Louis Jouvet Le comédien désincarné

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Louis Jouvet Le comédien désincarné
Louis Jouvet
Le comédien désincarné
Notes de lecture par Gaëlle CABAU
Louis Jouvet est un acteur français, metteur en scène et directeur de théâtre, professeur
au Conservatoire national supérieur d'art dramatique, né le 24 décembre 1887 à Crozon
(Finistère), mort le 16 août 1951 à Paris.
Interrogations, confidences sur le théâtre.
Le plaisir de la curiosité et la prétention de connaître m’ont fait étudier
tout ce qui peut s’apprendre : art de jouer, de mettre en scène, de
décorer, de peindre.
Introduction
- Montrons les dangers, l’instabilité du théâtre actuel, et prévenons les
acteurs
- Absence de connaissances qu’il y a dans notre métier.
- Cinéma qui a décongestionné, appauvri et donc purifié le théâtre :
question de la vulgarisation.
- Il faut retrouver ou redécouvrir ce qu’était le théâtre.
- Il faut que l’acteur sache qu’il y a un métier de théâtre, une vocation
de théâtre.
- L’art dramatique va-t-il devenir un système pour alimenter
moralement ou éduquer tendancieusement les masses ?
A la mémoire de Jean-Louis
-
Après la représentation d’Ondine.
Possession gênante éprouvée lors de l’exercice de la représentation.
Je disais mon texte comme au bord d’un précipice : communication
qui atteignait une communion.
Métier physique.
La bonne volonté participante du spectateur est aussi importante que
celle de l’acteur, aussi nécessaire.
Sorte de collaboration faite avec des éléments très différents : texte,
sensations chez les dupés volontaires.
Considérer le théâtre dans ce qu’il a d’actif.
Point de vue littéraire / le sens de l’exécution
Interrogations sur le théâtre
- Pour moi, le théâtre est chose spirituelle ; un culte de l’esprit ou des
esprits.
- Le théâtre multiplie, amplifie en nous la vie… la met en forme
d’énigme.
- Le théâtre est une de ces ruches où l’on transforme le miel du visible
pour en faire de l’invisible.
- Qu’est-ce que le théâtre et pourquoi va-t-on au théâtre ? Pourquoi faiton du théâtre ? Où commence le jeu, le jeu et où mène-t-il ?
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-
Egoïsme du comédien :
• plaisir d’être autre
• plaire
-
Le théâtre est fait pour apprendre aux gens qu’il y a autre chose que
ce qui se passe autour d’eux, que ce qu’ils croient voir ou entendre,
qu’il y a un envers à ce qu’ils croient l’endroit des choses et des êtres,
pour les révéler à eux-mêmes, pour leur faire deviner qu’ils ont un
esprit et une âme immortels.
Créer la contemplation, l’extase, la méditation.
Sommeil du théâtre.
Entrer au théâtre, c’est faire une déclaration d’absence ou de vacances
pour un certain nombre d’idées, de sentiments / Être en disponibilité
pour la poésie, l’esprit, la cosmogonie, la métaphysique.
On n’est pas ces personnages, on n’est pas autre que soi : on est soimême dans un divertissement plaisant
Considérer attentivement de quelle manière il se dédouble, et les
résultats de ce dédoublement.
Développement d’une personnalité dans l’abandon de sa personnalité.
-
-
Vocation
-
-
Nécessité de vivre réellement mieux que dans la vie courante, dans
une réalité plus haute.
Se dramatiser soi-même et ce qui nous entoure : comprendre pourquoi
on aime, pourquoi on souffre… remonter aux causes
Se donner, s’abandonner et se perdre / état de sublimation, de
dépossession et de repossession ailleurs.
C’est d’abord le propre contentement de l’acteur qui est en jeu, son
soulagement.
Vivre cette vie en nous que nous n’avons pas vécue et que peut-être
nous ne pourrons pas vivre.
Tout acteur est au début un dilettante, un amateur.
On fait du théâtre parce qu’on a l’impression de n’avoir jamais été soimême, de ne pas pouvoir être soi-même et qu’enfin on va pouvoir
l’être.
Mécontentement de soi et volonté orgueilleuse d’être soi-même.
Un goût de secret, un désir de se masquer.
Mais aussi besoin de gloire, de triomphe, de succès.
Sentiment de ne pas être suffisamment.
Art de se tricher soi-même ou les autres.
Vivre des passions hautes.
Au départ le comédien veut s’exprimer soi-même. Il croit qu’’il peut le
faire, que cela suffit et que c’est cela jouer ou faire du théâtre.
Fuir le mensonge insupportable de sa vie.
Bernard-l’ermite, locataire usurpateur.
Il n’y a pas de sincérité, c’est un état impossible.
Où est le mensonge du théâtre ? Où est la vérité du théâtre ?
Manquer sa vie c’est se chercher où l’on n’est pas.
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-
Il faut chercher une expression de notre être qui ait une valeur de
libération, d’accomplissement.
En sortant de soi, on fait l’épreuve de ce qu’on est.
Nous nous affirmons au contact de ce qui s’oppose à nous.
Deviens qui tu es, au lieu de Connais-toi toi-même.
Le mythe du Sphinx est l’illustration de l’homme. A la question que lui
pose sa propre destinée, il appartient à chacun de répondre par
l’affirmation de l’homme en lui.
Comportement de l’acteur
Conservatoire
Audition
- Commis voyageur de soi-même
- Métier de mensonge et de tricherie
- Ne va pas plus loin que toi, ne cherche pas à nous montrer que tu es
le personnage, mais ce que tu voudrais être, ou comme tu cherches à
l’être ; et surtout ce que tu es en vérité.
- Cherche ce que tu peux apporter, ajouter au rôle par le cœur.
- Montre ton souci d’exécuter pour les autres.
- Le besoin vaniteux d’être autre chose et d’une façon vide, est ce qui
frappe le plus de nos jours.
- Pas un qui soit touché ou remué par une œuvre (déplore le fait que les
candidats ne présentent pas de classique).
- Il n’a que le désir de convaincre, de s’assouvir, de s’affirmer, d’avoir
raison ; il ne pose pas de question.
-
Au départ, pudeur.
Désir d’atteindre les auditeurs.
Il faudra longtemps pour qu’il prenne conscience de lui-même à
l’intérieur de ce personnage.
Eveiller en lui la vision d’un personnage, et en même temps la
conscience de sa propre sensibilité.
Décomposition des différents sentiments d’une scène : succession
d’états
Sentiment d’être ou n’être pas à l’unisson de ce qu’il cherche à être et
à exprimer.
Comportement de l’acteur
Pour
-
faire un acteur
Un total physique
Un pouvoir d’intéressé ou non
Contrôlé par les textes, dans une longue pratique, une conscience de
soi
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Souci de l’attitude, de l’impression sur autrui
- Etre regardé
- Désir de plaire, d’être approuvé, remarqué
- Fuite constante : on se réfugie dans n’importe qui d’autre que soi.
- Nécessité d’être dans le paraître.
Acteur-exercice du théâtre
- Cette vedette, ce n’est rien qu’un homme qui fait semblant.
- Mémoire, les trous, les hésitations, le trac.
- Une obligation à se transformer.
Influence du dramatique
- L’acteur devient ce qu’il sent.
Types d’acteur
- Les voilà avec 25 kilos de bagages de sentiment
- Ils se croient sûrs d’exprimer parce qu’ils éprouvent. C’est le contraire
- D’abord ils croient qu’ils sont le personnage et qu’ils vont lui donner
vie. Ensuite ils se chargent pour le jouer de tous les sentiments dont
ils sont capables (…) ils en sont bouchés, paralysées, idiots.
- Il y a des comédiens dont la transfiguration se fait uniquement par le
costume.
- Certains peuvent continuer des phrases dont ils ont perdu les mots.
- N. vit le rôle… C’est un émoi monstrueux… Elle est engluée par son
état congestif de sensibilité.
- Il croit qu’il joue bien ce personnage, parce qu’il est dépossédé de luimême par ce personnage.
- Ils s’empêtrent et s’empâtent dans des sens, des intentions : le texte
s’abat sur les spectateurs comme la nourriture sur les otaries ou les
phoques.
Texte
- Le texte prend son sens uniquement lorsqu’on le dit, quand on le
prononce.
- Le texte n’a un sens que lorsqu’on l’adresse à quelqu’un : partenaire
ou public.
- Le texte seulement lu est trop abstrait.
- Chaque fois une signification nouvelle comme Dieu.
Public
- Tyrannise les exécutants par rapport à une soi-disant tradition.
- Facile contentement du comédien où se mêle souvent la vanité.
Dédoublement :
- Vie avec projection extérieure de soi.
- Réfléchir sur le besoin, le goût exagéré de sentir et d’éprouver chez le
comédien… s’approprier les sentiments des autres.
- L’entrée en scène est un élan. C’est le premier élan.
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-
Il va comme un patineur qui s’efforce jusqu’à ce qu’il ait obtenu l’élan
nécessaire, dans la recherche de son équilibre, dans le plaisir,
l’enivrement de la vitesse et dans l’évasion de ses moyens habituels.
Nécessité d’ajuster et d’apprécier à la fois.
Intrigue - Action – Mouvement
- Ne pas surcharger le texte des sentiments personnels.
- Le don d’humilité et de modestie qu’il faut à un comédien est unique
parmi toutes les vocations.
- On n’est pas, on ne peut pas être Alceste.
- Jouer la situation : ce n’est que mouvement, rythme, ton.
- Enchaîner les répliques sans y piquer de-ci de-là ses sentiments, ses
préoccupations, ses intentions.
- Rôle d’intermédiaire.
- Un rôle est une trajectoire qui unit le point A au point B.
- Unisson total à atteindre entre le comédien, le public et l’auteur
-
Problème de l’acteur
• Etre possédé par une œuvre et la posséder
• Conscience de l’œuvre, du public et de son comportement
entre les deux
• Il faut être maître de cette avidité, de ses appétits, de ses
passions, de ses sensations.
• Contrôle et découverte de soi.
-
Evolution d’un acteur idéal
• Pratique, dégoût, insincérité, puis découverte d’une sincérité
relative, puis découverte de soi, et puis de l’autre.
• Puis dédoublement conscient.
• Pratiquer avec connaissance ce qu’il fait.
• Pratique intelligente du paraître et de l’être, de l’ostentation
et de l’authentique.
• Le dramatique ordonnée
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De la participation de l’acteur à son rôle
• Vanité obligée engendrée par le public : dépendance et
servitude à l’égard du public
• Impermanence du métier
• Toujours changer, toujours être obligé par une nouvelle
opération,
désintégration
ou
amplification
de
soi,
dépossession, repossession
Disposition pour jouer
-
Recherche de la disponibilité pour jouer.
Exercice physique du texte.
Personnages dont la vie contient toutes les passions humaines.
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-
Comment obtenir en soi cette modification intérieure ?
Dépossession de soi qui donne le sentiment d’une existence plus vive,
plus réelle.
Il faut une forme d’obstination, de persévérance.
C’est une constante tentative de transformation, une transcendance
vers des personnages héroïques ou ridicules.
Divagations du comédien
Le personnage de théâtre
Découverte de soi et du personnage
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-
Mesurer le chemin entre ce qu’on voulait et ce qu’on est, découvrir
l’impossibilité d’être... malgré la sincérité, vivre dans le « faire croire »
et le « faire semblant ».
Désenchantement inéluctable.
Un soir le personnage vous perle, et le lendemain sur scène on est
DEUX pour jouer.
J’existe par ce que je dis. Etre pour moi, c’est proférer mon texte.
Nous sommes condamnés à incarner des Esprits, dont nous ne
donnons jamais que la caricature.
Jaillir de soi, sortir de soi, se fuir pour aller plus haut.
Lettres à l’acteur
-
Lettre d’un personnage à un acteur
L’acteur comprend qu’il doit quitter sa personnalité.
Le personnage sait qu’il n’existe que virtuellement, qu’il a besoin de
l’acteur.
Quelle est ton intention, est-ce de me figurer ? Est-ce de témoigner
pour moi ? ou vraiment de me représenter ?
Aider le personnage, l’animer. Se substituer à lui (bernard-l’ermite). Se
l’approprier, se l’annexer.
Le rôle
- Chez l’acteur le sentiment n’est que la conséquence du comportement.
- Le comédien est un et plusieurs, et cependant il lui est bien difficile
d’être autre que ce qu’il est, si ce n’est par un dépouillement de soimême, une longue habitude.
- Jamais l’acteur n’atteindra le personnage, le héros.
- « Sache que tu n’es pas ce que tu joues, et ne l’oublie jamais » (La nuit
des rois)
- Qui crois-tu donc que je suis pour oser dire qui tu es.
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Usage de la personnalité
- Le héros est un personnage légendaire : il vit dans la légende et crée
autour de lui une légende.
- Dom Juan : « Pour moi, je ne sais ni d’où je viens, ni où je vais, ni ce
qui m’arrive, ni ce qui m’est arrivé avant la pièce, ni ce qui m’arrivera
durant la pièce. Je suis ! »
L’auteur
- L’auteur subit sa pièce : il l’écrit, s’en délivre, l’œuvre continue son
pouvoir d’action
- Réfléchis qu’il faut d’abord me connaître pour m’imiter. Il faut que tu
sois sec, nu, dépouillé
- Peut-être cette nuit-là, dans la nuit de la scène, dans la tranquillité
inquiétante de ces décors, les fantômes des personnages viendront-ils
eux-mêmes se représenter, et joueront-ils la pièce pour une assemblée
de spectateurs qui seraient de purs esprits.
Lettre du personnage
- Tu n’as jamais eu l’idée qu’Alceste était un personnage vivant ; tu crois
niaisement que sa vie est en toi-même, qu’il ne vit que par toi, et que
c’est toi qui l’animes. Il a besoin de ton aide pour être sensible, mais il
vit cependant
- Ils ont besoin de toi pour que ceux qui viennent te voir les éprouvent
vivants en eux-mêmes.
- Sublimer ton moi dans ce non-moi qu’est le rôle.
- Tu es placé entre l’individu que tu es et la créature, le héros que tu
veux être ou représenter.
- On ne peut pas expliquer une pièce, on ne peut que l’éprouver et c’est
indescriptible.
- Tu me représentes, tu ne me vivras jamais
- Rilke « c’est dans la nuit et la solitude de toi-même que tu obtiendras
ces moments où rien n’empêche de tout comprendre, de tout
reconstituer de ce qui est humain »
- Ne cherche pas à convaincre les autres, mais toi-même.
- Dramatisme : Voile jeté sur la réalité des choses, et voile soulevé par le
poète qui fait naître la poésie.
Acteur et personnage
-
Que d’aspects, que de nuances, que de tons différents, de personnes
diverses pour un même rôle
Quelles sont les limites permises de la liberté d’interprétation ?
Envoûtement et hypnotisme.
Le personnage n’a de valeur et d’existence qu’au théâtre, que par une
incarnation dramatique.
Les personnages sont des incarnations des sentiments, des idées, des
vérités d’une époque.
Et il n’y a d’autres vérités que l’illusion.
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Les personnages se nourrissent de notre substance à chaque époque.
Personnage : condensation d’humanité.
Le théâtre est l’imitation d’un geste divin.
La communion du théâtre est par le personnage.
Le comédien doit avoir le besoin de parler, et le public a celui d’écouter
et de comprendre.
Grâce intérieure.
Le rôle doit servir à se désincarner de soi-même. Ce n’est que dans cet
état qu’on atteint au personnage. Le comédien atteint au personnage
par un effort de sensibilité et de spiritualité// l’acteur, lui, ne se
désincarne jamais.
S’approcher d’Alceste en esprit et se mesurer à lui ; se demander de
quelle façon on peut témoigner pour lui, le représenter, s’offrir à lui, à
force d’amitié et d’admiration.
Il y a deux sortes d’exécutants : ceux qui restent soudés à eux-mêmes
et ceux qui se dissocient.
Concentration, méditation du comédien
- Ne pas aller vers l’imagination pour retrouver l’état nécessaire
physique pour dire la réplique // Tout abolir au profit de la sensation
pure.
- Découverte des contraintes et découvertes des désillusions :
désenchantement nécessaire.
- Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation.
- Le comédien est chargé de l’identité du personnage.
Texte et jeu
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Il faut retrouver l’état physique pour dire une réplique. Il faut
repousser, contenir le sentiment. Il faut placer la sensation avant tout
autre travail.
Toutes nos investigations sont rêveries physiques, animales.
Il ne s’agit pas d’interpénétration psychologique, autrement dit de
comprendre, mais de sentir, d’éprouver par des moyens d’abord
physiques. Pénétration intime et cela commence par le corps.
Analogie physique profonde fondée sur la sympathie.
L’écrivain ne contrôle pas plus sa sensation que le comédien ne
contrôle l’idée qu’elle traduit.
La sensation physique est liée à un état sentimental.
Véritable possession.
Etat physique qui délivre l’auteur lorsqu’il assiste à cet exercice.
L’acteur en s’incarnant prête son corps au personnage.
C’est en somme un passage, un transit de personnages, à l’état de
fantômes chez l’auteur, qui prennent corps dans le comédien.
Le théâtre est fabriqué avec une substance sensible.
Il faut commencer par la sensation. SENSATION – NOMBRE –
RYTHME – PHRASE
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La difficile est d’être éloquent sur un matière spirituelle qui se présente
dans un état brut inanimé.
Atteindre le sens et le sentiment d’une œuvre qui porte en soi toutes
les significations et toutes les sensibilités nécessaires.
Ce qui importe c’est l’acte, l’action, et non le propos, la tirade
démonstrative.
Le musicien fait danser le danseur, le comédien fait dire le personnage.
Le rôle pour le comédien, c’est la façon dont il se comporte dans un
texte, et non la somme de répliques ou de phrases qu’il a à dire.
Tout n’est d’abord que physique, il ne faut pas commencer trop tôt par
le sentiment.
Il faut partir du texte.
Le texte de Molière vivant pour ses acteurs et pour nous littéraire.
Syllabisation et rythme respiratoire.
Relief des mots, sonorités : art de prononcer, art de dire, art de
respirer, art de laisser monter en soi le sentiment.
L’acteur est un interprétateur, un rhapsode.
Il prend le rôle dans son total, son entière expression.
Une œuvre dramatique est, dans un équilibre parfait, une association,
un accouplement de gestes ou de faits et de sentiments ou de
sensations.
La partie physique et la partie intellectuelle, le corporel et le spirituel,
le geste et le propos, étroitement unis et sans possibilité de les
séparer, c’est cela que contient une action dramatique ou les rôles, les
personnages qui la font.
Jouer la comédie c’est aussi : une mutation de l’individu dans le rôle,
dans un type.
Pas d’automatismes : libérer sa sensibilité et contrôler ses évasions
sensibles.
Impossible de prononcer le texte sans le penser.
Les répétitions servent à acquérir un mécanisme qui sert de sécurité.
Abstraction de l’acteur dans le jeu, et faculté de dédoublement.
Soucieux du public qui l’écoute et le regarde.
Mémoire mécanique et affectivité sont les deux bras du fléau de ce
balancier à l’aide duquel il avance dangereusement dans l’exécution
du rôle, sur le fil tendu de l’action, en ne perdant jamais conscience de
lui-même.
Oscillant entre sa mémoire et sa sensibilité, s’aidant de l’habitude
donnée par la répétition.
Ce n’est là que du mensonge, qu’une dissimulation.
Dédoublement au sens habituel (Diderot)est faux, c’est une
DISPONIBILITE du comédien.
Ne comprends pas trop vite, mais délivre toi de toi-même ; tu ne
saurais croire comme tu es encombrant pour moi (dit le personnage) et
comme tu es encombré de toi-même.
Il faut que le comédien soit ignorant pour être docile.
Il n’y a d’indication que physique. Tout est suspect sauf le corps.
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Ce moment où l’on se sent dédoublé entre une sensation et un
sentiment.
L’acteur mâche les phrases et les incorpore à ses sentiments par cet
exercice physique, par cette fécondation artificielle.
Accouchement de l’œuvre, sa mise au monde.
Ecartelé par une tension où le corps et l’âme s’opposent et se révèlent.
Etat dramatique : vide et abstraction.
Le poète est inspiré.
L’état dramatique est le moment préalable à cette vie mystérieuse où
les sentiments, les idées, les sensations nouvelles naissent et vivent à
l’état pur.
Similitude d’états physiques entre l’auditeur, l’acteur, l’auteur, lien, fil,
mèche, qui transmet l’illumination intérieur, effluve fulgurante qui les
traverse tous les trois ou action même du théâtre.
Intuition
Démarches du comédien
- Sentiment de dualité
- Incarnation où tout est soudé, mêlé, confondu ; puis désunion,
disjonction, divorce entre le personnage et soi ; puis désincarnation du
personnage qu’on voit en dehors de soi, fantôme, puis sentiment du
double.
- Assimilation totale / dissociation en soi / projection hors de soi-même
/ Disponibilité créée par le jeu / traduction de la nature intime de
l’œuvre dramatique et du rôle.
- Sentiment de diplopie : dédoublement
- Pendant la répétition, l’acteur se sert du texte pour s’échauffer, pour
acquérir une certaine puissance d’existence et de vérité.
- Le texte apporte une étrange présence, une voyance, un état mystique.
- Le personnage est larvaire en vous + il se dédouble et vous habite + Il
est projeté hors de vous
- Naissance d’une nouvelle existence du personnage à formes plus ou
moins parfaites suivant les phases dans l’acteur.
- Le personnage est un être réel qui ne livre son secret qu’à ceux qui le
cherchent, qui croient à son existence et à sa révélation, qui
témoignent à son égard d’un respect.
- Se sentir le personnage pour l’acteur est exceptionnel et grave de
conséquences.
- Le personnage n’atteindra pas sa vie propre ; sa croissance spirituelle
est arrêtée par cette fixation que la sincérité de l’acteur lui impose.
- Parfois le personnage est plus clair pour le public que soi-même.
- Rôle : suite de répliques, de mots, signes, fragments, propos et idées
qui ne sont pas des sentiments.
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Le personnage existe entre l’émotion du public et celle de l’acteur.
Dis-moi qui tu hantes et je te dirai qui tu seras.
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Extériorisation où le personnage et l’acteur luttent l’un l’autre, tantôt
dans l’union, tantôt dans la désunion.
La faculté de compréhension d’un acteur est proportionnelle à sa
puissance d’éprouver.
La pratique d’un auteur est une nouvelle manière de se connaître soimême.
Les personnages sont des êtres immatériels qui attendent d’être
habités.
Le personnage est obtenu par imitation jusqu’au sentiment vrai qui
pénètre l’acteur ou par escamotage, substitution de l’acteur au
personnage, énucléation, bernard-l’ermite.
Le personnage succube ou incube de l’acteur.
L’acteur est un empirique, comme tel il doit chercher sa vérité à partir
de ses sensations et de ses sentiments.
Il faudrait prendre la pièce classique comme une œuvre nouvelle et
désapprendre.
Moment où le personnage, se révélant dans l’acteur, celui-ci prend
conscience de lui-même.
« Seule la sensation consciente vaut » (Bergson)
Soudaine prise en considération de tout ce que la pièce a présenté ou
présentera.
Avant de jouer, ressouvenir : Molière a joué le rôle. Je sens les
moments dramatiques semblables à ceux qu’a dû procurer la pièce
autrefois.
Exemples :
• Le père Karamazov : jusque-là j’avais du mal, je le
composais ; puis dès le souper j’étais à mon aise, j’étais
heureux de jouer.
• Knock crispation musculaire, rythmique
Il y a des personnages qu’on peut truquer, c’est-à-dire jouer n’importe
comment, suivant ses moyens, ce sont des pseudo-personnages, des
mannequins. Mais le vrai personnage doit se jouer dans son rythme,
dans le rythme du vrai sentiment.
Premier état de la connaissance (par introspection), par intégration,
par une participation physique.
On appelle intuition cette espèce de sympathie intellectuelle par
laquelle on se transporte à l’intérieur d’un objet pour coïncider avec ce
qu’il a d’unique et par conséquent d’inexprimable. (Bergson)
Générosité obligée du jeu
C’est un amour agissant qui devine et comprend parce qu’il s’oublie.
Palpation continuelle qui fait la guerre à un automatisme intellectuel.
L’invention de l’acteur c’est d’abord percevoir, se souvenir, pratiquer ce
premier mimétisme du texte, s’ajuster au texte et obtenir par lui le
mimétisme supérieur qui fait découvrir le sentiment.
Amasser les matériaux sensibles nécessaires, faire d’innombrables
tentatives, favoriser les chances de rencontres avec le texte.
Dissociation, dissolution des habitudes / association et construction.
Se libérer des idées toutes faites.
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Il faut être un héros de la vie intérieure.
Respect des personnages, oubli et don de soi.
Faire vibrer à l’unisson l’âme du spectateur.
Le rôle doit être un désir et une joie.
Il faut à l’acteur un trop-plein de vie affective.
Il faut incorporer en soi l’idée du rôle ou de la pièce jusqu’au point où,
devenus notre réalité et notre substance, ils agiront en nous comme
des forces naturelles.
Le personnage arrive à avoir une existence de contraste en dehors de
lui, une existence virtuelle.
Nous sommes au théâtre dans le domaine du mystère et de l’intuition,
de l’inexplicable.
Intimité
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-
Le comédien vit habituellement dans d’autres sensations que les
siennes.
Le rôle existe plus intensément que le comédien qui le joue. Le
personnage existe au-delà du comédien, au-dessus, autrement.
Jouer la comédie c’est vivre dans l’imprévisible, dans une possibilité de
miracle.
Paradoxe du comédien : état d’instabilité et de déséquilibre, dans ces
instants où il est placé entre ce qu’il est et ce qu’il veut être, entre luimême et les rôles qu’il joue.
On n’est peut-être pas fait pour un seul moi (Henri Michaux)
Sartre : « Je ne puis connaître que par l’intermédiaire d’autrui » (le
personnage)
Contraintes
-
Contrainte : servitude, obligation, tout ce
l’expression.
La fabrication poétique du comédien :
simulation.
Art de se servir des contraintes : inconfort
s’en servir pour un confort apparent, pour
confort.
qui sépare le comédien de
dissimulation, simulacre,
nécessaire et la manière de
pratiquer le simulacre d’un
Tradition
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Penser à la signification originelle.
Il faut percevoir au-delà de l’habituel, du convenu.
Il faut être ignorant pour être inventeur, mais il faut une ignorance qui
soit un discernement.
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Qu’est-ce que la vérité d’une pièce ? Ce qui la fait vivre, ce qui la rend
séduisante à l’esprit, efficace au spectateur.
Dans le théâtre, la représentation, le jeu est une vérification de la
découverte du sens.
On possède la vérité pour autant qu’on la vit, qu’on l’invente et la
réinvente inlassablement.
Reprise d’Ondine
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Obligation d’être à la hauteur de ce qu’on joue, qui vous confère une
responsabilité.
Faire un décor
-
Tout est pour moi dans la pièce la possibilité de voir, d’entendre,
d’éprouver la pièce.
Rien n’est incertain, changeant, mobile, variable, insoupçonnable,
déconcertant et redoutable comme une pièce, rien n’est plus complexe,
rien ne défie l’analyse comme une pièce.
Un comédien m’a dit
-
-
Tu ne vis que de contrariétés, de contradictions et de contraintes.
Le comédien désincarné : c’est quand tu n’es plus toi-même, mais
seulement le mannequin, ce vide, ce creux, inconscient, et conscient
de cette inconscience.
L’illumination du théâtre, ce n’est pas celle de la rampe, mais celle des
âmes.
Un autre comédien m’a dit : « Ce sera quelque chose de moi que je
ferai là, ce ne sera peut-être pas de Molière. »
« Notre métier nous fait mieux comprendre qu’à personne la vanité de
la vie, l’interrogation qu’elle porte à tous moments »
Présence de soi-même et sentiment de solitude.
Le théâtre est plus vrai que la vie.
Les actes du théâtre
Sens du dramatique
- Refuge
- Provocation à l’intérieur de l’individu qui le libère de lui-même par
dépossession et repossession, lui donnant une vie nouvelle, lui
ouvrant les barrières sur un infini, sur la poésie.
- La clef de l’art dramatique est le point d’interrogation.
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Le théâtre fait varier chez l’individu, modifie sa nature propre ; il influe
sur l’être humain par effusion, purgation.
Les spectateurs pétillent de réminiscences : l’effet du théâtre rejoint la
nature même de l’homme dans ce qu’elle a d’absent, d’insatisfait et
d’inachevé.
Tout est basé sur cette fuite de soi-même, et ce désir d’être autre, ce
besoin d’identité nouvelle.
Dans la pénombre douce de la salle, dans cette demi-obscurité
favorable, dans un assoupissement de soi, une libération se produit..
Peu à peu ils respirent un autre air, ils vivent une autre vie.
On est le premier dupé, mais orgueilleusement satisfait.
Shakespeare, Eschyle, Molière nous annoncent quelque chose
d’indicible, mais qui est un secret véritable.
Le monde devient rêve et le rêve devient monde. (Novalis)
Le théâtre est un exercice, un désordre organique, nécessaire à
l’individu comme à la collectivité, pour activer ou calmer sa vie propre
et la vie du groupe dans lequel il existe.
C’est la seule vérité vraie de la fausse réalité dans laquelle vivent les
hommes, la seule réalité qui leur soit essentielle.
Le théâtre satisfait en nous, répond à :
- Un besoin de songerie
- Un goût du plaisir, des rires, des larmes
- Besoin de solitude et de possession
- D’échapper au pacte social
- De se refaire en soi une unité
- D’être, de se trouver une ressemblance, de devenir l’être qu’on
souhaite.
- Le théâtre est une recherche du dramatique, d’une révélation.
- Le théâtre est une communion de solitaires qui ont entrepris de
s’abuser, user d’une illusoire pratique, d’une fiction commode.
- Le théâtre n’est pas une illusion, c’est une vérité.
- Phases :
solitudedédoublement-création-illusionvéritécompensation.
- Le théâtre proclame, accuse la relation de l’individu et de l’espèce, de
l’individu et des groupes.
- Jouer c’est être en dehors de soi d’abord.
Les actes du théâtre
- On fuit sa vie, on cherche à la rêver.
- L’irréel est plus total que le réel.
- La vie est chose imparfaite que nous complétons par l’imaginaire.
- La vie d’Alceste, la vie de tous les personnages est une vie imaginaire
mais supérieure à celle de n’importe quel héros humain.
- La base du théâtre est l’imaginaire.
- Le théâtre est insupportable aux religions par la libération
indisciplinée qu’il offre et procure.
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Ce qui est admirable, c’est qu’on parte d’un jeu et que, dans le
simulacre du jeu- sous le couvert du jeu- on atteigne aux plus hautes
vérités humaines.
Désir nostalgique de se transformer.
Tous nous portons en puissance en nous toutes les passions, tous les
destins, toutes les formes de la vie.
Le spectateur est un poète sans mot, impuissant à sa traduire.
Il n’y a rien de communautaire dans la représentation : la
représentation est un acte intérieur et solitaire.
Si l’on voulait écrire une histoire du théâtre
- Etat de solitude nécessaire pour écarter la réalité et donner cours à
des aspirations secrètes.
- L’histoire du théâtre n’existe que par l’histoire de ces textes qui ont
formé l’histoire de la littérature dramatique.
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