Bandas de guerra et escoltas de bandera civiles au Mexique

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Bandas de guerra et escoltas de bandera civiles au Mexique
Bandas de guerra et escoltas de bandera civiles au
Mexique : folklore ou expressions martiales de
patriotisme? 
Par Thomas Petit
Beaucoup d’étrangers s’étonnent quand, flânant dans les rues de Mexico, ils
croisent une banda de guerra (batterie-fanfare ou ensemble de tambours et clairons). Son
accent martial et son allure guerrière se distinguent fortement des traditionnels mariachis et
marimbas que vantent les guides touristiques. La surprise est à son comble lorsqu’ils
peuvent lire sur le fanion de la formation que ses membres, pratiquant l’ordre serré et
portant l’uniforme, sont en réalité, non pas des membres des Forces Armées, mais des
étudiants d’un institut technologique, par exemple. Il est également possible d’apercevoir
parfois dans une cour d’école de très jeunes enfants, entre autres, formés en escolta de
bandera (garde au drapeau) dont les évolutions en ordre serré et le commandement
vigoureux à la voix peuvent surprendre, voire choquer, certaines sensibilités.
Ce ne sont pas les formations paramilitaires (milices, gardes locales, corps de
volontaires, partis et mouvements politiques, mouvements de jeunesse,…), plus ou moins
bien organisées, plus ou moins officielles, qui manquent dans de nombreux pays du globe.
Mais peut-on en trouver une seule dont les activités se limitent aux activités d’honneur1 ?
Bien souvent, celles-ci sont moins développées qu’elles ne le sont chez les forces armées
du même pays. Il existe, bien sûr, des musiques et des porte-emblèmes dans des unités
paramilitaires, mais ces unités ne s’y limitent pas. Il est alors certes permis de penser aux
fanfares orphéoniques que l’on retrouve encore dans certains de nos villages et de nos
villes, notamment dans le nord-est de la France, et qui possèdent un uniforme et un
répertoire militaire ; cependant, aucune d’entre elles n’est telle que l’on puisse la confondre
avec une musique de nos forces armées.
Les bandas de guerra et escoltas de bandera présentent d’étroites similitudes, d’où
découlent des rapprochements, des liens structurels entre les deux types de formations, de
telle sorte qu’il devient artificiel et difficile de les étudier séparément. Ils ont tous deux en
effet une vocation patriotique, sont enracinés dans le même tissu associatif et éducatif, et
recrutent pour partie leur encadrement dans les mêmes viviers : il n’est pas rare qu’un
responsable ou instructeur de banda joue le même rôle dans une escolta. Enfin, le mérite et

Cette note de recherche a été élaborée à partir d’un mémoire réalisé dans le cadre du Master de Saint-Cyr
(soutenu en janvier 2011) intitulé “Les motivations des acteurs des bandas de guerra et escoltas de bandera,
expressions martiales du patriotisme dans la société civile mexicaine”, sous la direction de Christophe Pajon,
enseignant-chercheur au sein du Centre de Recherche de l’École de l’Air, Salon de Provence.
1
C'est-à-dire qui concerne le cérémonial, comme dans l’expression ‘garde d’honneur’.
Published/ publié in Res Militaris (http://resmilitaris.net), vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012
Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012
2
les qualités de chaque formation sont sanctionnés de la même manière par l’organisation
de concours. Véritables événements populaires, dans une certaine mesure comparables, par
le dépaysement qu’ils procurent, aux military tattoos,2 ces concours sont très prisés des
compétiteurs qui trouvent là une occasion de se mesurer à leurs pairs. Cette réalité de la
compétition et de la récompense est garante de la qualité et du dynamisme des bandas de
guerra et escoltas de bandera mexicaines.
Notre intérêt s’est alors porté plus précisément sur les mécanismes et logiques de
reproduction par la société civile des expressions militaires du patriotisme que reflètent ces
formations, en étudiant les motivations de leurs acteurs, notamment par la recherche des
éventuelles différences entre les bandas de guerra et escoltas de bandera civiles et
militaires . De telles différences seraient en effet le témoin d’une véritable réappropriation
de ces expressions patriotiques. Nous entendons par réappropriation (ou réinvestissement),
en dehors du sens économique ou patrimonial associé à ces termes, une reproduction mue
par des motivations entièrement ou partiellement nouvelles. Les différences entre l’objet
original et sa reproduction en sont le symptôme ; elles s’expliquent par le fait que l’objet
reproduit doit être réadapté à sa fonction nouvelle. Les différences que nous pourrions
identifier aideraient donc à cibler les motivations originales des acteurs civils des
formations étudiées.
Entre approche ethnographique et musicologie
Ce questionnement trouve sa genèse dans l’ampleur et la ferveur du patriotisme
mexicain ressenties par un élève-officier de vingt ans, déjà familier des manifestations
patriotiques françaises, membre de la délégation française invitée par le Mexique3 pour la
commémoration et les festivités du bicentenaire de l’Indépendance et du centenaire de la
Révolution. Prenant part à de nombreuses cérémonies entrecoupées de visites culturelles,
nous nous aperçûmes, tant lors des prises d’armes que dans les rues de la capitale, que ce
patriotisme s’appuyait sur une omniprésence de symboles nationaux, officiels ou
traditionnels, et une multitude de pratiques, règlementées ou spontanées, le mettant en
exergue. Les bandas de guerra ont particulièrement éveillé notre curiosité, car dédiées
exclusivement à la musique d’ordonnance.
Afin de répondre à notre interrogation relative aux motivations, nous avons adopté
une méthode qualitative et exploité trois types de sources. Tout d’abord, notre recherche
s’est appuyée sur l’analyse de sources écrites. D’origine mexicaine (et donc en langue
espagnole), il s’agissait de textes réglementaires militaires, de textes législatifs ou de
documents informatifs provenant d’une administration fédérale, étatique, ou locale, enfin,
d’écrits d’acteurs civils4 (directeurs, instructeurs et autres membres des formations prenant
la plume pour transmettre à leurs pairs leur savoir, leurs conseils, leurs points de vue et
réflexions sur les bandas de guerra et escoltas de bandera).
2
Festivals de musiques militaires internationaux.
Composée du drapeau et d’une section d’honneur de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, en septembre
2010, parmi dix-sept délégations étrangères.
4
54 articles, publiés sur Internet, d’une longueur d’une à cinq pages, ont été analysés.
3
Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012
3
Dans cette même démarche qualitative, des entretiens avec des acteurs civils et (à
titre minoritaire) militaires5 des formations que nous étudions a constitué un deuxième
outil de recherche.6 Nous distinguons les entretiens de ce que nous appelons les
témoignages, au nombre de cinq dans nos investigations, dans lesquels les questions
n’obéissent pas à la grille d’entretien et qui visent principalement à apporter des données
qui ne dépendent pas, en théorie, du sujet qui nous les communique, telles que données
statistiques, historiques, juridiques ou administratives.7
Enfin, l’observation non-participante a complété notre dispositif. Cet outil fut de
plus très précieux pour identifier les différences entre les formations civiles et militaires. À
quelques occasions et vers la fin de notre stage, cette observation non-participante s’est
muée en observation participante au cours des entraînements des bandas de guerra et
escoltas de bandera civiles ou militaires, où nous avons intégré les formations ou participé
à l’instruction.
Les bandas de guerra et escoltas de bandera : des forces armées à la
structure associative
Les bandas de guerra trouvent leur origine et leur existence officielle au sein des
Forces Armées mexicaines. Ces ensembles de tambours et clairons de guerre, que possède
chaque unité8 des Forces Armées, ont pour rôle, principalement au cours des prises
d’armes, d’assurer l’ordonnance (la transmission des ordres), de donner de la solennité à
certains actes et de rendre les honneurs aux drapeaux et autorités. Comme nous l’apprend
Rafael Domínguez Hernández,9 ces formations apparaissent sous le second mandat de la
présidence du Général Porfirio Díaz, de 1884 à 1910. À cette époque, l’influence française
est notable dans la société mexicaine et est vue comme un moyen de prendre des distances
avec l’héritage colonial espagnol. L’Armée mexicaine adopte ainsi nombre de traditions
militaires françaises et reproduit notamment les ensembles d’ordonnance de l’Armée
française, qui jouit d’une grande popularité. Les escoltas de bandera protègent et
accompagnent solennellement le drapeau des unités à pied au cours des prises d’armes et
défilés. Elles sont composées de quatre Soldados et d’un Sargento Segundo, désignés tous
les trois mois parmi les plus méritants de leurs grades respectifs, et encadrant le
5
Dans la proportion de 4 sur 22 entretiens au total.
6
N’ignorant pas que l’entretenu peut, consciemment ou non, instrumentaliser l’enquêteur, nous nous
sommes systématiquement présenté comme un sous-lieutenant l’école des officiers des armes de l’Armée de
Terre française, effectuant un mémoire sur les bandas de guerra et escoltas de bandera dans la société civile
mexicaine, sans donner de détails supplémentaires en amont de l’entretien.
7
Ceci bien que nous ayons accepté que la personne interrogée nous communique, hors gabarit d’entretien,
ses avis, impressions, sentiments, susceptibles d’enrichir ou d’éclairer le matériel recueilli dans les formes.
8
Nous entendons par ‘unité’ ou par ‘corps’, ici et à toutes les autres occurrences, l’ensemble des troupes
unies autour d’un même drapeau. L’unité régimentaire en est l’exemple le plus courant.
9
Rafael Domínguez Hernández, “El origen de la banda de guerra en México”, 2005, article publié sur le site
de l’Organisation Nationale de Bandas de Guerra et Escoltas de Bandera, A.C., www.3dediana.com.mx,
consulté le 13 septembre 2011.
Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012
4
Subteniente porte-drapeau.10 Le cérémonial et l’ordre serré relatifs à la Bandera et l’escolta
de bandera sont établis par le règlement de cérémonial militaire mexicain.11
Les bandas de guerra civiles sont dans leur organisation tout à fait similaires à
celles des Forces Armées, à la différence près qu’elles ne sont constituées que d’un seul
peloton (et non de deux). De même que les bandas de guerra civiles, les escoltas de
bandera civiles ne sont pas armées, sauf rares exceptions (fusils historiques, dagues). Cela
crée une différence notable dans l’aspect visuel de la formation, notamment en
mouvement, puisqu’elle utilise l’ordre serré sans arme. Son organigramme est également
très proche de celui des escoltas de bandera militaires, dont elle ne se distingue que par un
détail formel : ses membres effectuent le salut civil (bras au niveau du cœur)12, bien qu’ils
possèdent un uniforme et parfois une coiffure.
Il nous a été impossible d’obtenir une estimation du nombre des bandas et escoltas
civiles à l’échelle nationale, tant elles correspondent à des réalités différentes (éducatives,
semi-professionnelles, amateurs, des communautés locales et corps de volontaires, de
circonstance). Il est clair que l’existence de nombre de ces formations est fluctuante et
dépend de nombreux facteurs tels que l’imminence d’un événement, le budget, le
changement de poste des directeurs d’établissements scolaires ou des instructeurs, le
résultat d’un concours, la volonté des élites locales ou l’évolution du nombre de
volontaires. Trois organisations, qui cherchent à fédérer les différentes formations,
semblent devoir être mises en avant : l’Organización Nacional de Bandas de Guerra y
Escoltas de Bandera (ONBGE), l’Unión de Instructores de Bandas y Escoltas en México
(UNIBEM) et la Federación Mexicana de Bandas de Marcha, Escoltas y Guiones, A.C.
(FEMEXBAM).
L’ONBGE a été créée le 1er juin 1999, par Rafael Domínguez Hernández,13 son
actuel président. Elle a pour objectif de…
contribuer à préserver et promouvoir la pratique de la banda de guerra et des
escoltas de bandera nacional au sein de la société mexicaine, en tant que
moyens de susciter l’amour et le respect pour les symboles patriotiques qui font
l’identité de notre nationalité. C’est pourquoi l’ONBGE est une organisation
profondément patriotique [nacionalista, sans nuance péjorative] et respectueuse
des institutions éducatives, gouvernementales et militaires de notre patrie.14
Cette organisation façonne la pratique des bandas de guerra et escoltas de bandera.
Elle a par exemple créé et organisé le premier concours national de bandas de guerra le 20
janvier 2001, initiant ainsi une pratique qui correspond aujourd’hui à un élément
caractéristique fondamental de ces formations. Son site Internet15 joue un rôle important
10
11
Reglamento de Ceremonial Militar, D. O. F. 10/11/1938, titr. 2, chap.7, art. 37 et 42.
Ibid., titr. 2, chap. 2 à 13, art. 16 à 66.
12
Ley sobre el Escudo, la Bandera y el Himno Nacionales, D. O. F. 08/02/1984, chap.4, art. 14.
13
Tém. n°IV, Rafael Domínguez Hernández, président de l’ONBGE.
14
Statuts de l’organisation qui apparaissent sur les badges donnés à ses membres.
15
www.3dediana.com.mx, consulté le 20 octobre 2011.
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5
dans la vie de ces formations16 bien que l’organisation ne compte directement qu’environ
250 membres17 (uniquement des instructeurs, mais il faut bien sûr noter l’influence qu’ils
exercent sur leurs formations respectives). L’UNIBEM et la FEMEXBAM peuvent être
considérées comme des “factions dissidentes” de l’ONBGE. Leur influence dans le monde
des bandas de guerra et escoltas de bandera est bien moindre. Il existe, en dehors de ces
trois associations à l’échelle fédérale, d’autres réseaux d’ampleur nationale qui
n’apparaissent que sur Internet et ne correspondent pas à une instance associative.
Une activité patriotique compétitive ? Services et concours
La vie des bandas de guerra et escoltas de bandera civiles est ponctuée par deux
grandes types de manifestations publiques : les services et les concours. On appelle
‘service’ (servicio) les activités de la banda ou de l’escolta en dehors des répétitions. Il
peut s’agir de la cérémonie des couleurs qui a lieu dans les établissements scolaires chaque
lundi, de cérémonies des couleurs exceptionnelles (dates solennelles), de cérémonies et
défilés civils ou civilo-militaires, de démonstrations ou d’aubades à l’occasion d’un
événement festif.
Les concours sont un type d’activité que l’on peut distinguer des services 18. D’une
durée d’un à deux jours, ces événements donnent l’occasion aux formations de se produire
devant un jury, qui établit un classement et attribue des prix (reconnaissances, sommes
d’argent, équipement pour la formation) en fonction des exigences particulières de la
convocation. Celle-ci précise en effet les attendus, les critères d’évaluation ainsi que les
modalités d’organisation. Il faut noter que l’inscription à un concours est souvent payante,
bien que les sponsors de l’événement ou des formations participantes, ou encore des
subventions de diverses collectivités, aident à en supporter le coût. Les concours peuvent
être organisés par des institutions publiques, par des entreprises privées (il s’agit souvent
de marques d’uniformes, d’articles de sécurité et d’équipement de bandas de guerra et
escoltas de bandera), ou par des associations. Les concours dits ‘nationaux’, très
prestigieux, sont la plupart du temps commandités par des autorités du pays et organisés
par l’ONBGE. Lors des concours, on distingue selon l’âge des catégories qui
correspondent à celles du système éducatif mexicain : Jardin d’enfants (avant six ans), très
rarement sollicité, Primaire (de six à douze ans), Secondaire (de douze à quinze ans),
Moyen supérieur, ainsi que Libre (sans limite d’âge).
Le site Internet “Bandera México”, qui affirme diffuser toutes les convocations aux
concours de bandas de guerra et escoltas de bandera du pays, en recense quatre-vingt-
16
Il diffuse les convocations aux différents cours et concours ainsi que des articles parmi ceux que nous
avons analysés. Il met en ligne des textes règlementaires des Forces Armées mexicaines, des enregistrements
de sonneries-batteries ainsi que des ‘fiches techniques’ concernant l’histoire, les symboles patriotiques,
l’acoustique ou les caractéristiques des matériels. Le site affirme recevoir environ quarante-mille visites par
mois.
17
Témoignage n°IV, Rafael Domínguez Hernández, président de l’ONBGE.
18
Bien que certains peuvent parfois désigner par le terme ‘service’ un concours
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6
onze pour l’année 2011 (passés ou à venir).19 Ils se raréfient en périodes de congés
scolaires (juillet-août et décembre) ainsi qu’en septembre, mois de la rentrée où les
formations perdent des exécutants au profit de nouveaux arrivants. Le monde des bandas
de guerra et escoltas de bandera dépend beaucoup des rythmes scolaires : l’école en est en
effet le creuset. La catégorie “libre” ne remet pas en cause cette affirmation car les
membres des formations de cette catégorie ne sont pas souvent des néophytes mais plutôt
d’anciens membres de formations scolaires cherchant par exemple à “sentir à nouveau
l’émotion de nos années d’écoliers, ou retrouver les anciens élèves de telle école”.20
Les expressions patriotiques : détermination culturelle ?
Ce rapide tableau de la vie et de l’organisation des bandas de guerra et escoltas de
bandera, s’il atteste de l’importance de l’implantation sociale de ces structures dans la vie
mexicaine, ne fournit encore que peu d’éléments de réponse à notre questionnement sur la
motivation de leurs membres. Une forme de sens commun peut renvoyer à la prise en
considération de la culture mexicaine, notion très large, mais qui semble être un passage
obligé, afin de saisir les motivations individuelles.
Or, force est de constater qu’au regard de notre sujet, certains éléments de l’histoire
mexicaine, dans le registre de la narration des hauts faits guerriers, peuvent éclairer le
sentiment patriotique. En effet, une large place y est faite aux civils et peut être analysée
comme une source d’inspiration patriotique et militariste.21 À ce titre, trois périodes
apparaissent particulièrement significatives. C’est tout d’abord l’Indépendance mexicaine
(1810-1821) qui accorde un rôle au mouvement populaire armé “Ejército Insurgente”
(Armée Insurgée), dont Miguel Hidalgo prend la tête et qui finit par triompher en une
dizaine d’années des troupes espagnoles, alors en lutte armée dans de nombreux endroits
d’Amérique et d’Europe. La fondation du pays repose donc sur une action guerrière et
populaire, conduite par des acteurs – essentiellement des paysans mais aussi des membres
du clergé – ne possédant aucune expérience militaire initiale. La guerre américanomexicaine (1846-1848) donne aussi l’occasion d’illustrer cet engagement de la population
civile. Lors de la bataille de Chapultepec, du nom du château abritant l’académie militaire
mexicaine, dans la nuit du 13 septembre 1847, alors que le château est en passe d’être pris,
cinq cadets et un jeune lieutenant refusent la retraite et résistent aux troupes américaines.
L’un d’eux n’a que treize ans, un autre se jette du haut des remparts avec le drapeau au
moment où les assaillants s’apprêtent à s’en emparer. Pourquoi évoquons-nous ce fait qui
concerne exclusivement des militaires ? Parce que, baptisé le “Geste Héroïque”, il a
aujourd’hui valeur d’exemple pour la société civile mexicaine et que les “Enfants Héros”
sont avant tout considérés comme des Mexicains et non comme des militaires mexicains,
notamment du fait de leur jeunesse et de leur récent engagement, et l’on voit là se dessiner
l’amalgame entre civils et militaires dans la lutte armée contre l’étranger.
19
www.banderamexico.org, consulté le 19 octobre 2011, tableau des concours mis à jour le 9 octobre.
Art.41, Victor Daniel Ortiz Vazquez.
21
Les quelques éléments ‘factuels’ de ce sous-chapitre sont issus de l’Enciclopedia universal ilustrada
europeo americana, entrée “Méjico : Historia”, Madrid, 1975, vol.34, pp.303-323.
20
Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012
7
Enfin, la Révolution mexicaine (1910-1917), insurrection armée contre le pouvoir
du Général Porfirio Díaz, participe de ce rôle ‘militaire’ de la population civile dans la
construction de la nation mexicaine. On peut se rendre compte, dans les rues, édifices
publics ou habitations particulières, de l’image populaire et combattante que retiennent de
cette période les Mexicains à travers les portraits de Pancho Villa et Emiliano Zapata,
héros de la Révolution, et bien d’autres anonymes : celle d’un cavalier d’origine rurale, à la
moustache imposante, coiffé d’un large sombrero, le fusil à la main et portant ses
munitions en bandoulière.
Ces éléments historiques mis en exergue dans la culture politique mexicaine
peuvent expliquer le sentiment patriotique. Celui-ci se voit par ailleurs cultivé par l’État à
travers différentes incitations. La loi définit ainsi quarante-six “dates déclarées solennelles
pour toute la nation”,22 au cours desquelles le drapeau est hissé sur tous les édifices publics
(écoles et édifices religieux inclus) ; trente-six d’entre elles font référence à un événement
historique. Par ailleurs, d’importants investissements et programmes gouvernementaux ou
universitaires, que nous ne détaillerons pas ici, ont pour objet l’amélioration de la
connaissance et la mise en valeur de l’Histoire du pays. Ces éléments n’expliquent
toutefois pas à eux seuls la forme d’expression patriotique que constituent les bandas de
guerra ou escoltas de bandera.
L’explication par un ‘militarisme’ mexicain apparaît fragile. Un pays qui possède
des effectifs militaires similaires à ceux de la France pour presque le double de
population23 et dont la politique étrangère exclut constitutionnellement toute intervention
sur un sol étranger n’apparaît pas spécialement militariste au regard de la posture française
et de celle de l’Alliance Atlantique.24 Cependant, si l’on s’arrête aux aspects les plus
‘visibles’ du terme, alors le pays peut apparaître comme militariste. Le Service militaire
national (SMN), les escuelas militarizadas (équivalents privés de nos collège et lycées de
la Défense), le salut civil,25 l’obligation du port de l’uniforme dans les établissements
d’enseignement jusqu’à trois ans avant le bachillerato (équivalent de notre baccalauréat),
sont autant d’éléments qui nous sont étrangers et qui peuvent révéler un certain goût pour
la chose militaire.
Dans une certaine mesure, la perception (par les Mexicains autant que par les
étrangers) d’une culture patriotique et militariste au Mexique repose avant tout sur des
aspects manifestes, démonstratifs et expressifs. En d’autres termes, s’il l’on peut douter du
fait que le Mexique possède une culture patriotique et/ ou militariste parce que l’on doute
22
Ley sobre el Escudo, la Bandera y el Himno Nacionales (op.cit.), chap.4, articles 15 et 18.
23
International Institute of Strategic Studies de Londres, « Military balance 2010 », chiffres
retranscrits dans Le Monde : bilan géostratégique, 2010.
24
Par ailleurs, de nombreuses fois au cours de notre stage notre pays a été qualifié, par les civils autant que
par les militaires, de “belicoso”, par opposition au Mexique “pacífico”, ce qui n’a pas manqué de nous
surprendre, révélant d’ailleurs un certain ethnocentrisme auquel le chercheur qui est aussi militaire français
peine à échapper.
25
Ley sobre el Escudo, la Bandera y el Himno Nacionales (op.cit.), chap.4, art.14.
Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012
8
que les valeurs de cet ordre y soient fortement intériorisées, on ne peut en revanche pas
douter du fait que la culture mexicaine soit caractérisée par des manifestations patriotiques
et militaristes, qui pour certains observateurs ne laissent dès lors pas place au doute.
Les démonstrations patriotiques : une politique publique
Enfin, il convient de rappeler que ces démonstrations patriotiques bénéficient d’un
cadre légal et d’un encouragement de la part des autorités publiques. L’article 3 de la
Constitution de 1917, qui concerne l’éducation nationale, précise :
L’éducation offerte par l’État cherchera à développer harmonieusement toutes
les facultés de l’être humain, motivera en lui à la fois l’amour de la patrie et la
conscience de la solidarité internationale, dans un souci d’indépendance et de
justice.26
La loi de 1984 sur les symboles patriotiques, “l’Emblème, le Drapeau et l’Hymne
Nationaux”,27 conforte le rôle de la société civile en général et du système éducatif en
particulier dans l’exercice patriotique, exprimé en une série de droits et devoirs. En effet,
cette loi régit l’exécution de l’hymne national, l’utilisation du drapeau national et de
l’emblème national ainsi que les honneurs devant être rendus à ces trois symboles. Elle
rend obligatoire la possession d’un drapeau par les établissements éducatifs publics et
privés afin de “l’utiliser pour les actes civiques et affirmer entre les élèves le culte et le
respect qui doivent lui être manifestés”.28
De plus, ces établissements (enseignement supérieur inclus) ont le devoir – tandis
que “les institutions publiques et groupements légalement constitués” ont le droit –
d’hisser le drapeau lors des quarante-six dates déclarées solennelles ; ils ont de plus le
devoir de rendre les honneurs au drapeau tous les lundis, le matin et à la fin des cours.29
Là se dessine la possibilité d’existence des bandas de guerra. La loi exige en effet
que les honneurs au drapeau soient rendus par l’exécution simultanée de l’hymne national
par la banda de música et de la sonnerie-batterie “Bandera” par la banda de guerra.30 Cette
disposition s’applique dans l’esprit aux cérémonies nationales où sont obligatoirement
présentes des formations musicales militaires. Cependant, stricto sensu, elle rend
obligatoire de facto la présence d’une banda de guerra à chaque fois que l’on rend les
honneurs au drapeau (la présence d’une banda de música n’est, elle, pas obligatoire
puisque l’hymne peut être chanté).31 Cela incite de nombreux établissements à se doter de
leur propre banda de guerra.
De plus, les bandas de guerra et escoltas de bandera civiles peuvent être sollicitées
par les organes du Gouvernement fédéral pour participer à divers événements à caractère
26
Constitución Política de los Estados Unidos Mexicanos, D.O.F, 5 février 1917, art. 3.
Ley sobre el Escudo, la Bandera y el Himno Nacionales (op. cit.).
28
Ibid., chap.4, art. 21.
29
Ibid., chap.4, articles 11 et 15.
30
Ibid., chap.5, art. 43.
31
Bien que l’article 25 de la même loi envisage le fait qu’il n’y ait pas de banda de guerra au cours d’une
cérémonie.
27
Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012
9
patriotique, comme en témoigne par exemple cet instructeur d’une des bandas de guerra
du District Fédéral les plus réputées : “À deux reprises, le gouvernement a fait appel à nous
contre rémunération [nos ha contratado]. La première fois pour un défilé civil, la deuxième
fois pour l’abanderamiento d’une institution [civile], dans le siège de la SEGOB”.32 Enfin,
si l’ONBGE est l’acteur associatif majeur des bandas de guerra et escoltas de bandera, la
Secretaría de Educación Pública (SEP) en est l’acteur institutionnel principal, de par ses
prérogatives constitutionnelles en matière d’éducation patriotique. En effet, la majorité des
escoltas de bandera et bandas de guerra appartiennent à des établissements
d’enseignement et sont donc placées sous l’autorité de ce ministère qui, contrairement à
notre ministère de l’Éducation nationale, possède dans son champ de compétence
l’enseignement supérieur. La SEP est l’employeur de la plupart des instructeurs des
formations que nous étudions, mais il faut noter que la décision d’embaucher revient
généralement au chef d’établissement, en fonction du budget qui lui est alloué, et de ses
desiderata en matière de bandas de guerra et escoltas de bandera. Dans l’organisation
traditionnelle des champs disciplinaires, les escoltas de bandera dépendent de l’éducation
physique, et certains professeurs de la discipline instruisent aussi ces formations. Quant
aux bandas de guerra, elles dépendent en général des arts culturels, au même titre que les
arts plastiques ou l’éducation musicale.
Il faut ajouter à cela une multitude d’acteurs locaux qui évoluent en dessous des
entités étatiques et témoignent d’un appui (plus ou moins) important aux bandas et
escoltas. Pour ne prendre qu’un seul exemple, étudions le défilé civilo-militaire
d’Acámbaro (Guanajuato) en l’honneur de l’Armée Insurgée et du généralissime Miguel
Hidalgo, chaque 22 octobre, qui compte plus de 8 000 personnes (majoritairement civiles,
issues des établissements scolaires, de la fonction publique ou des corps de volontaires)
marchant toutes au pas cadencé durant cinq kilomètres. Comme nous le révèle cet
instructeur d’escoltas de bandera, c’est avec l’appui de cette municipalité qu’il peut
participer à l’événement :
La mairie paye la chambre d’hôtel et le repas après le défilé, pour mes escoltas
[vingt-quatre personnes] ainsi que pour les accompagnateurs [huit personnes
parmi lesquelles nous avons été inclus]. Nous n’avons que peu de frais pour la
sortie. Ils veulent absolument que le Politécnico [l’Institut Polytechnique
National] défile car c’est l’institution éducative la plus prestigieuse du pays,
après l’UNAM [l’Université Autonome du Mexique].33
Au sein de cette nébuleuse d’autorités publiques, des conflits d’intérêts ou des
divergences de point de vue peuvent ponctuellement exister. Une polémique sur le nombre
d’intégrants d’une escolta en rend compte : alors que la plupart de ces formations sont
constituées de six éléments (porte-drapeau inclus), un État, le District Fédéral, exige
qu’elles soient constituées de seulement cinq éléments, en stricte application de la loi.34
32
33
34
Entretien n°10, quest. n°4, Raul Molina Flores, instructeur et commandant de banda de guerra.
Témoignage n°V, Carlos Mora Vidal, instructeur d’escoltas de bandera.
Ley sobre el Escudo, la Bandera y el Himno Nacionales (op.cit.), chap.4, art. 25, §3.
Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012
10
Cette situation met les établissements de cet État en difficulté, puisqu’ils doivent se
conformer aux directives étatiques, mais aussi aux exigences fédérales contraires à
l’occasion d’événements patriotiques ou même de concours.35
Finalement, l’institution militaire, en règle générale, se montre bienveillante envers
les sollicitations des acteurs civils des bandas de guerra et escoltas de bandera. Plutôt que
de l’institution militaire, il faudrait d’ailleurs parler des institutions militaires puisque la
SEDENA (Armée de Terre et Force Aérienne), la SEMAR (Marine) et les corps spéciaux
(Police Militaire, Brigade des Fusiliers Parachutistes, Corps des Gardes Présidentiels)
possèdent chacun leur propre état-major et n’interviennent souvent qu’en leur nom propre
auprès des civils, bien qu’ayant envers ces derniers globalement la même politique.
De plus, l’institution militaire possède des liens avec l’ONBGE et appuie
ponctuellement ses activités. Le meilleur exemple est le Cours National de Formation des
Instructeurs de Bandas de Guerra et Escoltas de Bandera. Cet événement annuel, auquel
ont participé plus de mille personnes depuis sa création par l’association en 2001, n’a cessé
de compter avec la démonstration des bandas de guerra et escoltas de bandera du Corps
des Gardes Présidentiels, de l’Infanterie ou de la Marine, d’après les comptes rendus du
site Internet de l’événement36 qui nous apprend de plus que :
la visite des installations, de même que la démonstration que nous a offerte
annuellement la banda de ce corps [Corps des Gardes Présidentiels] et la
participation de ses intervenants se sont déroulées de manière officielle. À la
différence d’autres événements où les intervenants se sont rendus sans
uniformes et ont réalisé leurs activités dans des centres aquatiques [sic, fait sans
doute référence à un événement particulier dont nous n’avons pas eu
connaissance] étrangers aux installations militaires, www.3dediana [l’ONBGE]
a toujours réalisé ses événements avec transparence et sans qu’il soit nécessaire
de feindre que des éléments militaires nous appuyaient.37
On voit dans ce témoignage, qui est certes partisan, que l’appui militaire peut être
sélectif car le nom d’une institution militaire ne peut pas être associé à un événement qui
n’est pas assurément bénéfique pour son image. On perçoit donc là le souci de
représentation des Forces Armées, qui ne veulent pas participer systématiquement comme
‘invités’ à des événements dont l’organisation leur échappe en grande partie, bien qu’elles
en approuvent généralement le principe.
Enfin, de manière plus anecdotique, les sous-institutions militaires (nous appelons
ainsi les institutions différentes de celles que nous avons citées, il peut s’agir de corps,
armes, services, écoles) mettent ponctuellement en place des processus de coopération
limités, mais toujours semble-t-il en étroite liaison (c’est-à-dire sur ordre ou sur
autorisation) avec l’institution dont elles dépendent ; la chaîne hiérarchique et l'omnipotence décisionnelle des états-majors sont en effet très marquées au sein des Forces
35
Art. 11, Ignacio Romano Gonzalez, professeur d’éducation physique.
www.bandasdeguerra.com, site de l’ONBGE dédié à l’événement, consulté le 25octobre 2011.
37
Ibid., rubrique ‘Preguntas frecuentes’.
36
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11
Armées mexicaines. Ainsi, par exemple, le 15 mai 2011, des instruments de bandas de
guerra ont été remis à sept écoles secondaires du District Fédéral (l’État de
l’agglomération de Mexico) dans les installations de l’Heroico Colegio Militar, México,
D.F. ; cet événement s’inscrit dans un projet de coopération entre la SEDENA et la SEP du
District Fédéral, appelé ‘Route Civique’, dont…
…le principal objectif est de stimuler au sein de l’enfance et de la jeunesse
[niñez y juventud] les connaissances en matière civique, au travers d’activités
dédiées à l’accroissement du respect pour les Symboles Patriotiques, ceci ayant
pour unique finalité le fait que le Mexique soit composé de citoyens fiers de
leur pays.38
De manière générale, les acteurs militaires des bandas de guerra ou escoltas de
bandera manifestent un intérêt particulier pour leurs homologues civils. Nous avons ainsi
croisé de nombreux militaires qui viennent assister aux concours ou événements civils
impliquant ce type de formations, à titre privé et sans leur uniforme, mais sans chercher
spécialement à dissimuler leur condition militaire, voire en se présentant comme militaires
membres de la banda de guerra ou escolta de bandera de leur unité. Comme nous le dit le
président de l’ONBGE :
Nous avons beaucoup de membres de notre association qui sont d’anciens
militaires ou des militaires en activité. Nous avons de très bonnes relations avec
les militaires. Moi-même j’étais lieutenant de la Force Aérienne et j’appartiens
à l’association des vétérans.39
Sans posséder de statistiques sur le sujet, nous avons constaté que de nombreux
banderos militaires étaient d’anciens banderos civils. Le cheminement inverse se présente
plus rarement, parce que les individus ont l’opportunité de rentrer plus tôt dans une banda
de guerra du système éducatif que dans une des Forces Armées. Pour ce qui concerne les
escoltas de bandera, le lien est beaucoup moins évident puisque, dans le milieu militaire et
à la différence des bandas de guerra, les intégrants sont choisis (plus que volontaires) en
fonction de leur mérite, mais aussi de leur taille, de leur corpulence et de leur aptitude à
marcher au pas.40
Il existe de plus quelques militaires membres occasionnels (car ils sont soumis à de
fortes contraintes d’emploi du temps) d’une banda de guerra civile, en plus de celle de leur
unité, tel ce policier militaire :
Pendant mes vacances, je vais jouer avec ‘Imperio Azteca’ et je renforce la
formation pour des concours, comme aujourd’hui. Ce que je dois faire dans le
monde militaire, ce que j’ai appris, je leur explique pour les aider.41
38
Natali Mote Gonzalez, Cabo (caporal), “Entrega de instrumentos musicales a bandas de guerra de escuelas
secundarias del Distrito Federal”, in Estado Mayor de la Defensa Nacional, Dirección General de
Comunicación Social, Sección de Difusión Interna, Ejército y Fuerza Aérea Mexicanos, México, D.F., mai
2011.
39
40
41
Témoignage n°IV, Rafael Domínguez Hernández, président de l’ONBGE.
Entretien militaire n°21, quest. n° e, Lieutenant Juan Pablo Martinez Castellanos, porte-drapeau.
Entretien militaire n°22, quest. n° c, Sold. Pol. Mil. Juvenal Sanchez Luna, clairon.
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Approche des motivations des acteurs
Comme on vient de le voir, les démonstrations patriotiques que représentent les
escoltas de bandera et les bandas de guerra bénéficient d’un substrat culturel et
d’incitations publiques de type constitutionnel, légal ou financier. On pourrait même y
voir, à travers un prisme français, le produit d’une action publique visant à développer/
renforcer le lien Armée/Nation. Outre que cette vision s’avère réductrice et pourrait même
dénoter une forme d’ethnocentrisme, elle est incomplète en ce qu’elle oublie les
motivations des individus qui acceptent de participer à ces manifestations. Les différents
entretiens réalisés nous ont permis de dégager, en plus de la motivation patriotique,
postulat de base de notre travail, quatre groupes de motivations liées à l’accomplissement
individuel : recherche d’une éducation complémentaire ; quête d’une forme de sociabilité ;
accès à une meilleure position sociale ; assouvissement d’un désir de martialité.
Les motivations liées à l’accomplissement individuel s’insèrent souvent dans une
logique familiale. Elles renvoient tout d’abord chez les acteurs au souhait d’accéder à
travers ces formations à une éducation complémentaire. “Un enfant dans la banda possède
une meilleure éducation que celui qui se contente d’aller à l’école”42. En effet, l’élève a la
possibilité de pratiquer une activité annexe qui est, aux dires de certains instructeurs et
professeurs43, salutaire pour l’équilibre personnel, le développement psychomoteur (certes
au même titre que le football ou le violon) et donne l’opportunité d’effectuer des sorties
dans sa ville ou dans un autre État, enrichissantes d’un point de vue culturel et historique.
Au-delà de ces gains de compétences et de connaissances, il apparaît que l’appartenance à
ces formations requiert (et développe) de la discipline, de la responsabilité, de la confiance
en soi (seguridad, ou confianza en sí mismo), de la bravoure (gallardía), du courage (valor,
ou valentía), de l’esprit de service (actitud de servicio).44
La banda de guerra ou l’escolta de bandera est aussi l’opportunité de développer
une nouvelle forme de sociabilité pour les intégrants, un groupe d’appartenance au sein
duquel les individus pourront développer des relations particulières. Elles peuvent être
considérées comme des groupes primaires,45 elles sont le lieu où leurs membres peuvent
construire des liens solides. Les expériences vécues en commun et la volonté individuelle
de réussite de la formation d’appartenance, dans laquelle s’insère la réussite personnelle,
développent une cohésion de fait, comme le raconte cette intégrante d’escolta :
Au début, nous nous disputions tout le temps, mais comme nous étions obligées
de travailler ensemble pour être meilleures, cela nous a unies.46
42
Entretien n°13, quest. n°15, Nancy Karene Escalona Reyes, clairon dans une banda de guerra libre.
Par exemple, art. n°31, Braulio David Hernández Gaona, “Una razón de peso para seguir defendiendo a
nuestros alumnos y nuestro trabajo”, ou témoignage n°V, Carlos Mora Vidal, instructeur d’escolta de
bandera.
44
Sélection de réponses à la question 6 des entretiens.
45
Claude Weber et Laure Bardiès, Logiques et dynamiques de groupe, cours dispensé aux Saint-cyriens.
46
Entretien n°5, quest. n°16, Diana Estela Mendoza Sanchez, intégrante de l’escolta de bandera de son école
préparatoire.
43
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Ainsi se développent des phénomènes de cohésion, parfois en dehors des activités
de la formation mais ayant un effet bénéfique sur celle-ci. Une entraide importante existe
entre les individus du même groupe, au bénéfice des plus désavantagés mais aussi de
l’ensemble du groupe. La banda ou l’escolta est parfois comparée à une famille. Un
tambour d’une banda de guerra civile et un clairon d’une autre banda, également
commandant d’une escolta de bandera, parlant de leurs formations respectives, nous
disent :
Plus que de l’amitié ou plus que de simples connaissances de travail, ça devient
une famille ; oui, je passe plus de temps avec eux qu’avec ma propre famille47 ;
C’est une fraternité [hermandad], une famille, nous sommes tous frères.48
Ceci témoigne de la perception d’un lien quasi sacré, comparable à celui qui unit
(parfois) les membres d’une fratrie ou les camarades d’une même unité militaire, et qui
résulte d’une obligation de vivre ensemble et d’une dépendance commune à l’égard d’une
institution.
Certains entretiens ont également laissé percevoir l’engagement dans les formations
patriotiques comme moyen de se distinguer, voire d’améliorer sa position sociale. Cette
expression évoque une donnée spatiale et renvoie dans son usage courant, à une conception
scalaire de la société. La position sociale d’un individu, en effet, ce n’est pas tant le rôle
qu’il occupe dans la société que le degré de prestige dont il jouit au vu de ce rôle. La
position sociale se définit en termes de prestige de la fonction ; dans le cas particulier des
militaires, le prestige de l’uniforme vient manifester de manière immédiate ce prestige de
la fonction, quitte à le supplanter.
Nous avons constaté, il s’agit là d’une remarque intuitive générale, que les
militaires mexicains jouissent de l’admiration de la population lors des cérémonies, défilés
et expositions militaires. Les membres des bandas de guerra et escoltas de bandera sont
eux aussi au centre des regards lorsqu’ils portent l’uniforme. Auprès des spectateurs, des
parents, des amis, des autres écoliers à l’uniforme moins élaboré et d’une propreté parfois
reprochable, ils accèdent à une forme de prestige de l’uniforme. Les formations civiles que
nous étudions n’effectuent cependant pas leurs répétitions en tenue, du moins pour ce que
nous avons pu constater. Ils s’entraînent en civil dans des lieux généralement fréquentés
(cours d’écoles, installations sportives). Dans ces cas, une sorte de prestige de l’attribut
vient pallier l’absence d’uniforme. C’est ce qu’exprime bien Jerry Aerts en parlant des
musiciens des sociétés de musique populaires de Belgique :
Le musicien, en route pour la répétition, portait sous le bras son tuba, sorte de
symbole de sa position sociale.49
47
Entretien n°11, quest. n°16, Christian Avila Manzano, étudiant en préparatoire, et tambour dans une banda
de guerra libre.
48
Entretien n°15, quest. n°16, José Camilo Eparza Teniente, clairon-principal et commandant d’escolta de
bandera en catégorie libre.
49
Jerry Aerts, “Approche sociologique des sociétés de musique populaires”, dans 150 ans de Fanfares et
d’Harmonies en Belgique, catalogue d’exposition itinérante organisée par le Crédit Communal de Belgique,
1980-1981, p.61.
Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012
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Les attributs sont, pour les escoltas de bandera, le mât du drapeau ; pour les bandas
de guerra, il s’agit du clairon, du tambour. Bien que nous ne comptions plus les fois où les
entretenus nous ont parlé de leur “fierté” d’être intégrant de leur formation, de participer à
l’exercice patriotique, ou de porter l’uniforme parce qu’il est un symbole de leur identité,
aucun d’entre eux ne nous a mentionné explicitement le prestige de l’uniforme (fierté de
susciter l’admiration d’autrui par l’uniforme), sans doute par peur de manifester une forme
d’immodestie. Néanmoins nous maintenons cette analyse au vu des attitudes que nous
avons observées, telles que la volonté de garder son instrument et sa coiffure alors que
l’instructeur a autorisé à s’en séparer pour un temps de repos ou le souci de garder un
souvenir photographique des événements en uniforme. L’attitude d’autrui nous conforte
dans cette analyse : lors des “services”, nombre de personnes extérieures à la formation
réalisent des photographies, tournent des vidéos-amateur et applaudissent les formations
ou, dans le cas particulier des défilés, lancent des confettis sur les participants (il s’agit
d’une coutume mexicaine également pratiquée lors des défilés militaires).
Enfin, la participation à une escolta de bandera, ou à une banda de guerra semble
aussi répondre pour certains à l’assouvissement d’un désir de martialité. Les intégrants des
formations expriment souvent leur satisfaction à imiter les pratiques militaires. La
martialité est recherchée, en tant qu’esthétique et est plus ou moins considérée de manière
ludique, notamment chez les enfants. Comme le disent ces instructeurs :
Ça m’attire beaucoup, la solennité, la discipline, ce qui est carré [la formalidad]50 ;
Ça m’enchantait de voir les défilés, les militaires, les soldats à la télévision.51
Certains membres de ces formations sont d’ailleurs sensibilisés à la chose militaire
parce qu’ils ont des parents ou connaissances militaires – s’ils ne le sont pas eux-mêmes –,
et sont donc familiers des cérémonies et de certaines pratiques propres aux militaires.
Certains entretenus nous ont déclarés vouloir s’engager dans les Forces Armées, avec des
projets plus ou moins précis de carrière ; d’autres, plus âgés, ont déclaré avoir été
militaires, avoir envisagé la carrière militaire ou avoir échoué aux examens pour être
officier. Il faut préciser à cette occasion que l’idée intuitive selon laquelle le service
militaire forme les appelés à la pratique des bandas de guerra et escoltas de bandera et
développe leur goût pour celles-ci, les incitant à les perpétuer dans la vie civile (comme ce
fut le cas pour les fanfares et musiques populaires françaises) est absolument fausse
puisque ces formations n’existent pas ou peu dans le contingent d’appelés.
Ces différents groupes de motivation se trouvent recomposés chez les membres des
bandas de guerra et escoltas de bandera. Ils ne permettent toutefois pas de construire des
profils ou des trajectoires. C’est finalement la place que les individus engagés dans ces
formations accordent aux civils dans l’exercice patriotique qui permet de construire une
typologie.
50
51
Entretien n°10, quest. n°5, Raul Molina Flores, instructeur de banda de guerra.
Entretien n°1, quest. n°5, Víctor Hugo Gasca Gonzalez, coordinateur des activités artistiques et culturelles
au sein d’un établissement d’éducation.
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‘Traditionnalistes’ versus ‘révolutionnaires’: imitation ou appropriation
civile des expressions patriotiques ?
Les articles analysés, l’observation et les entretiens nous ont permis de dégager un
critère permettant de construire deux idéal-types motivationnels. Ce critère est la conception
du rôle des civils dans l’exercice patriotique. Elle diffère chez le ‘traditionnaliste’ et le
‘révolutionnaire’, tels que nous les avons qualifiés.
D’une part, le ‘traditionnaliste’ cherche à perpétuer fidèlement les expressions
patriotiques militaires que constituent les bandas de guerra et escoltas de bandera, qu’il
considère comme originellement et essentiellement militaires. La reproduction de ces
expressions est un moyen de reconnaître et de rendre hommage aux pratiques patriotiques
militaires, qui sont vues comme exemples à imiter, un but à atteindre. Les textes
règlementaires constituent les ‘livres de chevet’ du ‘traditionaliste’. Il s’offusque, comme
cet instructeur, des initiatives jugées fantaisistes et contraires à l’essence même des
formations :
N’avons-nous pas vu comment, dans les concours, beaucoup de Bandas
essayent de tromper le jury avec des timbres dans la pièce batteuse,52 ce qui,
quoi qu’on en dise, ne fait pas partie du règlement53 ? […] Je souhaite que l’on
évite et que l’on sanctionne [lors des concours] tout ce qui ne fait pas partie du
règlement : changer la cadence et les notes des sonneries-batteries règlementaires (seulement parce que ça fait plus joli ou que c’est plus facile), les clairons
parés de manière fantaisiste, les timbres dans le cercle batteur.54
Quand les textes réglementaires restent muets sur un point particulier, le
‘traditionnaliste’ se réfère à la coutume militaire, et si elle n’est pas univoque, à la pratique
d’une unité particulière, tel que nous l’explique le président de l’ONBGE :
Le manuel est très vague pour passer de la première à la cinquième position, il
dit seulement qu’il faut poser les instruments à terre. Nous [l’ONBGE] avons
donc observé la manière de faire de la banda de guerra du Corps des Gardes
Présidentiels et nous avons fait comme eux, sauf que nous n’avons pas d’armes.
Aujourd’hui, la grande majorité des bandas s’en inspirent, comme nous
pouvons le constater dans les concours.55
Il voit le milieu éducatif comme le cadre principal dans lequel évolue sa formation.
En effet, les bandas de guerra et escoltas de bandera ont pour but d’effectuer les services
civiques, telles que les cérémonies, au sein des établissements éducatifs, de même que
leurs homologues militaires dans leurs unités respectives. À ce titre, il se conforme aux
52
Il s’agit de la pièce de peau supérieure du tambour, sur laquelle frappent les baguettes. Les timbres, servent
à obtenir un effet de roulement lorsqu’ils se heurtent à la peau inférieure (ou supérieure), suivant les
vibrations de celle-ci.
53
Manuel de Ademanes y Toques Militares (op.cit.), chap.2, section 1, sous-sections A – B, articles 8 à 24,
pp.19-35. Mais les militaires eux-mêmes s’en écartent sur ce point particulier et utilisent un système de
timbres sous la peau supérieure, afin d’augmenter le volume du roulement.
54
Art. n°13, Felipe Arce Hernández, “El futuro de la banda de guerra”.
55
Témoignage n°IV, Rafael Domínguez Hernández, président de l’ONBGE.
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directives et textes d’appui de la SEP, qui se réfère d’ailleurs dans la majorité des cas aux
règlements militaires.
Le ‘traditionnaliste’ appartient à une banda ou escolta d’un établissement
d’éducation et préfère, s’il a le choix, utiliser un uniforme de type “scolaire avec
accessoires” ou de type militaire aux couleurs de l’établissement, car son uniforme doit
selon lui refléter son appartenance à un établissement. À l’issue de sa scolarité, le
‘traditionnaliste’ devient instructeur au sein d’un établissement ou cesse la pratique au sein
d’une banda ou escolta, parce qu’elle n’a plus de raisons d’être (ce n’est en effet pas une
activité de loisirs), à moins qu’il soit militaire, fonctionnaire ou membre d’une corporation
civile à but civique (Croix-Rouge, pompiers volontaires, etc.) ; il intègre alors la banda ou
l’escolta de son institution, parce qu’elle poursuit les mêmes objectifs que celles du
système éducatif.
Comme nous l’exprime cet élève d’un établissement éducatif, le rôle de la banda et
de l’escolta, c’est d’“Être le fer de lance [la cara, littéralement le ‘visage’] de l’école, pour
que les élèves se sentent fiers” ; de même d’ailleurs, les bandas de guerra et escoltas de
bandera militaires sont “très importantes pour présenter au public le travail des Forces
Armées, c’est le fer de lance [la cara] des Forces Armées”.56
Parmi la diversité des activités qu’accomplit sa formation, celles qui lui procurent
le plus de satisfaction sont les services civiques (cérémonies, défilés), au sein ou en dehors
de son établissement mais toujours en représentation de celui-ci, car ils sont la raison d’être
de la formation. Ils permettent de perpétuer l’œuvre patriotique des formations militaires
(qui ne peuvent évidemment pas être présentes dans toutes les écoles à chaque cérémonie)
et parfois d’avoir l’honneur de les côtoyer dans des événements civilo-militaires. Ainsi,
selon le ‘traditionnaliste’ : “Elles [les bandas et escoltas] conçoivent toutes leur rôle comme
un service à la patrie, à travers les honneurs aux symboles patriotiques”.57
Le ‘révolutionnaire’, quant à lui, affirme le rôle des civils dans l’exercice patriotique.
Il considère les bandas de guerra et les escoltas de bandera comme des expressions
patriotiques autant civiles que militaires. Il entend s’affranchir de toute norme émanant du
milieu militaire, voire du milieu éducatif, pour ce qui concerne la pratique de l’ordre serré
ou de l’instrument d’ordonnance. Il estime que c’est aux civils de décider des orientations
des bandas de guerra et escoltas de bandera dans la société civile au Mexique.
Les textes réglementaires sont une source d’inspiration en constituant par exemple
une grande partie du répertoire des bandas de guerra, mais ils n’ont pour lui aucune valeur
normative. Le ‘révolutionnaire’ n’hésite pas à s’en écarter en fonction de ses goûts,
opinions ou nécessités (économiques notamment), ou pour diversifier sa pratique. Ainsi la
banda de guerra du ‘révolutionnaire’ interprète des marches libres (œuvres hors règlement,
56
Entretien n°6, quest. n°15 et n°13, Diego Antonio Hernández Pozus, ancien membre de banda de guerra
dans le secondaire et membre du groupe de marche de son établissement.
57
Entretien n°8, quest. n°22, Ana Karene Rivas Serrano, porte-drapeau de l’escolta de bandera de son école
préparatoire.
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traditionnelles ou composées par la banda elle-même), tandis que son escolta de bandera
adopte des formations innovantes pour sortir de la routine ou améliorer l’attrait d’un défilé.
Le milieu éducatif offre certes une occasion d’exercer une activité au sein d’une
banda de guerra ou d’une escolta de bandera, mais le ‘révolutionnaire’ ne lui reconnaît
pas non plus de pouvoir normatif ou directif car c’est, selon lui, la société civile (par
opposition aux militaires et institutions gouvernementales) qui seule doit décider des
orientations de cette pratique.
Le ‘révolutionnaire’ appartient à une banda ou escolta ‘libre’, et ce même s’il est
en âge de fréquenter un établissement scolaire. La formation ‘libre’ permet en effet de
diversifier la pratique de l’instrument ou de l’ordre serré en proposant des innovations et en
s’écartant des règlements, puisqu’elle n’est pas astreinte aux mêmes normes que son
homologue scolaire ou universitaire. Le ‘révolutionnaire’, ou plutôt sa formation, adopte
un uniforme de type militaire (et non pas scolaire, souvent jugé quelconque), qui doit être
le plus plaisant possible, quitte à n’avoir aucune signification particulière.
Parmi la diversité des activités qu’accomplit sa formation, celles qui lui procurent
le plus de satisfaction sont les concours. Ils permettent en effet de démontrer le savoir-faire
acquis et d’obtenir des distinctions individuelles ou collectives ; de plus, la diversité des
exigences requises par la convocation apparaît au ‘révolutionnaire’ plus intéressante que ce
qu’il doit effectuer au cours des services civiques. Ces services s’effectuent d’ailleurs
souvent contre rémunération, ce qui permet à la formation ‘libre’ d’exister.
Le ‘révolutionnaire’ n’hésite pas à penser que certaines bandas de guerra et
escoltas de bandera civiles sont meilleures que leurs homologues militaires. Ainsi, dans
cette optique, l’objectif principal attendu de toutes les bandas de guerra et escoltas de
bandera est de :
Se trouver à la première place, toujours, être meilleure que les autres58 ;
C’est gagner, c’est le seul objectif que tout le monde a en commun.59
À cet effet, le ‘révolutionnaire’ met en place des stratégies pour l’emporter, comme
faire participer à un concours de clairon-principal plusieurs de ses clairons et de différents
âges (donc dans différentes catégories pour concourir) afin de maximiser ses chances de
gagner alors que le ‘traditionnaliste’, ayant une vision plus classique du clairon-principal,
ne présentera que le clairon-principal ‘titulaire’ de sa formation.
Le ‘révolutionnaire’ se réalise mieux dans une banda que dans une escolta. La
banda de guerra offre en effet de plus grandes possibilités d’innovation et est plus
exigeante en termes d’apprentissage ; elle permet donc la mise en valeur d’un savoir-faire
difficile à acquérir, que ne possèdent pas les militaires. Il est d’ailleurs à noter que les
concours d’escoltas, contrairement aux concours de bandas, n’incluent pas de phases
‘libres’ au cours de laquelle la formation possède une totale liberté dans sa représentation.
58
Entretien n°13, quest. n°22, Nancy Karene Escalona Reyes, clairon dans une banda de guerra ‘libre’.
59
Entretien n°11, quest. n°22, Christian Avila Manzano, tambour dans une banda de guerra ‘libre’.
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On serait tenté, après la présentation des deux idéal-types, de remettre en cause la
motivation patriotique du ‘révolutionnaire’, qui peut sembler préférer le plaisir de jouer ou
d’évoluer en ordre serré à l’exercice patriotique. Selon nous, il n’en est rien. Il existe
simplement une différence dans la conception de l’expression patriotique de ce dernier. La
pratique d’activités artistiques ou traditionnelles est un moyen d’exprimer son patriotisme,
en promouvant la culture mexicaine. Le ‘révolutionnaire’ pense que la manifestation
patriotique ne passe pas tant par les activités cérémoniales que par la manifestation d’un
savoir-faire unique, d’une excellence dans la pratique de l’instrument ou de l’ordre serré,
qui doit susciter la fierté du spectateur mexicain et l’admiration de l’étranger, au même
titre que, par exemple, une aubade de mariachis.
On serait de même enclin à penser que le ‘révolutionnaire’ n’est pas motivé par un
désir de martialité aussi fort que celui du ‘traditionnaliste’, puisque celui-ci se conforme
plus aux règlements et pratiques militaires que celui-là. Là encore, on ferait erreur. En
effet, règlement n’implique pas martialité. De manière générale, les formations ‘libres’ (qui
correspondent donc plus à un profil ‘révolutionnaire’) recherchent un rendu plus martial
que leurs homologues militaires en favorisant une hyper-rigidité des mouvements, des
expressions faciales agressives, des ordres donnés à la voix de manière dynamique (dans
les phases d’ordre serré) ainsi que l’ajout dans leurs démonstrations de cris de type ‘cris de
guerre’ qui reprennent le nom de la formation ou des maximes utilisées par les militaires
(hors du cadre des bandas de guerra et escoltas de bandera).
Conclusion
Le ‘militarisme’ et le ‘patriotisme’, que l’on peut intuitivement supposer derrière
ces expressions martiales, doivent donc être appréhendés au travers de cette typologie, qui
distingue ceux qui reconnaissent la domination d’un groupe (les militaires) jugé légitime à
officier, à maîtriser les manifestations patriotiques, et ceux qui souhaitent s’approprier une
partie de leur administration. Ainsi, si les bandas de guerra et les escoltas de bandera
démontrent indéniablement un goût pour la chose militaire chez leurs intégrants, ceux-ci ne
sont pas systématiquement mus par une logique de reproduction assidue, admirative et
respectueuse du monde militaire. Quant au patriotisme dont rendent compte ces formations
et leurs membres, il peut bien souvent s’écarter du cérémonial tel que le conçoivent les
militaires et relever parfois de la pratique folklorique.

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