A propos de la découverte de l`arrêté consulaire du 16 juillet 1802 et
Transcription
A propos de la découverte de l`arrêté consulaire du 16 juillet 1802 et
A propos de la découverte de l’arrêté consulaire du 16 juillet 1802 et du rétablissement de l’ancien ordre colonial (spécialement de l’esclavage) à la Guadeloupe* Jean-François NIORT Maître de conférences en Histoire du droit et des institutions à l’Université des Antilles et de la Guyane Groupe de recherche en histoire du droit et des institutions d’outre-mer (CAGI-GREHDIOM) Centre international de recherches sur les esclavages (CIRESC, CNRS) Jérémy RICHARD Doctorant en Histoire du droit et des institutions (CERHIIP, Aix-Marseille III) ATER à l’université de La Rochelle, membre associé du GREHDIOM et du CIRESC Dans l’historiographie française du rétablissement de l’esclavage en 1802, y compris en Guadeloupe, seule la loi du 20 mai (30 floréal an X) est traditionnellement évoquée par les historiens «∞∞nationaux∞∞»1, * Ce texte reprend l’essentiel de notre communication «∞∞Un «∞∞silence∞∞» de l'histoire nationale du rétablissement de l'esclavage à la Guadeloupe∞∞: l'arrêté consulaire du 16 juillet 1802∞∞» au colloque «∞∞Les silences nationaux sur les esclavages et les traites et leurs héritages contemporains sur la question des migrations∞∞» (CIRESC, CRPLC-UAG, Schoelcher, Martinique, 1920 mars 2008), à paraître dans les Actes, mais complétée des développements de la seconde partie sur le rétablissement local de l’esclavage. Nous tenons à remercier tout particulièrement Marie Barthélémy, des Archives départementales de la Guadeloupe, pour son précieux concours en ce sens. 1. V. not. P. Pluchon, Histoire de la colonisation française, t. 1er, Le premier empire colonial, Paris, Fayard, 1999, p.∞∞∞962-963. Quant à P. Butel, dans son Histoire des Antilles françaises, XVIIe-XXe siècles, Paris, Perrin, 2002, il n’évoque cette loi qu’à propos de la Martinique, mais avec une date erronée (17 mai) (p.∞∞∞238), et la présente comme applicable à toutes les colonies (v. aussi en effet à propos de la Guadeloupe, p.∞∞∞245). – 32 – notamment juristes2, ainsi que dans les (rares) ouvrages consacrés à la période napoléonienne abordant la question3. En écho aux études sur l’esclavage en général4, sur le «∞∞Code Noir∞∞» en particulier5, et même à celles spécialement consacrées au rétablissement de l’esclavage en 18026, le Comité pour la mémoire de l’esclavage fait de même dans son rapport de 20057. Pourtant, en ce qui concerne la zone des Amériques, cette loi ne concerne que les colonies restituées à la France par le traité d’Amiens, conclu le 25 mars 1802, à savoir la Martinique, Sainte-Lucie et Tobago, ce qui exclut Saint-Domingue et la Guyane, ainsi que, surtout – pour ce qui nous intéresse ici – la Guadeloupe, reprise aux Anglais dès 1794, et dans laquelle l’abolition de l’esclavage avait été appliquée, comme à SaintDomingue et en Guyane. En effet l’art. 1er de la loi indique que∞∞: «∞∞Dans les colonies restituées à la France en exécution du traité d’Amiens, du 6 germinal an X, l’esclavage sera maintenu conformément aux lois et réglemens [sic] antérieurs à 1789∞∞». L’art. 2 indique qu’«∞∞Il en sera de même dans les autres colonies françaises, au-delà du cap de Bonne-Espérance∞∞», ce qui 2. V. par ex. G. Bigot, notice «∞∞Esclavage∞∞», dans le Dictionnaire de la culture juridique, dir. D. Alland et S. Rials, Paris, PUF, 2003, p.∞∞∞642∞∞; v. aussi et surtout dans le recueil Codes noirs. De l’esclavage aux abolitions, introd. Ch. Taubira, présentation des textes A. Castaldo, Paris, Dalloz, coll. «∞∞A savoir∞∞», 2007, p.∞∞∞20 s., et 71 s. 3. V. par ex. dans l’Almanach du Premier Empire de J. Massin, qui décrit les principaux évènements et textes jour après jour, dès le Consulat d’ailleurs (comme son titre ne l’indique pas), éd. Encyclopaedia universalis, 1988, p.∞∞∞151. Aucune précision, et plusieurs confusions, par contre, dans le vol. de la vaste collection La glorieuse épopée de Napoléon (Éditions Atlas, dir. Ph. Conrad, 41 vol.), L’Empereur, la mer et l’outre-mer (2004), composé pourtant de 128 p. sur ce thème (v. p.∞∞∞98 et s., et les 30 lignes seulement consacrées à la Guadeloupe, p.∞∞∞102103). Th. Lentz, dans Le Grand Consulat (1799-1804) (Paris, Fayard, 1999), qui consacre cependant un chapitre entier à la politique coloniale de Bonaparte (p.∞∞∞479-503)∞∞: «∞∞L'échec colonial∞∞» (v. spéc. p.∞∞∞495 et 502 à propos de la Guadeloupe et de la loi du 20 mai 1802). 4. Depuis Schoelcher (v. son article «∞∞La Guadeloupe∞∞», paru dans le Journal des économistes de 1843, repris dans le recueil Histoire de l’esclavage, éd. Kolodziej, Paris, Fort-de-France, Pointe-à-Pitre, Édition et diffusion de la culture antillaise, 4 vol., 1984, t. III, p.∞∞∞410, où l’auteur n’évoque que «∞∞l’affreuse loi du 20 mai 1802∞∞» et la présente comme applicable à toutes les colonies) jusqu’à nos jours∞∞: v. par ex. dans Le grand livre de l’esclavage, des résistances et de l’abolition, par G. Thélier et P. Alibert, Éditions Orphie, 1998, p.∞∞∞123. Quant à Ph. Haudrère et F. Vergès, dans leur recueil De l’esclave au citoyen, Paris, Gallimard, coll. Découvertes Texto, 1998, ils se contentent d’écrire que «∞∞Bonaparte rétablit l’esclavage en 1802∞∞» (p.∞∞∞11 et 82), sans citer la loi du 20 mai. 5. V. spéc. L. Sala-Molins, Le Code Noir, ou le calvaire de Canaan, Paris, PUF, 1987, 4e éd. Quadrige, 2006, p.∞∞∞17 et 274, laissant entendre que la loi du 30 floréal concernait toutes les colonies françaises. 6. V. en effet l’étude (au titre d’ailleurs inexact) de J.-M. Champion, «∞∞30 floréal an X∞∞: le rétablissement de l’esclavage par Bonaparte∞∞», dans Les abolitions de l’esclavage, de L.F. Sonthonax à V. Schoelcher, 1793-1794-1848, actes du colloque de Paris VIII de février 1994, dir. M. Dorigny, P. U. Vincennes et UNESCO, 1995, p.∞∞∞265 et s., où l’auteur n’évoque aucun autre texte de Bonaparte. V. aussi et surtout les contributions à Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises. 1802. Ruptures et continuités de la politique coloniale française (18001830). Aux origines d’Haïti, actes du colloque de Paris VIII de juin 2002, dir. Y. Bénot et M. Dorigny, Paris, Maisonneuve et Larose, 2003 (hormis F. Régent dans sa contribution, qui reprend ses recherches doctorales – cf. infra note 19). 7. Mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions, Rapport à M. le Premier ministre, préface M. Condé, Paris, La découverte, 2005, p.∞∞∞12, avec une erreur technique en parlant de «∞∞décret du 20 mai 1802 signé par le Premier consul∞∞», alors qu’il s’agit d’une loi, que Bonaparte n’a fait que promulguer (v. infra note 55), et une erreur de fond, en laissant entendre dans la suite du texte que cette loi concernait la Guadeloupe et Saint-Domingue. – 33 – renvoie bien sûr aux Mascareignes8, et l’art. 3 précise que «∞∞la traite des noirs et leur importation dans lesdites colonies auront lieu conformément aux lois et réglemens existans [sic] avant ladite époque de 1789∞∞»9. Le retour au système esclavagiste en Guadeloupe ne pouvait donc juridiquement se faire en vertu de la loi du 20 mai 180210. Pourtant, un historien guadeloupéen du XIXe siècle, Auguste Lacour, juriste de profession, qui avait parfaitement compris la portée juridique de la loi du 20 mai et la nécessité d’un «∞∞acte législatif spécial∞∞» afin de rétablir l’esclavage à la Guadeloupe, avait évoqué un autre texte, un arrêté consulaire de Bonaparte du 16 juillet 1802 (27 messidor an X), qui n’avait été promulgué localement qu’en mai 1803 par le nouveau gouverneur Ernouf, successeur de Lacrosse. Mais Lacour n’indiquait pas la source de ce texte11. Ce texte juridique a été jusqu’à maintenant ignoré par les historiens «∞∞nationaux∞∞», y compris par les spécialistes les plus réputés12, qui le confondent souvent avec un arrêté local du général Richepanse (dont le nom s’orthographie aussi avec un c) du 17 juillet13, et tout spécialement par les éminents Thierry Lentz et Pierre Branda, dans une étude récente qui se présente pourtant comme une «∞∞somme∞∞» sur la question14. 8. Sur ces colonies, v. l’étude de C. Wanquet, La France et la première abolition de l’esclavage 1794-1802. Le cas des colonies orientales, Ile de France (Maurice) et La Réunion, Paris, Karthala, 1998, qui analyse not. la genèse et le contenu de la loi du 20 mai (p.∞∞∞519-644). 9. Bulletin des lois de la République française, 3e série, t. VI, Bull. no∞∞∞192 du 8 messidor an X, texte no∞∞∞1609, Paris, Imprimerie de la République, brumaire an XI, p.∞∞∞329-330 (cote aux ADG∞∞: 1 K 20 et 21). Sur l’art. 4 de cette loi, v. infra note 61 au texte. Sur la loi elle-même, outre les études de C. Wanquet et J.-M. Champion précitées, v. L. Élisabeth, «∞∞Le «∞∞rétablissement∞∞» de l’esclavage. 1802∞∞?∞∞», dans 1802 en Guadeloupe et à Saint-Domingue∞∞: réalités et mémoire, actes du colloque de Saint-Claude de mai 2002, Gourbeyre, Société d’histoire de la Guadeloupe/Archives départementales de la Guadeloupe, 2003, p.∞∞∞93 et s. 10. Cette loi est pourtant souvent présentée comme applicable à toutes les colonies françaises, comme dans les ouvrages de P. Pluchon, P. Butel et L. Sala-Molins, ainsi que dans la notice de G. Bigot précités par ex., ou encore dans l’Almanach du Premier Empire, où l’auteur n’en exclut que Saint-Domingue. 11. A. Lacour, Histoire de la Guadeloupe (1855), rééd. Kolodziej, Fort-de-France, Édition et diffusion de la culture antillaise, 1979, t. III, p.∞∞∞354 et 424∞∞; t. IV, p.∞∞∞4. 12. Même Y. Bénot, dans son érudit et retentissant réquisitoire historique, La démence coloniale sous Napoléon, Paris, La découverte, 1992 (rééd. avec préf. de M. Dorigny, 2006), n’évoque pas ce texte (v. p.∞∞∞74-75), de même que dans son étude plus récente «∞∞La logique esclavagiste du Premier consul∞∞», dans 1802 en Guadeloupe et à Saint-Domingue∞∞: réalités et mémoire, op. cit., p.∞∞∞61 et s.. V. aussi M. Dorigny et B. Gainot, dans leur Atlas des esclavages, Paris, Éditions Autrement, 2006, p.∞∞∞53, qui évoquent dans un tableau chronologique un «∞∞arrêté∞∞», sans préciser de qui il émane, daté du 12 au lieu du 16 juillet, et qui indiquent qu’il rétablit l’esclavage en Guadeloupe et en Guyane alors qu’il ne concerne que la première des deux colonies. Il semble que seul Claude Ribbe (qui n’est d’ailleurs pas historien), dans son pamphlet Le crime de Napoléon (Paris, Privé, 2005), évoque correctement (mais très brièvement) cet arrêté du 16 juillet (p.∞∞∞102). 13. V. Y. Bénot précité, qui date cet arrêté du 16 au lieu du 17 juillet, de même que P. Butel (op. cit., p.∞∞∞963). V. également dans Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises, op. cit., p.∞∞∞568 et s., où le texte de l’arrêté est présenté in extenso avec sa date républicaine du 28 messidor an X, qui correspond pourtant au 17 et non pas au 16 juillet 1802. V. aussi G. Manceron, Marianne et les colonies. Une introduction à l’histoire coloniale de la France, Paris, La Découverte, 2003, p.∞∞∞66 (où l’arrêté de Richepanse est présenté de plus comme une «∞∞loi∞∞»). 14. Th. Lentz et P. Branda, Napoléon, l’esclavage et les colonies, Paris, Fayard, 2006, 359∞∞∞p. Les auteurs précisent cependant que la loi du 20 mai ne s’appliquait pas à la Guadeloupe (p.∞∞∞122). Mais leur passage relatif au rétablissement de l’esclavage dans cette colonie (p.∞∞∞127 – 34 – A la suite d’Auguste Lacour, certains historiens ou essayistes guadeloupéens ou martiniquais avaient pourtant évoqué l’existence de cet arrêté consulaire du 16 juillet, tels Oruno Lara15, puis Germain Saint-Ruf16 et Léo Elisabeth17, ainsi que, plus récemment, René Bélénus18 et surtout Frédéric Régent, de façon plus circonstanciée19. Mais aucun ne cite la source du texte dans les Archives20, ce qui explique les incertitudes et les flottements sur la nature et la portée juridiques exactes du texte rencontrés chez ces auteurs. D’autres historiens ou essayistes guadeloupéens ne font d’ailleurs pas mention de ce texte, tels Henri Bangou21, Jacques Adélaïde-Merlande22 et et s.) semble largement repris de l’ouvrage précité d’Y. Bénot, et on y retrouve la même confusion entre les arrêtés des 16 et 17 juillet 1802. 15. O. Lara, La Guadeloupe dans l’histoire (1921), nouv. éd. avec Avant-propos de D. J. G. Lara, Paris, L’Harmattan, 1979, p.∞∞ 162 (où l’auteur se contente de citer le passage de Lacour consacré à cette question). 16. G. Saint-Ruff, L’épopée Delgrès. La Guadeloupe sous la Révolution française (1789-1802), Paris, 1965, 2e éd. L’Harmattan, 1977, p.∞∞∞135 (mais l’auteur emploie le terme inexact techniquement de «∞∞décret consulaire∞∞»∞∞: à l’époque le terme de «∞∞décret∞∞» est réservé à un acte législatif – cf. infra note 55). V. aussi L.-R. Danquin, Contribution à une étude sur l’insurrection anti-esclavagiste de mai 1802, Basse-Terre, 1982, p.∞∞∞58 (où le terme de «∞∞décret∞∞» est également employé), et R. Anduse, Joseph Ignace, le premier rebelle. 1802. La révolution antiesclavagiste en Guadeloupe, Editions Jasor, 1989, p.∞∞∞209. 17. L. Élisabeth, «∞∞La domination française, de la paix d’Amiens à 1870∞∞», chap. XII de l’Histoire des Antilles et de la Guyane, dir. P. Pluchon, Toulouse, Privat, 1982, p.∞∞∞382. Mais il est indiqué que les consuls ont signé collectivement ce texte, alors qu’il s’agit seulement de Bonaparte (v. infra). De plus, la loi du 20 mai 1802 n’est pas évoquée. V. cependant de cet auteur «∞∞Le «∞∞rétablissement∞∞» de l’esclavage. 1802∞∞?∞∞», loc. cit., où cette dernière est étudiée, et où l’arrêté du 16 juillet est (laconiquement) évoqué (p.∞∞∞108). 18. R. Bélénus, «∞∞L’expédition Richepance∞∞: objectif, bilan∞∞», dans 1802 en Guadeloupe et à Saint-Domingue∞∞: réalités et mémoire, op. cit., p.∞∞∞79, et son ouvrage Mai 1802∞∞: la guerre de la Guadeloupe, Gourbeyre, Éditions Benes, 2005, p.∞∞∞65 (mais il présente l’arrêté comme applicable à toutes les colonies). 19. F. Régent, «∞∞Le rétablissement de l’esclavage et du préjugé de couleur en Guadeloupe (1802-1803)∞∞», dans Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises…, op. cit., p.∞∞ 289, 293 et 296∞∞; Esclavage, métissage, liberté. La Révolution française en Guadeloupe 1789-1802 (ouvrage tiré de sa thèse de doctorat en Histoire, Paris I, 2002), Paris, Grasset, 2004, p.∞∞∞431432 et 437, en renvoyant lui aussi à Lacour (mais en présentant dans sa chronologie, p.∞∞∞501, l’arrêté du 16 juillet comme applicable également à Saint-Domingue et à la Guyane)∞∞; v. également dans La France et ses esclaves. De la colonisation aux abolitions (1620-1848), Grasset, 2007, p.∞∞∞272-273, et dans la chronologie, p.∞∞∞313, où l’«∞∞ordre∞∞» de Bonaparte est cette fois-ci présenté comme concernant seulement la Guadeloupe. 20. V. d’ailleurs en ce sens l’absence de ce texte dans le recueil de documents pourtant très complet réalisé par J. Adélaïde-Merlande, R. Bélénus et F. Régent, La Rébellion de la Guadeloupe, 1801-1802, éd. H. Servant, Gourbeyre, Archives départementales de la Guadeloupe, 2002. Certains documents reproduits dans cet ouvrage laissent pourtant clairement entendre que l’arrêté consulaire du 16 juillet existe bien, telles ces lettres de Lacrosse au ministre de la Marine et des Colonies Decrès de septembre et de décembre 1802 (p.∞∞∞232 et 234). L’arrêté est d’ailleurs mentionné dans la chronologie de l’ouvrage et bien distingué de celui de Richepanse du 17 juillet (p.∞∞∞20), mais il est présenté comme applicable à toutes les colonies où l’abolition de l’esclavage a été effective. V. aussi dans ce recueil les motifs et le texte de la loi du 20 mai 1802, ainsi que des extraits des discours prononcés à cette occasion (p.∞∞∞168170). 21. H. Bangou, La Révolution et l’esclavage à la Guadeloupe 1789-1802. Épopée noire et génocide, Paris, Messidor/Éditions sociales, 1989, p.∞∞∞142, datant l’arrêté de Richepanse du 16 au lieu du 17 juillet (v. aussi dans La Guadeloupe, t. 1er, Histoire de la colonisation de l’île, 14921848, Paris, L’Harmattan, 1987, p.∞∞∞179, où l’arrêté de Richepanse est présenté comme un «∞∞acte législatif∞∞»). 22. J. Adélaïde-Merlande, Delgrès ou la Guadeloupe en 1802, Paris, Karthala, 1986, 2e éd. 2002, p.∞∞∞158-159 (qui renvoie pourtant à Lacour). – 35 – Lucien-René Abenon23, parmi d’autres24, renvoyant seulement à la loi du 30 floréal ou à l’arrêté de Richepanse. Pour établir de façon certaine l’existence de cet arrêté consulaire du 27 messidor an X (16 juillet 1802), il fallait donc retrouver ce document dans les archives nationales. Nous avons d’abord constaté que ce texte n’a jamais été publié, que ce soit officiellement ou dans des recueils privés. Inconnu au Bulletin des lois – le Journal officiel de l’époque, qui publiait pourtant le moindre arrêté consulaire25 – l’absence de ce texte est également à noter dans le recueil Duvergier, qui se présente pourtant comme la Collection complète des textes législatifs et réglementaires français depuis 1788, et qui contient bien sûr la loi du 30 floréal26. Si l’on se penche sur les fonds du Centre des Archives d’outre-mer, la série F3, ou collection Moreau de Saint-Méry, aurait pu nous donner l’opportunité de découvrir l’arrêté de juillet 1802. Il n’en fut rien. Le «∞∞Code de la Guadeloupe∞∞», regroupant les cartons 221 à 236, couvrant la période 1635-1806, ne le contient pas27. A partir de cette constatation, la recherche a été également menée dans les autres «∞∞codes∞∞» de la série F3. Ceux de la Martinique, de Saint-Domingue, de Cayenne, des îles de France et de Bourbon, n’ont rien donné28. Recherches tout aussi infructueuses au sein du Code de la Martinique, composé par Durand-Molard29. 23. L.-R. Abenon, Petite histoire de la Guadeloupe, Paris, L’Harmattan, 1992, réimp.∞∞∞1996, p.∞∞∞96-97. 24. V. par ex. l’essai de L. Lémane Coco, Regards sur l’esclavage dans les colonies françaises, Paris, éd. Menaibuc, 2005, p.∞∞∞100-101 (datant lui aussi l’arrêté de Richepanse du 16 au lieu du 17 juillet), ou encore celui d’A. Negre, La Rébellion de la Guadeloupe (1801-1802), Paris, Éditions caribéennes, 1987, p.∞∞∞157 et s., qui n’évoque pas la loi du 20 mai, mais seulement l’arrêté de Richepanse (daté du 17 juillet), et impute à Lacrosse seul le rétablissement de l’esclavage, «∞∞qu’il avait aboli dix ans auparavant∞∞». V. également l’essai historique du martiniquais Marc Sefil, Evolution institutionnelle et politique des Antilles, Ibis Rouge éditions, 2003, p.∞∞∞58. 25. On trouve d’ailleurs dans le Bulletin des lois de la République française plusieurs arrêtés consulaires datés du 27 messidor an X, parfois très précis, dont un autorisant la commission administrative des hospices de Romans à accepter un legs de 300 livres tournois (Bulletins no∞∞∞202-203, 22 thermidor an X, texte no∞∞∞1844). D’autres arrêtés du même jour sont publiés dans des Bulletins postérieurs, tels les no∞∞∞204 (2 fructidor an X) et 207 (14 fructidor). 26. J.-B. Duvergier, Collection complète des Lois, décrets, Ordonnances, Réglemens, Avis du Conseil d’Etat, publiée sur les éditions officielles du Louvre∞∞; de l’Imprimerie nationale, par Baudouin∞∞; et du Bulletin des Lois∞∞; (de 1788 à 1830 inclusivement, par ordre chronologique), Paris, 1824-1838, 30 tomes, ici t. XIII, p.∞∞∞208. V. aussi dans le recueil de A.-A. Carette, Lois annotées, ou lois, décrets, ordonnances, avis du Conseil d'Etat, etc., avec notes, historiques, de concordance et de jurisprudence, 1ere série (1789-1830), Paris, 1843, p.∞∞∞603. 27. Précisons au passage que l’expression «∞∞Code de la Guadeloupe∞∞» est une dénomination impropre à cette collection, qui contient en effet des documents sans rapports avec le territoire guadeloupéen. 28. Au CAOM, dans la collection Moreau de Saint-Méry, qui se présente sous forme de fichier papier (la bibliothèque Moreau de Saint-Méry est microfilmée), le «∞∞Code de la Martinique∞∞» comprend les cartons 247 à 263∞∞; celui de Saint-Domingue, les cartons 269 à 284∞∞; celui de Cayenne, les cartons 213 à 220∞∞; pour les Mascareignes, les cartons 205 à 211. 29. Cette volumineuse compilation, qui reprend en le complétant un recueil homonyme du XVIIIe siècle (réalisé par J. Petit de Viévigne, Saint-Pierre, 1767) et qui contient aussi des textes applicables à la Guadeloupe, fut en effet commencée par Durand-Molard, secrétaire principal de la préfecture coloniale de la Martinique sous le régime napoléonien, et continuée par Aubert-Armand et d’autres. La première édition est publiée à Saint-Pierre (Martinique) en 1807. – 36 – Le document a été finalement retrouvé dans sa forme imprimée au sein de la série des Archives Nationales d’Outre-Mer consacrée à la correspondance administrative reçue (ANOM C7A 59), mais aussi et surtout, dans sa version originale, au Centre Historique des Archives Nationales, au sein de la série AF, relative aux archives du pouvoir exécutif de 1789 à 1815, et plus précisément dans la quatrième sous-série, qui regroupe les «∞∞Papiers de la Secrétairerie d’État impériale∞∞» de l’an VIII à 181530. Portant le numéro 379, et en effet daté du 27 messidor an X, le document (consulté sous forme microfilmée) est manuscrit, signé par Bonaparte et sans doute écrit de sa main, consigné sur une feuille à en-tête intitulée «∞∞Minute d’arrêté∞∞», mais non renseignée31. Il indique principalement32, dans son article 1er, que «∞∞La colonie de la Guadeloupe et dépendance sera régie à l’instar de la Martinique, de Ste-Lucie, de Tabago, [et des]33 colonies orientales34, par les mêmes lois qui y étaient en vigueur en 1789∞∞»35. Ainsi, à travers cet arrêté, c’est une page particulièrement sombre de l’histoire coloniale de la France qui se trouve à nouveau évoquée et qui doit être réinterrogée. Au-delà de l’analyse idéologique et juridique à laquelle il convient de soumettre ce document enfin mis à jour (I), sa découverte conduit en effet à méditer sur sa portée, et à renouveler la réflexion sur les modalités juridiques du rétablissement de l’ancien ordre colonial et spécialement de l’esclavage à la Guadeloupe (II). I. L’ARRÊTÉ CONSULAIRE DU 27 MESSIDOR AN X∞∞: ANALYSE IDÉOLOGIQUE ET JURIDIQUE Mis en regard du texte de la loi du 30 floréal an X (20 mai 1802), on constate d’emblée qu’outre la différence de situation dans le temps de leurs dispositions principales respectives36, le terme «∞∞esclavage∞∞» n’est pas mentionné dans l’arrêté du 16 juillet. Cette omission linguistique témoigne d’une prudence gouvernementale sur laquelle on reviendra (v. not. infra, B). Néanmoins, malgré la périphrase utilisée, le document reste explicite, non seulement en lui-même (l’esclavage n’était pas aboli en Guadeloupe en 1789) ou au regard de son contexte national et local, mais surtout au vu de l’autre document que nous avons mis à jour. Car 30. Cette dénomination est d’ailleurs partiellement inexacte car la secrétairerie d’État ne devient «∞∞impériale∞∞» qu’à partir de l’an XII (1804). 31. Le no∞∞∞d’enregistrement n’est pas indiqué, de même que le sommaire de l’arrêté, pas plus que le ministère concerné (rubrique située en haut à gauche). 32. L’art. 2, qui concerne l’exécution de l’arrêté, sera évoqué plus loin. 33. Ces deux mots sont illisibles dans la version manuscrite. 34. Cette expression se substitue à celle utilisée dans l’art. 2 de la loi du 20 mai (v. supra note 8). 35. Cet article est correctement cité par Lacour (t. III, p.∞∞∞424, v. supra note 11), et repris par F. Régent dans Esclavage, métissage liberté, op. cit., p.∞∞∞437 (où il emploie cependant le terme inexact de «∞∞décret∞∞»). Pour la version imprimée, légèrement différente du manuscrit et insérée dans une circulaire du préfet colonial Lescallier, v. infra notes 111-112. 36. L’art. 1er de la loi du 30 floréal évoque en effet les lois et règlements antérieurs à 1789. Mais à l’égard de l’esclavage, cela n’a pas d’incidence, car ce dernier n’a été aboli qu’en 1794. – 37 – le plus intéressant dans cette découverte, est que l’arrêté est accompagné d’un autre document, également manuscrit, intitulé Projet d’arrêté concernant le rétablissement de l’esclavage à la Guadeloupe et dépendances. Or, ce projet d’arrêté, est précédé de deux pages de motifs, divisées en six considérants, justifiant aux yeux du gouvernement consulaire le rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe. Ce second document se révèle encore plus précieux historiquement que l’arrêté lui-même, car alors que le libellé de ce dernier est très laconique, les considérants du projet d’arrêté en révèlent l’esprit (A). Mais l’analyse de l’arrêté du 16 juillet doit également être menée du point de vue juridique, car sa validité au regard du droit reste discutable, même selon l’ordre juridique en vigueur sous le Consulat (B). A. L’esprit de l’arrêté Les considérants sont vraisemblablement rédigés par Decrès, le ministre de la Marine et des Colonies depuis 1801, esclavagiste déclaré qui pousse Bonaparte au rétablissement général de la servitude depuis plusieurs mois37. Ils présentent les bienfaits d’un régime esclavagiste et paternaliste, contre les méfaits d’une liberté imméritée. On y constate que l’argumentaire en faveur de l’esclavage reste celle du XVIIIe siècle, celle qui fut défendue notamment par le Club Massiac, et qu’on retrouve dans les motifs et discours de la loi du 30 floréal. Mais ici, il s’enrichit de l’expérience de la «∞∞rébellion∞∞» de la Guadeloupe, que les motifs de l’arrêté prétendent sanctionner. Ce qui apparaît dès le premier considérant, c’est l’attaque à l’encontre de la liberté accordée aux «∞∞noirs∞∞» de la Guadeloupe par la loi du 16 pluviôse an II (4 février 1794), qui «∞∞n’y a produit que des effets désastreux∞∞». Effets désastreux qui prennent la forme, dans le second considérant, de «∞∞la fainéantise au travail […], la divagation […], l’impunité […], la misère…∞∞», considérant où l’effet de la liberté sur l’économie de la colonie est particulièrement souligné∞∞: «∞∞Vainement on s’était flatté de voir cette isle se fertiliser de plus en plus sous des mains libres∞∞». Et le troisième considérant de surenchérir en mettant en exergue le «∞∞décroissement graduel∞∞» des fruits des habitations, qui rend le «∞∞système [de liberté] nouveau […] insuffisant et pour le maître et pour l’attelier [sic]38∞∞». Il s’agit ici d’une réponse directe aux assertions selon lesquelles l’économie coloniale pouvait subsister sans l’esclavage39. Le quatrième considérant apporte un argument à la fois supplémentaire et confirmant la loi du 30 floréal, qui y maintenait l’esclavage, en 37. V. not. son rapport sur les troubles en Guadeloupe et l’expulsion de Lacrosse où il emploie la formule devenue fameuse∞∞: «∞∞la liberté est un aliment pour lequel l’estomac des nègres n’est pas préparé. Je crois qu’il faut saisir toutes les occasions pour leur rendre leur nourriture naturelle [l’esclavage]∞∞», reproduit dans La Rébellion de la Guadeloupe, op. cit., p.∞∞∞157 et s., mais où le texte est daté de novembre 1801, ce qui est impossible vu son contenu. Il serait plutôt de janvier 1802. V. plus en détail dans la version initiale de notre étude. 38. Ce terme indique la masse des esclaves affectés aux travaux agricoles. 39. V. par ex. dans les Réflexions sur l’abolition de la Traite & la liberté des Noirs, Orléans, L. P. Couret, s.d. (1789∞∞?), p.∞∞∞7∞∞: «∞∞Il est absurde d’avancer que nos Colonies ne peuvent être cultivées que par des Nègres esclaves∞∞» (rééd. en fac-similé dans La Révolution française et l'abolition de l'esclavage, t. IV, Paris, EDHIS, 1968). – 38 – affirmant que «∞∞l’Exemple des Colonies voisines où l’esclavage subsiste∞∞», offre «∞∞un Contraste frappant de prospérité, de tranquillité intérieure∞∞», où règne de surcroît l’harmonie sociale, car l’observance des «∞∞devoirs réciproques∞∞» entre les maîtres et les esclaves «∞∞est la mesure du bonheur appartenant à chaque classe∞∞». Le tout sous l’égide des «∞∞règlemens [sic] tutélaires∞∞», mentionnés par le troisième considérant, qui assuraient le «∞∞bien-être aux familles esclaves∞∞». On retrouve ici le célèbre argument colonial selon lequel les esclaves jouissaient d’une condition favorable, meilleure que celle des paysans des campagnes françaises40. Le second volet de l’argumentaire de l’arrêté, contenu dans les deux derniers considérants, évoque de manière générale le caractère violent, vindicatif et rebelle des anciens esclaves, se laissant aller à tous les débordements. Cette crainte était déjà mise en avant par le parti colonial au XVIIIe siècle41. Le parti abolitionniste la mettait également en avant, afin de justifier une abolition graduelle et non immédiate de l’esclavage42. Mais ici, le gouvernement consulaire souligne le comportement des «∞∞Noirs de la Guadeloupe∞∞» en particulier, à savoir les «∞∞grands forfaits dont viennent de se souiller ces Noirs dans leur coupable résistance et dans leur rébellion∞∞» depuis l’expulsion du capitaine-général Lacrosse début novembre 1801 et la mise en place d’un conseil provisoire de gouvernement sous la présidence du chef de brigade Pélage, jusqu’à la résistance armée, sous la conduite des officiers de couleur Ignace, Delgrès et Palerme, aux troupes de Richepanse débarquées sur l’île en mai 1802 et qui ont mené une terrible répression de la «∞∞rébellion de la Guadeloupe∞∞»43∞∞: «∞∞Considérant surtout l’affreux usage que les Noirs de la Guadeloupe ont fait de la liberté, en armant leurs bras parricides contre le gouvernement de la Métropole, en désobéissant à ses ordres, en combattant à force ouverte ses troupes victorieuses, en détruisant les manufactures, en incendiant les villes et les campagnes, et en étouffant jusques [sic] aux germes de la propriété légitime∞∞». Ce considérant apporte donc un argument supplémentaire en faveur du rétablissement de l’esclavage∞∞: la «∞∞rébellion∞∞» des «∞∞Noirs∞∞» de la Guadeloupe contre le gouvernement consulaire et les désordres et ravages 40. V. par ex. Saint-Cyran, Réfutation du projet des Amis des Noirs, sur la suppression de la traite des nègres & sur l’abolition de l’esclavage dans nos colonies, s.l., s.n., 1790, p.∞∞ 4-5∞∞: «∞∞[il a] été prouvé plusieurs fois que l’état des esclaves, dans nos colonies [est] moins dur, habituellement, que celui des journaliers en France∞∞; qu’ils [ont] sur-tout, pardessus ces derniers, l’avantage d’être soignés dans leurs infirmités et leur vieillesse, et que la nourriture de leurs femmes et de leurs enfans y [est] assurée∞∞». 41. V. not. M. D L DMFY, Mémoires sur l’esclavage des nègres, contenant réponse à divers Ecrits qui ont été publiés en leur faveur, Paris, Garnery, 1790, p.∞∞∞34∞∞: «∞∞L’affranchissement des Negres porteroit, n’en doutons pas, ce Peuple à répandre un jour le sang de tous les Colons∞∞». 42. V. not la Réponse à l’écrit de M. Malouet, sur l’esclavage des nègres, s.l. (Paris), 1789, p.∞∞∞58∞∞: «∞∞Après avoir avilis, dégradés les Noirs & les avoir privés ainsi de toutes leurs facultés morales, sans doute, il ne serait ni juste ni humain de les rendre libres, tant qu’ils seront dans cet état d’abrutissement∞∞; puisque leur liberté, dont on leur a fait oublier l’usage, les rendrait nécessairement ou malheureux ou criminels∞∞» (rééd. en fac-similé dans La Révolution française et l'abolition de l'esclavage, op. cit., t. VI ). 43. Pour des détails sur ces évènements, v. les réf. citées dans l’introduction, spéc. notes 16 à 20. – 39 – qui s’ensuivirent44, preuve «∞∞expérimentale∞∞» de l’inaptitude fondamentale des Noirs à une liberté «∞∞civilisée∞∞», qui ne tourne pas à «∞∞l’extrême licence∞∞» (premier considérant), à la destruction générale et à la guerre ouverte contre la Métropole. De manière générale, on retrouve ici l’argumentaire de la loi du 30 floréal45, dont certains aspects annonçaient d’ailleurs un rétablissement général de l’esclavage46, et auxquels les considérants de l’arrêté de juillet 1802 répondent par un écho à la fois consécutif et confirmatif. Mais on y trouve aussi l’aspect particulier du châtiment légitime que méritent ces «∞∞Noirs∞∞» de la Guadeloupe, dont la rébellion et les «∞∞crimes∞∞», et surtout celui d’avoir fait couler «∞∞le sang des braves soldats français∞∞» de Richepanse venus mater «∞∞avec gloire et succès∞∞» la révolte, doit recevoir, selon la conclusion des considérants, «∞∞l’expiation qui lui est due par un entier rétablissement de l’obéissance envers le Gouvernement, et par un retour immuable aux anciens principes de l’administration coloniale∞∞»47. On ne peut ici omettre d’évoquer le personnage de Baudry Deslozières48 et son ouvrage Les égarements du nigrophilisme, qui paraît fin mars 1802 et synthétise l’ensemble de l’argumentaire du lobby colonial et esclavagiste49, un ouvrage dans lequel on retrouve très clairement, et présentés de surcroît de façon «∞∞objective∞∞», les deux types de «∞∞preuves∞∞» de l’inaptitude des Noirs à la liberté (preuve «∞∞naturelle∞∞» et fondamentale / 44. Rappelons que ce tableau terrible, not. brossé par Lacrosse et Decrès, ne correspond pas à la réalité∞∞; jusqu’à l’arrivée des troupes de Richepanse, l’ordre public n’a guère été troublé à la Guadeloupe. C’est surtout de son expulsion que Lacrosse veut se venger en dramatisant la situation, ce dont profite Decrès pour surenchérir. 45. V. not. l’extrait du discours du conseiller d’Etat Bruix (qui était issu d’une famille de planteurs de Saint-Domingue), le jour de l’adoption de la loi, et spéc.∞∞: «∞∞Tant de maux variés résulteraient de la liberté des Noirs […]. Il faut que les nègres en grand nombre soient esclaves. Tout l’exige∞∞: la sûreté du colon, l’activité des cultures, la conservation des colonies, l’intérêt du Trésor public…∞∞». Transcrit à partir du Moniteur universel dans La Rébellion de la Guadeloupe, op. cit. (supra note 20), p.∞∞ 170. V. également, p.∞∞ 169, l’extrait du discours du tribun Jaubert, et not.∞∞: «∞∞Dans les colonies […] L’expérience nous apprend quels sont les bras qui, seuls, peuvent être employés à leur culture. Elle nous dit quels sont les êtres pour lesquels la liberté n’est qu’un fruit empoisonné…∞∞». 46. V. not. le message des consuls au Corps législatif du 17 mai 1802 présentant le projet de loi, lu par le conseiller d’Etat Dupuy, mais probablement rédigé par Decrès, qui fait déjà référence à l’«∞∞expérience malheureuse∞∞» de l’abolition de 1794 dans les colonies où «∞∞les illusions de la liberté et de l’égalité ont été propagées∞∞», et qui, au nom également de la différence fondamentale existant entre «∞∞l’homme civilisé et celui qui ne l’est point∞∞», affirme, certes de manière elliptique, que dans les colonies non concernées par la loi, il faudra «∞∞se hâter de substituer aux séduisantes théories un système réparateur dont les combinaisons se lient aux circonstances, varient avec elles, et soient confiées à la sagesse du Gouvernement∞∞» (ibid., p.∞∞∞168169). 47. Notons encore une fois la coexistence de deux types d’arguments∞∞: les uns, généraux et fondamentaux, sur l’inaptitude des Noirs à la liberté et la nécessité du système esclavagiste à l’ordre et la prospérité des Colonies∞∞; les autres, plus conjoncturels, liés à la rébellion des noirs guadeloupéens (de même que ceux de Saint-Domingue, comme on va le voir). 48. Ancien colon de Saint-Domingue, devenu «∞∞historiographe∞∞» au ministère de la Marine et des Colonies (en compagnie de Moreau de Saint-Méry) depuis mars 1800. Son ouvrage, qui est dédicacé à Joséphine, regroupe en réalité des écrits antérieurs, not. de nombreux mémoires sur la politique coloniale rédigés pour le Ministre et le Premier consul. 49. L’auteur affirme d’ailleurs qu’il a été «∞∞la plume∞∞» de son supérieur hiérarchique Guillemin de Vaivre, chef du Bureau des Colonies et ancien intendant général des Colonies sous l’Ancien Régime, lui-même en parfaite harmonie idéologique avec leurs ministres de tutelle successifs Forfait et Decrès. – 40 – preuve empirique et expérimentale), ainsi qu’en témoigne notamment le passage suivant∞∞: «∞∞Nous en sommes venus malgré nous à la preuve naturelle que son espèce [celle du Nègre] est dépravée, que c’est la classe de l’humanité la plus imparfaite, la plus sombre, la plus incapable de lumières, la plus vicieuse, la plus incorrigible. Nous en avons tiré la conséquence qu’il n’est pas fait pour la liberté des Blancs, et sa conduite jusqu’à présent prouve de plus en plus cette vérité∞∞». Partisan d’un retour général à l’esclavage, Deslozières souligne que par leur «∞∞rébellion∞∞», les Noirs de Saint-Domingue ont fourni «∞∞plus que jamais eux-mêmes, par leur ingratitude envers le Gouvernement, par leur insurrection contre lui, par leurs férocités contre les Blancs, l’occasion de rétablir leur régime [l’esclavage] dans toute son étendue. Ils se sont déclarés trop de fois nos ennemis naturels, pour être encore dignes de notre pitié. Il n’y a plus, parmi eux, pour ainsi dire, que des criminels à punir∞∞»50. Dans les considérants de l’arrêté du 27 messidor (16 juillet), on retrouve en écho l’insistance sur le châtiment légitime que méritent les «∞∞Noirs∞∞» de la Guadeloupe cette fois-ci, dont la «∞∞rébellion∞∞» et les «∞∞crimes∞∞» doivent recevoir leur «∞∞expiation∞∞» (v. supra). Pourtant, si l’argumentaire de la loi du 20 mai et celui de l’arrêté du 16 juillet se veulent globalement homogènes, la validité juridique du rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe est encore plus discutable que celle de la loi du 30 floréal. B. La validité juridique de l’arrêté Sur le fond, il est clair que de même que la loi du 30 floréal, l’arrêté du 27 messidor contredit les droits de l’Homme en général, ainsi que, plus particulièrement, les lois de 1794 et de 179851. Or, même si la Déclaration de 1789 n’est plus juridiquement en vigueur, la constitution de l’an VIII avait été présentée par les consuls comme fondée sur «∞∞les droits sacrés∞∞» de la propriété, de l’égalité et de la liberté, terminant la Révolution en la fixant ainsi aux principes qui l’avaient commencée52. La Constitution consulaire avait certes fait retomber les colonies dans un statut 50. Cité par C. Wanquet dans son édifiante étude «∞∞Un réquisitoire contre l’abolition de l’esclavage∞∞: Les égarements du nigrophilisme de Louis Narcisse Baudry Deslozières (mars 1802)∞∞», dans Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises…, op. cit., p.∞∞∞29 et s. (ici p.∞∞∞35 et 43). V. aussi l’étude de A. Cabanis et M.-L. Martin sur la propagande officielle au soutien de la «∞∞reconquête∞∞» de Saint-Domingue stigmatisant ces «∞∞barbares et féroces Africains∞∞», «∞∞L’indépendance d’Haïti devant l’opinion publique française sous le Consulat et l’Empire∞∞: ignorance et malentendus∞∞», dans Mourir pour les Antilles. Indépendance nègre ou esclavage, 1802-1804, dir. M.-L. Martin et A. Yacou, Paris, CERC et Editions Caribéennes, 1991, p.∞∞∞221 et s., spéc. p.∞∞∞224-226. 51. La loi du 12 nivôse an VI (1er janvier 1798) intègre les colonies dans la République, la Constitution et le droit commun en créant les «∞∞départements d’outre-mer∞∞», et renforce et étend la portée juridique de la loi d’abolition du 4 février 1794. V. not. à ce sujet B. Gainot, «∞∞Métropole/Colonies. Projets constitutionnels et rapports de force. 1798-1802∞∞», dans Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises (cité supra note 6), p.∞∞ 13 et s. (et ici p.∞∞ 19 et s.). 52. Proclamation des Consuls de République du 24 frimaire an VIII (15 décembre 1799) présentant la Constitution (du 22 frimaire, 13 décembre) à l’approbation du peuple français, citée dans J. Godechot, Les constitutions de la France depuis 1789, Paris, Flammarion, – 41 – juridique spécial (art. 91∞∞: «∞∞Le régime des colonies françaises est déterminé par des lois spéciales∞∞»), mais a priori pas de nature à pouvoir justifier une telle entorse aux principes de la Révolution et des droits de l’Homme53, car les lois, même «∞∞spéciales∞∞», doivent respecter la Constitution, ou tout au moins – en l’espèce – son esprit. On a vu que ces droits de l’homme à la liberté et à l’égalité sont pourtant balayés par Bonaparte et le lobby colonial au nom de la sûreté et de la prospérité des colonies, de l’intérêt politique et géopolitique, et, plus fondamentalement, au nom de l’inaptitude à la fois fondamentale et expérimentale des «∞∞Noirs∞∞» à la liberté et à l’égalité (mais aussi, plus prosaïquement, à la soumission politique au gouvernement consulaire). Or, tous ces arguments ne sont pas juridiques. Au-delà de la condamnation philosophique, il demeure bien que sur le fond, la loi du 20 mai et surtout l’arrêté du 16 juillet sont critiquables juridiquement. Nous sommes bien ici dans une véritable réaction contre non seulement les principes, mais contre les lois de la Révolution54. Sur la forme, cependant, la loi du 30 floréal a été régulièrement votée par le Corps législatif, puis promulguée par le Premier consul (le 10 prairial an X/30 mai 1802)55, et enfin publiée, comme il se doit, au Bulletin des lois de la République56. Or, il n’en va pas de même de l’arrêté du 27 messidor, qui n’est pas régulier sur la forme. Le premier problème juridique est de savoir si Bonaparte avait la compétence pour prendre une telle décision. A priori, la réponse paraît négative. En effet, la Constitution consulaire a certes prévu la possibilité d’un régime juridique spécial pour les colonies, mais déterminé par des «∞∞lois∞∞» et non des mesures réglementaires (art. 91). De plus, si, cette fois-ci sur un plan légal et non plus constitutionnel, les lois de 1794 et de 1798 peuvent être considérées comme ayant valablement été abrogées par celle du 20 mai (qui est de 1979, rééd. 1995, p.∞∞∞162. Les renvois à cette constitution et à celle de l’an X qui vont suivre sont tirés de ce recueil. 53. Contrairement à ce qu’écrit Y. Bénot dans «∞∞La logique esclavagiste du Premier consul∞∞», loc. cit., p.∞∞∞62∞∞: «∞∞tous les possibles sont ouverts par ces mots [ceux de l’art. 91], y compris le rétablissement de l’esclavage∞∞». C’est plutôt la hiérarchisation des droits «∞∞sacrés∞∞» telle qu’énumérée dans la proclamation des Consuls, plaçant la propriété en tête – à la différence de la Déclaration de 1789 –, qui se révèle lourde de sous-entendus et de menaces pour la liberté et l’égalité en ce qui concerne les esclaves… D’autant que, comme le fait remarquer G. Manceron (op. cit., p.∞∞∞64), la constitution de l’an VIII n’est pas précédée d’une déclaration des droits de l’homme prohibant expressément l’esclavage, à la différence de celles de 1793 (art. 18) et de 1795 (art. 15). 54. V. not. en ce sens Y. Bénot et M. Dorigny, «∞∞1802∞∞: la rupture avec les principes de la Révolution∞∞», dans Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises, spéc. p.∞∞∞10. 55. En vertu des art. 25 et 37 et de la constitution de l’an VIII. C’est d’ailleurs cette promulgation qui transforme le décret pris par le Corps législatif le 20 mai en véritable «∞∞loi∞∞». Voici la formule exacte en l’espèce∞∞: «∞∞Au nom du peuple français, Bonaparte, Premier Consul, proclame loi de la République le décret suivant, rendu par le Corps législatif le 30 floréal an X […]. Soit la présente loi revêtue du sceau de l’Etat, insérée au Bulletin des lois, inscrite dans les registres des autorités judiciaires et administratives, et le ministre de la Justice chargé d’en surveiller l’exécution. A Paris, le 10 prairial an X de la République∞∞». On peut retrouver cette formule et le texte de la loi du 20 mai not. dans Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises, op. cit., p.∞∞∞561, ainsi que dans les recueils Codes noirs précité (supra note 2) p.∞∞∞71-72, et Le Code noir et autres textes de loi sur l’esclavage, Saint-Maur-desFossés, éd. Sépia, 2006, p.∞∞∞73-75. 56. Dans le Bulletin du 8 messidor an X (27 juin 1802). V. supra note 9. – 42 – même niveau, de même force juridique), il n’en va pas ainsi pour les colonies non visées par cette loi, dont la Guadeloupe. Par conséquent, ces lois révolutionnaires restent, au moins en théorie, juridiquement en vigueur dans ces colonies, et un simple arrêté consulaire ne peut les abroger, en vertu du principe juridique du parallélisme des formes57. Il semble que Bonaparte et ses conseillers se rendent compte, au moins dès le mois d’avril, de cette difficulté juridique (qui réside essentiellement dans une question de compétence), et qu’ils tentent de la résoudre de deux manières. Premièrement, en érigeant les arrêtés projetés le 27 avril 1802 en sénatus-consulte58, ce qui aurait pu avoir pour effet de faire disparaître la difficulté59. Mais cette solution n’est pas poursuivie, et bien que la constitution de l’an X (sénatus-consulte du 4 août 1802) ait prévu de réserver la «∞∞constitution des colonies∞∞» à la compétence du Sénat (art. 54), elle ne sera pas mise en application. Tout au long du régime napoléonien, les colonies resteront en effet régies par des mesures réglementaires, en contradiction avec l’article 91 de la constitution de l’an VIII60. Deuxièmement, et c’est la manière qui est retenue, le gouvernement consulaire tente de se faire attribuer une sorte de délégation légale de compétence, à travers l’article 4 de la loi du 20 mai, qui dispose que «∞∞Nonobstant toutes les lois antérieures, le régime des colonies est soumis, pendant dix ans, aux règlements qui seront faits par le Premier consul∞∞»61. Cet article, à la différence des trois premiers, vise bien l’ensemble des colonies, et instaure une délégation de compétence au profit de Bonaparte qui aurait pu servir de base juridique valable pour l’arrêté du 16 juillet62, si ce n’est, là encore, que cet article 4 ne pouvait pas 57. Ce que n’a pas vu A. Lacour (v. supra note 11), pourtant juriste de profession, lorsqu’il présente l’arrêté du 16 juillet comme un «∞∞acte législatif […] en vertu duquel le décret de la Convention du 4 février 1794 avait été rapporté∞∞» (t. IV, p.∞∞∞4). En effet, cet arrêté n’est pas un «∞∞acte législatif∞∞», mais une mesure réglementaire (ce que concède d’ailleurs Lacour en reconnaissant qu’au lieu d’une loi on eût seulement «∞∞un simple arrêté consulaire∞∞» – t. III, p.∞∞∞354), une mesure qui de surcroît viole la Constitution (v. infra). 58. Sur ces textes peu étudiés par les historiens (des projets d’arrêtés «∞∞à convertir en sénatus-consulte∞∞» annexés à une lettre de Bonaparte au consul Cambacérès du 27 avril 1802, reproduits dans la Correspondance de Napoléon 1er, Paris, Imprimerie nationale, t. VI [qui correspond en réalité chronologiquement au tome VII ], 1860, no∞∞∞6053 et s.), où pourtant apparaît pour la première fois explicitement chez le Premier consul l’option du rétablissement de l’esclavage dans les colonies non visées par le traité d’Amiens (et donc la Guadeloupe), v. la version initiale de notre étude. 59. Un sénatus-consulte peut en effet non seulement interpréter mais modifier la Constitution, en vertu des dispositions du titre II de celle-ci. 60. V. en ce sens les études de B. Fortier, «∞∞1799-1830. Ruptures et continuités du régime législatif des quatre vieilles colonies françaises∞∞», dans Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises, supra note 6, p.∞∞∞505 et s., et de D. Destouches, «∞∞Institutions et ordre juridique colonial sous le Consulat et l’Empire∞∞: entre héritage révolutionnaire et restauration de l’Ancien régime∞∞», dans Du Code noir au Code civil, cité infra note 131, p.∞∞∞47 et s., ainsi que notre conclusion. 61. On retrouve déjà cette idée de délégation de compétence dans les projets du 27 avril (v. supra), not. dans la troisième annexe, dont le projet d’arrêté prévoit que «∞∞Tous les règlements du Gouvernement discutés en Conseil d’état [sic] auront, pour les colonies, force de loi, et ce, pendant cinq ans∞∞». Mais un simple règlement ne pouvait instaurer une délégation de compétence valable, en raison des éléments que nous indiquons au texte. 62. Cet article 4 étant de nature légale, il est en effet de même valeur juridique que la loi de 1794 et aurait donc pu servir de base juridique valable à l’arrêté du 16 juillet qui contredit cette dernière. L. Élisabeth, loc. cit. (supra note 9), p.∞∞∞108, écrit que l’arrêté du 16 juillet est pris au nom de l’art. 2 de la loi du 30 floréal, alors qu’il s’agit de son art. 4, et ne voit pas – 43 – déroger par lui-même à l’article 91 de la Constitution. Cette délégation de compétence, même si elle n’a été ni confirmée ni annulée par le Sénat63, reste donc, au moins théoriquement, inconstitutionnelle64. Le Gouvernement avait rejeté d’emblée la troisième solution, qui aurait été la «∞∞bonne∞∞» juridiquement∞∞: le passage par une loi, comme pour les colonies où l’esclavage n’avait pas été appliqué. Il est clair que tout cela révèle à la fois la gêne et la prudence du gouvernement consulaire65. Il en va de même pour le curieux revirement concernant la publication de l’arrêté du 27 messidor. En effet, le projet d’arrêté avait prévu, comme il se doit, outre la communication aux fins d’exécution au ministre concerné (en l’occurrence celui de la Marine et des Colonies), la publication du texte «∞∞au Bulletin des lois∞∞». Mais finalement, dans l’arrêté définitif original (ainsi que dans sa version imprimée), cette mention a disparu. Au contraire, Bonaparte précise en marge du texte de la version manuscrite que l’arrêté ne sera communiqué qu’au ministre des Colonies, «∞∞et à lui seul∞∞». Nous pouvons déduire des éléments ci-dessus que le gouvernement consulaire a renoncé à la publication non seulement pour conserver le «∞∞secret∞∞» sur cette mesure66, mais également parce qu’il était conscient de son manque de base légale. Le problème, c’est que ce choix de la nonpublication rend l’arrêté encore plus défectueux sur le plan de la légalité formelle, et manifeste un arbitraire et un mépris pour la légalité digne du colonialisme le plus caricatural67. Sans compter qu’il explique que ce texte a été si longtemps «∞∞oublié∞∞». que cette délégation de compétence n’est pas valable juridiquement (en théorie du moins), de même que R. Anduse, op. cit., p.∞∞∞210. 63. Cet organe avait en effet le pouvoir de valider ou d’annuler tous les actes législatifs (du moins avant leur promulgation) ou réglementaires qui lui seraient transmis par le Tribunat ou le Gouvernement (art. 21 et 37). Aucun tribun ne s’est cependant risqué à saisir le Sénat, où l’abbé Grégoire et quelques autres «∞∞amis des Noirs∞∞» auraient assurément plaidé en faveur de l’annulation non seulement de son art. 4 mais de la loi du 30 floréal toute entière. 64. Car par ailleurs la Constitution de l’an VIII n’avait pas prévu l’existence d’un pouvoir réglementaire autonome, de même valeur juridique que la loi (v. not. l’art. 44, qui n’évoque que des règlements d’exécution), même si ce pouvoir réglementaire a fonctionné de fait sous le Consulat (v. supra note 60 et au texte). 65. V. not. Decrès, dans son rapport de janvier 1802 à Bonaparte (v. supra note 37) et dans le message des Consuls à l’occasion du vote de la loi du 30 floréal (supra note 46), qui propose des systèmes rétablissant l’esclavage dans les colonies où l’abolition a été appliquée par des voies plus détournées et moins officielles. Tout ceci tend à confirmer l’existence à ce moment d’une opposition politique suffisamment encombrante ainsi que la crainte de soulèvements massifs dans ces colonies, conduisant le Gouvernement à renoncer au passage par une loi ainsi qu’à opter pour le secret et l’illégalité de la mesure du 27 messidor. V. plus de développements sur ce point dans la version initiale de notre étude. 66. V. la lettre de Bonaparte à Decrès du 24 messidor an X (13 juillet 1802) dans laquelle il affirme que la première de toutes les mesures à prendre pour les colonies dès que la situation militaire sera sous contrôle «∞∞paraîtrait d’établir l’esclavage à la Guadeloupe [ce qui revient à le rétablir], comme il l’était à La Martinique∞∞», mais souligne qu’il convient de garder «∞∞le plus grand secret sur cette mesure∞∞», et en laissant à Richepanse «∞∞le choix du moment pour la publier∞∞» (Correspondance de Napoléon 1er, op. cit., no∞ ∞6181. Lettre citée par R. Bélénus, «∞∞L’expédition Richepance∞∞: objectif, bilan∞∞», loc. cit. (v. supra note 20), p.∞∞ 79, ainsi que par Th. Lentz et P. Branda, op. cit., supra note 14, p.∞∞ 128). Le Premier consul répond sans doute à une dépêche de Decrès datée du même jour, où le ministre, en y joignant le rapport de Richepanse, affirme que «∞∞L’île est soumise. Le général Richepanse se charge d’y exécuter et de faire exécuter telles lois que vous imposerez∞∞» (reproduite in ibid., p.∞∞∞315-316). 67. Ces défauts juridiques ne semblent d’ailleurs jamais relevés dans l’historiographie du rétablissement de l’esclavage, y compris chez les juristes et historiens du droit. – 44 – II. L’ARRÊTÉ CONSULAIRE DU 27 MESSIDOR AN X ET LE RÉTABLISSEMENT DE L’ANCIEN ORDRE COLONIAL À LA GUADELOUPE La découverte de l’arrêté consulaire du 27 messidor an X est l’occasion de s’interroger à nouveau sur les modalités juridiques du rétablissement de l’ancien ordre colonial et spécialement de l’esclavage à la Guadeloupe, et de faire le point à ce sujet, à travers un processus qui a connu plusieurs étapes mais qu’on peut répartir en deux périodes∞∞: celle qui précède la promulgation et la publication de l’arrêté consulaire dans la colonie, alors sous la férule de Richepanse puis de Lacrosse (A), et celle qui lui est concomitante et postérieure, sous le gouvernorat d’Ernouf (B). A. De Richepanse à Lacrosse∞∞: un retour progressif à l’ancien ordre colonial Richepanse a-t-il rétabli l’esclavage à la Guadeloupe∞∞? La question mérite en effet d’être reposée, notamment à la lumière de l’arrêté du 27 messidor. Jusqu’à récemment, l’historiographie tant nationale que locale a majoritairement opté pour l’affirmative68. Auguste Lacour, déjà, bien qu’il connaisse l’existence de l’arrêté consulaire, et même s’il avait compris que la décision de Richepanse devait être confirmée par un texte national abrogeant la loi de 1794 (et celle de 1798) à l’égard de la Guadeloupe, écrivait que son arrêté local du 28 messidor (17 juillet), si souvent confondu dans l’historiographie avec celui du 2769, «∞∞avait renversé l’ordre de choses existant à la Guadeloupe∞∞: à la liberté était substitué l’esclavage pour les noirs […]. Le mot esclave n’était pas prononcé, mais l’esclavage était rétabli∞∞»70. A l’époque des faits, c’est également comme cela que la politique de Richepanse avait été interprétée, tant localement, en tout cas par Ignace et même Delgrès71, qu’à Paris par le ministre des Colonies Decrès72 ou que 68. V. not. A. Castaldo dans le recueil Codes noirs précité (supra note 2), ainsi que Y. Bénot, Th. Lentz et P. Branda (supra notes 12 à 14), de même que chez les auteurs antillais qui ne mentionnent pas l’existence de l’arrêté du 27 messidor, tels J. Adélaïde, H. Bangou, L.-R. Abenon (v. supra notes 21 et s.). 69. V. supra notes 13 et 14, 21 et 24. 70. Lacour, t. III, p.∞∞∞354-355. V. aussi t. IV, p.∞∞∞4∞∞: «∞∞Richepance avait reconstitué l’esclavage∞∞». 71. V. en effet la proclamation de Delgrès du 10 mai dans laquelle il fait allusion à ceux qui ne veulent voir d’hommes noirs ou de couleur «∞∞que dans les fers de l’esclavage∞∞», et sa lettre à Bernier du 15 mai où il écrit préférer «∞∞mille fois la mort à l’esclavage∞∞» (citées dans La Rébellion de la Guadeloupe, op. cit., p.∞∞ 176 et 182. La proclamation du 10 mai est également reproduite dans Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises, op. cit., p.∞∞∞574-575). Notons cependant que Delgrès désolidarise Bonaparte des agissements de ses représentants locaux et semble même faire appel à lui pour y remédier. 72. Dès le 24 juillet, alors qu’il n’a pas encore connaissance de son arrêté du 28 messidor (17 juillet), Decrès écrit à Bonaparte que Richepanse «∞∞avait préparé votre arrêté [du 27 messidor] sur l’esclavage∞∞». Le 13 août, alors qu’il n’a sans doute toujours pas reçu son arrêté, Decrès écrit que Richepanse «∞∞qui a fait merveille, et remporté des succès bien audelà de ce qu’on espérait, a rétabli l’esclavage∞∞». Cité par R. Bélénus, «∞∞L’expédition Richepance∞∞: objectif, bilan∞∞», loc. cit. (v. supra note 18), p.∞∞∞79, à partir de la source CHAN AF IV 1190. – 45 – depuis Saint-Domingue par le général Leclerc ainsi que par les habitants de couleur de cette colonie, ce qui conduira d’ailleurs au grand soulèvement d’août-septembre 1802, prélude à la défaite française et à la perte définitive de la «∞∞perle des Antilles∞∞»73. Néanmoins, Frédéric Régent, qui a mené l’étude la plus fournie sur ce sujet74, se montre moins catégorique, de même que René Bélénus. Ces deux auteurs font en effet remarquer que certes l’arrêté de Richepanse rétablit l’esclavage de facto, ou en tout cas il entame ce processus, dont il constitue le «∞∞premier pas∞∞», de manière subtile et implicite, mais il ne le rétablit pas explicitement et officiellement, même s’il a pu être interprété comme tel à l’extérieur de la Colonie75. En effet, cet arrêté76, dont l’objectif principal est de mater définitivement la «∞∞rébellion∞∞» et de rétablir durablement l’ordre dans la colonie, a d’abord pour effet, spécialement à travers sa première disposition77, de rétablir ce que F. Régent appelle le «∞∞préjugé (ou la barrière) de couleur∞∞» mais ce qu’on pourrait nommer, plus juridiquement, l’ordre ségrégationniste et discriminatoire de l’ancien droit au détriment des hommes de 73. V. les différentes dépêches de Leclerc à Bonaparte présentées dans l’ouvrage de Th. Lentz et P. Branda précité (p.∞∞∞143 et s., 321 et s.), qui les tirent du recueil de P. Roussier (Lettres du général Leclerc… Paris, E. Leroux, 1937), ainsi que celle du 6 août 1802 adressée au ministre Decrès (citée dans La Rébellion de la Guadeloupe, op. cit., p.∞∞∞266), dans laquelle Leclerc écrit que «∞∞tous les noirs sont persuadés, par les lettres venues de France, par la loi qui rétablit la traite, par les arrêtés du général Richepanse qui rétablit l’esclavage à la Guadeloupe, qu’on veut les rendre esclaves, et je ne puis obtenir le désarmement que par des combats longs et opiniâtres. Ces hommes ne veulent pas se rendre∞∞». Il conclut en écrivant que s’il ne reçoit pas rapidement des troupes et des fonds, «∞∞On ne pourra plus réduire les Noirs par la force des armes∞∞», et dès lors «∞∞la propriété de Saint-Domingue sera bien exposée∞∞». V. aussi la lettre à Bonaparte du même jour et du même acabit dans ibid., p.∞∞∞306-308, et celle du 16 septembre suivant, not.∞∞: «∞∞aussitôt [après] l’arrivée de la nouvelle du rétablissement de l’esclavage à la Guadeloupe, l’insurrection, qui jusqu’alors n’avait été que partielle, est devenue générale∞∞» (p.∞∞∞309). On retrouve aussi ces lettres dans Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises, op. cit., p.∞∞∞565 et s. 74. F. Régent, «∞∞Le rétablissement de l’esclavage et du préjugé de couleur en Guadeloupe (1802-1803)∞∞», loc. cit. Outre les textes réglementaires locaux, l’auteur étudie aussi la pratique esclavagiste à travers les actes notariés. Il reprend ses développements dans ses ouvrages précités Esclavage, métissage liberté. La Révolution française en Guadeloupe, 1789-1802 (p.∞∞∞425 et s.) et La France et ses esclaves. De la colonisation aux abolitions (p.∞∞∞270 et s.) (v. supra note 19). 75. F. Régent, loc. cit., p.∞∞∞289-290∞∞; R. Bélénus, loc. cit., p.∞∞∞79, et dans son commentaire en dessous de l’arrêté du 28 messidor reproduit dans le recueil La Rébellion de la Guadeloupe, op. cit., p.∞∞∞224. 76. On peut en retrouver le texte intégral not. dans les recueils La Rébellion de la Guadeloupe (p.∞∞∞219 et s.) et Codes noirs (supra note 2, p.∞∞∞73 et s.) précités, ainsi que dans l’ouvrage Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises…, op. cit., p.∞∞∞568 et s., où il est mal daté cependant (v. supra note 13). F. Régent, loc. cit., p.∞∞∞289-290, ainsi que dans Esclavage, métissage, liberté, p.∞∞∞427-428, en fait un résumé détaillé. 77. L’art. 1er indique en effet que «∞∞jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné, le titre de citoyen français ne sera porté [dans la colonie] que par les Blancs. Aucun autre individu ne pourra prendre ce titre ni exercer les fonctions ou emplois qui y sont attachés […]∞∞». Les considérants de Richepanse avaient clairement annoncé cette mesure générale en rappelant que seuls les Blancs, qui ont amené des Noirs de l’étranger pour l’exploitation des colonies, «∞∞sont les indigènes de la nation française et doivent en exercer les prérogatives∞∞», ce qui exclut en principe les Noirs et hommes de couleur non seulement de la citoyenneté (et donc des droits politiques), mais de la nationalité (et donc des droits civils, tout au moins de l’égalité civile avec les Blancs). Dans Esclavage, métissage, liberté, F. Régent précise que le titre de citoyen disparaît des actes de l’état-civil dès la fin du mois de mai à Basse-Terre (p.∞∞∞425). – 46 – couleur libres78, au nom de leur rébellion. Ces derniers sont en effet exclus non seulement de l’armée, mais de la garde nationale, et par conséquent du droit de port d’armes, sous peine d’être jugés comme complices de la rébellion par la commission militaire (art. 1 et 2). La différence de traitement entre Blancs et hommes de couleur se retrouve ensuite affirmée tout au long de l’arrêté, spécialement au niveau pénal79. Mais l’arrêté dispose aussi, plus généralement, que tous les individus de couleur qui ne sont pas porteurs d’un «∞∞acte légal d’affranchissement de tout service particulier∞∞» doivent «∞∞retourner aux propriétés dont ils dépendaient avant la guerre∞∞», excepté ceux qui ont servi honorablement dans l’armée de ligne, sur lesquels Richepanse se prononcera individuellement (art. 4). Précisons que l’acte d’affranchissement que cet article évoque est personnel, ce qui signifie que tous les noirs et hommes de couleur qui ne doivent leur liberté qu’à l’application de la loi de 1794 ne sont pas considérés comme libres, en tout cas comme libres de circuler dans la colonie80. Ce retour sur les habitations ne se fait pas explicitement au nom du rétablissement de l’esclavage, mais au nom de la répression de la rébellion81. Cependant, c’est bien le rétablissement du régime servile qui est visé par l’arrêté, même si cela est fait de manière elliptique. D’une part, dès les considérants, Richepanse écrit que l’abolition de l’esclavage en 1794 et l’égalité civile et civique entre Blancs et hommes de couleur obtenue en 1791 et 1792 (évoquées allusivement à travers l’expression «∞∞les bienfaits accordés par la mère patrie∞∞» visant à «∞∞atténuer∞∞» les «∞∞principes essentiels∞∞» des colonies) «∞∞n’ont servi qu’à dénaturer tous les éléments de leur existence∞∞» et à conduire à l’insubordination puis à la rébellion contre les Blancs en général et les troupes de Richepanse en particulier. A l’instar des motifs de la loi du 30 floréal (20 mai) et surtout de ceux de l’arrêté consulaire du 27 messidor (16 juillet), le général en chef invoque les bienfaits du «∞∞régime domestique et paternel∞∞» auquel sont restées soumises les autres colonies, qui «∞∞offrent le tableau de l’aisance de toutes les classes d’hommes∞∞» y habitant, «∞∞en contraste avec le vagabondage, la paresse, la misère et tous les maux qui ont accablé cette colonie [de la Guadeloupe] et particulièrement les noirs livrés à eux-mêmes∞∞». Le tout justifiant, au nom de ce que la «∞∞justice nationale∞∞», «∞∞la politique∞∞» mais aussi «∞∞l’humanité∞∞» commandent, «∞∞le retour des vrais principes sur lesquels reposent la sécurité et le succès des établissements formés par les Français en cette colonie∞∞»82. 78. V. à ce sujet, dans le sillage de l’étude classique de Y. Debbash (Couleur et liberté. Le jeu du critère ethnique dans un ordre juridique esclavagiste. L’affranchi dans les possessions françaises dans la Caraïbe, Paris, Dalloz, 1967), J.-F. Niort, «∞∞Les libres de couleur dans la société coloniale, ou la ségrégation à l'œuvre∞∞», dans ce Bulletin, no∞∞∞131, 2002, pp.∞∞∞61-112, repris sous le titre «∞∞La condition des libres de couleur aux Antilles françaises (XVIIIe-XIXe siècles)∞∞: ressources et limites d'un système ségrégationniste∞∞» dans les Cahiers aixois d'histoire des droits de l'outre-mer français, no∞∞∞2, 2004, pp.∞∞∞61-119. 79. V. art. 4, 10, et 16. 80. De plus, la référence à la «∞∞guerre∞∞» peut s’interpréter non pas seulement comme celle de 1802 mais comme celle de 1794 contre les Anglais (v. aussi en ce sens les art. 8 et 9 ainsi que le premier considérant), ce qui fait remonter à une période où la loi de 1794 n’était pas encore appliquée dans la colonie. 81. V. not. l’art. 7, qui considère les contrevenants comme «∞∞complices de rébellion∞∞». 82. Comp. avec les considérants de l’arrêté consulaire du 27 messidor, supra, I, A. – 47 – D’autre part, dans les dispositions de l’arrêté, plusieurs mesures ou formules sont révélatrices. Si le texte n’emploie certes jamais le mot «∞∞esclave∞∞», au profit de diverses expressions∞∞: «∞∞individus dépendant des propriétés∞∞» (art. 4, 7 et 8)∞∞; «∞∞noirs parvenus en la possession∞∞» ou «∞∞au service∞∞» des propriétaires, locataires et autres particuliers (art. 17)∞∞; «∞∞individus attachés aux habitations∞∞» appelés aussi «∞∞cultivateurs∞∞» (art. 18), il fait plusieurs fois usage, par contre, de celui de «∞∞maître∞∞» (art. 7, 13, 15, 18) à titre de synonyme d’habitant, de propriétaire ou de locataire, ou même de simple possesseur d’esclave. De plus, l’article 12 redonne à chaque habitant-maître «∞∞la police particulière de son habitation∞∞», et l’autorise à infliger la peine du fouet (pudiquement évoquée dans l’article précédent, auquel le présent renvoie, par l’expression de «∞∞discipline correctionnelle sur la propriété∞∞»), ainsi que «∞∞la punition du cachot∞∞»83. Ce retour aux dispositions du «∞∞Code Noir∞∞» et à la justice domestique des maîtres84 se confirme dans l’article 18. Ce dernier abolit le «∞∞quart∞∞», c’està-dire le salaire des «∞∞cultivateurs∞∞» (sur les habitations) ou des «∞∞individus attachés aux manufactures∞∞» et le remplace par les obligations qui incombaient aux maîtres sous l’empire de la dernière version du «∞∞Code Noir∞∞» en vigueur en 1789∞∞: vêtement, nourriture, repos dominical, entretien de jardins viviers et d’un «∞∞hôpital particulier∞∞» sur l’habitation. Certes, comme le rappelle Frédéric Régent, «∞∞la disparition du salaire marque la fin d’une idée plus que d’une pratique rémunératrice∞∞» tant les salaires versés pendant la période de la liberté générale, quand ils l’étaient, se caractérisaient par leur modicité85, les «∞∞cultivateurs∞∞» devant le plus souvent pourvoir par eux-mêmes à leur propre subsistance. De plus, l’abolition du «∞∞quart∞∞» est justifiée dans l’article 18 en référence non pas à l’esclavage, mais au contraire en raison «∞∞des abus et infidélités qui existaient∞∞» en la matière au détriment des cultivateurs, ce qui justifiait qu’un «∞∞ordre de choses plus conforme à l’humanité∞∞» y soit substitué. Mais il s’agit précisément de la même «∞∞humanité∞∞» que celle qui a commandé «∞∞le retour des vrais principes∞∞» coloniaux évoqué dans les considérants (v. supra), en d’autres termes une «∞∞humanité∞∞» compatible avec un ordre social esclavagiste, avec un «∞∞gouvernement paternel et domestique∞∞» (v. également supra)86, qui autorise le droit de propriété sur autrui87. 83. La punition des chaines restant l’apanage de la justice publique, contrairement à ce qu’écrit F. Régent, loc. cit., p.∞∞∞289. 84. V. en ce sens l’excellente étude de C. Oudin-Bastide, «∞∞Pouvoir du maître et pouvoir judiciaire∞∞: opposition, collusion et confusion (Guadeloupe, Martinique, XVIIe-XIXe siècles)∞∞», Recherches haïtiano-antillaises, no∞ ∞4, Paris, L’Harmattan, 2006, pp.∞∞ 77-101, qui remarque judicieusement que dans le contexte colonial esclavagiste, «∞∞le pouvoir dominical [sic] était nécessairement conduit non à se soumettre, mais à se mesurer avec le pouvoir public∞∞». V. déjà en ce sens Y. Debbash, «∞∞Au cœur du «∞∞gouvernement des esclaves∞∞»∞∞: la souveraineté domestique aux Antilles françaises (XVIIe-XVIIIe siècles), Revue française d’histoire d’outre-mer, 1985, t. 72, no∞∞∞266, p.∞∞∞31-53. 85. F. Régent, loc. cit., p.∞∞∞290. 86. Dans la même logique il est demandé aux commissaires du Gouvernement et des quartiers, comme dans l’ancien droit, de surveiller, de proscrire et de punir «∞∞les abus et les excès∞∞» des maîtres (v. le dernier considérant et l’art. 12). 87. V. not. dans l’art. 13 à propos des «∞∞divagants∞∞» (appellation qui renvoie peu ou prou, dans le contexte, à celle de «∞∞marron∞∞»), où, comme sous l’ancien droit, le maître qui n’a pas déclaré – 48 – D’ailleurs, ainsi qu’on l’a vu plus haut, le ministre Decrès estime que le rétablissement de l’esclavage a été entamé avant même cet arrêté du 28 messidor (17 juillet), ce qui permet d’interpréter dans ce sens l’arrêté de Richepanse et de Lescallier du 8 prairial (28 mai) invitant la population à rentrer dans les habitations, sous les auspices et pour jouir des «∞∞bienfaits d’un gouvernement paternel et conservateur∞∞», ainsi que celui de Richepanse du 16 prairial (5 juin) encourageant la reprise des activités agricoles, et autorisant les propriétaires d’habitations dont les cultivateurs ont quitté le domaine ainsi que les habitants qui avaient à leur service personnel des hommes de couleur à venir les «∞∞réclamer∞∞» afin qu’ils leur soient «∞∞rendus∞∞»88. En définitive, on peut affirmer que les arrêtés de Richepanse depuis le mois de mai vont clairement dans le sens d’un rétablissement de l’ancien ordre colonial et de l’esclavage en particulier, mais qu’ils ne constituent que la première étape d’un processus. Un processus caractérisé par l’hypocrisie89, mais aussi par la prudence des autorités coloniales… La seconde étape du rétablissement progressif de l’ancien ordre colonial et spécialement de l’esclavage à la Guadeloupe est initiée par la pratique juridique, notamment notariale, dès l’été 1802, ainsi que l’a montré Frédéric Régent. Cette dernière se livre en effet à des ventes d’individus à l’intérieur de la colonie, sans toutefois que le terme «∞∞esclave∞∞» apparaisse dans les actes, du moins au début90. Les formules employées utilisent le terme de «∞∞désistement∞∞» en lieu et place de «∞∞vente∞∞»91. Même évolution dans les registres d’état-civil, où les individus sont désignés à travers leur «∞∞appartenance∞∞» à autrui92. A l’extérieur de la colonie, on assiste à des ventes massives d’individus noirs par des officiers de Richepanse, ainsi que Lescallier s’en plaint au ministre au mois d’août93. De plus, le 9 septembre, afin d’établir une «∞∞police régulière∞∞» et un «∞∞ordre convenable∞∞» dans la colonie «∞∞conformément aux intentions des son divagant risque la perte de l’indemnité compensant la perte de celui-ci, «∞∞et même de ses droits sur ledit individu∞∞», s’il est arrêté après 10 jours d’absence non déclarée. 88. Arrêtés reproduits dans La Rébellion de la Guadeloupe, p.∞∞∞190 et 215. Ce sont sans doute ces textes que Decrès a en tête lorsqu’il écrit à Bonaparte que Richepanse a rétabli l’esclavage (v. supra note 72). 89. Rappelons que Richepanse avait expressément garanti dans sa proclamation du 14 mai qu’il ne serait apporté «∞∞la plus légère atteinte∞∞» à «∞∞la liberté dont jouissent indistinctement les citoyens français∞∞», alors que la proclamation des trois magistrats du même jour stigmatisait les «∞∞chefs factieux∞∞» qui avaient entrainé des soldats de couleur et des cultivateurs dans la rébellion «∞∞en leur faisant accroire que les forces arrivées de France, que les magistrats de la République, venaient pour les mettre dans les fers∞∞» (v. La Rébellion de la Guadeloupe, p.∞∞∞176 et 181). 90. Sauf dans les actes du notaire Castel de Basse-Terre, du moins à partir de la mi-août. F. Régent (loc. cit., p.∞∞∞292-294) cite en effet un acte du 16 août où le terme «∞∞esclave∞∞» apparaît accompagné d’un prix (v. aussi dans Esclavage, métissage, liberté, p.∞∞∞429). Un autre acte du 19 août utilise le terme de «∞∞vente∞∞» pour la mulâtresse Thérèse vendue par la citoyenne Elisabeth veuve Orange. Mais certains notaires, tel Dupuch, ancien membre de la Société des Amis des Noirs et des Colonies, éviteront, au moins jusqu’à fin octobre 1802, d’utiliser ce terme, tout en validant quand même les actes de vente ou d’héritage en question. 91. F. Régent cite un acte du 18 juillet 1802 par lequel Chalvet, contre la somme de six mille cent livres reçue du libre de couleur Germain Alexis, se désiste en sa faveur et «∞∞comme propriété∞∞» de tous ses «∞∞droits et actions sur la personne et les services de la négresse Charlotte ensemble avec ses quatre enfants∞∞». 92. F. Régent, loc. cit., p.∞∞∞291. 93. Ibid., p.∞∞∞292, à partir de la source CAOM C7A 57 fol. 176, Lettre de Lescallier au ministre de la Marine et des Colonies du 8 fructidor an X (26 août 1802). – 49 – Consuls de la République∞∞», et «∞∞considérant que pendant treize années de Révolution, il n’a été suivi aucune des formes qui existaient anciennement pour constater et assurer l’état des personnes libres et leur affranchissement de toute servitude, esclavage ou domesticité et qu’il est résulté de cet oubli des règles anciennes une confusion d’individus qui ne sont pas suffisamment connus∞∞», le préfet colonial Lescallier prend un arrêté concernant l’état des personnes de couleur, exigeant de ceux qui jouissaient de la liberté avant 1789 de présenter à l’administration aux fins de vérification «∞∞leurs titres et patentes∞∞» de liberté ou les «∞∞preuves de leur état∞∞» (art. 1er), mais s’en prenant surtout à ceux qui prétendent à cette liberté depuis 1789. Non seulement ces derniers doivent également prouver leur état à l’administration, mais ils devront de plus s’acquitter d’une taxe qui pourra atteindre 1200 francs («∞∞argent de France∞∞») pour obtenir leur «∞∞patente d’affranchissement∞∞» (art. 2 et 4)94. Juridiquement parlant, on peut interpréter cette mesure réglementaire comme un retour total à l’ancien droit colonial en la matière, c’est-à-dire comme une abrogation des lois de 1791 et de 1792 sur les droits civils et politiques des libres de couleur, ainsi que l’annulation de toutes les patentes d’affranchissement délivrées entre 1789 et 1802 par les administrateurs de la colonie95. En d’autres termes, et dans le sillage de l’arrêté de Richepanse du 28 messidor, la liberté dorénavant ne sera accessible qu’à travers un acte d’affranchissement personnel émané d’un habitant ou de l’administration coloniale96, comme dans l’ancien droit, et tous les individus ayant été 94. Arrêté du préfet colonial Lescallier du 22 fructidor an X (9 septembre 1802), cité par F. Régent à partir de la source CAOM C7A 58 fol. 51. (Cote aux ADG∞∞: 5J59 et ss forme de microfilm∞∞: 1Mi 114). Dans Esclavage, métissage, liberté (p.∞∞∞425), l’auteur montre que cette mesure avait été anticipée par certains hommes de couleur qui s’étaient faits délivrer dès juillet 1802 des actes de notoriété devant notaire visant à reconnaître qu’ils étaient libres de naissance (donc avant 1789). 95. Lescallier se montrera particulièrement attaché au respect de la ségrégation de couleur, comme le révèle sa lettre du 22 octobre 1802 dans laquelle il se plaint à Lacrosse de la décision du général Ménard, commandant par intérim de l’armée de Guadeloupe, d’admettre dans la milice (appelée «∞∞Corps franc∞∞», instituée ce jour et destinée à combattre les rebelles et l’insécurité en Grande-Terre), aux côtés des Blancs (apparemment avec l’accord du Capitaine-général, et sans doute en raison du manque d’hommes valides), des noirs et hommes de couleur (fournis par les propriétaires) avec promesse de liberté en cas de bonne conduite (arrêté du 23 vendémiaire an XI (15 octobre 1802), reproduit dans La Rébellion de la Guadeloupe, p.∞∞∞283 et s.). Lescallier s’offusque en effet de cette mesure, autant en raison du risque de révolte de ces noirs armés que du risque d’augmentation de «∞∞cette race de gens de couleur libres qu’il faut au contraire restreindre dans ses trop grands accroissemens [sic]∞∞» (ibid., p.∞∞∞286-287). Assez curieusement cependant, Lescallier semblera critiquer plus tard la politique de Richepanse à ce sujet dans son rapport après son retour dans la Métropole, déplorant not. l’arrêté du 28 messidor ôtant la qualité de citoyens aux hommes de couleur (ibid., p.∞∞∞314). Mais ses propres arrêtés ou ceux qu’il a pris avec Lacrosse démontrent qu’il endossait pleinement ce retour à la ségrégation et à la discrimination de l’ancien droit colonial, et ses critiques semblent plutôt opportunistes ou motivées par une blessure d’orgueil∞∞: il reproche en effet not. à Richepanse la création (en juillet 1802) des commissaires de quartiers et surtout du commissaire supérieur, qui en devenait le responsable directement devant le général en chef, «∞∞sans aucune mention du préfet colonial, dont on distribuait ainsi l’une des plus essentielles attributions à un homme qui n’était en rien avoué ni connu du Gouvernement∞∞» (idem). 96. Ainsi par ex., dans le cadre de la répression de la révolte de Sainte-Anne, on retrouve dans La Rébellion de la Guadeloupe (p.∞∞∞296) un arrêté de Lacrosse et Lescallier du 12 décembre 1802 qui affranchit le nègre Pierre-François «∞∞en récompense de sa conduite exemplaire∞∞». – 50 – affranchis de façon personnelle sous la Révolution devront s’acquitter de la taxe prévue s’ils veulent pouvoir continuer à jouir de la liberté97. Indirectement, ce texte contredit aussi la loi d’abolition de février 1794, qui a rendu l’ensemble de la population de la colonie libre, puisque non seulement il exige un acte d’affranchissement individuel, mais il prévoit implicitement que les contrevenants aux dispositions de l’arrêté retomberont dans la servitude («∞∞renvoyés à la culture∞∞» sur les habitations) ou seront «∞∞réputés comme vagabonds et gens sans aveu∞∞» et poursuivis comme tels. En outre, par un autre texte du même jour, Lescallier réitère la disposition de l’article 17 de l’arrêté de Richepanse du 28 messidor, en ordonnant à tous les propriétaires de déclarer les noirs et hommes de couleur en leur possession provenant des prises des corsaires de la Guadeloupe pendant la liberté générale (le plus souvent des nègres de traite issus de vaisseaux capturés, identifiés comme «∞∞Africains∞∞» dans les textes). Ces derniers pourront les conserver à leur service sous réserve de leur rachat au Trésor public pour un prix forfaitaire de 1012 francs98. L’administration coloniale se livre donc dorénavant officiellement à des ventes d’êtres humains. A ce moment, la colonie est repassée sous le commandement de Lacrosse, qui a succédé à Richepanse, décédé (à 32 ans) le 3 septembre 1802. C’est durant ce même mois que Lacrosse reçoit l’arrêté consulaire du 27 messidor (16 juillet), mais il décide de ne pas le publier dans la colonie99. Le capitaine-général reste manifestement sur ses gardes, et redoute sans doute encore un soulèvement général, comme à SaintDomingue, surtout qu’il ne reste du corps expéditionnaire que 450 hommes valides100 et que nombre de «∞∞rebelles∞∞» sont encore «∞∞dans les bois∞∞». Cette situation préoccupe réellement Lacrosse, qui multiplie les mesures réglementaires aux fins d’éradication des derniers «∞∞rebelles∞∞»101. Mais si V. aussi p.∞∞∞297 et 290 l’évocation d’un autre arrêté affranchissant le nègre Gabriel, commandeur d’atelier, en raison de «∞∞la fidélité avec laquelle il servit les Blancs∞∞». 97. V. Lacour, t. III, p.∞∞∞366 et s., qui cite le texte de l’arrêté et qui rappelle, à juste titre, que même sous l’ancien droit une tentative de taxation administrative semblable avait été cassée par le Conseil du Roi. Il précise que cette somme était considérable, et poussa certains colons à cacher la patente originale en présentant l’individu comme leur esclave (p.∞∞∞370). Enfin, il indique que même les patentes d’avant 1789 furent soumises à une taxation de fait, un «∞∞droit de visa∞∞» qui varia de 40 à 80 francs (p.∞∞∞371). 98. F. Régent, loc. cit., p.∞∞∞292 (à partir de la source SHAT, B9-1 pour l’arrêté de Lescallier, qui est reproduit dans La Rébellion de la Guadeloupe, p.∞∞∞231). L’auteur précise qu’au moins 1323 Noirs seront vendus entre 1802 et 1803 à ce titre (sources citées∞∞: CAOM C7A 81, Procès-verbaux d’estimation des noirs appartenant à l’Etat, et C7A 61, fol. 145, Aperçu général du produit des ventes des noirs faites en l’an XI). 99. V. en effet sa dépêche au ministre Decrès du 1er vendémiaire an XI (23 septembre 1802), où il se félicite de l’arrêté consulaire du 27 messidor qu’il vient apparemment de recevoir, en écrivant que «∞∞la liberté, vrai apanage de l’homme civilisé, n’était pas faite pour les nègres des colonies françaises∞∞» et que ce don (de la liberté) s’est révélé «∞∞funeste∞∞» non seulement à la Métropole mais à ceux auxquels il fut accordé. Mais il précise que l’arrêté consulaire ne sera promulgué et exécuté qu’à l’arrivée des renforts annoncés par le ministre dans sa dépêche du 27 messidor (1200 hommes). Dans une dépêche du 30 frimaire (21 décembre), il écrit à nouveau qu’il attend l’arrivée des troupes promises. (Textes cités dans La Rébellion de la Guadeloupe, p.∞∞∞232 et 234). 100. Déjà Richepance demandait-il d’urgence des renforts militaires au ministre Decrès dans une dépêche du 18 août (30 thermidor an X), cité dans La rébellion de la Guadeloupe, p.∞∞∞226. 101. Outre l’arrêté du 21 fructidor an X (8 septembre 1802) instituant le corps de «∞∞chasseurs des bois∞∞» destiné à la «∞∞destruction des rebelles répandus dans les bois∞∞» et dont – 51 – le capitaine-général ne promulgue ni ne publie dans la colonie l’arrêté consulaire du 27 messidor, il prend soin d’expliquer au pouvoir central que le processus du rétablissement suit son cours. En septembre, recevant des exemplaires de la loi du 30 floréal (20 mai), il évoque «∞∞la situation actuelle de la colonie, où toutes les mesures prises ramènent avec rapidité vers les loix [sic] l’usage de 1789 relativement à l’esclavage∞∞», et qu’il sera «∞∞de suitte [sic] permis d’acheter et de vendre∞∞» des esclaves. En décembre, il écrit que quoique l’arrêté consulaire du 27 messidor ne soit pas encore «∞∞officiellement publié∞∞», «∞∞la colonie n’en éprouve pas moins l’effet depuis quelque tems [sic]∞∞», mais il reste prudent, expliquant que «∞∞ce retour progressif à l’ancien ordre de choses, étant moins sensible, présentera moins d’inconvéniens [sic] et moins d’obstacles quand il s’agira d’en faire une loi∞∞», ce qui révèle encore les craintes de Lacrosse à l’égard d’un soulèvement général de la population ou tout au moins d’un regain de résistance102. L’avant-dernière étape du processus de rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe s’opère à travers l’arrêté de Lacrosse et de Lescallier du 2 floréal an XI (22 avril 1803) sur la police rurale103. Le texte débute par un long considérant unique, dans lequel les auteurs, après avoir rappelé que l’agriculture est «∞∞la base la plus solide de la prospérité des États∞∞» et de leurs colonies en particulier, affirment que celles-ci ont subi des «∞∞dérangements successifs∞∞» depuis 1789, et que «∞∞des abus multipliés ont pris la place d’un ordre légal∞∞; que l’arbitraire et l’incertitude ont succédé à des règles déterminées∞∞», ce qui a eu pour résultat «∞∞la ruine des propriétaires, des plantations et la misère des noirs∞∞». Dès lors il convient, Lacrosse confie la direction au colon émigré royaliste de Vermont (reproduit dans La Rébellion de la Guadeloupe, p.∞∞∞229), v. l’arrêté du 18 septembre qui prescrit des appels nocturnes sur les habitations et vise à considérer les absents comme complices des rebelles, et celui du 13 octobre pris avec Lescallier instituant les «∞∞chaînes∞∞» de police et de «∞∞correction∞∞» et y affectant les divagants conformément à l’art. 11 de l’arrêté de Richepanse du 28 messidor (17 juillet) cités par F. Régent, loc. cit., p.∞∞∞293, à partir de la source C7A 58. 102. V. les dépêches précitées supra note 99 et celle du 7 octobre 1802 (15 vendémiaire an XI) évoquant le risque pour la tranquillité de la colonie non seulement des derniers «∞∞rebelles armés∞∞», mais de «∞∞l’opinion du dedans∞∞» de la colonie, spécialement du côté des négociants de Pointe-à-Pitre et de Basse-Terre, mécontents du retour de l’exclusif (v. dans La Rébellion de la Guadeloupe, p.∞∞∞280-281). Il faut aussi compter avec le sentiment d’insécurité provoqué par la révolte de Sainte-Anne, qui comptera d’ailleurs plusieurs Blancs dans ses rangs (v. ibid., p.∞∞ 288 et s.). Lacrosse acceptera même de traiter avec Palerme et Jacquet, chefs rebelles indomptables rescapés de la «∞∞guerre de la Guadeloupe∞∞», les laissant quitter la Guadeloupe en 1803 avec la vie sauve afin de préserver la colonie de la menace d’encouragement à la résistance contre le rétablissement de l’ordre ancien que représentaient ces personnages à l’égard de la population (v. R. Bélénus dans ibid., p.∞∞∞230 et dans Mai 1802. La guerre de la Guadeloupe, op. cit., p.∞∞∞67∞∞; R. Anduse, op. cit., p.∞∞∞239 et s. et 289). V. aussi une lettre du général Ménard au commissaire de la Basse-Terre du 27 novembre 1802 (citée par Lacour, III, p.∞∞∞372-373) évoquant les réticences des habitants à dénoncer aux autorités les nègres et hommes de couleur ayant servi dans l’armée coloniale, réticences «∞∞funestes au rétablissement de la police dans les ateliers et d’une parfaite tranquillité dans la colonie∞∞». 103. Le document, plus long et plus détaillé que l’arrêté de Richepanse du 28 messidor, est composé de 7 «∞∞titres∞∞» répartis sur 8 pages. V. dans la série C7A 59 (cote aux ADG∞∞: 5J 60 et ss forme de microfilm∞∞: 1Mi 8), ainsi que dans le Recueil des actes administratifs du Gouvernement de la Guadeloupe, série 1803 (réf. CAOM∞∞: BIB/AOM/50010, cote aux ADG ss forme de microfilm∞∞: 1Mi 366 R3). F. Régent, loc. cit., p.∞∞ 292, résume les principales mesures instaurées par ce texte mais l’impute toutefois à Lacrosse seul (de même que dans ses ouvrages précités Esclavage, métissage, liberté, p.∞∞∞431, et La France et ses esclaves, p.∞∞∞273), ce qui n’est pas exact. – 52 – «∞∞en exécution des intentions bienfaisantes du Gouvernement consulaire∞∞», de «∞∞conserver tout ce que l’ancien ordre colonial avait de bon et d’utile, perfectionné de toutes les améliorations que l’expérience et le temps ont fait connaître comme avantageuses∞∞». Par conséquent, le dispositif de l’arrêté s’ouvre (dans l’article unique du titre premier) sur les mots suivants∞∞: «∞∞Le régime qui existait avant 1789 fait la base des principes qui doivent être suivis dans les Colonies pour la gestion des habitations et la police rurale∞∞». La suite de l’arrêté constitue un véritable petit «∞∞Code Noir∞∞» local, qui reprend, en les développant, en les modifiant et en les «∞∞modernisant∞∞» sur certains points, les dispositions de l’arrêté de Richepanse du 28 messidor, et plus largement de l’ancien droit, sur la «∞∞nourriture, l’habillement et le traitement des Nègres∞∞»104, ainsi que d’autres matières, telles que «∞∞les délits, les peines et les récompenses∞∞»105. Même s’il n’y est pas majoritaire, le mot «∞∞esclave∞∞» est bien présent dans le texte de cet arrêté, contrairement à ce que laisse entendre Frédéric Régent. Nous y avons compté en effet au moins trois occurrences∞∞: – dès l’article II du titre II, qui dispose que le journal de l’habitation que doit tenir chaque économe si le propriétaire est absent devra mentionner notamment, comme dans l’ancien droit, les naissances, décès, acquisitions et ventes «∞∞des esclaves noirs et autres individus demeurant sur l’habitation∞∞» – dans l’article V du titre VI, qui prévoit que «∞∞La Jurisprudence civile et criminelle relative aux nègres et esclaves sera maintenue d’ailleurs telle qu’elle est établie par l’édit du mois de mars 1685∞∞»106 – et enfin dans l’article VII du même titre, qui évoque les vols faits par les «∞∞noirs esclaves∞∞»… Ainsi, neuf mois après les arrêtés du 27 et du 28 messidor an X (16 et 17 juillet 1802), les autorités locales se mettent enfin à utiliser officiellement le terme d’«∞∞esclave∞∞», si chargé de symbolique réactionnaire, alors même que Lacrosse n’a toujours pas publié la mesure consulaire sur laquelle se fonde ce retour à l’ancien droit colonial (et qui n’avait d’ailleurs pas employé le terme d’ «∞∞esclave∞∞» – v. supra, I)… 104. V. le titre IV, composé de 13 articles, dont le dernier recommande «∞∞très-particulièrement∞∞» les douze précédents «∞∞à l’attention et à l’humanité des commissaires de quartier, qui en cas de non-exécution en rendront compte au Gouvernement∞∞». 105. V. le titre VI, composé de 10 articles, not. interdisant aux Nègres le port de couteaux et de bâtons, de s’attrouper dans «∞∞les grands chemins ou lieux écartés∞∞» (art. I), de ne rien vendre sans billet des propriétaires ou des économes (art. III), etc…, mais aussi ordonnant à ces derniers de permettre aux noirs «∞∞de danser les samedis et dimanches∞∞» en y admettant les noirs des ateliers voisins (art. II), et en prévoyant une récompense spéciale du Trésor public pour les négresses mères de six enfants au moins, qui seront par ailleurs dispensées des travaux pénibles et de toutes veillées (art. X). 106. Sous quelques exceptions cependant, dont celle indiquée dans le texte de cet article et détaillée dans l’art. suivant, modifiant l’art. 38 de l’édit de 1685 relatif à la punition du marronnage (qui est adoucie, not. à travers la disparition de la peine de mort). – 53 – B. Le gouvernorat d’Ernouf ou la consécration de la réaction coloniale Cette publication constituera la dernière étape du processus du rétablissement de l’ancien ordre colonial à la Guadeloupe. Ainsi que Frédéric Régent et René Bélénus le précisent, à la suite d’Auguste Lacour, il faut en effet attendre l’arrivée du gouverneur Ernouf pour que l’esclavage soit «∞∞clairement et juridiquement rétabli∞∞» en Guadeloupe107, à travers la promulgation et la publication officielles dans la colonie de l’arrêté consulaire du 27 messidor. Lacour écrit que le nouveau gouverneur «∞∞crut nécessaire de faire précéder cette publication par une proclamation∞∞», datée du 14 mai 1803, qu’il cite in extenso. Ernouf y affirme notamment que c’est à l’Angleterre (implicitement évoquée) que l’on doit l’abolition de 1794, à travers la corruption de la Société des Jacobins puis la «∞∞séduction∞∞» de l’Assemblée nationale (la Convention en l’occurrence) par «∞∞les apparences∞∞» ainsi que de «∞∞fausses idées de philanthropie∞∞». On retrouve également dans sa proclamation l’argumentaire qui a justifié l’arrêté consulaire du 27 messidor, à savoir la preuve à la fois fondamentale et expérimentale de l’inaptitude des Noirs à la liberté108. Ernouf invoque en effet la «∞∞fatale expérience∞∞» de la liberté, «∞∞indiscrètement accordée à des êtres sans civilisation, sans principes et sans patrie∞∞», en l’occurrence l’expérience de «∞∞la révolte la plus affreuse et la plus sanglante∞∞» qui conduisit à la «∞∞perte de nos colonies et de ces mêmes noirs que [la loi d’abolition] croyait favoriser∞∞»109. Si ce document semble absent des Archives, on y trouve par contre la circulaire, non pas d’Ernouf110 mais du préfet colonial Lescallier, datée du 6 prairial an XI (26 mai 1803)111, adressée aux commissaires des quartiers, et qui diffuse l’arrêté du 27 messidor dans une forme plus régulière que celle, manuscrite et raturée, conservée au CHAN à Paris112. En exergue de sa circulaire, Lescallier rappelle que l’arrêté consulaire du 27 messidor, «∞∞qui remet les choses à l’instar des autres colonies et au taux [sic] qui existait en 1789∞∞» a été promulgué par Ernouf il y a 12 jours 107. Selon la formule de R. Bélénus, «∞∞L’expédition Richepance∞∞: objectif, bilan∞∞», loc. cit., p.∞∞ 79. F. Régent, loc. cit., p.∞∞ 295-296, emploie les formules de «∞∞rétablissement légal∞∞» ou «∞∞officiel∞∞» de l’esclavage. 108. V. supra, I, A. 109. Cité par Lacour, t. IV, p.∞∞∞4-5, qui précise que l’abolition de l’esclavage n’avait pas provoqué de tels ravages à la Guadeloupe, et que la révolte de 1801-1802, bien au contraire, avait été provoquée par la crainte des mulâtres et des nègres, qui était d’ailleurs fondée, de «∞∞retourner vers le passé∞∞» et de voir «∞∞proscrire le nom même de liberté∞∞». Emblématiquement, Pointe-à-Pitre perd en octobre 1802 le nouveau nom de «∞∞Port-de-la-liberté∞∞» qu’elle avait acquis sous la Révolution. 110. Contrairement à ce qu’écrit F. Régent, loc. cit., p.∞∞∞295 (v. aussi dans Esclavage, métissage, liberté, op. cit., p.∞∞∞432, et La France et ses esclaves, op. cit., p.∞∞∞273). 111. Document contenu dans la série CAOM C7A 59 (cote aux ADG sur support papier∞∞: 5J 60 et sur microfilm∞∞: 1Mi 8). Ce document ne se trouve pas par contre dans le Recueil des actes administratifs du Gouvernement de la Guadeloupe précité. 112. V. supra note 35. Il s’agit en effet d’une version imprimée cette fois-ci, extraite des «∞∞Registres des Délibérations des Consuls de la République∞∞», légèrement différente du manuscrit. Les défauts et ratures de la version manuscrite ont été corrigés, et le document contient les visas et «∞∞copies conformes∞∞» du secrétaire d’État (Hugues Maret), du ministre Decrès et du préfet Lescallier. C’est sans doute cette version dont Lacour a eu connaissance (v. en annexe du présent article). Notons qu’il ne s’agit pas d’une véritable «∞∞publication∞∞» locale (au sens juridique conditionnant l’entrée en vigueur), car la circulaire n’est adressée qu’aux commissaires de quartier et non à l’ensemble de la population. – 54 – et que sa proclamation «∞∞doit vous être déjà parvenue∞∞». Mais il précise, comme Lacrosse l’avait fait au ministre, que cet arrêté ne fait que confirmer un «∞∞principe établi∞∞» et une «∞∞marche suivie∞∞» dans les divers règlements qui ont été émis par les autorités coloniales «∞∞relativement aux Gens de couleur et aux Noirs∞∞»113, et tout spécialement dans l’arrêté sur la police rurale du 22 avril 1803, dont Lescallier prend la peine de citer en entier l’article 1er du titre I (v. supra), un «∞∞article essentiel∞∞» présenté comme un principe général par le préfet colonial. S’ensuit un éloge des colons royalistes émigrés qui sont rentrés dans la colonie et auxquels Lescallier s’adresse par le biais des commissaires, afin de leur demander leur totale coopération dans la politique de maintien de la «∞∞tranquillité générale∞∞». A cette fin, il rappelle que «∞∞c’est en se montrant à la fois vigilants contre les nègres révoltés, et bienfaisants envers les nègres paisibles∞∞», qu’ils seconderont au mieux l’action des administrateurs de la colonie, et qu’ils mériteront la «∞∞sollicitude∞∞» des Consuls, car «∞∞le plus sûr moyen de ramener les noirs à l’ordre et à la soumission est de leur faire trouver dans le travail tout le bien-être que leur condition peut comporter, et qu’ils ont vainement recherché dans le brigandage∞∞». Dans le même esprit, Lescallier écrit ensuite aux commissaires de quartier, de manière emblématique, que∞∞: «∞∞Je sais depuis longtemps que les Colons de la Guadeloupe ont toujours été remarqués par la douceur de leurs mœurs et leur caractère∞∞; que toujours ils ont adouci la sévérité qu’exige une exacte discipline dans le régime colonial, par tous les bons traitements possibles et par leur bienfaisante humanité114. Ils éprouvent aujourd’hui, et j’observe avec satisfaction, les résultats heureux de ces bonnes dispositions∞∞; j’engage les Habitants à suivre constamment cette même marche, les règles établies dans le Code noir et dans l’Arrêté de police rurale, dont l’exécution est recommandée à votre surveillance. Vous devez me faire connaître les Habitants qui se distinguent dans la bonne et franche exécution de ces vues, et ceux aussi qui par des traitements durs et rigoureux sans nécessité [s’en écarteraient et donc] altèreraient le bon esprit qui règne en général parmi les cultivateurs et les noirs, et pourraient [ainsi] compromettre la tranquillité générale [de la colonie]∞∞»115. Enfin, Lescallier précise que l’arrêté consulaire du 27 messidor «∞∞ne doit se prendre à la lettre que pour ce qui regarde l’état des gens de couleur 113. Lescallier fait directement allusion à ses arrêtés du 9 septembre 1802 et à ceux de Richepanse et de Lacrosse précités, not. à propos de la «∞∞subordination généralisée∞∞», de la «∞∞rentrée (des noirs) sur leurs habitations respectives∞∞», et de «∞∞la restitution à leurs maîtres des cultivateurs et domestiques divagants∞∞». 114. On retrouve ici l’«∞∞humanité∞∞» compatible avec l’esclavage (v. supra), certes à l’opposé de celle qu’invoquait Delgrès dans sa proclamation du 10 mai (v. supra note 71)∞∞: «∞∞Notre cause […] est celle de la justice et de l’humanité∞∞». 115. Ainsi qu’on le voit, cette circulaire trahit encore les craintes des autorités coloniales à l’égard d’un regain éventuel de résistance et de désordre dans la colonie (v. supra note 102). Ces craintes s’expriment également dans la proclamation de Lacrosse à l’armée du 28 germinal an XI (18 avril 1803), dans la circulaire du commissaire à la Justice Bertolio (v. infra) du 14 thermidor an XI (2 août 1803) sur les hommes de couleur, qui réitère les dispositions de l’arrêté de Lescallier du 9 septembre 1802 (v. supra) et évoque des «∞∞agents de révolte∞∞» not. «∞∞infiltrés de l’étranger∞∞». V. encore la proclamation d’Ernouf aux habitants de la Guadeloupe du 19 frimaire an XII (11 décembre 1803), qui évoque cette fois-ci la menace anglaise. (Documents contenus dans le Recueil des actes administratifs du Gouvernement de la Guadeloupe, série 1803, cité supra note 103). – 55 – et des noirs libres ou esclaves∞∞», ainsi que pour «∞∞le régime des cultures et le Code rural∞∞». Ce retour à l’ancien droit ne concerne pas, en effet, les droits des Blancs, qui peuvent bénéficier des réformes opérées depuis 1789 «∞∞quoique différentes de l’ancien régime∞∞». En d’autres termes, ces formules signifient que les acquis de la Révolution, évoqués par la proclamation présentant la constitution de l’an VIII au peuple français116 ne concernent que les Blancs… En guise d’épilogue, ou de toute dernière étape du rétablissement de l’ancien ordre colonial et spécialement de l’esclavage au détriment des noirs et hommes de couleur en Guadeloupe, il faut mentionner l’arrêté local des trois magistrats du 7 brumaire an XIV (29 octobre 1805) rendant applicable dans la colonie, à la demande du Gouvernement consulaire, le Code civil des Français, adopté et entré en vigueur l’année précédente en métropole117. C’est le commissaire à la Justice Bertolio (arrivé dans la colonie en janvier 1803) qui est chargé de procéder à cette «∞∞adaptation coloniale∞∞» du Code civil118, et il présente son travail, au nom des trois magistrats, devant la Cour d’appel de Basse-Terre le 11 octobre 1805 (19 vendémiaire an XIV)119. Son discours, suivi de l’arrêté des trois magistrats120 prescrivant l’entrée en vigueur du Code le 18 brumaire (9 novembre), date anniversaire du coup d’État de l’an VIII, poursuit l’esprit général des textes réglementaires antérieurs depuis 1802, en déclarant que l’application du Code à la Guadeloupe «∞∞ne doit nuire en rien au régime colonial proprement dit, tel qu’il existait en 1789, et qu’il a été remis en vigueur depuis l’an XI∞∞»121. Ce dernier repose sur la distinction des trois classes d’hommes qui habitent la colonie∞∞: «∞∞les Blancs, les hommes de couleur affranchis, et les hommes de couleur esclaves122. Cette distinction fondamentale est établie par des lois, par des règlements et des usages qui 116. Cf. supra note 52 au texte. 117. Sur l’esprit du Code civil de 1804, lui-même déjà réactionnaire vis-à-vis de l’héritage révolutionnaire, v. not. J.-F. Niort, Homo civilis. Contribution à l’histoire du Code civil français, PUAM, 2004, t. I∞∞; «∞∞Retour sur l’esprit du Code civil des Français∞∞», Revue d'histoire des facultés de droit et de la science juridique, no∞∞∞27, 2007, p.∞∞∞507-558∞∞; ainsi que la contribution évoquée infra note 131. 118. Lacrosse et Bertolio avaient déjà réglé provisoirement cette question des lois civiles dans la colonie à travers un arrêté du 11 germinal an XI (1er avril 1803), qu’on retrouve dans le Recueil des actes administratifs du Gouvernement de la Guadeloupe (série de 1802-1803 précitée). 119. Résultat des délibérations des trois magistrats de la Guadeloupe et dépendances sur la publication et le mode d’exécution du Code civil des Français dans la colonie… etc., extrait du Recueil des actes administratifs du Gouvernement de la Guadeloupe, op. cit., série de 1805 à 1809 (1 Mi 366 R 6). Il s’agit plus précisément du doc. 4 de ce Recueil, composé de 30 pages, numérotées de 1 à 30. Cf. A. Lacour, IV, p.∞∞∞65 et s., qui présente bien le contexte et les modalités de l’application du Code civil à la Guadeloupe et qui cite à cette occasion des extraits du discours de Bertolio. 120. Le rédacteur du document d’archive précité a commis une erreur de datation dans l’utilisation du calendrier révolutionnaire, comme cela arrivait à l’époque∞∞: il a en effet daté l’arrêté du 29 octobre 1806, se trompant d’une année (cf. pp.∞∞∞1 et 30). 121. On reste ici perplexe face à cette datation (an XI)∞∞: soit une erreur de Bertolio lui-même, car les arrêtés de Bonaparte du 27 messidor (16 juillet) et du général Richepanse du 28 (17 juillet) sont de l’an X (l’an XI ne commence que fin septembre 1802)∞∞; soit Bertolio date le rétablissement à partir de la promulgation de l’arrêté du 27 messidor par Ernouf, en mai 1803, ce qui se situe en effet en l’an XI. 122. Nous remarquons au passage que Bertolio semble abandonner la terminologie la plus courante depuis la Révolution, qui réservait l’expression «∞∞hommes de couleur∞∞» aux libres – 56 – ont acquis force de loi. Ces lois, ces règlements et ces usages seront scrupuleusement observés∞∞». L’organisation sociale coloniale est donc nettement divisée et hiérarchisée∞∞: «∞∞rien ne dérangera la ligne de démarcation∞∞» qui sépare les trois classes, insiste Bertolio. Évidemment, et comme l’avait déjà institué l’arrêté de Richepanse du 28 messidor an X (v. supra), la classe des Blancs est «∞∞la seule qui forme politiquement et civilement la Colonie∞∞». Le Code civil va leur être appliqué, mais avec toutes les réserves dues à la sauvegarde du régime colonial, et notamment la préservation «∞∞des droits et privilèges∞∞» dont cette classe jouit «∞∞depuis qu’elle a mis en valeur et qu’elle cultive le sol fertile de la Guadeloupe∞∞». L’intérêt colonial, qui consiste à privilégier cette classe «∞∞précieuse à la prospérité de l’économie nationale∞∞», est en effet si prégnant qu’il l’emporte sur les principes d’égalité juridique et d’uniformité législative en vigueur dans la métropole, et conduit, comme sous l’Ancien Régime, à un droit local spécifique. En effet, certaines parties du Code civil sont déclarées inapplicables à la Guadeloupe par les trois magistrats, essentiellement pour protéger l’ordre économique local. Les titres du Code relatifs aux hypothèques (art. 376 et s.), à l’expropriation forcée (art. 404 et s.) sont ajournés, afin de préserver les «∞∞règlements et usages locaux∞∞», plus favorables aux colons. De son côté, la vente des biens immeubles reste régie par des dispositions de l’ancien droit, et notamment deux déclarations royales du 24 août 1726 sur les «∞∞déguerpissements∞∞», abandons volontaires de biens, et sur les partages et licitations. La spécificité coloniale, le caractère dérogatoire du droit appliqué outre-mer, joue ici en faveur des colons. Mais inversement, ce caractère dérogatoire va être utilisé au détriment des autres classes de la société coloniale. Le Code civil s’appliquera cependant aux libres de couleur123, mais seulement entre eux et pas entre eux et les Blancs. Plus particulièrement, le mariage entre un blanc et un libre de couleur, la reconnaissance d’un enfant de couleur par un blanc, de même que l’adoption, la tutelle, sont prohibés dans les mêmes cas, ainsi que la donation et le testament au bénéfice d’un libre de couleur. On est ici face à un véritable régime de séparation, d’apartheid124, non seulement juridique, mais social, et économique∞∞: Lacour explique en effet que ces discriminations n’avaient pas et tendait à associer le terme de «∞∞Noir∞∞» à l’esclave. La lecture des textes réglementaires précités depuis 1802 révèle cependant une certaine confusion terminologique sur ce point… 123. Contrairement à ce qu’écrit L.-R. Abenon dans sa Petite histoire de la Guadeloupe, op. cit. (v. supra note 23), pp.∞∞∞99-100, bien qu’il renvoie pourtant à l’analyse de Lacour (t. IV, pp.∞∞∞65-66), qui, elle, est correcte. 124. L’interdiction des mariages interraciaux, en vigueur depuis 1802 à la Guadeloupe, est d’ailleurs étendue à la Métropole par une circulaire du ministre de la Justice du 18 nivôse an XI (8 janvier 1803) aux préfets, maires et adjoints. Cette mesure complète le dispositif juridique mis en place par l’arrêté consulaire du 13 messidor an X (2 juillet 1802) portant défense aux noirs, mulâtres et autres gens de couleur d’entrer sans autorisation des magistrats des colonies sur le territoire continental de la République, sous peine de détention et de déportation., rétablissant ainsi une mesure instituée sous l’Ancien Régime (par une déclaration de 1777). L’interdiction des mariages sera néanmoins combattue par la jurisprudence (v. A. A. Carette, Lois annotées.., op. cit., p.∞∞∞605 et 616). La mesure du 13 messidor an X est reproduite dans Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises, op. cit., p.∞∞∞564. V. aussi F. Régent, dans Esclavage, métissage, liberté, p.∞∞∞427, et dans La France et ses esclaves, p.∞∞∞271, qui évoque en outre (à partir de la source CAOM C7A 58) d’autres mesures frappant les noirs et gens de couleur libres de la colonie∞∞: un arrêté de Lacrosse du 4 vendémiaire an XI (26 septembre 1802) limitant (en application de celui du 13 messidor) les entrées et sorties dans la colonie, un arrêté de Lacrosse et Lescallier du 21 vendémiaire – 57 – seulement pour objectif de séparer les deux classes, mais de maintenir celle des libres de couleur dans une infériorité économique, «∞∞de faire obstacle à ce que les gens de couleur acquissent une trop grande fortune∞∞». De même, l’interdiction des liens de filiation permettait à l’administration d’avoir «∞∞plus de chances de poser la main sur les biens des hommes de couleur qui décédaient sans avoir fait de dispositions testamentaires∞∞»125. Quant aux esclaves, Bertolio indique qu’ils continueront évidemment «∞∞à être régis par les anciennes lois coloniales actuellement en vigueur∞∞» (depuis 1802), et spécialement «∞∞l’édit de 1685, appelé vulgairement Code noir, modifié par les règlements subséquents et par des usages constants (…) [qui] seront maintenus et mis de plus fort à exécution∞∞»126. Les esclaves ne sont donc pas du tout concernés par le Code civil127∞ ; ils devront en effet attendre l’abolition de 1848 pour que ce dernier leur soit applicable… et notamment l’état civil de droit commun, à travers les articles 34 et suivants du Code civil128. C’est le caractère fondamentalement réactionnaire de la politique du régime napoléonien (au regard de l’héritage révolutionnaire) à l’égard des noirs et hommes de couleur qui se trouve confirmé ici, spécialement à travers la difficile et improbable coexistence aux colonies, à partir de 1805129 et jusqu’en 1848, du Code noir et du Code civil des Français, de l’ancien droit colonial et du droit français nouveau, issu (mais en partie seulement) des principes de la Révolution française130. Cette coexistence an XI (13 octobre 1802) instituant une «∞∞carte de sûreté∞∞» pour circuler, et enfin un autre arrêté du 23 brumaire an XI (14 novembre 1802) rétablissant une taxe per capita déjà en vigueur sous l’Ancien Régime. 125. Cf. A. Lacour, t. IV, p.∞∞∞66, qui précise que Kerverseau, le successeur de Lescallier, «∞∞fit revivre en leur donnant une plus grande extension∞∞» les arrêtés de son prédécesseur dans un nouveau règlement du 11 novembre 1805, qui visait cette fois-ci également les maîtres euxmêmes∞∞: tout blanc portant sur son dénombrement un libre de couleur «∞∞non patenté∞∞» risquait d’être considéré comme «∞∞receleur d’esclave∞∞» et condamné à une amende de deux cents gourdes (mille francs environ)∞∞; quant au libre lui-même, il subissait une amende double, et en cas d’insolvabilité, était déchu de sa liberté et «∞∞vendu comme épave au profit du Domaine impérial∞∞». Ces sanctions pécuniaires constituaient d’ailleurs encore un autre moyen de remplir les caisses de l’administration coloniale. 126. Bertolio précise quand même, à la suite de la circulaire de Lescallier, que «∞∞les lois de l’humanité, antérieures à l’esclavage et que rien ne peut abolir∞∞», ainsi que «∞∞celles qui dictent aux propriétaires un intérêt bien entendu∞∞», devront être suivies dans la colonie, et que tout transgresseur se verrait infliger «∞∞de justes châtiments∞∞», ainsi que «∞∞l’animadversion prononcée de toutes les âmes honnêtes et sensibles∞∞». On retrouve encore ici cette «∞∞humanité∞∞» compatible avec l’esclavage (v. supra). Sur cette question, v. J.-F. Niort, «∞∞Le problème de l’humanité de l’esclave dans le Code Noir et la législation postérieure∞∞: pour une approche nouvelle∞∞», à paraître dans les Cahiers aixois d’histoire des droits de l’outre-mer français, no∞∞∞4, 2008. 127. Cette exclusion était déjà acquise depuis 1802, et l’arrêté de Lacrosse et Bertolio sur les lois civiles du 11 germinal an XI précité évoquait ouvertement, à l’égard des «∞∞noirs∞∞», «∞∞le Code noir de 1685∞∞» et «∞∞les lois d’avant 1789∞∞». 128. F. Régent, loc. cit., p.∞∞∞295, rappelle toutefois que cette exclusion de l’état civil était en vigueur dans la colonie depuis un arrêté local du 30 fructidor an XI (17 septembre 1803), qui avait rétabli les registres d’esclaves de l’Ancien Régime, et que ce règlement avait été anticipé dans la pratique depuis au moins février 1803 dans le registre des naissance de BasseTerre. Il conclut qu’avec cette mesure, «∞∞toute trace de l’œuvre de la Révolution est désormais effacée pour la population servile∞∞». 129. V. les actes du colloque organisé par le CAGI-GREHDIOM en 2005 à l’occasion du bicentenaire de l’application du Code civil à la Guadeloupe, dans ce Bulletin, no∞∞∞146-147, janvier-août 2007, et publiés dans une version plus complète dans l’ouvrage cité note 131. 130. Le Code civil de 1804 se révèle réactionnaire par rapport aux lois civiles révolutionnaires – surtout en matière de droit de la famille, où s’opère un retour vers le modèle de l’ancien – 58 – exprime d’ailleurs parfaitement le caractère «∞∞colonial∞∞» – en tant que régime d’exception exorbitant du droit commun – dans lequel les possessions françaises d’outre-mer étaient retombées depuis le Consulat131. Cependant, il reste clair que même après la promulgation et la publication officielles en Guadeloupe de l’arrêté consulaire du 27 messidor, le rétablissement de l’esclavage (ainsi que la ségrégation et la discrimination envers les hommes de couleur libres) y reste fondé sur une légalité douteuse. En effet, et à la différence des colonies visées par la loi du 30 floréal, la Guadeloupe reste régie par un simple arrêté consulaire, non publié au niveau national et dont la compétence juridique n’est pas conforme à la Constitution, ainsi que nous l’avons rappelé plus haut132. C’est ici que le raisonnement juridique de Lacour, qui avait certes conscience qu’il fallait un «∞∞acte législatif∞∞» pour abroger la loi de 1794, nous paraît insuffisant∞∞: il semble en effet se contenter finalement de la mesure pourtant non législative du 27 messidor à cet égard, alors qu’il avait noté auparavant qu’il s’agissait d’un «∞∞simple arrêté consulaire∞∞»133. * * * Ainsi, répétons-le, même après la promulgation et la publication officielles par les autorités locales de l’arrêté du 27 messidor dans la colonie, on peut affirmer que d’un point de vue de théorie juridique, le rétablissement de l’esclavage, et plus généralement de l’ancien ordre ségrégationniste et discriminatoire à la Guadeloupe est resté fondé, pendant 46 ans, sur une légalité bien plus contestable que celle de la loi du 30 floréal an X (20 mai 1802)134. Plus généralement, c’est l’ensemble des mesures réglementaires prises par le gouvernement consulaire à l’égard des Colonies, et en tout cas celle droit –, mais les principes de liberté et d’égalité civiles sont globalement maintenus dans la société française. (V. supra note 117). 131. V. supra notes 51 et 60, ainsi que plus largement Du Code noir au Code civil. Jalons pour l’histoire du Droit en Guadeloupe. Perspectives comparées avec la Martinique, la Guyane et la République d’Haïti, Actes du colloque de Pointe-à-Pitre des 1er-3 décembre 2005, dir. J.-F. Niort, Paris, L’Harmattan, 2007, spéc. J.-F. Niort, «∞∞Le Code civil ou la réaction à l’œuvre en Métropole et aux Colonies∞∞», p.∞∞∞59 et s. Pour la période de la Restauration et de la Monarchie de Juillet, v. la contribution de J. Richard, «∞∞Le statut juridique de l’esclave aux Antilles sous l’empire du Code civil (1805-1848)∞∞: d’un effort de «∞∞civilisation∞∞» à la réticence du parti colon∞∞», p.∞∞∞107 et s. 132. V. supra I, B. Ajoutons que d’autres arrêtés consulaires touchant la Guadeloupe seront bien publiés au Bulletin des lois, à la différence de celui du 27 messidor, tel celui du 16 fructidor an X (3 septembre 1802) relatif aux fermes d’habitations, maisons et magasins à SaintDomingue et à la Guadeloupe et qui ordonne la résiliation des baux d’habitations adjugés sous la Révolution (reproduit dans le Recueil des actes administratifs du Gouvernement de la Guadeloupe), lui aussi extrait du «∞∞Registre des Délibérations des Consuls de la République∞∞» (v. supra note 112), et publié dans le Bulletin no∞∞∞219 du 4 Brumaire an XI (26 octobre 1802) (cote ADG∞∞: 1 K 21). 133. Comp. en effet la p.∞∞∞354 du t. III et la p.∞∞∞4 du t. IV, et v. supra note 57. 134. La promulgation de l’arrêté du 27 messidor par Ernouf et sa «∞∞publication∞∞» (d’ailleurs incomplète sur le plan juridique, v. supra note 112) par la circulaire de Lescallier du 26 mai sont d’ailleurs absentes du Recueil des actes administratifs du Gouvernement de la Guadeloupe précité, ce qui n’est sans doute pas anodin, et constitue un indice supplémentaire de la conscience qu’avaient les autorités nationales et locales du caractère douteux de la légalité de l’arrêté du 27 messidor (v. supra, I, B). – 59 – de la Guadeloupe, même en s’appuyant sur l’article 4 de cette loi, qui reste contraire à la Constitution de l’an VIII135, ainsi d’ailleurs qu’à celle de l’an X136. Par conséquent, les mesures réglementaires locales, et spécialement l’arrêté de Richepanse du 17 juillet 1802, celui de Lacrosse du 22 avril 1803, ainsi que la circulaire de Lescallier du 26 mai suivant, de même que l’arrêté du 29 octobre 1805, peuvent apparaître comme juridiquement invalides, et entrant directement en contradiction avec les lois de 1791 et de 1792 sur les hommes de couleur libres et celles de 1794 et de 1798 sur l’affranchissement des esclaves, qui n’ont pu être valablement abrogées par l’arrêté du 27 messidor an X, tant sur le fond que sur la forme. En d’autres termes, et même si l’on peut affirmer, avec F. Régent et R. Bélénus, qu’il y en eut un «∞∞officiel∞∞» sur place en 1803, il faut tout autant préciser, à la différence de ce qu’écrivent ces auteurs, mais certes toujours d’un point de vue de théorie juridique seulement, qu’il n’y aura jamais eu de rétablissement «∞∞légal∞∞» (au sens de valide juridiquement, ou de constitutionnellement conforme si l’on préfère) de l’ancien ordre colonial par le Consulat puis l’Empire à la Guadeloupe137, tant au niveau national que local. 135. Puisqu’elle avait prévu, rappelons-le, que seules des «∞∞lois spéciales∞∞» pouvaient déterminer le «∞∞régime des colonies∞∞» (art. 91). Cette disposition ne laisse en effet au pouvoir réglementaire que la compétence normative subordonnée d’exécution les lois (prévue par l’art. 44, v. supra note 64), et ne peut en aucun cas fonder à son profit la compétence normative autonome qu’exige une mesure telle que celle prise par l’arrêté du 27 messidor. 136. Qui avait transféré cette compétence au Sénat (art. 54). Mais en pratique, c’est le gouvernement consulaire puis impérial qui continue à «∞∞régir∞∞» les colonies par des mesures réglementaires, et par conséquent inconstitutionnelles, y compris les arrêtés locaux de 1805 qui rendent applicable le Code civil dans les colonies en excluant de son champ d’application les esclaves. 137. Comp. avec la Guyane à travers l’étude de S. Mam Lam Fouk, «∞∞La résistance au rétablissement de l’esclavage en Guyane française∞∞: traces et regards (1802-1822)∞∞», dans Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises… (v. supra note 6), p.∞∞ 251 et s., qui évoque le règlement général de V. Hugues du 5 floréal an XI (25 avril 1803), ainsi que l’arrêté consulaire du 16 frimaire an XI (7 décembre 1802) qui le précède et semble reprendre la solution envisagée le 27 avril (v. supra note 58) à travers un «∞∞registre général de conscription de quartier∞∞». Ce texte semble d’ailleurs absent du Bulletin des lois, à l’instar de l’arrêté du 27 messidor…