Working Paper IMRI

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IMRI, Université Paris Dauphine, 75775 PARIS CEDEX 16 / Tel : 33.(0)1.44.05.42.92 - Fax : 33(0)1.44.05.48.49
site internet : http://www.dauphine.fr/imri
Trois modèles d’innovation dans l’économie de la connaissance
Dominique Foray1
Préparé pour l’Encyclopédie de l’Innovation, éditée par P.Mustar et H.Pénan
2ème version
décembre 2002
1
- Je remercie vivement Michel Callon et Jacques Mairesse pour leurs commentaires et leurs conseils, Blandine
Laperche pour une lecture approfondie, ainsi que Philippe Mustar pour son travail soigneux d’éditeur, ses
encouragements et sa grande patience.
1
SOMMAIRE
1- L’Innovation fondée sur la science
p3
2- L’Innovation et le rôle des usagers
p7
3 – La production de normes, de standards et de savoirs d’intégration comme
innovation impulsée par la coordination
p9
4 – Idéaux-types et formes hybrides
p 12
5 – Quelques régularités
p 13
6 – Conclusion
p 15
Références
p 18
2
Les analystes de l’innovation, qui tentent de détecter les formes nouvelles de celle-ci dans le contexte
contemporain, ont souvent tendance à privilégier une forme particulière pour en faire une sorte
d’archétype ; forme unique, régissant toutes les transformations en cours. Ainsi, certains penseurs parleront
de la domination de la « techno-science », d’autres de l’emprise des nouveaux modes de production des
savoirs, basés sur une multitude de sources et d’acteurs hétérogènes ; d’autres enfin de l’importance
croissante des innovations engendrées par les problèmes de coordination entre firmes, eux mêmes liés aux
tendances accélérées à la modularisation des technologies et la désintégration des stades de production.
Nous pensons que les modèles nouveaux de l’innovation dans l’économie de la connaissance sont
irréductibles à ces différents « archétypes » ; irréductibles à l’accroissement de l’influence de la science,
également irréductibles à l’apparition d’un système d’innovation décentralisé, composé d’une multitude
d’agents hétérogènes ; irréductibles encore à l’accroissement de la complexité et de la modularité des
technologies et des produits.
Notre hypothèse est que ces modèles nouveaux sont multiples et procèdent des trois registres que nous
venons d’évoquer : l’innovation découlant directement de la science se généralise lentement ;
l’engagement de nouveaux acteurs dans les processus d’innovation est un fait indiscutable, créateur
d’opportunités nouvelles ; la complexité des systèmes technologiques engendre de nouvelles formes
d’innovation, notamment des normes et des standards, suscitées par des besoins de coordination
grandissants.
Après avoir examiné chacun de ces trois modèles «nouveaux », en les examinant chacune selon le
triptyque – explication, expression, enjeu – nous tenterons de déceler quelques régularités qui pourraient
esquisser les contours d’«une nouvelle économie de l’innovation » : celle qui nous portera au delà des
débats et des analyses sur les mérites du fameux « modèle en chaîne », dont on a sans doute désormais
épuisé la veine créatrice !2
1 - L’innovation fondée sur la science
La première tendance est relative à l’accroissement du caractère scientifique des modes de production de
l’innovation. Il y a deux aspects, remarquablement analysés par Nelson dans ses travaux les plus récents
(2000) : d’une part, une méthode d’avancement scientifique, fondée sur la possibilité de concevoir et
d’effectuer des expérimentations ; d’autre part, une liaison directe et immédiate entre les avancées
scientifiques et la production d’innovation. Ces deux aspects caractérisent depuis longtemps un certain
nombre de secteurs, dans lesquels les avancées de la technologie ont été remarquables. Pour un auteur
comme Rosenberg (1992), il s’agit là d’une raison essentielle de la montée en puissance économique de
l’occident. Ces deux aspects sont intimement liés dans le modèle d’innovation, fondé sur la science. Or ils
restent longtemps dissociés : certes, la science progresse à pas de géant mais elle n’est pas directement à
l’origine des innovations technologiques : « la technologie est première, au sens où elle permet le
développement de nouvelles technologies efficaces, sans le secours d’une base scientifique systématique »
(Rosenberg, 1992)3.
2
Remarquons à cet égard que la fréquence des citations au modèle de Kline et Rosenberg (1986) a considérablement
baissé. La présente encyclopédie est cependant une bonne occasion pour vérifier cette impression.
3
- Rosenberg (1992) donne notamment l’exemple du système américain de manufacture, dont il a longuement étudié
la genèse et le développement : « (il) est basé sur des compétences mécaniques de premier ordre, ainsi qu’une très
grande ingéniosité dans la conception. Il ne repose pas sur le recours à une connaissance scientifique ».
3
Explications
Nelson (2000) décrit la capacité expérimentale comme celle de concevoir et de conduire des explorations
définies et contrôlées sur les moyens susceptibles d’améliorer les résultats de la technologie et d’obtenir
des remontées rapides, exactes et fiables des résultats. La plupart des domaines importants de la science
qui ont avancé significativement se fondent sur cette capacité d’expérimentation. Certes, on doit admettre
que d’autres sciences, telles que l’astronomie et maintenant la cosmologie, ne sont pas à proprement parler
des sciences expérimentales. Cependant, la possibilité de faire des observations empiriques précises,
nécessaires pour vérifier rigoureusement l’évolution de la théorie cosmologique, a permis à cette science
de se développer comme s’il s’agissait d’une science expérimentale. Dans certains cas, des données non
expérimentales peuvent fournir les bases d’une science exacte. Lorsque l’expérience devient le principe
essentiel de l’avancée des connaissances, apparaît la notion de recherche off line, accomplie dans le cadre
d’une activité spécialisée et dans un lieu dédié, qui permettra d’isoler les processus étudiés, d’élaborer des
versions simplifiées (des modèles) des objets à tester et de leur environnement. Utiliser un modèle en
expérimentation constitue un moyen de contrôler certains aspects de la réalité qui pourraient affecter
l’expérience ; ceci afin de simplifier l’analyse des résultats.
L’autre grand aspect du modèle est l’aptitude à dériver directement de la science des résultats utiles à
l’innovation. Kline et Rosenberg (1986) parlent, dans ce cas, d’une science parvenue au stade prédictif ;
c’est-à-dire d’une science utilisable directement par n’importe quel homme de l’art pour ses tâches
d’invention technique et de conception. Lorsque la science se trouve être dans des stades inférieurs
(descriptif, puis taxonomique), le développement technologique ne peut s’effectuer que par de longs et
coûteux processus d’essais-erreurs : « Le manque de science prédictive se traduit par des coûts élevés dans
le développement, la persistence longue de certaines solutions techniques, ainsi qu’un conservatisme fort
et raisonnable de la part des ingénieurs ».
Quand la science devient une source directe des avancées technologiques, on peut parler d’une science
éclairant la technologie ; relation qui vient compléter fructueusement la liaison réciproque de la
technologie équipant et interrogeant la science. Il ne s’agit pas de réhabiliter le modèle linéaire de
l’innovation mais, comme le dit justement Nelson (2000), de saisir la structure des systèmes de
connaissance, qui caractérise les domaines où les avancées des savoirs et des savoir-faire sont fortes.
Expressions
Historiquement, quelques secteurs ont bénéficié précocement d’une science illuminant la technologie ;
c’est-à-dire d’une application de connaissances scientifiques élémentaires qui engendre des rendements
économiques importants (chimie, acier, électricité, exploitation forestière, pâte à papier). Cependant, la
plupart des grandes avancées technologiques restent «non directement fondées sur la science ». C’est donc
la lente extension du modèle de la science illuminant la technologie qui fait nouveauté, lorsqu’elle touche
des secteurs où l’innovation ne procédait jamais ou très rarement, de la recherche scientifique. Du secteur
le plus évident au plus improbable, on peut citer :
- les méthodes de découverte des médicaments qui ont évolué du brassage de molécules à grande échelle,
effectué à l’aveugle, vers des approches fondées sur la connaissance de la base biologique d’une maladie
afin de mieux calibrer la stratégie de recherche (Cockburn et al.,1999) ;
- les services financiers : l’approche scientifique, fondée sur les travaux de Modigliani-Miller, et plus
récemment sur les modèles de prix d’option de Black-Merton-Scholes, s’est fortement développée,
notamment dans le domaine de la gestion du risque (Nightingale, 2000) ;
- dans le domaine des tests cliniques, l’approche dite d’expérimentation « randomisée » (« randomized
controlled trial ») qui est devenue la règle d’or pour évaluer une thérapie nouvelle. Cette approche est
fondée sur l’analyse parallèle de deux groupes de patients (l’un utilisant la nouvelle thérapie), selon un
protocole très spécifique, et sur la répétition de l’expérimentation un grand nombre de fois. Elle s’étend
4
progressivement aujourd’hui à de nombreux domaines des sciences sociales et des sciences de l’éducation
(Fitz-Gibbon, 2001), ainsi qu’à la recherche sur les politiques (par exemple, les politiques de
l’innovation !) (Jaffe, 2000, Wallsten, 2001). Nous pensons aux promoteurs des méthodes
d’expérimentations aléatoires contrôlées dans l’éducation, qui estiment à juste titre qu’il est indispensable
de collecter des données scientifiques robustes sur telle ou telle question précise, sur lesquelles
l’incertitude reste grande4. Nous pensons aussi au plaidoyer de certains économistes pour randomiser au
moins une part de l’attribution des subventions de R&D afin de résoudre la question toujours en suspense
de l’efficience sociale de ce type de programmes. Toutes ces évolutions convergent vers l’idée que
n’importe quel problème de recherche mérite un effort de collecte de données scientifiques et que des
formes d’expérimentation adaptées sont nécessaires et le plus souvent possibles.
De ce vaste mouvement, on peut aussi rapprocher l’apparition et la multiplication, dans l’entreprise,
d’outils d’investigation scientifique, basés sur la simulation numérique. Grâce à ces outils, les méthodes
d’innovation dans l’industrie reposent de plus en plus sur la capacité à réaliser un très grand nombre
d’expériences virtuelles (à coût faible) ; lesquelles sont validées par un très petit nombre
d’expérimentations réelles (Thomke, 2001).
Attention au risque d’interprétation erronée de ce qui vient d’être dit. Nous sommes très loin (en outre, il
n’est même pas évident que cela soit un objectif souhaitable) d’une domination complète des principes
scientifiques d’avancée de la connaissance, même dans certains secteurs à forte emprise technologique.5
Quant aux secteurs dont l’activité est centrée sur la personne humaine, le modèle de l’innovation fondée
sur la science est encore largement hors de portée. L’interrogation de Musil à propos de l’usage des
méthodes des ingénieurs dans l’éducation reste une utopie (voir Bouveresse, 1996) ; cela d’autant plus que
le consensus sur le bien-fondé de ces méthodes (consensus qui s’élabore aisément dans les secteurs
technologiques) n’est certainement pas établi dans le domaine de l’éducation. La fragmentation des
communautés éducatives en différentes communautés épistémiques6 persistera longtemps (Foray et
Hargreaves, 2002). La vitesse de conversion d’un secteur (de convergence des différentes communautés
épistémiques) à la méthode scientifique est d’ailleurs un critère intéressant à considérer. Celui-ci permet de
contraster le secteur de la médecine (où certaines approches alternatives subsistent certes mais sont
désormais largement minoritaires) et celui de l’éducation, fortement fragmenté entre différentes
communautés épistémiques.
Pour résumer, un aspect des transformations de l’innovation renvoie au renforcement de l’influence de la
science et ce renforcement touche progressivement de plus en plus de secteurs ; y compris les plus
réfractaires, c’est-à-dire ceux qui sont centrés sur le traitement de la personne (l’élève, le patient), même si
dans ces derniers la science ne dominera pas avant longtemps, peut-être même jamais. Nous devons éviter
cependant les prédictions hasardeuses. Qui en 1850 aurait pu prévoir l’évolution de la médecine vers des
systèmes de diagnostic et de thérapie, fortement éclairés par la science (Foray et Hargreaves, 2002) ?
4
- Les partisans de la méthode globale d’apprentissage de la lecture ont ainsi pris des décisions politiques, avant de
« savoir », n’ayant jamais pris appui sur une véritable R-D. Or les évidences scientifiques, provenant d’une
cinquantaine d’expériences randomisées, ne sont pas en faveur de cette méthode.
5
- Ainsi, le PDG de Intel recommande aux ingénieurs construisant le nouveau site de production de « reproduire
exactement » les processus de production qui fonctionnent dans les établissements anciens. La copie de la technologie
qui marche est donc jugée préférable à la compréhension scientifique de cette technologie, cf. le bilan d’activité de
Intel, 2001 (communication personnelle avec D.C. Mowery).
6
- Ensemble de personnes qui partagent la même orientation fondamentale en faveur de tel paradigme de production
de la connaissance (Knorr Cetina, 1999).
5
Enjeux
Quels sont les grands enjeux de cette transformation ?
- Une complexification des bases de connaissances des différents secteurs
Smith (2000) documente très bien cette tendance en examinant la base de connaissances de secteurs a
priori traditionnels (pêcheries, exploration pétrolière et gazière, agro-alimentaire). Dans tous ces secteurs,
les bases de connaissances scientifiques deviennent essentielles ; ce qui requiert de la part des firmes des
stratégies élaborées de mobilisation et d’assemblage de ces connaissances pour un projet d’innovation.
- Une élévation des coûts de la recherche
Dès que la recherche dans un secteur incorpore la méthode expérimentale comme principe de production
de la connaissance, les coûts explosent. Les décideurs sont confrontés au dilemme bien connu : la
recherche en éducation n’est supportée que très faiblement par des financements publics ou privés car ses
résultats sont faibles et peu utiles. Mais ceux-ci le resteront tant que les financements ne seront pas accrus
de façon significative, pour mener à bien une véritable recherche scientifique.
- La centralité de la relation entre le système de recherche (les universités, les laboratoires publics) et les
secteurs de l’industrie et des services
L’aptitude historique des universités à travailler avec l’industrie devient un élément décisif de la prospérité
fondée sur l’innovation technologique (Rosenberg et Nelson, 1993 ; Lecuyer, 1998). On peut dire que la
façon dont la relation université-industrie évolue conditionne l’avenir de ce premier modèle d’innovation
(Foray, 1999a). Cette évolution détermine elle-même un grand nombre de transformations sur le plan de la
gestion des connaissances dans le cadre de cette relation et de la nature des activités des participants à ces
différents systèmes. Cependant, il convient de distinguer différentes formes de relation : la situation
d’invention dans le cadre universitaire, sans pré-affectation de celle-ci à une firme ; la situation de codéveloppement et la situation de fourniture de services techniques par le laboratoire universitaire. Dans
chacun de ces cas, les problèmes de design organisationnel, de propriété intellectuelle et d’incitation à
coopérer sont différents. Diffèrent aussi les risques de conflit d’intérêt, de distorsion de l’agenda de
recherche et de mainmise trop grande de l’industrie sur les ressources et les capacités de la recherche
universitaire. L’enjeu fondamental est bien d’identifier les formes de collaboration dont chacun sera
bénéficiaire. Les bénéfices que chacun peut retirer d’une coopération avec l’autre sont clairs, lorsqu’ils
sont considérés de façon unilatérale. Concevoir un système coopératif dans lequel ces bénéfices
réciproques ne sont pas exclusifs les uns des autres est beaucoup plus difficile (Cohen et al., 1998).
- L’apparition d’un marché privé des connaissances de base
Dès lors que les avancées scientifiques deviennent immédiatement utiles pour la production d’innovations,
la rentabilité privée de la recherche de base s’élève, pourvu que l’appropriation privée de la connaissance
soit organisée (brevets) et que les problèmes d’indivisibilité et de coûts ne soient pas trop importants ou
réduits grâce aux aides publiques à la R-D commerciale. Les circonstances du secteur des sciences de la vie
sont ainsi favorables à l’apparition de ce marché sur des activités très en amont, donnant lieu à un
processus de désintégration verticale de l’industrie. Des petites firmes entrent sur ce marché pour découvrir
une connaissance de base, un outil de recherche. Elles obtiennent un brevet et vendent des licences
d’exploitation à d'autres firmes, voire à des chercheurs académiques. Ce modèle se met notamment en
place aux Etats-Unis dans le secteur des biotechnologies, depuis les années 1990. La désintégration
verticale possède l’avantage sur d’autres structures industrielles lorsque :
la concurrence horizontale intra-segment est forte,
la spécialisation réduit les coûts,
la coordination verticale est relativement peu importante,
les prix reflètent fidèlement les coûts marginaux d’opportunité,
et les arrangements contractuels sont simples et effectifs.
6
Or s’agissant d’une activité de recherche de base, certaines de ces conditions (au moins les deux dernières)
ne sont pas remplies. Dès lors, l’évolution relatée peut avoir des effets négatifs sur le bien être social.
C’est notamment le cas lorsque les brevets bloquent l’accès des chercheurs à une connaissance générique,
par nature cumulative (susceptible d’engendrer un grand nombre d’innovations et de connaissances
supplémentaires), engendrent des coûts et des délais de négociations et de litiges de plus en plus importants
et peuvent finalement créer des situations de blocage lorsqu’un trop grand nombre de brevets élève
tragiquement les coûts de transaction, liés à l’identification des droits et à leur rachat.
Face à ces coûts sociaux importants, on peut penser que le jeu ne vaut pas la chandelle. Des exemples
précis et les faibles rendements financiers de la plupart des start ups de biotechnologie sur longue période
montrent que le marché privé sur la recherche de base fonctionne mal. Ceci ne reflète rien d’autre que « la
simple économie de la recherche » développée par Nelson en 1959. A ce stade de l’activité, les sources de
défaillances du marché sont trop grandes et les brevets, qui imposent un coût social important au système,
sont inadaptés à l’appropriation privée de connaissances si fondamentales : « brevets ou non,
l’appropriation de la valeur qui dérive des stades les plus fondamentaux de la recherche est
extraordinairement difficile pour des firmes privées » (Cockburn, 2002). Les firmes qui ont réussi dans
cette entreprise étaient historiquement des firmes de grande taille, stables, hautement intégrées, sachant
combiner différents moyens d’appropriation (outre les brevets, la marque, le savoir faire propriétaire, les
barrières à l’entrée réglementaires), suffisamment diversifiées sur le marché des produits pour permettre
l’internalisation des externalités et financièrement solides pour pouvoir internaliser la gestion des risques
induits par la recherche de base.
Qu’on ne s’y trompe pas, le modèle d’innovation qui perdurera dans ce premier registre ne renvoie pas
forcément à la start up, fondée avec l’objectif de commercialiser les résultats d’activités de recherche de
base. Il renvoie plus largement au rôle grandissant de la science dans la production des innovations – rôle
qui donne lieu à de multiples formes d’organisation, dont un petit nombre seulement subsisteront.
2 - L’innovation et le rôle des usagers
La montée en puissance des usagers, en tant que source d’innovation, constitue la deuxième grande
transformation que l’on doit apprécier. Cette tendance, observée et documentée dès le début des années
1980 par Rosenberg (1982), qui en pose les principes analytiques (learning-by-using) et par von Hippel
(1988a) qui en étudie les premières formes, se retrouve aujourd’hui dans de multiples contextes.
Explications
Trois raisons permettent d’expliquer pourquoi l’usager est voué à jouer un grand rôle :
La première raison renvoie à un problème d’agence : l’usager, en tant que bénéficiaire direct d’une
amélioration spécifique d’un produit, sera motivé par trouver une solution qui correspond exactement à ses
besoins, tandis que le producteur est plutôt intéressé à déterminer une solution globalement satisfaisante.
La deuxième raison est relative à la nature située de l’apprentissage (Tyre et von Hippel, 1997). Les
usagers, pris dans un sens très large, vont acquérir une connaissance particulière qui est relative au site, au
contexte et au mode d’usage. C’est le cas du conducteur d’une machine-outil dans un environnement
d’entreprise ou d’un instrument médical dans un hôpital ; c’est le cas aussi de l’usager d’une vallée ou
d’une rivière (qui a une connaissance particulière par exemple de l’impact de telle pollution sur cet
environnement local).
7
La troisième raison est relative au fait que la connaissance « colle » - elle est « sticky » - (von Hippel,
1994). Elle est coûteuse à transférer ; ce qui peut entraîner un changement de localisation des processus de
résolution des problèmes, de chez le producteur vers l'utilisateur.
Ces trois raisons s’appliquent parfaitement non seulement à l’usager d’une technologie, d’une machine ou
d’un produit complexe mais aussi au patient, à l’usager d’un service de santé ou à celui qui vit dans un
certain milieu écologique (urbain ou rural).
Expressions
Au delà de la forme d’expression privilégiée du rôle des usagers dans les années 1980 – l’usager-leader,
dont les besoins sont en avance sur ceux du marché, qui servira de laboratoire pour tester le nouveau
produit et qui a les capacités d’interagir avec le producteur sur l’amélioration de la conception (von Hippel,
1988a) - on rencontre aujourd’hui trois modes d’expression nouveaux de cet engagement de l’usager.
La création de systèmes techniques et organisationnels qui permettent au producteur d’abandonner à
l’utilisateur les tâches d’ajustements et de spécification de la conception de son produit (von Hippel &
Katz, 2002). Il s’agit par exemple des kits d’outil, fournis par les producteurs, afin que les utilisateurs
assument les tâches de customisation du produit. Cette approche est notamment développée par les firmes
qui sont confrontées à des exigences de plus en plus spécifiques de certains clients, auxquelles il serait trop
coûteux de répondre scrupuleusement, et qui constatent que les processus d’itération sont de plus en plus
longs avec des utilisateurs de plus en plus difficiles à satisfaire.
Le développement de communautés d’innovateurs-usagers, dont certaines peuvent devenir autosuffisantes. Ces systèmes d’innovation, uniquement composés d’usagers (users-only innovation system),
sont remarquablement illustrés non seulement par le mouvement des logiciels libres mais aussi par diverses
communautés d’usagers d’équipements sportifs de haut niveau (von Hippel, 2001). On peut en outre
rapprocher le mode de fonctionnement de ces communautés de celui des communautés de scientifiques
(Dasgupta et David, 1994).
L’activité de coopération avec la science d’usagers particuliers (usagers d’un service de santé ou d’un
certain environnement local), qui deviennent experts de leur propre situation et constituent alors une source
de connaissance irremplaçable (Callon, 1999).
Enjeux
Les enjeux sont admirablement résumés par von Hippel (2001). Pour qu’une communauté d’usagers
fonctionne, trois conditions doivent être satisfaites : un nombre significatif d’usagers est motivé par
l’innovation ; les innovateurs acceptent de révéler le contenu des nouveautés apportées ; le coût de la
diffusion de l’innovation reste à un niveau très faible.
La première condition, celle de l’incitation à innover, renvoie au problème d’agence énoncé. L’adage « on
n’est jamais mieux servi que par soi-même » s’applique dans certains domaines et contextes d’innovation.
Par ailleurs, le coût de l’innovation, si celle-ci est effectuée par l’usager, peut être significativement plus
faible que si elle avait été développée par le fabricant (arguments développés ci-dessus relatifs à
l’apprentissage situé et au coût de transfert de la connaissance du lieu de l’usage vers l’atelier du fabricant).
Dans cette première condition, on doit également placer le niveau de compétence minimal que les usagers
doivent détenir pour être capables d’innover.
8
La deuxième condition est nécessaire pour que ce type de système fonctionne sur le long terme : il y a de
multiples sources potentielles d’innovation qui sont activées et dont chaque membre de la communauté
peut bénéficier. Si cette deuxième condition n’était pas remplie, chaque usager serait dans l’obligation
d’assurer lui-même l’ensemble des perfectionnements qu’il souhaite, ce qui accroîtrait considérablement le
coût global au niveau du système et ne donnerait à celui-ci aucune chance de subsister face aux solutions
« moyennes » (à peu près bonnes pour tout le monde) proposées par les systèmes commerciaux à un coût
faible. Le partage et la circulation de l’innovation sont donc essentiels pour garantir au système un
minimum d’efficacité. Quelles sont les incitations ? Nous en définirons trois types (Harhoff et al., 2000): le
partage de la connaissance permet d’accroître la réputation de celui qui innove ; le partage de la
connaissance permet de créer des obligations envers celui qui a innové (réciprocité) ; le partage de la
connaissance augmente la diffusion de la solution considérée et peut alors pousser les fabricants à la
prendre en compte et à l’incorporer dans la future conception du produit.
La dernière condition complète la précédente. Il importe de définir des mécanismes de transmission de
l’information sur l’innovation ou de l’innovation elle-même qui soient peu coûteux. C’est un résultat
intéressant de Lakkhani et von Hippel (2001) : la plupart des communautés de logiciel libre fonctionnent
car le temps moyen que passe un usager à envoyer une information à un autre n’excède pas 5 minutes.
L’usage des technologies de l’information est à cet égard un support crucial. Mais pour certaines
communautés, les rencontres entre usagers à l’occasion de grands événements (les compétitions pour les
utilisateurs de windsurf) assurent également ce rôle de transmission et de partage des connaissances à
faible coût.
Toutes les communautés d’usagers ne sont pas auto-suffisantes du point de vue de l’innovation, c’est-àdire en mesure de concurrencer les formes de production et de distribution commerciales. Quand les
innovations considérées sont incorporées dans des produits physiques qui doivent être fabriqués et
distribués physiquement (cas des équipements sportifs), ces activités sont caractérisées par des économies
d’échelle importantes. Dans ce cas, les réseaux d’usagers assureront, certes, une part importante du travail
de développement et de test de prototype, mais la production et la diffusion des produits physiques seront
assurés par les fabricants. Dans le cas des produits intangibles, en revanche, les coûts de reproduction et de
distribution tombent vers 0. Dans ce cas, la communauté d’usagers peut assurer l’ensemble des fonctions
du processus d’innovation. Ici, l’innovation faite par l’usager est en concurrence avec l’innovation des
firmes commerciales.
3 – La production de normes, de standards et de savoirs d’intégration comme innovation impulsée
par la coordination
Steinmueller (2002) observe que la plupart des accords technologiques inter-entreprises sont liés non pas à
des objectifs de R-D mais à des objectifs de coordination et de standardisation. Les tendances croissantes à
la modularisation des technologies et à la désintégration des systèmes impliquent la production de
nouveaux types de connaissances (notamment des normes, des standards et des savoirs d’intégration),
nécessaires à la coordination ; c’est-à-dire à l’intégration d’ensembles qui sont « loosely coupled ». Cet
auteur distingue donc deux types d’activités produisant de la connaissance : l’activité de recherche et
l’activité de coordination. Cette dernière est en pleine extension et détermine des processus d’innovation
originaux (Pavitt, 2002).
9
Explications
La modularisation consiste en la décomposition d’un système complexe en sous-systèmes quasiautonomes, qui peuvent être conçus de façon indépendante (Baldwin et Clark, 1997, Aoki, 2002). Le
problème est alors d’élaborer un système complexe en intégrant ces sous-systèmes. L’information
systémique ou visible correspond aux spécifications que chaque responsable de module doit respecter pour
permettre l’intégration et le fonctionnement du système. Cette information est maîtrisée par l’architecte (ou
le timonier). L’information cachée renvoie aux spécifications qui sont sous le contrôle décentralisé des
concepteurs de module. Ainsi conceptualisée, la modularisation peut être vue comme une stratégie de
spécialisation et de division du travail, permettant de maîtriser la complexité. C’est une stratégie ancienne,
dont l’intérêt s’est cependant renforcé pour plusieurs raisons (Aoki, 2002) :
- Premièrement, les systèmes sont devenus tellement complexes que la modularisation s’étend aux soussystèmes eux-mêmes (modules de modules).
- Deuxièmement, les très grands systèmes complexes ne permettent pas de prédire ex ante l’ensemble des
problèmes qui surgiront et qui susciteront des ajustements en chaîne. Une structure modulaire permet de
résoudre ces problèmes de spécification de façon évolutionnaire et non pas ex ante.
- Troisièmement, la modularisation est un mode de gestion de l’innovation, puisqu’elle laisse chaque
responsable de module libre d’innover, pourvu que les règles visibles édictées par l’architecte (interfaces
entre modules) soient respectées
Les accords orientés vers la coordination portent donc sur la résolution des problèmes d’incertitude et les
ambiguïtés que pose une structure modulaire en perpétuelle évolution. Les problèmes les plus aigus
d’intégration vont surgir dans le cas de l’assemblage de systèmes très complexes (automobile, autres
technologies de transport, aéronautique). Ces processus d’intégration à partir de structures modulaires
créent des opportunités d’innovations spécifiques que constituent l’établissement de normes et de standards
et la création de savoirs d’intégration.
Une autre rationalité de l’intégration est plus horizontale et concerne des firmes effectuant des tâches
similaires. Elle renvoie à la nécessité de créer des standards communs, d’harmoniser des architectures, de
partager des plates-formes pour le développement des produits.
Expressions
Ces formes d’innovation, inspirées par la coordination, s’expriment principalement dans le cadre des
accords inter-firmes, établis en vue de produire des standards d’interfaces et de s’entendre sur des normes.
A cet égard, on peut distinguer les formes suivantes :
- La collaboration entre architectes et producteurs de modules qui consiste à s’entendre sur la spécification
des interfaces des différents modules, destinés à être assemblés. Cette forme donne lieu à trois types
d’organisation (Aoki, 2002):
. la décomposition hiérarchique : l’architecte détermine l’information visible et les interfaces de
façon ex ante ; c’est-à-dire avant la conception des modules ;
. l’assimilation d’information : il y a un processus perpétuel d’ajustement des règles de
coordination, en fonction des variations de l’environnement ;
. la différentiation d’information et la connection évolutionnaire : de multiples agents sont engagés
dans la conception de modules semblables ; il y a aussi de multiples architectes. Aoki qualifie ce
système de « modèle Silicon Valley »ou grappe modulaire.
- Le consortium stratégique qui vise à promouvoir l’adoption la plus large possible d’un standard
technologique propriétaire (Shapiro & Varian, 1988, Foray, 2002a) ;
10
- Le consortium de standardisation, destiné à favoriser la production et l’établissement d’infratechnologies
et de normes collectives pour faciliter l’intégration des processus de recherche et de production (Tassey,
1996)7 ;
- Le comité de normalisation qui constitue une instance formelle d’édiction de normes publiques.
Il est clair que le nombre d’accords technologiques, tombant dans l’un ou l’autre de ces cas, est très grand.
Plutôt que de l’estimer, il est plus intéressant de montrer que la plupart des processus d’innovation obligent
les firmes à activer successivement ces différentes formes d’accord.
Nous tenons de Nantua une histoire d’innovation, illustrant à merveille cette succession d’accords, rendue
nécessaire par des exigences croissantes de coordination (Nantua et al., 1999). L’innovation en question
naît chez un sous-traitant de second rang de l’industrie automobile, qui fabrique des roulements à bille.
L’innovation repose sur le principe de captage électronique d’informations au sein du roulement de la roue.
Le dispositif technologique apporte des solutions aux différents inconvénients reconnus dans le cas des
systèmes ABS.
Cette histoire se lit en termes de coûts de coordination, liés aux différentes phases de l’innovation. Ils
obligent la firme à avoir recours à une triple-forme d’alliance, représentée sur le schéma 1 (Foray, 2002b).
- Alliance autour de l’invention (avec la firme (A) sur le schéma 1) : la firme innovatrice est spécialisée en
mécanique et l’ensemble des développements électroniques l’oblige à nouer des accords avec des
électroniciens. En effet, les coûts d’intégration d’une nouvelle capacité technologique sont très élevés (coût
pour cette firme d’intégrer des compétences électroniques et surtout de devenir fiable dans ce domaine aux
yeux de ses clients). Ils sont trop élevés par rapport à la disponibilité immédiate de compétences
électroniques sur le marché. On est ici dans un processus de création d’actifs co-spécialisés, décrit par
Teece (1986). Ce processus débouche sur une innovation « qui marche » (au moins en théorie).
- Alliance autour du design (avec les firmes (B) et (C)) : très vite, il s’agit de travailler avec les
équipementiers de premier rang et les constructeurs automobiles pour définir les interfaces du nouveau
module en vue de l’insérer dans le sous-système. Dans cette phase, les coûts de coordination sont élevés et
obligent à recourir à des formes de coordination relativement durcies (consortium réunissant les différentes
parties prenantes dans le processus de conception de l’innovation). Cette phase débouche sur un composant
performant et mis aux normes.
- Alliance autour de l’intégration (avec les firmes (D…G) ) : il reste cependant un obstacle. En innovant, la
firme devient en quelque sorte unique aux yeux des grands constructeurs ; ce qui crée une situation de
vulnérabilité et de dépendance de ceux-ci envers cette firme. C’est pourquoi les constructeurs décident
d’attendre jusqu’à ce que l’innovation soit adoptée par l’ensemble des autres sous-traitants. La firme va
donc devoir créer une coalition en persuadant ses concurrents d’adopter l’innovation. Pour que celle-ci
vive, elle doit devenir un standard mondial de l’industrie. Cette dernière phase d’alliance porte donc sur
l’intégration. C’est la phase où les coûts de coordination explosent véritablement. Comment persuader des
concurrents d’entrer dans la tribu, d’adopter une technologie inventée ailleurs et de partager donc les
risques de la mise en place de l’innovation ?
Au total, le processus d’innovation est très long. Il dure de 1988 à 1997. Il est ponctué de révisions
stratégiques dramatiques, par exemple en matière de propriété intellectuelle. La phase d’intégration oblige
à sacrifier les brevets pris au terme de la phase d’invention et à « ouvrir » la technologie pour que celle-ci
7
- Tombent aussi dans cette catégorie les consortiums et associations visant à collecter et à intégrer les connaissances
produites à la suite de désastres technologiques, qui sont destinées à améliorer la fiabilité des installations et à
transformer les pratiques organisationnelles (Cowan et al., 2002).
11
devienne le standard. Mais lorsque le plus grand concurrent de notre firme innovante se décide à rejoindre
la coalition, l’histoire s’achève. L’innovation devient un standard mondial. Les coûts de coordination
associés à chaque phase – invention, design, intégration – furent réduits grâce à des partenariats
spécifiques, orientés successivement vers la production de l’invention, la résolution des problèmes de
conception et d’interfaces et la création finale d’un standard technologique.
Enjeux
Nous avons suggéré qu’un grand nombre d’accords de collaboration ne relèvent pas de la R-D mais de la
coordination (design et intégration). Il est dès lors peu probable que les laboratoires publics et les
universités possèdent un avantage comparatif pour la production des connaissances nécessaires à la
coordination et il n'est pas donc surprenant que ces institutions soient le plus souvent absentes de ces
formes de collaborations.
En outre, un aspect important de ces collaborations orientées vers la coordination renvoie aux logiques de
création de tribus, entre firmes qui opèrent au sein des mêmes architectures de produit. Ces firmes sont
engagées dans la production de quasi-biens publics, comme l’harmonisation des architectures ou la
création de plates-formes communes pour le développement des produits. C’est par exemple le cas de la
plate forme Internet de conception (Covisint), que partagent quelques grandes firmes automobiles
(DaimlerChrysler, Ford, GM, Renault, Nissan). Là encore, le secteur public de recherche est peu présent.
Ainsi, une immense activité collective d’innovations et de création de standards et de normes, suscitée par
les problèmes croissants de coordination, se développe sans que le secteur public soit véritablement
concerné. Cependant la dimension publique de cette activité n’est pas absente. Elle procède de la création
collective de biens quasi publics dans le cadre de marchés privés. Elle pose comme dans les cas précédents
des problèmes aigus de compromis entre l’aspect collectif de l’innovation et la préservation des intérêts
privés. Cette activité collective d’innovation conditionne fortement la viabilité de systèmes technologiques,
confrontés à des logiques d’innovation perpétuelle (Foray, 1999b) et à un accroissement de la diversité des
produits sur le marché final (Steinmueller, 2000).
4 – Idéaux-types et formes hybrides
Les trois modèles évoqués sont des sortes d’idéaux-types, dont nous rappelons les principales
caractéristiques à l’aide du petit tableau suivant.
Opportunités
d’innovation
Relations critiques,
formes
organisationnelles
cruciales
Appropriabilité de la
connaissance
Modèle 1
Avancées scientifiques
Modèle 2
Problèmes, exigences et
connaissances découlant
de l’usage
Université-industrie,
start up, grande firme
intégrée
Liens
producteurutilisateur
Communautés d’usager
Importance du pool de
connaissances publiques
Problèmes posés par la
brevétabilité
des
connaissances de base
Partage
des
connaissances au sein de
la communauté. Quelles
incitations poussent à
révéler son savoir ?
Modèle 3
Problèmes posés par la
coordination dans des
systèmes technologiques
complexes et modulaires
Architecte et modules
Consortiums
stratégiques et de
standardisation
Tension entre partage
des
connaissances
« essentielles »
(information visible) et
droits de propriété
privée
12
Cependant ces idéaux-types sont rarement identifiables dans une forme pure. Ils naissent à certains
moments de l’histoire, dans des domaines précis et limités. Ils gagnent en importance, tout en se combinant
et s’hybridant les uns les autres. Ainsi de nombreux processus « réels » d’innovation résultent de
combinaisons entre les différents modèles évoqués.
Nous pensons notamment à la combinaison entre le modèle 1 et le modèle 2 ; c’est à dire des innovations
fondées à la fois sur la science et sur les savoirs des usagers (ou des profanes). Cette classe d’innovations a
été particulièrement bien analysée par Callon. L’enjeu est la participation des « profanes-experts »bà la
production (et aussi à l’utilisation) des connaissances scientifiques. Certains domaines, ceux où les
profanes sont indiscutablement détenteurs d’un savoir utile à l’investigation scientifique, semblent être
particulièrement adaptés à ce type d’innovation. L’exemple parfait est le domaine de la santé. Le domaine
de l’environnement peut aussi offrir des occasions de collaborations fortes entre profanes-experts et
scientifiques.
La combinaison entre le modèle 1 et le modèle 3 décrit l’innovation de rupture technologique, qui repose à
la fois sur des avancées scientifiques et la maîtrise de problèmes de coordination que posent les systèmes
technologiques complexes. L’archétype de ce type d’innovation est l’innovation dans les technologies de
transport. Une récente étude sur Swissmétro – technologie de transport terrestre révolutionnaire – montre
bien l’importance simultanée des deux aspects dans ce type d’innovation (IMRI, 2001).
5 – Quelques régularités
Les espaces de l’innovation
Dans les trois cas évoqués, on observe des processus d’innovation qui débordent largement les frontières
des firmes et des autres entités traditionnelles. Soit l’innovation déborde ces frontières, soit elle est tout
simplement et principalement ailleurs, dans des espaces qui ne correspondent pas aux structures juridiques
et économiques apparentes, voire même aux relations visibles entre ces structures. Dès lors, le
management de l’innovation prend une tournure nouvelle et doit répondre à des exigences inattendues
(Alter, 2000, Hatchuel et al., 2002).
Par exemple, un processus d’innovation possède une richesse essentielle, le stock de savoir accumulé au
cours des phases incessantes de recherche, d’apprentissage et d’expérimentations virtuelles et réelles. Or,
l’absence d’espaces structurés rend ce stock de savoir extrêmement fragile, sans cesse menacé
d’éclatement ou d’oubli. En effet, un processus d’innovation peut être de long terme, connaître de
nombreux changements de personnes et d’importantes révisions de choix. Si elle ne peut s’abriter à
l’intérieur des frontières protectrices d’une entreprise, la mémoire de l’innovation devient très fragile et est
à la merci des aléas du projet. Ceci implique nécessairement des mécanismes spécifiques de mémorisation
et de transmission des savoirs (Foray, 2000).
Les agents-doubles
Dans tous les cas évoqués, une figure apparaît, celle de l’agent-double, qui travaille pour plusieurs
« causes ». Une figure célèbre de l’agent-double est celle décrite par von Hippel, dès 1988, lorsque cet
auteur étudiait les réseaux d’échange de connaissances entre ingénieurs, employés dans des firmes
différentes et concurrentes (von Hippel, 1988b). On retrouve désormais cette figure dans de nombreuses
situations : dans le cas des innovations fondées sur la science, le chercheur de la grande entreprise fait
13
partie intégrante du réseau de recherche académique car il doit contribuer aux travaux collectifs de celui-ci
s’il veut que son entreprise en bénéficie (Cockburn et al., 1999). Dans le cas des communautés d’usagers,
les utilisateurs-développeurs de logiciel sont aussi parties prenantes de communautés horizontales
(Lakkhani et von Hippel, 2000). Dans le cas des coopérations technologiques entre firmes, destinées à
faciliter la coordination, l’agent-double est par exemple l’ingénieur qui hante les comités de normalisation
et y entretient un réseau d’alliances.
Ainsi, une manifestation du développement des économies du savoir renvoie à la pénétration des
organisations classiques par des individus qui représentent une valeur pour ces organisations, dans la
mesure où ils conservent un attachement à une communauté de savoir « extérieure » (David et Foray,
2002).
Cette figure pose des problèmes intéressants à l’économie de l’innovation. Ces problèmes sont d’ailleurs
différents, selon que l’agent-double est un scientifique, explicitement encouragé à publier pour conserver la
connection au réseau, ou un ingénieur dont l’échange privé d’informations avec d’autres est toléré
tacitement par l’employeur.
Dans ce dernier cas, plusieurs raisons peuvent expliquer que les firmes tolèrent, voire encouragent le troc
ou l’échange privé d’informations sensibles, alors qu’elles puniraient la vente de ces mêmes informations
(David, 2001) :
Premièrement, le contrôle d’un échange de connaissances est difficile si celui-ci est dissimulé ; il vaut donc
mieux le tolérer plutôt qu’édicter des règles qui ne seraient pas respectées.
Deuxièmement, la firme peut estimer que pour certains types de problèmes, le troc d’informations est un
mécanisme supérieur à l’échange sur un marché (sur lequel il faudrait fixer des prix).
Troisièmement, l’échange d’informations sur une base de troc est nécessairement limité et réduit donc le
risque de fuite de connaissances critiques. L’ « inefficience » du troc pour l’échange de connaissances
importantes et complexes est une vertu du point de vue de la firme.
Quatrièmement, si cette politique de tolérance voire d’encouragement de la firme est connue, celle-ci
attirera des ingénieurs qui possèdent déjà un réseau de contacts car ces derniers savent qu’ils pourront
l’exploiter sans irriter leur employeur. La firme attire donc des ingénieurs dont la valeur pour elle est
supérieure à celle d’un ingénieur, qui serait dépourvu de capital social.
Dans le cas des chercheurs, le problème du manager est celui de l’équilibre des incitations dans un
contexte de multiples tâches. Conformément aux travaux de Milgrom et Roberts sur les problèmes
d’agence dans des contextes multi-tâches, il importe que le manager détermine un équilibre optimal des
incitations à effectuer ces différentes tâches (par exemple, contribuer à la recherche académique, d’une
part, et au développement des produits de l’entreprise, d’autre part). Si cet équilibre n’est pas obtenu,
l’employé allouera trop de ressources à la tâche qui possède le rendement marginal le plus élevé pour lui ;
ceci pouvant créer une situation inefficiente. Il s’agit d’un problème complexe, qui s’applique parfaitement
au cas des chercheurs scientifiques d’une grande firme, dans laquelle le manager doit récompenser à la fois
la production de publications scientifiques et la prise de brevet (si l’on prend ces outputs comme
approximation de l’accomplissement des deux tâches) (Cockburn et al., 2001).
Les nouvelles dimensions publiques et collectives et la propriété intellectuelle
Dans chacune des formes évoquées, la dimension publique reste un aspect essentiel. Dans chacun des cas,
l’efficience des processus d’innovation est fondamentalement dépendante de l’accès libre à un stock de
connaissances et d’informations publiques : connaissances résultant de la recherche de base (premier
modèle), développements et solutions des usagers (deuxième modèle) ; éléments technologiques ou
informationnels « essentiels » qui composeront la norme, le standard ou l’infratechnologie d’une industrie
(troisième modèle). Dans chacun de ces cas, la privatisation des bases de connaissances et l’exacerbation
14
des stratégies privées de propriété intellectuelle créent des risques de blocage ; blocage de la recherche, de
l’innovation liée à l’usage, des travaux de normalisation. Un enjeu essentiel des politiques de l’innovation
réside donc dans la façon dont apparaissent et/ou se transforment des espaces d’actions collectives pour la
production des savoirs. Ce phénomène permet de faire ressortir une sorte de paradoxe : jamais le secteur
public « contrôlé par l’Etat » ne s’est autant réduit en ce qui concerne l’activité de recherche et
d’innovation et jamais donc les espaces où la connaissance reste un bien public (du point de vue de son
statut juridique) n’ont été aussi rétrécis…. Paradoxalement, jamais de nouvelles formes d’organisations
publiques – souvent appelées actions collectives – ne se sont autant développées et jamais la notion de
biens libres (au sens de liberté d’accès à la technologie et non pas forcément au sens de la gratuité) n’a été
aussi en vogue. Face aux contraintes budgétaires des Etats, aux défauts bien connus du mode de
production publique de la connaissance (voir les critiques d’Ergas (1988), toujours d’actualité), à
l’accroissement des coûts d’opportunité de cette dépense publique face aux autres priorités sociales, on ne
peut s’empêcher de penser que les formes d’actions collectives et de propriété « intrinsèquement
publique » (c’est à dire ni privée ni contrôlée par l’Etat, (cf. Arrow, 1969, Rose, 1986) constituent
véritablement le futur du « domaine public ». Or celui-ci reste essentiel à l’innovation, notamment
commerciale. L’efficacité de la propriété intellectuelle dépend entièrement d’un domaine public de
connaissances librement accessibles (Mc Sherry, 2001). Cette collection de connaissances communes
fournit les briques et les éléments des nouvelles inventions, innovations, normes et standards et permet
d’élever la rentabilité privée des investissements de R-D, d’innovation et de coordination. Cette loi de
« dépendance » reste vraie. Ce qui change en revanche est la façon dont le domaine public de
connaissances librement accessibles est organisé et financé.
Ces espaces collectifs sont les lieux où doivent s’élaborer des compromis entre la circulation des
connaissances et la préservation des intérêts privés. Ceci incite à une création intensive de nouveaux
dispositifs d’organisation de la diffusion des innovations, qui peuvent prendre la forme de simples
guidelines ou la forme de contrats et dispositions juridiques très élaborés. Ce travail créatif est nécessaire
pour inventer de nouveaux compromis entre l’intérêt social, l’intérêt collectif et l’intérêt privé dans le
domaine de la recherche, de l’innovation et de la normalisation. Les travaux de Cassier (2002) illustrent
remarquablement, dans le cas de la R-D, cette évolution indispensable .
Conclusion
Ne prendre qu’une des trois formes évoquées pour analyser et discuter les nouveaux enjeux de l’innovation
serait dommageable et même intellectuellement dangereux.
Dommageable car l’examen des trois formes met en évidence quelques caractéristiques communes qui
constituent les grands thèmes de recherche de cette nouvelle économie de l’innovation :
- extension des espaces non structurés où les processus d’innovation se déploient , ce qui pose des
problèmes aigus de management de l’innovation (gestion des savoirs, conduite du changement,
coordination) ;
- prolifération des agents-doubles, ce qui pose une série de questions sur les structures d’incitation adaptées
à des problèmes de double relation entre principal et agent ;
- nouvelles formes de propriété (intrinsèquement) publique et d’action collective, ce qui introduit aux
interrogations sur la transformation de ce qui est « public », dans le domaine de la recherche et de
l’innovation, face aux tendances galopantes à la privatisation des bases de connaissances.
15
Intellectuellement dangereux car le fait de privilégier l’analyse de l’une de ces formes, au détriment des
autres, conduit à une vision partielle et tronquée des transformations en cours. Ainsi, il n’y a qu’un pas
entre l’étude des communautés d’usagers innovants et la vision d’un monde enchanté, dans lequel les
capacités d’innovation sont décentralisées, les connaissances nouvelles partagées et l’apprentissage
collectif assuré. Certes un système de ce type possède des propriétés d’efficience évidentes (les mêmes que
celles que la science ouverte exhibe depuis fort longtemps) et ses effets sur le bien-être social sont en
général positifs (Henkel et von Hippel, 2003), de sorte que certains économistes travaillent aujourd’hui à la
transposition de ce type de système à de nombreux autres contextes (David et Steinmueller, 2002). Il reste
que d’autres logiques sont à l’oeuvre, tel l’accroissement de la base de connaissances scientifiques dans les
processus d’innovation, qui détermine sans aucun doute une tension avec la première logique évoquée.
Certes, cette tension peut être adoucie, lorsque, comme les travaux de Callon le montrent bien, les citoyens
et les profanes sont engagés dans le processus de production de la science (Callon et al., 2001). Cependant,
ceci n’est vrai que dans des contextes bien précis et relativement limités. Partout ailleurs, la science et les
formes d’exclusion qu’elle engendre forcément – par ses savoirs codifiés hyperspécialisés et pointus, par
ses modes de production nécessairement confinés et par ses temporalités très particulières – viennent
quelque peu altérer la vision du monde enchanté.
Ces tensions et conflits font l’intérêt de notre champ d’études (Mairesse, 1998), en dévoilant des logiques
différentes, dont le déploiement contradictoire est loin d’avoir livré tous ses secrets.
16
Schéma 1 – Trois types de collaboration pour l’innovation
C : fabriquant automobile
B : équipementier
D:
composants
similaires
E
F
G
A : actif
cospécialisé
17
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