EYB 2015-251950 – Résumé Tribunal d`arbitrage Syndicat des Cols

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EYB 2015-251950 – Résumé Tribunal d`arbitrage Syndicat des Cols
EYB 2015-251950 – Résumé
Tribunal d'arbitrage
Syndicat des Cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 c. Montréal
(Ville de)
2015-2147 (approx. 15 page(s))
5 mars 2015
Décideur(s)
Rousseau, André
Type d'action
GRIEF contestant une suspension. REJETÉ.
Indexation
TRAVAIL; CODE DU TRAVAIL; ARBITRAGE DE GRIEFS; CONTRAT DE
TRAVAIL; OBLIGATIONS DU SALARIÉ; LOYAUTÉ; éboueur ayant corroboré la
version fausse d'un collègue quant à un accident survenu avec un camion de la
Ville; bien-fondé de la suspension d'une journée
Résumé
Le plaignant est éboueur à la Ville. On lui a imposé une suspension d'une
journée, le 13 décembre 2013, pour s'être rendu complice d'un collègue (le
chauffeur) en corroborant la version fausse donnée par ce dernier quant à un
accident survenu avec le camion de la Ville. Le chauffeur a été congédié. La Ville
plaide que le plaignant savait que la version du conducteur était fausse. Elle
prétend que le plaignant a mentionné que le camion avait glissé, mais qu'il
dormait. Il est invraisemblable que le plaignant n'ait rien constaté des
manoeuvres du chauffeur alors que le camion a été endommagé pour un
montant de 8 400 $. La Ville plaide que le plaignant a manqué à son obligation
de loyauté. Le syndicat plaide que le plaignant a collaboré à l'enquête. L'arbitre
souligne que les versions données par le plaignant comportent des nuances.
Selon les versions offertes par le plaignant, il avait les yeux fermés et il était
assoupi ou endormi. À l'audience, le plaignant a mentionné que la manoeuvre
n'était pas habituelle. L'arbitre est d'avis que le plaignant ne pouvait le constater
puisqu'il était endormi ou assoupi. En prétendant que le camion avait glissé,
alors qu'une preuve prépondérante indique le contraire, le plaignant a manqué à
son obligation de loyauté. Pour ces motifs, le grief est rejeté
EYB 2015-251950 – Texte intégral
TRIBUNAL D'ARBITRAGE
2015-2147
DATE : 5 mars 2015
DATE D'AUDITION : 12 décembre 2014
EN PRÉSENCE DE :
ANDRÉ ROUSSEAU, ARBITRE
Syndicat des Cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301
Syndicat
c.
Ville de Montréal
Employeur
SENTENCE ARBITRALE
NATURE DU GRIEF ET DE LA SANCTION
[1] Le 14 juillet 2014, le président du syndicat, Michel Parent a présenté le grief
[S-2], au nom du plaignant.
[2] Le grief conteste un avis de suspension disciplinaire d'une (1) journée,
imposée le 3 juin 2014. Le grief réclame l'annulation de la mesure et le
remboursement du salaire perdu et tous les autres bénéfices.
[3] L'avis de mesure disciplinaire [S-4] reproche au plaignant d'avoir corroboré la
version de Michel Champagne, quant à un accident suvenu le 3 décembre 2013.
Le 13 décembre 2013, l'avis d'infraction [S-3] remis au plaignant alléguait que ce
dernier s'était rendu complice de M. Champagne, en corroborant une version
fausse quant à l'accident.
RÉSUMÉ DE LA PREUVE
- EXPOSÉS DE CAUSE
[4] L'employeur a indiqué que le chauffeur d'un camion de collecte de déchets,
Michel Champagne, a été suspendu, puis congédié, suite à un accident du 3
décembre 2013; selon l'employeur, l'accident aurait été causé volontairement par
M. Champagne; les mesures prises à l'égard de Michel Champagne font l'objet
d'un arbitrage devant un autre tribunal d'arbitrage et l'employeur a soumis un
grief visant le remboursement de dommages de 8 400,00 $ dollars, causés au
camion.
[5] C'est à l'égard de l'accident du 3 décembre 2013 que l'employeur a requis la
version de Maxime Nguyen, qui prenait place à bord du camion et qui faisait
équipe avec le chauffeur et avec un (1) autre collègue de travail.
[6] Le syndicat a soumis que le plaignant avait collaboré à l'enquête de
l'employeur et qu'il avait, alors, agi en toute franchise.
- ADMISSIONS[7] Les parties ont convenu que la procédure de grief et d'arbitrage a été
respectée.
- PREUVE DE L'EMPLOYEUR
[8] L'employeur a fait entendre Maxime Nguyen, préposé aux travaux généraux
et éboueur; le 3 décembre 2013, il travaillait en équipe avec Keysen Bourgeois,
éboueur, et Michel Champagne, chauffeur de camion.
[9] Le plaignant a indiqué que, d'habitude, le chauffeur fait le plein d'essence du
camion quand la collecte est terminée; mais, ce jour-là, M. Champagne se rendit
faire le plein d'essence vers 15h00, au clos de voirie Honoré-Beaugrand;
pendant que l'équipe se trouvait là, le plaignant eut connaissance d'un appel du
contremaître, M. Picard, qui soulignait que la collecte n'était pas complétée.
[10] Appelé à décrire l'accident, M. Nguyen déclara:
Je n'ai rien vu de l'accident après j'ai vu qu'on avait heurté du béton, il
y avait de l'huile qui coulait, ou du Prestone.
[11] Le plaignant a reconnu qu'il avait déjà déclaré que le camion avait glissé: il
expliqua que c'est une sensation qu'il avait ressentie et il ajouta:
J'étais les yeux fermés, accoté sur la vitre de côté, j'ai fait un saut, je
suis comme resté figé.
[12] Le plaignant a dit qu'il n'avait pas inspecté les lieux et qu'il ignore s'il y avait
de la glace sur la chaussée. Il ajouta que le chauffeur, M. Champagne, n'avait
pas affirmé que le camion avait glissé.
[13] Soulignant qu'il connaissait la manœuvre que le chauffeur doit faire, en
allant faire le plein, M. Nguyen déclara:
Ça ne tournait pas assez, contrairement à l'habitude; j'ai ressenti un
glissement.
[14] Le plaignant a reconnu qu'il prit part, le 5 décembre 2013, à une rencontre
avec des représentants de l'employeur, et qu'il donna, alors, la même version
qu'à l'audience. M. Nguyen a dit qu'il donna également sa version de l'accident,
lors d'une rencontre avec Bruno Thibault: il identifia, sous cote E-1, le compte
rendu de cette rencontre, ainsi que sa signature, à chaque page du document.
[15] La procureure du syndicat n'adressa pas de questions au plaignant, à ce
stade.
[16] L'employeur fit entendre Corina Netedu, chef de section voirie, au service
des travaux publics de l'arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve; le
témoin prit part à l'enquête sur les circonstances de l'accident du 3 décembre
2013; elle veilla, en outre, à ce que la collecte des déchets soit complétée, en
faisant appel à une autre équipe. Le témoin souligna que les dommages au
camion représentaient une somme de 8 400,00 $ dollars.
[17] Le témoin indiqua que, dans le cadre de l'enquête patronale, Bruno Thibault
se rendit à la station d'essence où l'accident était survenu. Selon les éléments
recueillis, en particulier six (6) photographies prises le 4 décembre 2013,
madame Netedu a dit qu'il y avait de la neige, au sol, mais pas de glace, où le
camion avait fait le plein; à cet égard, elle ajouta:
On a eu les photos, il n'y avait pas de traces de glissement, on a
demandé l'avis d'un spécialiste.
[18] Le témoin a fait état de la rencontre du 5 décembre 2013 avec M. Nguyen.
Selon madame Netedu, il n'était pas normal que l'équipe s'éloigne de son
secteur, pour aller à Honoré-Beaugrand; elle ajouta qu'elle n'avait pas obtenu
beaucoup d'explications sur cette situation.
[19] À propos de M. Nguyen, le témoin déclara que c'est un très bon employé,
qui s'implique et qui s'exprime bien, pour présenter son opinion ou ses
arguments; selon le témoin, le plaignant ne collaborait pas vraiment à l'enquête,
en particulier lorsqu'il déclara qu'il était endormi, tout en disant que le camion
avait glissé; à cet égard, elle déclara:
C'est cette phrase qui nous fait nous interroger.
[20] Le témoin indiqua que le plaignant avait dit, le 5 décembre 2013, que M.
Champagne leur avait dit, à M. Bourgeois et à lui, de garder leur rythme et de ne
pas courir.
[21] Madame Netedu versa en preuve, sous cote E-2, les notes qu'elle consigna,
suite à la rencontre avec M. Nguyen; il y a lieu de faire état du paragraphe
suivant:
...
Ils sont tous dans camion au moment de l'accident. Il ne peut pas le
décrire parce qu'il était endormi, mais il dit que le camion a glissé. Ils
débarquent du camion pour voir les dommages et ensuite aller au
garage.
...
[22] Le témoin a dit que, le 5 décembre 2013, elle prit part à une rencontre avec
Keysen Bourgeois, afin d'obtenir sa version de l'accident du 3 décembre 2013;
selon M. Bourgeois, son collègue Maxime était endormi, alors que lui-même était
en train d'acheminer un message avec son téléphone cellulaire; M. Bourgeois
indiqua à ses interlocuteurs que le camion avait glissé.
[23] Madame Netedu versa en preuve, sous cote E-3, les notes qu'elle consigna
suite à la rencontre avec Keysen Bourgeois; il y a lieu de faire état des passages
suivants du document:
...
Les 2 (Keyven et Maxime) sont dans camion au moment de l'appel,
Keyven dit qu'il est en train de «texter» sur son cell et Maxime était
endormi.
...
Ils sont avec M. Champagne en camion. Keyven dit qu'il ne se rappelle
pas bien de l'accident parce qu'il était occupé avec son téléphone. Il dit
que M. Champagne a tourné le camion comme d'habitude, mais il a
glissé et il est rentré dans les roches.
...
[24] Madame Netedu versa en preuve, sous cote E-4, le rapport d'accident
présenté par Michel Champagne, chauffeur de camion, le 3 décembre 2013.
[25] Rappelant que les photographies prises, à la station d'essence, le 4
décembre 2013, ne manifestaient pas de traces de glissement, selon l'examen
qu'elle en fit, madame Netedu a dit que le service confia l'analyse des
photographies à Martin Roy, reconstitutionniste en scènes de collision: le rapport
de ce dernier fut versé en preuve sous cote E-5, ainsi que les six (6) photos qu'il
analysa.
[26] Il y a lieu de rappeler un extrait du rapport E-5, daté du 10 décembre 2013:
“...
Les photographies prisent par votre département de la voierie sur les
lieux de la collision démontrent bien que les 2 roues avant du camion
étaient en rotation et non bloqués (photos 2/6, 3/6 et 6/6.) La semelle
du pneu a laissé des rainures démontrant bien qui les pneus tournaient
et ne glissaient pas en position bloques. La photo 1/6 démontre une
courbure vers la gauche des traces des 2 roues avant du camion. Cela
démontre que les roues étaient en rotation et avaient une adhérence à
la chaussée. Un véhicule dont les roues avant dérapent et glissent va
continuer en ligne droite vers l'avant et les traces n'auront pas un
mouvement courbée comme sur les photos. Les photos des traces
démontrent que le véhicule n'était pas en perte de contrôle ou en
dérapage.
La courte distance entre les pompes à essences et le muret de pierres
ne permettraient pas au camion d'avoir une vélocité assez élevé pour
subir une perte de contrôle et déraper dans le muret de pierres..
...” [sic]
[27] Madame Netedu a indiqué qu'elle avait rencontré M. Nguyen une deuxième
fois, le 19 décembre 2013, et que ce dernier avait présenté la même version, qui
fut consignée au document E-1, dont il y a lieu de rappeler l'extrait suivant, en
page 2 du document:
“...
J'étais assoupi, les yeux fermés. J'ai entendu M. Picard sur les ondes
radio. Avec ce qui c'est dit. J'avais compris que nous devions retourner
ramasser d'autres déchets. Je n'ai pas porter attention par la suite
Par la suite, on s'est ramassé dans le tas de bloc de béton, j'ai fait le
saut, ce n'était pas un gros impact.
...” [sic]
[28] Le témoin a souligné que le plaignant avait relu ce texte, avant de signer, au
bas de la page.
[29] En contre-interrogatoire, le témoin a rappelé l'organisation de la journée de
travail d'une équipe affectée à la collecte des déchets. À propos du commentaire
consigné à E-2, selon lequel M. Champagne aurait déclaré aux deux (2)
éboueurs de garder leur rythme, madame Netedu a dit que, selon la version du
plaignant, ce n'était pas la première fois qu'il entendait une telle consigne de
ralentissement.
- PREUVE DU SYNDICAT
[30] Le syndicat fit entendre Maxime Nguyen, qui a indiqué que Michel
Champagne était un collègue de travail, avec qui il n'entretenait pas de relation
d'amitié.
[31] Le plaignant déclara:
Keyven et moi, on travaille, il nous ralentit, il ne veut pas qu'on se
blesse.
[32] La procureure de l'employeur n'adressa pas de questions au plaignant, à ce
stade.
ARGUMENTATION DE L'EMPLOYEUR
[33] L'employeur fait valoir que le plaignant fut suspendu, pendant une (1)
journée, pour avoir corroboré la version du chauffeur, sachant que cette version
était fausse.
[34] Rappelant que l'équipe n'avait pas effectué de travail, au cours de l'aprèsmidi du 3 décembre 2013, l'employeur allègue que le plaignant a déclaré que le
camion avait glissé, alors qu'il dormait.
[35] Selon l'employeur, il est invraisemblable que le plaignant et que M.
Bourgeois n'aient rien constaté des manœuvres du chauffeur, et n'aient discuté
de rien avec ce dernier, alors que le camion fut endommagé pour un montant de
8 400,00 $ dollars.
[36] Commentant le rapport versé en preuve sous cote E-5, l'employeur soumet
qu'il n'y a pas eu dérapage du camion. Pourtant le plaignant aurait déclaré qu'il
avait senti un glissement. En agissant ainsi, le plaignant aurait manqué à son
obligation de loyauté, dans le cadre d'une enquête de l'employeur1.
1. Bernier L., Blanchet G., Granosik L. et Séguin E.: Les Mesures Disciplinaires et Non
e
Disciplinaires dans les Rapports Collectifs du Travail, 2 éd. Éditions Yvon Biais, chap. 14.
[37] L'employeur invoque quelques décisions arbitrales, ainsi qu'une décision
administrative2.
[38] Selon l'employeur, la sanction imposée, en l'espèce, serait clémente, en
raison de la qualité habituelle du plaignant, dans l'exécution de son travail.
ARGUMENTATION DU SYNDICAT
[39] Le syndicat soumet que le plaignant n'a pas manqué à son devoir de
loyauté, car il a coopéré à l'enquête, au meilleur de la connaissance dont il
disposait; par ailleurs, M. Nguyen aurait été constant dans sa narration de
l'événement.
[40] Alléguant que la bonne foi se présume, aux termes de l'article 2805 du Code
civil, le syndicat plaide que l'employeur n'a pas démontré, de manière
prépondérante, que le plaignant a faussement représenté ce qu'il a perçu, le 3
décembre 2013.
[41] S'agissant de l'appréciation de la crédibilité du plaignant, le syndicat fait
valoir que ce dernier est un bon employé, qui n'avait pas d'intérêt particulier dans
l'affaire.
[42] Au soutien du grief et des conclusions recherchées, le syndicat invoque un
jugement et deux (2) décisions arbitrales3.
ANALYSE ET DÉCISION
[43] La version du chauffeur Michel Champagne, aux fins du présent dossier, est
exprimée au rapport d'accident [E-4], qu'il a rédigé:
“...
2. Métallurgistes Unis d'Amérique et Dubord et Rainville Inc., Me André Rousseau, D.T.E. 90T565;
Alimentation Gilbert Tremblay Inc. et Travailleurs et Travailleuses Unis de l'alimentation et du
er
commerce, M. André Dubois, 1 mai 2003;
Olymel et Syndicat des Travailleurs d'Olympia, Me Nicolas Cliche, 7 octobre 2002;
D. Jobin c. Association internationale des travailleurs en fer structural et ornemental , CRT., 2014
QCCRT 0631, juge Jacques Daigle.
3. Syndicat des Travailleurs et Travailleuses de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont et Hôpital
Maisonneuve-Rosemont, Me André Rousseau, 8 novembre 1991;
Casavant Frères Ltée et Syndicat des Employés de Casavant Frères Ltée, Me Richard
Marcheterre, 26 juin 1986;
Motors Insurance Corp. C. Tangorra, C.S. hon. Maurice Laramée, 7 février 2003.
En effectuant une manœuvre de virage pour reculer les roues tourné
vers la gauche j'ai glissé et passer par-dessus des roches
...” [sic]
[44] Ce que Maxime Nguyen a corroboré, c'est qu'il y aurait eu glissement du
camion: il l'a indiqué le 5 décembre 2013, selon le témoignage de madame
Netedu et ses notes de la rencontre [E-2]; à l'audience, le plaignant a reconnu
qu'il avait déclaré que le camion avait glissé; lors de son témoignage, à
l'audience, il a dit avoir senti un glissement.
[45] Pour apprécier la crédibilité de M. Nguyen, il importe d'analyser
soigneusement les diverses versions qu'il a données, car elles comportent des
nuances:
- le 5 décembre 2013, selon le témoignage et les notes de rencontre de
madame Netedu, le plaignant déclara qu'il ne pouvait pas décrire
l'accident, parce qu'il était endormi;
- le 5 décembre 2013, selon le témoignage et les notes de rencontre de
madame Netedu, Keyven Bourgeois lui déclara que “Maxime était
endormi”, lors de l'accident;
- le 19 décembre 2013, M. Nguyen a déclaré qu'il était assoupi, les yeux
fermés, et qu'il a fait le saut, lorsque le camion a heurté des blocs de
béton;
- à l'audience, le plaignant a déclaré qu'il n'a rien vu de l'accident, qu'il
avait les yeux fermés, accoté sur la vitre latérale du camion et qu'il a
fait un saut et qu'il est resté comme figé, lors de l'impact;
- à l'audience, également, il a déclaré que “ça ne tournait pas assez,
contrairement à l'habitude”, puis qu'il sentit un glissement.
[46] Selon les versions offertes par le plaignant, il avait les yeux fermés et il était
assoupi, ou endormi.
[47] Après avoir déclaré qu'il n'avait rien vu de l'accident, M. Nguyen a témoigné
à l'effet que “ça ne tournait pas assez, contrairement à l'habitude”. Je ne
m'explique pas comment il a pu constater ce fait, s'il était endormi, ou assoupi,
c'est-à-dire -endormi à demi, selon le sens usuel du terme.
[48] Si, comme il l'a déclaré, le plaignant a fait un saut et a été comme figé, lors
de l'impact, c'est qu'il n'a rien pressenti de ce qui se passait. De l'ensemble de la
preuve, je conclus que le plaignant n'a pu sentir un glissement du camion.
[49] La preuve photographique, en effet, jointe à l'analyse présentée au rapport
E-5, manifeste, de manière prépondérante, que les pneus du camion n'ont pas
glissé: comme l'indique le rapport, les rainures des pneus montrent que
l'adhérence à la chaussée était adéquate et le tracé des courbes n'est pas
compatible avec un dérapage des roues.
[50] Cette preuve technique, conjuguée aux nuances que l'on retrace, dans les
versions du plaignant, m'amènent à conclure que ce dernier n'a pas raconté avec
franchise ce qu'il a perçu de l'accident, ou le fait qu'il n'ait rien perçu du tout, s'il
était endormi, comme il l'a dit, le 5 décembre 2013, et selon ce que son collègue
avait exprimé, le même jour.
[51] Dans l'ouvrage de doctrine soumis de la part de l'employeur, les auteurs
analysent ainsi le devoir d'un employé de dire la vérité, lors d'une enquête
menée par l'employeur:
...
b) L'obligation de coopérer et de dire la vérité lors d'une enquête
de l'employeur
14.665 En raison de son obligation de loyauté, le salarié doit collaborer
à toute enquête de l'employeur sur la commission d'actes
répréhensibles et il doit à cette fin divulguer au représentant de
l'employeur toute l'information dont il dispose. Dans l'affaire Hôpital
Maisonneuve-Rosemont1, l'arbitre s'est exprimé comme suit sur cette
obligation:
"À quelque niveau de la hiérarchie qu'il se trouve, un employé doit
faire de son mieux pour favoriser les intérêts de l'entreprise; si sa
collaboration est requise pour endiguer du gaspillage, relater un
sabotage dont il a eu connaissance, faire état d'une utilisation
frauduleuse du temps de travail, ou tout autre acte répréhensible
commis sur les lieux et les heures de travail, il doit fournir
l'information dont il dispose, lorsque la direction ou un service
interne de sécurité l'interroge.
Il s'agit là, à mon sens, d'un élément nécessaire du lien de
subordination et du devoir de loyauté à l'entreprise. En
s'embauchant auprès d'une entreprise, un employé accepte
implicitement de partager une communauté d'intérêts. S'il lui arrive
de devoir choisir entre la loyauté à cette communauté et la loyauté à
des personnes qui ont transgressé les règles de conduite du milieu
de travail, il doit supporter les conséquences du choix qu'il fait2"
...4
[52] Ainsi que les auteurs [note 1] le soulignent, au paragraphe 14.003 de
l'ouvrage, “l'intensité de l'obligation de loyauté augmente avec le niveau de
responsabilités rattachées à un poste”. En l'espèce, j'estime que Maxime Nguyen
ne s'est pas dissocié du comportement fautif du chauffeur Michel Champagne,
en donnant à croire que le camion avait glissé, alors que la preuve
photographique [E-5] contredit cette hypothèse.
[53] Dans l'ouvrage de doctrine invoqué par l'employeur [note 1], les auteurs font
état de plusieurs situations où des sanctions disciplinaires relativement sévères
ont été retenues par les tribunaux d'arbitrage.
[54] À la différence de certaines situations examinées par ces tribunaux -dont
l'affaire Dubord et Rainville Inc. [note 2], qui m'était soumise- le plaignant n'a joué
aucun rôle actif dans l'incident du 3 décembre 2013: il a été témoin passif des
évènements, s'il était éveillé, ou il n'en a rien perçu, s'il était endormi et qu'il a fait
un saut, lors de l'impact contre les blocs de béton.
[55] Il reste qu'en prétendant que le camion avait glissé, alors qu'une preuve
prépondérante manifeste le contraire, le plaignant a manqué à son obligation de
loyauté à l'égard de l'employeur.
[56] Dans les circonstances, la sanction d'une (1) journée de suspension était
juste et raisonnable; elle était également appropriée, pour inviter M. Nguyen à
une collaboration franche, si des circonstances analogues devaient se
reproduire.
[57] Pour l'ensemble des motifs exprimés, le grief est rejeté.
ANDRÉ ROUSSEAU, ARBITRE
Mad. Camille Dagenais, pour le syndicat
Me Nicole Forget, pour l'employeur
4. Supra, note 1; la citation est tirée de la sentence rendue par le soussigné, dans l'affaire Hôpital
Maisonneuve-Rosemont, supra, note 3.

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