La douleur chronique chez les aînés

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La douleur chronique
chez les aînés :
our
Quel traitement pharmacologique utiliser?
David Lussier, MD, FRCPC
Présenté dans le cadre de la conférence : La gériatrie, Fédération des médecins
omnipraticiens du Québec, mars 2007
Le cas de Mme Bachand
Madame Bachand, âgée de 85 ans, souffre
d’une douleur lombaire avec irradiation
dans la jambe droite, compatible avec une
radiculopathie L5 droite, secondaire à une
sténose spinale. Sa douleur n’est pas
soulagée par la prise régulière
d’acétaminophène.
Que lui suggérez-vous?
a douleur chronique est très fréquente chez les
personnes âgées, dont plus de 50 % souffrent
d’une douleur significative ayant un impact négatif
sur leur fonctionnement physique, leur affect, leurs
fonctions cognitives et leur qualité de vie.
Heureusement, il est souvent possible de procurer un soulagement satisfaisant en utilisant une
combinaison de plusieurs modalités thérapeutiques,
incluant des approches non pharmacologiques,
pharmacologiques et interventionnelles.
L
Le traitement
pharmacologique
Le traitement pharmacologique est traditionnellement basé sur l’échelle par paliers de
l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), dont le
deuxième palier est maintenant souvent modifié
pour en retirer la distinction artificielle entre
opioïdes « faibles » et « puissants » (figure 1). De
plus, il est maintenant recommandé de considérer
cet algorithme comme un « ascenseur », où l’on
peut passer directement aux paliers supérieurs en
présence de douleur modérée ou grave, plutôt que
comme une « échelle ».
Le Dr Lussier est gériatre spécialisé en douleur
et directeur de la clinique de douleur gériatrique
du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).
Il pratique également à l’Institut universitaire de
gériatrie de Montréal.
Les analgésiques non opioïdes
L’acétaminophène
L’acétaminophène devrait être utilisé en première
intervention pour la douleur légère à modérée,
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Opioïdes
Codéine
2
1
Non opioïdes
Fentanyl
Opioïdes « faibles »
Méthadone
Tramadol
Morphine
+/- analgésiques
de l’étape 1
Oxycodone
Acétaminophène
+/- analgésiques
de l’étape 1 et 2
AINS
Adjuvant
Figure 1. Échelle analgésique modifiée de l’Organisation mondiale de la Santé
surtout si elle est d’oorigine musculosquelettique. En raison d’une demi-vie légèrement
prolongée chez les patients âgés, il est possible
d’obtenir une analgésie constante avec une
administration aux six heures plutôt qu’aux
quatre heures. Les comprimés à libération
prolongée permettent également de diminuer le
nombre de prises quotidiennes. Afin d’éviter le
risque de toxicité hépatique, il est préférable de
ne pas dépasser une dose maximale quotidienne
de 2,6 grammes.
Les AINS
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)
peuvent être considérés en l’absence d’un
soulagement adéquat avec des doses maximales
d’acétaminophène. Leur supériorité par rapport
à l’acétaminophène est toutefois incertaine
pour la douleur musculosquelettique non
inflammatoire (ex. : arthrose) et ils ne sont
habituellement pas efficaces pour la douleur
neuropathique (ex. : radiculopathie lombaire).
Lorsque les AINS sont utilisés, il faut être très
prudent en raison de la fréquence élevée
d’effets indésirables (gastriques, rénaux, cardiovasculaires) chez les patients âgés.
Lorsque des AINS sont prescrits, il est
important de fréquemment réévaluer leur
activité analgésique et la fonction rénale,
particulièrement chez les patients avec une
insuffisance rénale chronique ou qui prennent
des diurétiques ou des inhibiteurs de l’enzyme
de conversion de l’angiotensine, car ils sont à
risque élevé de toxicité rénale.
orsque lesAINS sont utilisés, il faut être très prudent en raison de la
fréquence élevée d’effets
indésirables (gastriques,
rénaux, cardiovasculaires)
chez les patients âgés.
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Tableau 1
Utilisation d’opioïdes à courte action chez la personne âgée
Médicament
Dose de départ
Dose équianalgésique
(opioïde : morphine par voie orale)
Tramadol*
37,5 mg aux 6 heures, au besoin
5:1
Morphine
1 à 5 mg aux 4 heures, au besoin
1:1
Codéine
15 à 30 mg aux 4 heures, au besoin
6,7 : 1
Oxycodone
2,5 à 5 mg aux 4 heures, au besoin
1 : 1,5
Hydromorphone
0,5 à 1 mg aux 4 heures, au besoin
1:4
* Au Canada, il existe seulement en combinaison avec 325 mg d’acétaminophène par comprimé; une dose maximale de huit
comprimés par jour. Ce médicament n’est actuellement pas considéré comme un narcotique par Santé Canada.
Les opioïdes à courte action
(tableau 1)
Le tramadol
Le tramadol est indiqué pour la douleur modérée à grave ou non soulagée par les non opioïdes.
Il a l’avantage de combiner plusieurs mécanismes d’action, incluant une faible activité
agoniste des récepteurs opioïdes et une inhibition
de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline. Il a été très bien étudié chez les patients
âgés et est habituellement bien toléré.
Les analgésiques opioïdes
Les analgésiques opioïdes sont indiqués pour la
douleur modérée à grave ou ne répondant pas
aux deux premiers paliers. Il existe peu de
données sur les modifications pharmacologiques des opioïdes chez les patients âgés. Il
est cependant clair que la mépéridine, la pentazocine et le propoxyphène devraient être évités
en raison de toxicité fréquente. La morphine et
la codéine, éliminées de façon rénale, devraient
également être évitées chez les patients avec
une insuffisance rénale chronique (fréquente
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chez les patients âgés), car il peut y avoir une
toxi-cité accrue en raison d’accumulation des
métabolites. L’expérience clinique suggère que
la codéine cause plus de constipation, de nausée
et de délirium que les autres opioïdes.
L’oxycodone et l’hydromorphone semblent
être les opioïdes à courte action à favoriser chez
les patients âgés, puisqu’il y a moins d’accumulation et d’effets indésirables en insuffisance
rénale.
Les opioïdes à longue action
(tableau 2)
Les patients avec une douleur chronique constante bénéficient de l’utilisation d’un opioïde à
longue action. Il est toutefois important de ne
jamais prescrire un opioïde à longue action à un
patient qui n’est pas déjà traité par un opioïde à
courte action. Chez ceux-là, il est préférable de
débuter avec de petites doses d’opioïdes à
courte action prescrites de façon régulière et de
changer pour une longue action lorsque des
doses équianalgésiques ont été atteintes.
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Tableau 2
Utilisation d’opioïdes à longue action chez la personne âgée
Médicament
Doses disponibles
Fréquence
d’administration
Commentaires
Codéine
50, 100, 150, 200 mg
aux 12 heures
(certains patients
nécessitent aux 8 heures)
Comprimé doit être
avalé entier
Fentanyl
transdermique
12, 25, 50, 100 mg/heure
aux 72 heures
(certains patients
nécessitent aux 48 heures)
Timbre ne doit pas être
coupé
Hydromorphone
3, 6, 12, 18, 24, 30 mg
aux 12 heures (certains
patients nécessitent aux
8 heures)
Chez patients
dysphagiques, capsule
peut être ouverte et
granules administrées
sur aliments froids
Méthadone
1, 5, 10, 25 mg
aux 6-12 heures, selon
réponse analgésique
Devrait seulement être
prescrit par médecins
expérimentés avec son
utilisation. Au Québec,
nécessite permis
spécial
Morphine
Morphine 12 heures
15, 30, 60, 100, 200 mg
aux 12 heures (certains
patients nécessitent aux
8 heures)
Comprimé doit être
avalé entier
Morphine 24 heures
10, 20, 50, 100 mg
1 fois/jour
Capsule doit être avalée
entière
Oxycodone
5, 10, 20, 40, 80 mg
aux 12 heures (certains
patients nécessitent aux
8 heures)
Comprimé doit être
avalé entier
Tramadol*
100, 200, 300, 400 mg**
1 fois/jour
Comprimé doit être
avalé entier
* Le tramadol n’est actuellement pas considéré comme un narcotique par Santé Canada.
** Le tramadol à longue durée d’action est présentement disponible sous trois noms commerciaux différents ayant des
propriétés pharmacologiques très semblables mais disponibles en différentes doses.
Particulièrement, le fentanyl transdermique ne
devrait jamais être prescrit d’emblée, puisque
même la dose la plus faible est trop élevée.
Les adjuvants
L’utilisation d’analgésiques adjuvants (parfois
appelés « co-analgésiques ») permet d’obtenir
un meilleur soulagement de la douleur en
utilisant de plus faibles doses d’opioïdes,
diminuant ainsi les effets indésirables. Les antidépresseurs sont considérés comme des
adjuvants non spécifiques, car ils sont efficaces
dans plusieurs types de douleur. Malgré leur
activité analgésique bien démontrée, les tricycliques (surtout l’amitriptyline) sont contreindiqués chez les patients âgés en raison
de leurs effets anticholinergiques (confusion,
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Retour sur le cas de
Mme Bachand
Puisque la douleur n’est pas soulagée par
l’acétaminophène, on devra utiliser, au
début, un opioïde à courte action pris au
besoin, soit du tramadol-acétaminophène,
de l’hydromorphone ou de l’oxycodone. Si
la douleur est constante et que les opioïdes
à courte action sont bien tolérés, on pourra
par la suite changer pour un opioïde à
longue action à dose équianalgésique en
gardant les opioïdes à courte action pris au
besoin pour les pics de douleur.
On prescrira également de la prégabaline,
un adjuvant pour la douleur neuropathique,
en augmentant la dose progressivement
selon la réponse analgésique et les effets
indésirables.
On dirigera la patiente également pour de la
physiothérapie et possiblement pour une
injection épidurale de corticostéroïdes.
À retenir...
Chez les patients âgés souffrant de douleur
chronique :
• La dose quotidienne d’acétaminophène ne
devrait pas dépasser 2,6 grammes.
• Le tramadol devrait être considéré pour une
douleur d’intensité modérée à grave, et il est
habituellement bien toléré.
• L’hydromorphone et l’oxycodone sont les
opioïdes à courte action à favoriser.
• Un opioïde à longue action ne devrait jamais
être utilisé en première intervention.
• La gabapentine ou la prégabaline
administrées en dose unique au coucher
peuvent soulager la douleur tout en
favorisant un sommeil de bonne qualité.
pour traiter l’anxiété, qui est fréquente chez les
patients souffrant de douleur chronique.
sédation, rétention urinaire, risque de chutes) et
de la toxicité cardiaque. La venlafaxine et le
bupropion sont habituellement mieux tolérés et
sont efficaces pour traiter à la fois la douleur, la
dépression et l’anxiété.
Les adjuvants sont particulièrement utiles
pour la douleur neuropathique. En plus des
antidépresseurs, les anticonvulsivants sont
ceux qui sont le plus souvent utilisés. La
gabapentine et la prégabaline sont deux
molécules très semblables, qui sont très efficaces et habituellement bien tolérées. La
prégabaline favorise un sommeil de bonne
qualité, donc elle peut être utile lorsque donnée
seulement au coucher ce qui diminue la
somnolence diurne; elle est également efficace
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Il est possible de
contrôler la douleur
En utilisant une combinaison appropriée
d’analgésiques non opioïdes, d’opioïdes et
d’adjuvants, il est habituellement possible
d’obtenir un contrôle satisfaisant de la douleur
chronique chez les patients âgés. Il est néanmoins important de réévaluer fréquemment la
réponse pharmacologique, de rechercher et
traiter les effets indésirables et de combiner le
traitement pharmacologique avec une approche
interdisciplinaire, incluant des approches non
pharmacologiques (physiothérapie, psychologie) et des interventions ciblées (épidurale,
bloc facettaire, bloc nerveux). Clin

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