La farce du cuvier
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La farce du cuvier
La farce du cuvier anonyme, fin XVe siècle Jacquinot, homme du peuple, doit obéir à sa femme et à sa belle-mère, qui veulent le soumettre à tous les travaux domestiques du logis. Elles lui imposent donc un "rôlet", liste des travaux qu'il aura à effectuer. Kermesse flamande, Brueghel le Jeune (1564-1638) détail Finalement, soumis, Jacquinot aide sa femme pour faire sa lessive au bord du cuvier, un grand baquet qui contient le linge sale. Sa femme bascule alors dans le cuvier. Tempêtant et suppliant son époux, elle est sur le point de mourir noyée. Jacquinot lui répond simplement que la sortir de l'eau ne fait pas partie de sa liste. Il ne se décide finalement à tirer sa femme du cuvier qu'après la promesse qu'il sera dorénavant maître chez lui, et qu'elle devra lui obéir. * Texte établi et présenté par Michel Rousse Université de Rennes, 1971 NOTES POUR LA LECTURE Le texte de l'original est donné sans aucune modification. Pour faciliter la lecture, il est utile de se rappeler que le s , le l , le p, le c, etc., devant consonne ne sont pas prononcés : tousjours, soulcy, escripvez, faict, doibt, etc. . Le son s est rendu par la graphie s ou c indifféremment : servelle (v, 10), sa (v. 251, fr. mod : ça), c'est baissée (v. 271, fr. mod : s'est). Les imprimés du XVIe siècle ne présentent aucune ponctuation en dehors de quelques barres ou de quelques points-virgules, La ponctuation du texte qui suit est l'œuvre de l'éditeur et il est par conséquent possible d'en adopter une différente, si elle paraît mieux convenir. * FARCE NOUVELLE TRESBONNE FORT JOYEUSE DU CUVIER a troys personnaiges, c'est ssavoir : Jaquinot Sa Femme Et la Mère de sa Femme (Un bois représente un rinceau de vigne avec des grappes) Farce joyeuse ET La Farce du cuvier Acte I, scène 1 Jaquinot commence 5 10 15 Le grant dyable me mena bien Quant je me mis en mariage 1 Ce n'est que tempeste et oraige, On n'a que soulcy et peine ; Tousjours ma femme se demaine Comme ung saillant, et puis sa mere Afferme tousjours la matiere. Je n'ay repos, heurt ne arrest, Je suis peloté et tourmenté De gros cailloux sur ma servelle ; L'une crye, l'autre grumelle ; L'une mauldit, l'autre tempeste, Soit jour ouvrier ou jour de feste ; Je n'ay point d'aultre passetemps, Je suis au renc des mal contens, Car de rien ne fais mon proffit. Mais par le sang que Dieu me fist, Je seray maistre en ma maison Se m'y maitz ? La Femme Dea, que de plaictz 1 Taisez vous, si ferez que saige. La mere Qu'i a il ? La Femme 25 Quoy ? Et, que sçay je ? Il y a tousjours a refaire, Et ne pense pas a l'affaire De ce qu'il fault a la maison. La Mere Dea, il n'y a point de raison Ne de propos. Par Nostre Dame, Il faut obeyr a sa femme, Ainsy que doibt ung bon mary, ............................................ 30 Se elle vous bat aulcunesfois Quant vous fauldrez. Jaquinot Hon ! hon ! toutesfois Ce ne souffriray je de ma vie. La Mere Non ? Pourquoy, Saincte Marie, Pensez vous, se elle vous chastie 35 Et corrige en temps et en lieu Que se soit par mal ? Non, par bieu, Ce n'est que signe d'amourette. sc.2 Jaquinot C'est très bien dit, ma mere Jaquette ? Mais ce n'est rien dit a propos 40 De faire ainsi tant d'agios. Qu'entendez vous ? Voyla la glose. La Mere J'entends bien, mais je propose Que ce n'est rien du premi.er an. Entendez vous, mon amy Jehan ? Jaquinot 45 Jehan ! Vertu Sainct Pol, qu'est ce a dire ? Vous me acoustrez bien en sire D'estre si tost Jehan devenu. J'ay non Jaquinot, mon droit nom : L'ygnorez vous ? La Mere Non, mon amy, non. 50 Mais vous estes Jehan marié. Jaquinot Par bieu, j'en suis plus harié ! La Mere Certes, Jaquinot, mon amy, Vous estes homme abonny. Jaquinot Abonny I Vertu sainct George, 55 J'aymeroys mieulx qu'on me coupast la gorge ! Abonny I Benoiste Dame I La Mere Il fault faire au gré de sa femme, C'est cela, s'on le vous commande. Jaquinot Ha, sainct Jehan ! elle me commande Trop de negoces en effaict. La Mere Pour vous mieulx souvenir du faict, Il vous convient faire ung roullet Et mettre tout en ung fueillet Ce qu'elle vous commandera. La Mere Escripvez ! Jaquinot 65 A cela point ne tiendra, Commencer m'en voys a escripre. Jaquinot 85 Je suis icy encor au premier mot : Vous me hastez tant que merveille. La Femme Or escripvez, qu'on le puisse lire : Prenez que vous me obeyrez Ne jamais ne me desobeyrez 70 De faire le vouloir mien. La Mere De nuyt, se l'enfant se resveille, Ainsi que faict, en plusieurs lieux, Il vous fauldra estre songneux 90 De vous lever pour le bercer, Pourmener, porter, apprester Parmy la chambre, et fust minuict. Jaquinot Le corps bieu, je n'en feray rien, Sinon que chose de raison. La Femme Or mettez la, sans long blason : Pour eviter de me grever, 75 Qu'il vous fauldra tousjours lever Premier pour faire la besongne. Jaquinot Par Nostre Dame de Boulongne ! A cet article je m'oppose. Lever premier ! Et pour quelle chose ? La Femme 80 Pour chauffer au feu ma chemise. La Femme Mettez, Jaquinot ! Jaquinot Je ne sçauroye prendre deduit, Car il n'y a point d'aparence. La Femme 95 Escripvez ! Jaquinot Par ma conscience Il est tout plain jusques a la rive. Mais que voulez que j'escripve ? La Femme Mettez, ou vous serez frotté I Jaquinot Ce sera pour l'autre costé. Jaquinot Me dictes vous que c'est la guise ? La Femme C'est la guise, aussi la façon, : Apprendre vous fault la leçon. Liens : Cuvier : http://www.sites.univ-rennes2.fr/celam/cetm/farces/cuvier.htm Présentation : http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Farce_du_cuvier La Farce : http://fr.wikipedia.org/wiki/Farce_(th%C3%A9%C3%A2tre) Farce du Moyen Âge) C'est à la fin du Xe siècle qu'apparaît le mot « farce » pour la première fois. En France et en Angleterre, on employait le mot « farce » pour parler des phrases insérées entre kyrie et eleison dans les litanies et aussi pour parler des passages en français ajoutés entre les phrases en latin en chantant l’épître. Plus tard, on commença à l’employer pour décrire les interludes de jeu improvisé et farfelu joués par les acteurs au milieu d’un drame religieux au théâtre appelés mystères (on disait alors que l'on farcissait la représentation). On appelle farce les pièces de théâtre comiques composées du 10e siècle jusqu'au 16e siècle, issues du répertoire des monologues comiques, des sermons joyeux des jongleurs (héritiers de la tradition des mimes latins). Elle présente des situations et des personnages ridicules ou règnent tromperie, équivoque, ruse, mystification. Avant l’invention de l’imprimerie par Gutenberg au XVe siècle, la plupart des informations, nouvelles, chansons et pièces de théâtre étaient communiquées oralement. Les premiers imprimeurs profitaient de la popularité du genre en imprimant les textes qu'ils vendaient aux spectateurs, sous format d'exemplaire aux pages longues mais très étroites-format dit agenda. Même après cette grande invention, les deux sources de communications les plus importantes étaient l’église et les troupes de comédiens ambulants. Ces acteurs voyageaient en jouant des pièces de théâtre dont le public était friand. Ils essayaient de jouer n’importe où, y compris sur les places publiques et dans les tavernes. Même si la plupart des farces étaient issues de la tradition orale, certaines étaient écrites, telles que Le Garçon et l'Aveugle (XIIIe siècle), première farce française écrite, et La Farce de Maître Pathelin, une œuvre très célèbre écrite vers 1465. La farce est satirique mais échappe à la censure car elle fait rire les gens. Nous en avons conservé près de 250 pièces brèves. Chaque personnage est individualisé, a un nom et est lié aux autres personnages : ce ne sont pas des stéréotypes et ils n’incarnent pas tout un groupe. Ces personnages sont ceux du peuple (boutiquier, artisan, paysan, etc.). Lorsqu’un gentilhomme apparaît dans la farce, il est ridiculisé. Comme dans les fabliaux, les occupations des personnages sont très matérielles : argent, trouver de quoi se nourrir, amour. C’est un monde de tromperie. Tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins. La faible femme triomphe généralement. Les moines sont paillards et débauchés, le thème du trompeur trompé revient fréquemment. Le décor est simple et permet de jouer dans n'importe quel lieu. Il se trouve aussi que les clercs de la Basoche étaient les plus grands auteurs de farces au point où on leur attribue même La Farce de Maître Pathelin citée plus haut. Ces clercs étaient des membres de la justice d'où de nombreuses pièces de jugements qui leur permettaient de s'entrainer à leurs futurs jugements. On connait aussi les Enfants Sans-Soucis, les Cornards de Rouen, deux confréries joyeuses d'amateurs. Farce au XVIIe siècle[modifier] Au commencement du XVIIe siècle en France, les trois genres dramatiques reflétaient les strictes divisions des classes sociales à cette époque: la tragédie était associée à la noblesse, la comédie à la bourgeoisie, la farce au peuple. Les grands changements apparaissent en France au XVIIe siècle, avec les apports de la commedia dell'arte et son influence sur la farce française. En parcourant la France, JeanBaptiste Poquelin, dit Molière, rencontre des acteurs de la commedia. Inspiré des techniques de ce genre théâtral, Molière commence à écrire des farces, en employant les dispositifs littéraires utilisés par la commedia, comme le lazzi (acrobatie verbale et gestuelle), le quiproquo et l'humour bouffon. Il utilise aussi des noms de personnages très similaires à ceux des pièces de la commedia, comme Sganarelle et Lucinde. En écrivant ses farces, Molière a non seulement rétabli la farce en France, mais il lui a aussi donné la respectabilité. La nouvelle farce française est plus drôle et amusante que la comédie traditionnelle et n'est plus seulement destinée au peuple. La stricte division entre les genres dramatiques tend à s'estomper. À la même époque, Corneille crée un nouveau genre théâtral, la comédie de mœurs, qui rompt avec la farce grossière et bouffonne en vogue. En France, les farces les plus célèbres sont : • • • • La Farce de Maître Pathelin (vers 1465 et anonyme) Le Pâté et la Tarte La Farce du Cuvier La Farce des deux savetiers D'autres auteurs contemporains se sont illustrés dans ce style : • • • • Farces et moralités (1904), d'Octave Mirbeau. Le Cocu magnifique (1921) de Fernand Crommelynck Le Minotaure (1969), de Marcel Aymé. Caviar ou Lentilles (1956), de Giulio Scarnicci et Renzo Tarabusi. (sources : http://fr.wikipedia.org/wiki/Farce_(th%C3%A9%C3%A2tre )