séparant les centres des
communes en ignorant par conséquent les barrières naturelles (massif vosgien en particulier) et
artificielles ainsi que la distance réellement parcourue par les patients via le réseau routier entre
leur domicile et le cabinet. La prudence est également de mise lorsque l’on atteint des niveaux
géographiques fins, à l’échelon infra-communal en particulier. Dans ces zones la notion de
distance est plus relative. La notion de temps de trajet (via les transports en commun notamment)
est plus pertinente à cette échelle mais elle s’avère également plus difficile à évaluer. Par ailleurs,
le rayon de lissage impacte fortement le résultat obtenu et son choix revêt un caractère subjectif
même s’il repose comme dans notre cas sur un critère précisément établi. La dernière limite tient
davantage à la manière dont est construit l’indicateur. D’une certaine manière le lissage
géographique s’apparente à une moyenne mobile étendue à deux dimensions, puisqu’il consiste à
représenter une moyenne pondérée des valeurs observées au voisinage de chaque unité
géographique étudiée dans un rayon prédéfini. En d’autres termes, cela signifie que les unités
géographiques les plus peuplées ont une influence plus forte sur leur voisinage que les autres,
impactant au passage la densité des communes situées en périphérie des grandes villes
(Strasbourg en particulier). Il convient cependant de préciser que l’utilisation de distances routières
et la mise en œuvre d’une technique de maillage permet de surmonter les deux principales limites
de la technique de lissage mise en œuvre ici.
REFERENCES
-
Philippe CHATAIGNON, "Cartographie et estimation de densité", INSEE n° H9802, Séminaire de géostatistique
– session 1997-1998
Julien THENAISIE, Discrétisation pour la cartographie [Site internet], lundi 19 février 2007.
BEGUIN M., PUMAIN D, La représentation des données géographiques, Paris : A. Colin, 2e éd., coll. Cursus,
2000, 192 p.
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