La situation des Droits de l`Homme au Timor-Oriental

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La situation des Droits de l`Homme au Timor-Oriental
Internationales Katholisches Missionswerk e.V.
Œuvre Pontificale Missionnaire
Secteur « Droits de l’Homme »
Dr. Otmar Oehring (éditeur)
Postfach 10 12 48
D-52012 Aachen
Tel.: 0049-241-7507-00
Fax: 0049-241-7507-61-253
E-mail: [email protected]
© missio 2002
4
Menschenrechte
Human Rights
ISSN 1618-6222
Numéro de commande 600 224
Droits de l’Homme
Georg Evers
La situation des
Droits de l’Homme
au Timor-Oriental –
La voie ardue de la
fondation de l’État
Le secteur Droits de l’Homme de missio a vocation à promouvoir la connaissance de la
situation des droits de l’homme dans les pays d’Afrique, d’Asie et d’Océanie, et de contribuer ainsi à l’améliorer. Pour nous rapprocher de cet objectif, nous nous engageons
dans des réseaux œuvrant pour les droits de l’homme et nous attachons à promouvoir
les échanges entre les partenaires religieux de missio en Afrique, Asie et Océanie et les
responsables religieux et politiques en République Fédérale d’Allemagne. Dans sa série
Droits de l’Homme, le secteur Droits de l’Homme publie des études consacrées à
différents pays, des études thématiques ainsi que les rapports de conférences spécialisées.
Le Timor-Oriental, ces derniers temps, a disparu de l’actualité avec les événements dramatiques qui ont secoué le monde le 11 septembre 2001. Finalement, c’est mieux ainsi
puisqu’il s’avère que le processus de la création de l’État du petit Timor-Oriental avec approximativement 800.000 habitants est sur la bonne voie. L’étude « La situation des Droits de
l’Lomme au Timor-Oriental – La voie ardue de la fondation de l’État » décrit brièvement le poids
de l’époque coloniale portugaise dans une période de presque 400 ans qui s’est terminée,
après l’épisode succinct de la première indépendance en 1975, par l’invasion et l’occupation par l’Indonésie. Les 20 années suivantes d’occupation indonésienne ont été caractérisées
par l’exploitation et le génocide de la population et se sont achevées par le référendum
d’août 1999, par lequel le Timor-Oriental a opté pour l’indépendance. Les massacres et la
campagne de destruction des milices et de l’armée indonésienne, en septembre 1999, ont
laissé un pays dévasté. Le travail de reconstruction, le soutien massif par la communauté
internationale des nations et la contribution de l’Église catholique seront illustrés en détail.
A côté de la tâche d’instituer de nouvelles structures étatiques, cette période pénible de la
constitution de l’État a été caractérisée par l’injustice et la persécution de criminels ainsi
que par le problème irrésolu des réfugiés. Sans réconciliation nationale, la reconstruction
ne peut avoir lieu. Les élections pour une assemblée constituante, le 30 août 2001, et l’institution d’un gouvernement de transition ont été des démarches décisives quant à l’indépendance nationale.
Georg Evers, né en 1936 à Emmerich; 1956-61 études de philosophie à Munich, licence ;
1962-64 études de la langue, histoire et culture japonaises à Kamakura ; 1965-69 études
de théologie à l’université de Sophia à Tokyo, licence et Master of Theology ; 1969-72 promotion en théologie chez Karl Rahner à Münster avec une thèse sur la théologie de la mission et des religions ; 1973-79 responsable de la formation adulte œcuménique et interreligieuse à Bendorf près de Koblenz; 1979-2000 référent de la section sciences de la
mission auprès de l’institut missio à Aix-la-Chapelle ; dans les années 1979-2001 plusieurs
voyages dans des pays asiatiques. Participation permanente aux conférences importantes
de théologie au sein de la Federation of Asian Bishops’ Conferences (FABC)
Littérature sélectionnée
Georg Evers,
Carlos Belo, La voix d’un peuple oublié,
Friburg 1996
Georg Evers,
Autonomie ou indépendance politique
pour le Timor-Oriental?
dans : Forum Weltkirche 118 (1999) 3,
pp.7-11
José Ramos Horta,
Vers une solution pacifique au Timor-Oriental,
Fairfield (Australie) 1996
José Ramos Horta,
La lutte pour la liberté au Timor-Oriental n’est
pas terminée,
Friburg 1997
Arnold S. Kohen,
Du lieu de la mort, les combats héroïques de
l’évêque Belo au Timor-Oriental,
New York 1998
Klemens Ludwig / Korinna Horta,
Le Timor-Oriental, l’agonie oubliée,
Göttingen 1985
Klemens Ludwig (édit.),
Le Timor-Oriental, une analyse critique de l’histoire coloniale portugaise au Timor-Oriental
(1880-1912),
Hambourg 1996
C.Scott,
Le Timor-Oriental : sur la route de l’indépendance, Catholic Institute for International Relations (CIIR),
Londres 2001
John G.Taylor,
L’occupation indonésienne du Timor-Oriental
1974-1989,
Londres 1990
John G.Taylor, Le Timor-Oriental, le prix de la
liberté),
Londres, New York 1999
Publications publiées / en préparation
1
La situation des Droits de l’Homme en République populaire
de Chine – Liberté de religion
en allemand (2001) – Numéro de commande 600 201
en anglais (2002) – Numéro de commande 600 211
en français (2002) – Numéro de commande 600 221
2
Droits de l’Homme en République Démocratique
du Congo : De 1997 à nos jours. Un défi pour les Eglises
en allemand (2002) – Numéro de commande
600 202
en anglais (2001) – Numéro de commande
600 212
en français (2002) – Numéro de commande 600 222
3
La situation des Droits de l’Homme en Indonésie
– liberté religieuse et violence
en allemand (2001) – Numéro de commande 600 203
en anglais (2002) – Numéro de commande 600 213
en français (2002) – Numéro de commande 600 223
4
La situation des Droits de l’Homme en Timor-Oriental
La voie ardue de la fondation de l’Etat
en allemand (2001) – Numéro de commande 600 204
en anglais (2002) – Numéro de commande 600 214
en français (2002) – Numéro de commande 600 224
5
La situation des Droits de l’Homme en Turquie
– Est ce que laïcisme signifie liberté religieuse?
en allemand (2001) – Numéro de commande 600 205
en anglais (2002) – Numéro de commande 600 215
en français (2002) – Numéro de commande 600 225
6
Des chrétiens Persécutés ? Documentation d’une Conférence
Internationale Berlin 14/15 Octobre 2001
en allemand (2002) – Numéro de commande 600 206
en anglais (2002) – Numéro de commande 600 216
en français (2002) – Numéro de commande 600 226
7
Mutilations sexuelles chez les fillettes et les femmes
Rapport sur l’état de la situation au Soudan
en allemand (2002) – Numéro de commande 600 207
en anglais (2002) – Numéro de commande 600 217
en français (2002) – Numéro de commande 600 227
8
Mutilations sexuelles chez les fillettes et les femmes Evaluation
d’une enquête exécutée auprès de collaborateurs d’institutions
de l’Eglise Catholique dans 19 pays de l’Afrique
en allemand/anglais/français (2002) – Numéro de commande 600 208
1
Sommaire
2 Indications générales sur
le Timor-Oriental
3 Introduction
La lutte pour l’indépendance
4 Le poids de l’histoire coloniale
8 Exploitation et génocide
9 Le référendum du 30 août 1999
et les massacres ultérieurs
11 Rapports des témoins oculaires
relatifs à des excès
11 La période de transition sous
l’administration de l’ONU
Le rôle de l’Église catholique au
Timor-Oriental
20 Du partenaire privilégié au
défenseur des droits de l´homme
22 La contribution de l’Église à la
lutte pour la libération
24 L’Église catholique de la période de
transition à l’indépendance
La voie ardue de la démocratie
25 Élection de l’assemblée consti
tuante le 30 août 2001
26 Désignation d’un gouvernement
de transition
27 L’objectif premier : Paix et réconciliation parmi les groupes de
population
29 Poursuites juridiques des responsables
Problèmes à résoudre
13 Le problème non résolu des
personnes déplacées au TimorOccidental
15 Problèmes structurels du TimorOriental
Exigences
15 a) La variété des races, langues
33 Poursuitesjuridiques à l’égard des
et cultures
responsables des violations des
- Le portugais comme langue
droits de l’homme
nationale
33 Susciter l’initiative personnelle et
16 b) Problèmes de santé publique
renoncer aux abus de l’aide inter17 c) Problèmes de l’enseignement
nationale
et de l’éducation
33 Se préparer à la « période qui
18 Aspect du développement
suivra le départ de l’UNTAET »
économique
- Le dollar comme monnaie
34 Annotations
nationale
19 Comment seront les rapports
avec l’Indonésie ?
2
3
Indications générales sur le Timor-Oriental1
Nom de l’État :
Superficie :
Habitants :
Croissance
démographique :
Espérance de vie :
Taux d’analphabétisme :
Langues :
Revenu par tête :
Régime :
Organe suprême
constitutionnel :
Chef de l’État :
Premier Ministre :
Religions :
Problèmes d’infrastructure :
Timor-Oriental ou Timor Lorosae
14.952 km2 comprenant les îles Atauro et Jaco ainsi que
l’enclave d´Oekussi dans la partie occidentale de l’île du
Timor avec 33.600 km2, la plus grande des îles Sunda
841.303 (49% féminin ; 51% masculin)2
après 1980 < 3%, et récemment entre 2,4% et 2,6%3
57 ans
plus de 50%
Le tetum (et beaucoup d’autres langues tribales),
le portugais et le bahasa indonesia
304 US$ (selon une estimation des NU) ; le revenu de
plus de la moitié de la population est en dessous de la
limite absolue de pauvreté de 1$ par jour.
Administration temporaire par les Nations unies
(United Nations Temporary Administration)
L’assemblée constituante issue des élections du
30 août 2001
Encore à désigner. Le candidat ayant le plus de
chances :
José « Xanana » Gusmao
Mari Alkatiri (depuis le 20/09/2001)
700.000 catholiques (84%) ; 25.000 protestants ;
musulmans (80.000) ; hindous (3.000); bouddhistes
(1.500). Le reste de la population est composé
d’animistes et /ou de religions traditionnelles.
Dans 472 villages (Aldeias), il y a de l’électricité,
c’est-à-dire 20%. Avant les destructions de 1999, cette
proportion s’élevait à 29%. Ceci signifie qu’en moyenne
pendant 6 jours par semaine, il y a du courant pour 13
heures. Des conduites d’eau dans les maisons existent
dans 168 villages (7%), il y a des points d’eau publics
dans 595 villages et dans 117 villages des pompes publiques. Les produits principaux issus de l’agriculture sont
le riz (38%), le maïs (36%) et le Kasava (22%).
Introduction
Il est étonnant qu’une petite île, ou plutôt une partie d’une île qui ne représente finalement pas grand chose dans le vaste ensemble d’îles gravitant autour de
l’Indonésie et de l’Australie, attire autant l’attention de l’opinion internationale.
Les circonstances accompagnant cette popularité se sont révélées désastreuses
et traumatisantes pendant de longues années pour les habitants du TimorOriental. La tentative de génocide de la population de l’île occupée par l’Indonésie
se poursuivit longtemps sans que les médias et l’opinion mondiale en aient pris
connaissance. Cela a été rendu public par une série d’organisations de droits de
l’homme, de groupes ecclésiastiques et d’œuvres d’assistance pour qu’enfin
puissent être publiées les violations des droits de l’homme perpétrées à l’égard
d’hommes sans défense au Timor-Oriental. Un événement extrêmement important quant à ce soutien fut la remise du prix Nobel de la paix à l’évêque Carlos
Filipe Ximenes Belo et au politicien José Ramos Horta en 1996. Les deux personnalités se sont prononcées à différents niveaux en tant que représentants et
avocats de leur peuple pour l’identité culturelle et religieuse et la liberté politique au Timor-Oriental. L’un en tant qu’évêque et pasteur de son peuple dans la
capitale de Dili, l’autre en tant que politicien et membre de comités internationaux et en utilisant la presse. Le mouvement pour la liberté et l’indépendance
du Timor-Oriental a, par la suite, pris de l’importance, favorisé par l’évolution
de la politique intérieure en Indonésie. Toutefois, il a été surprenant de constater qu’à partir d’objectifs politiques assez vagues, la garantie d’une autonomie
culturelle et religieuse au sein de l’appartenance à l’Indonésie ou une autonomie totale en tant qu’État autonome, après une phase de transition douloureuse, l’indépendance a été rendue possible. La décision du référendum du 30 août
1999 pour l’indépendance déclencha d’abord une vague de terreur en septembre 1999, qui ne prit fin qu’après le départ des troupes indonésiennes. Restaient
un peuple traumatisé et un pays dont l’infrastructure était totalement détruite.
Pour la première fois, l’ONU a pris le risque d’administrer un territoire durant
une période déterminée pour permettre au Timor-Oriental de suivre la voie vers
l’indépendance en établissant les structures nécessaires pour la sécurité intérieure,
l’administration et les institutions politiques et communautaires .
La présente étude retrace le parcours qu’a pris le Timor-Oriental de la dépendance coloniale, au moment de l’occupation indonésienne, à aujourd’hui. Il s’agit de décrire quels sont les facteurs qui ont joué un rôle dans cette évolution.
L’histoire du Timor-Oriental, marquée par une longue suite de transformations
et d’étapes successives, fut jalonnée de violations des droits de l’homme. La nais-
4
sance de la nation et sa problématique sont à relier à ces douloureux événements
historiques.
La lutte pour l’indépendance
Le poids de l’histoire coloniale
Dans le vaste ensemble d’îles de l’archipel indonésien comprenant plus de
13.000 îles, le Timor-Oriental, avec sa superficie de 33.600 km2, une longueur
de 480 km et une largeur de plus de 100 km, est la plus grande des petites îles
de Sunda. La partie occidentale du Timor a appartenu à l’empire colonial néerlandais et fut rattaché en 1946, lors de l’indépendance, à l’Indonésie. Le TimorOriental, avec une superficie de 18.889 km2, a été jusqu’en 1975, une colonie
portugaise et fut proclamé, contre les protestations internationales, la 27ème province du pays, portant le nom de Timor Timur (signifiant en Indonésien TimorOriental). De 1586 à 1975, le Timor-Oriental a été une colonie portugaise qui,
dans le vaste empire colonial portugais, n’a joué qu’un rôle modeste en tant que
fournisseur de café et producteur de coco et de santal. Le Timor-Oriental a été,
pendant la période coloniale portugaise, administré indirectement par le Portugal,
l’influence des Portugais étant essentiellement limitée aux régions littorales. Ce
n’est qu’après la répression d’une vaste émeute en 1912 qu’un contrôle effectif
a pu être rendu possible aussi dans l’intérieur du pays.
Le Timor-Oriental a toujours occupé une position marginale dans l’empire
colonial portugais. L’administration fut souvent exercée tant bien que mal par
le Portugal avec des gouverneurs instables, professionnellement parlant, et se plaignant souvent du manque permanent de personnel administratif et militaire.
Durant la guerre du Pacifique, le Timor fut occupé au début de l’année 1942 par
les Japonais, qui chassèrent les soldats australiens et néerlandais-indiens dans
les montagnes, ceux-ci arrivés au Timor malgré le refus du gouvernement portugais au début de la guerre, en décembre 1941. Durant la résistance contre les
Japonais, pas moins de 60.000 personnes périrent au Timor portugais, ce qui correspond à une perte de vies humaines démesurée. Des bouleversements de la guerre a résulté une infrastructure de l’île presque complètement détruite.
Après la fin de la guerre du Pacifique, en 1945, le Portugal attribua à tous les
habitants la nationalité portugaise, à condition qu’ils appartiennent au cercle
des Civilizados (=civilisés). Le Portugal veilla cependant à ce que la différence
entre les portugais proprement dit et ceux originaires de l’île persiste. Seuls les
5
gens figurant sur les listes électorales avaient le droit de vote, et, pour l’obtenir,
il fallait remplir certains critères comme le paiement d’impôts à un niveau
déterminé, un certain niveau de culture et d’autres exigences, critères qui au Portugal métropolitain ne pouvaient être remplis que par 15% de la population et
à l’intérieur même des colonies par moins d’1% de la population.
Alors qu’au Portugal métropolitain, le taux d’analphabétisme s’élevait encore à 78% en 1910, à 46% en 1960 et à 30% en 1979, le niveau d’instruction a
toujours été beaucoup plus inférieur au Timor-Oriental. Ainsi, dans les territoires coloniaux portugais, le taux d’analphabétisme, dans les années cinquante,
était de 98%.
« Le gouvernement portugais a transféré avec satisfaction le domaine de l’éducation et de l’enseignement aux missions. L’Église catholique, qui est l’un des
piliers de la société portugaise depuis des siècles, s’est arrogé pour mission de gommer les coutumes de ces peuples barbares, de les civiliser et de leur communiquer les valeurs portugaises »5. Le pouvoir colonial portugais a souvent fait passer cette défaillance dans la politique de l’éducation pour le respect des valeurs,
coutumes et modes de vie de la population autochtone, à laquelle on ne voulait pas simplement imposer les valeurs européennes. De fait, cela signifie, qu’il
n’y avait que peu de soi-disant Assimilados (= les adaptés) qui disposaient d’un
niveau de culture suffisant et parvenaient à s’intégrer dans le système colonial,
alors que la majorité de la population était proprement ignorée.
M. Schlicher cite l’évêque catholique de Soibada : « Les Timorais n’ont rien
d’autre à apprendre que lire et écrire, ensuite on devrait leur donner une houe
et une hache »6. José Ramos Horta se souvient de l’école missionnaire la plus
ancienne de Soibada, dans laquelle il était interdit aux élèves de parler la langue nationale, devant parler uniquement portugais. A l’époque, il considéra cela
comme une aliénation douloureuse de la culture de son peuple7. Quand, dans
les années soixante-dix, l’empire portugais s’écroula dans les autres territoires
coloniaux, le Portugal avait depuis longtemps laissé à l’abandon la petite île en
Extrême-Orient. Pour le gouvernement Salazar (1932-1968), le Timor-Oriental
servait de lieu d’exil pour les personnes politiquement dangereuses. Depuis
1951, le Timor-Oriental s’est vu apposé le statut de « territoire d’outre-mer », et,
en 1972, est devenu région autonome de la République portugaise. A l’époque,
les habitants du Timor-Oriental ont obtenu la nationalité portugaise. Pourtant,
cette mesure ne fut que de courte durée. Les développements politiques au
Portugal, la prétendue révolution des œillets en 1974 et ses colonies africaines
du Mozambique et de l’Angola aboutirent à l’effondrement de l’empire colonial
portugais. Après l’indépendance des colonies africaines et la perte de Goa, seul
Macao sur le continent chinois et le Timor-Oriental restèrent les derniers
vestiges des anciens territoires coloniaux portugais.
6
Le Portugal n’avait pas grand avantage à s’engager pour l’amélioration du niveau
de vie dans sa lointaine colonie du Timor-Oriental qui n’offrait aucun profit et
était considérée comme inutile par le Portugal. Cette indétermination politique
a renforcé, dans les années soixante-dix, les dispositions à l’indépendance du
Timor-Oriental. Le mouvement pour la liberté et l’indépendance du TimorOriental [Frente Revolucionaria de Timor Leste Independente], en abrégé Fretilin, a été le groupe le plus puissant qui s’est prononcé pour l’indépendance du
Timor-Oriental. Son influence croissante dans la politique intérieure du TimorOriental fut interprétée avec beaucoup d’inquiétude par l’Indonésie à cause de
son rapprochement avec le communisme et le socialisme dirigiste. Aux élections
de juillet 1975, le Fretilin avait remporté plus de 55% de la majorité dans les conseils municipaux. Face à l’ébauche de la guerre civile entre les partis politiques
et groupes opposés au Timor-Oriental, les militaires et les fonctionnaires coloniaux portugais, entre 1974 et 1975, plièrent bagage et quittèrent l’île dans la
précipitation.
Quand la guerre civile éclata en août 1975, le dernier gouverneur portugais
du Timor-Oriental, Lemos Pires, quitta l’île sans tambour ni trompette et ainsi
se termina sans gloire l’époque de la domination coloniale portugaise de plus
de quatre siècles. A cette époque, le Timor-Oriental était une des régions les plus
pauvres au monde avec un taux d’analphabétisme chez les adultes de plus de
95% et un taux de mortalité chez les nouveau-nés de 50%, une vaste propagation de la malaria et de la tuberculose8, l’économie entièrement basée sur la monoculture du café depuis longtemps déficitaire. Le 28 novembre 1975, le Fretilin
déclara l’indépendance de la « République Démocratique du Timor-Oriental »
malgré la résistance des autres partis politiques au Timor-Oriental. Très vite, le
gouvernement indonésien répliqua : d’une part, il nia le Timor-Oriental et persista à le considérer comme faisant partie intégrante de l’état indonésien unifié.
D’autre part, l’orientation idéologique du Fretilin ne plaisait pas à l’Indonésie
puisqu’il se servait du vocabulaire socialiste et d’inspiration communiste, ce qui
touchait aux fondements du système politique indonésien.
Le 7 décembre 1975, les Indonésiens envahirent donc le Timor-Oriental. L’armée indonésienne parvenait assez rapidement à vaincre le régime Fretilin au
Timor-Oriental indépendant et à infliger une défaite au peu de soldats présents,
de sorte qu’ils durent abandonner les villes pour se retirer dans les montagnes.
La résistance menée par après fut d’intensité variable et fut dirigée contre les envahisseurs indonésiens de décembre 1975 jusqu’au référendum, le 30 août 1999,
par lequel la population du Timor-Oriental vota, à une grande majorité, en faveur
de l’indépendance et pour le détachement de l’Indonésie. Ensuite, en septembre 1999, se poursuivit la phase de transition marquée par des violations cruel-
7
les des droits de l’homme, qui se termina, en octobre 1999, avec le départ de l’armée et de l’administration indonésienne.
La période indonésienne au Timor-Oriental a été marquée par des campagnes
militaires répétées, visant à briser par la force la résistance de la population.
Pendant toute cette période, l’Indonésie n’est pas parvenue à être soutenue par
une majorité de la population pour l’intégration du Timor-Oriental à l’union étatique indonésienne. Le combat de l’armée indonésienne contre les guérilleros
du Fretilin s’est élargi très rapidement à toute la population. En effet, il a toujours été évident que, militairement parlant, le Fretilin ne faisait pas le poids face
à l’armée indonésienne, mais que l’on ne parvenait pas à l’« éliminer » à cause
de son appui par la population. Pour cette raison, non seulement les combattants mais aussi toute personne jouant un rôle actif dans une logique partisane
furent envoyés dans des prisons et des camps et cruellement torturés. Beaucoup
d’entre eux furent tués, mais aussi des parents de ces combattants pour la liberté. Cette lutte engagée par la résistance fut très vite perdue, vu la supériorité militaire indonésienne, faisant de très nombreuses victimes parmi la population
civile.
Afin de priver le mouvement de guérilla de ses bases, l’armée indonésienne,
par la suite, détruisit systématiquement les cultures pour empêcher l’approvisionnement en nourriture, évacua des villages entiers et logea temporairement
une grande partie de la population dans des camps. Dans les années 1978-1979,
il y eut une grande famine car les paysans, à leur retour de leur fuite et internement, étaient empêchés de cultiver les champs. Ces mesures se sont gravées dans
la mémoire collective, dans la mesure où chaque famille en a été affectée directement d’une manière ou d’une autre.
Pour le gouvernement indonésien, il s’agit d’un acte qui a été parfaitement
conforme à la logique du programme politique de l’Indonésie. La République indonésienne est née de l’empire colonial néerlandais après la guerre du Pacifique et
la lutte pour l’indépendance. Le Timor-Oriental, comme colonie portugaise, fut
le résidu d’une époque historique qui, en tant que telle, était déjà terminée. La
République indonésienne se voyait comme l’héritière légitime des peuples insulaires ayant lutté pour leur indépendance culturelle et politique dans cet ensemble d’îles. Les classes dirigeantes indonésiennes ne comprenaient pas qu’au
milieu du vaste État indonésien, une petite partie insulaire déclare son indépendance. Du point de vue du gouvernement indonésien, sa manière d’agir envers
le Timor-Oriental a été un acte par lequel l’intégration du pays devait se compléter par l’élimination des derniers résidus colonialistes. Le gouvernement
indonésien présenta alors l’invasion militaire comme une opération de sauvetage humanitaire dans l’intérêt de la population civile, mise en danger par la guerre civile, prise pour cible par le mouvement pour la libération.
8
Dans les années quatre-vingts, lors des élections au Timor-Oriental, presque
100% des citoyens votèrent, les suffrages exprimés pour le parti gouvernemental Golkar du président d’État Suharto dépassant de loin 90% de ceux-ci. Les autorités indonésiennes en ont profité pour déclarer que la population du TimorOriental s’était prononcée, lors d’élections libres et démocratiques, pour
l’appartenance à l’Indonésie. C’est surtout le gouvernement australien qui a joué
un rôle peu glorieux en soutenant cette vaste blague, pour jouer un rôle économique de premier plan et mieux consolider sa position géographiquement privilégiée, proche du Timor-Oriental et proche des champs pétrolifères découverts
dans la tranchée du Timor, l’Australie étant disposée à ne pas remarquer les
violations éclatantes des droits de l’homme au Timor-Oriental et à soutenir
publiquement la politique du gouvernement indonésien. Lors des visites
officielles, les politiciens australiens étaient prêts à accepter la version officielle
des autorités indonésiennes selon laquelle la résistance du Fretilin n’avait plus
l’appui de la population et la majorité de la population ne souhaitait ardemment
qu’une chose : pouvoir vivre en paix et ceci sous le régime indonésien. D’autres
politiciens étrangers, lors de leurs visites officielles au Timor-Oriental, se rallièrent
aussi à la version indonésienne de sa domination sur le Timor-Oriental.
Exploitation et génocide
La réalité de l’occupation indonésienne, pendant ses 24 ans au Timor-Oriental,
n’a rien à voir avec cette image tronquée d’une intégration pacifique sans heurts
et sans violences. C’est un fait : les pertes parmi la résistance et surtout parmi la
population civile à cette époque, ont pris des proportions telles que l’on peut parler de génocide. Déjà, en 1977, c’est-à-dire deux années après l’occupation du
Timor-Oriental, l’ancien ministre des affaires étrangères indonésien, Malik, avait
concédé que, à ce moment-là, au Timor-Oriental, il y avait probablement 50 à
80.000 morts, c’est-à-dire un nombre de victimes équivalent à 10% de l’ancienne population. En 1980, on parlait de 150.000 personnes, victimes de la politique de pacification indonésienne. Aujourd’hui a été repris le chiffre de 200.000
victimes pour la période comprise entre 1975 et 1995. Cela signifie qu’un tiers
de la population du Timor-Oriental depuis 1975 a péri dans la lutte de résistance. A cela se sont ajoutées d’autres mesures telles que le déplacement forcé de population, la stérilisation des femmes, les atteintes à la culture par l’interdiction de
la langue portugaise et l’instauration de l’indonésien, affamer la population, etc.
De fait, l’armée indonésienne, durant les années d’occupation du Timor-Oriental,
ne s’est pas seulement limitée à jouer sur l’intégration forcée d’une population
dans l’union étatique indonésienne, mais s’est aussi enrichie via différentes
9
entreprises économiques9. Il est vrai que l’État indonésien n’a rien eu à gagner
de l’aventure militaire et de l’occupation du Timor-Oriental mais, par contre,
a dû investir chaque année des montants énormes destinés à financer cette
campagne. Les dirigeants de l’armée d’occupation ont, eux, fait un bénéfice personnel sur l’exploitation économique de l’île. Ce fut certainement la raison
pour laquelle une solution politique du problème « Timor-Oriental» a tardé à venir.
Après le référendum relatif à la prolongation de l’appartenance indonésienne,
les saccages par l’armée, en septembre 1999, ont démontré que le Timor-Oriental
était considéré comme une espèce de « possession privée » que l’on pouvait
exploiter sans égards.
Le référendum du 30 août 1999 et les massacres ultérieurs
Après plus de trente années de pouvoir absolu, le régime de Suharto se termina
par l’accumulation de cas de corruption et d’autres symptômes de déclin intérieur, aggravés par une crise économique généralisée en Asie. Le 21 mai 1998,
Suharto démissionna et Habibie devint le nouveau président. Avec lui, a débuté
une démocratisation prudente se manifestant par une liberté de presse plus
étendue, une diminution de l’influence de l’armée et d’autres réformes plus
minimes. A l’égard du Timor-Oriental, Habibie proposa une autonomie limitée,
ce que le Timor-Oriental refusa. Ensuite Habibie fit volte-face et annonça le
27 janvier 1999 que le gouvernement indonésien était prêt à proposer un
référendum sur le Timor-Oriental, par lequel la population de l’île devrait librement décider du destin politique de l’île. Le référendum, qui a été reporté à
plusieurs reprises, a enfin eu lieu le 30 août 1999, auquel participèrent 450.000
personnes du Timor-Oriental, ce qui équivalait à un pourcentage de 45% de la
population ayant le droit de vote. Pendant la phase préparatoire du référendum,
il y eut plusieurs entraves au scrutin par les autorités indonésiennes et les
milices commanditées par l’Indonésie, qui essayèrent par tous les moyens
d’intimider la population et de l’inciter à voter en faveur de l’Indonésie.
A ce moment-là, il est devenu évident que la mission de soutien des Nations unies
UNAMET (United Nations Assistance Mission in East Timor), présente depuis le 4
juin 1999 au Timor-Oriental, n’a pas été capable d’empêcher des excès graves. Le référendum du 30 août 1999 apporta une majorité écrasante de 78% des votes pour l’indépendance. La campagne d’intimidation de l’armée indonésienne et des milices
n’a ainsi pas pu empêcher le refus de la grande majorité de la population du TimorOriental quant à la suprématie de l’Indonésie et un appel à l’indépendance. Par une
campagne de représailles menée par les milices pro-indonésiennes et l’armée indonésienne qui les soutenait, l’infrastructure du pays fut gravement endommagée.
10
En septembre 1999, l’action de l’armée indonésienne et des milices eut pour conséquence le déplacement de plus de 500.000 habitants du Timor-Oriental, c’està-dire plus de 60% de la population, forcés de quitter leur domicile et de s’enfuir dans les montagnes et forêts10. Il y eut des violations flagrantes des droits de
l’homme comme les assassinats, la torture, les enlèvements, les abus sexuels et
les violences envers les enfants, les expulsions en masse et les pillages sur une
grande échelle. Les crimes étaient organisés et visaient clairement les partisans
de l’indépendance. On prenait pour cible les personnes politiquement actives
mais aussi le personnel des Églises, car on le soupçonnait de soutenir l’indépendance.
Dans la phase préparatoire du référendum du 11 mars 1999, le commandant en chef de l’armée indonésienne au Timor-Oriental, Lafack Saburai s’exprima quant à l’opération militaire, l’« opération nettoyage » (Operasi Sapu Jagad) :
l’objectif était d’éliminer les leaders, les cadres et ceux qui soutenaient la politique Anti-intégration. Alors commença la violence organisée, lors de la publication du référendum, le 4 septembre 1999, qui dura jusqu’à la fin septembre
quand la troupe internationale au Timor-Oriental (Interfet) arriva à rétablir la
sécurité. L’opération « évacuation » (Operasi Wiradharma) de l’armée indonésienne avait pour but d’inciter la population du Timor-Oriental à émigrer au
Timor-Occidental et à la répartir sur tout l’archipel. Cette opération fut conduite
par les officiers Kopassus11, général de brigade Zakky Anwar Makrim et Adam
Damiri.
Jusqu’à aujourd’hui, il n’est pas possible d’obtenir des indications précises
sur le nombre d’assassinats qui ont touché la population civile à l’époque de la
terreur. On estime généralement qu’il y a eu plus de 1.000 personnes assassinées.
Les assassinats étaient commis de manière déterminée et les victimes étaient généralement des personnes sans défense. En outre, il y a eu un nombre imprécis de
blessés à Cova Lima, Bobonaro, Ermera, Liquica et à Dili. Presque deux cents cas
de torture, viol et enlèvement ont été répertoriés. Plus de 250.000 Timorais ont
été forcés de quitter leur domicile et de s’enfuir dans les montagnes. Au TimorOriental, les destructions des maisons par incendie et les pillages ont touché 80%
des bâtiments. C’est surtout la destruction des infrastructures, à savoir les écoles, les hôpitaux et autres établissements, qui a été significative.
La violence au Timor-Oriental, avant le référendum et surtout juste après,
en septembre 1999, n’a pas été une action spontanée de certaines milices poussées à bout mais une action soutenue logistiquement par l’armée et la police indonésienne. Les milices, comme par exemple celle de Besi Merah Puti (Rouge-BlancFer)12 et sa terrible réputation ont ainsi été formées par l’armée indonésienne et
équipées d’armes. L’armée indonésienne a été dirigée par le gouverneur Abilio
11
Soares et les meneurs des milices par Joao Tavares et Enrico Guterres. Pour cette
raison, il est incompréhensible, voire suspect que le général Wiranto, chef de
l’état-major général de l’armée indonésienne à cette époque, n’ait rien su de
l’appui actif de l’armée.
Rapports de témoins oculaires relatifs à des excès
Durant mon séjour au Timor-Oriental, en juillet 2001, j’ai discuté avec plusieurs
personnes qui ont été, durant la période du « septembre noir » – particulièrement
la période du 4 au 24 septembre 1999 –, dans le pays et qui ont été touchées directement. Tous ont le sentiment d’avoir été impuissants et sans défense, puisqu’il
n’y avait aucune instance fiable telle que la police ou l’armée à laquelle on aurait
pu s’adresser. C’est que l’armée indonésienne et la police indonésienne furent
les agresseurs, et les criminels proprement dits se recrutèrent parmi les milices,
tout en bénéficiant du soutien des autorités. C’est l’Église catholique qui, aux
yeux de la population, jouissait le plus de sa confiance ; elle possédait suffisamment de paroisses, écoles et autres institutions, assez grandes pour pouvoir
recueillir les réfugiés.
Or, il est très vite apparu que les milices n’avaient aucun respect pour l’asile ecclésiastique. Au contraire, comme le montrent les assassinats de plusieurs
prêtres et sœurs, les collaborateurs ecclésiastiques furent, en partie, la proie de
leur colère . A plusieurs reprises, on les menaçe de « tous les éliminer ». Cette
menace permanente fut renforcée par les milices qui braquèrent leurs armes plusieurs fois sur des particuliers, en menaçant de tirer. Cette menace à la vie a laissé chez beaucoup un traumatisme. Les derniers contingents indonésiens ont quitté le Timor-Oriental, le 30 octobre 1999, après 24 années d’occupation, marquées
par la torture, le meurtre et la disparition de plusieurs milliers de personnes.
La période de transition sous l’administration de l’ONU
Après le départ de l’administration indonésienne, sa police et son armée, les
Nations unies ont assumé la souveraineté administrative du Timor-Oriental. Le
United Nations Transitional Authority in East Timor (UNTAET) a travaillé, conjointement avec une vaste équipe d’assistants et de collaborateurs locaux, au projet de reconstruire le Timor-Oriental ravagé et de préparer celui-ci à l’indépendance. Le brésilien Sergio Vieira de Melleo préside actuellement la direction de
l’UNTAET. Les Nations unies ont en service 8.000 soldats et 4.000 membres de
l’équipe ainsi que 1.300 policiers issus des différentes nations pour maintenir l’ordre public et garantir une transition vers un état indépendant13. Cela comprend
12
l’organisation d’une série d’élections, l’élaboration d’une constitution et la mise
en place d’un gouvernement national. Son mandat repose sur la résolution
1272, approuvée en octobre 1999, après que la majorité des Timorais orientaux
eurent opté pour le détachement de l’Indonésie. C’est la première fois, dans l’histoire de l’ONU, que celle-ci est chargée de l’administration de toute une région.
Au Timor-Oriental, l’administration, se retrouvant pour la plus grande partie entre
les mains des indonésiens, fut complètement anéantie lors du référendum. La
première tâche de l’UNTAET a été le rétablissement de la sécurité, la condition
sine qua non à la reconstruction. Le deuxième objectif, le projet le plus ambitieux, fut la mise en place d’institutions démocratiques.
Un cabinet fut formé, dans lequel furent mandatés des représentants des
Nations unies mais aussi des politiciens autochtones. A cela s’est ajouté le Conseil
National (All-Timorese National Council), une sorte d’assemblée constitutive provisoire. La première priorité fut le rétablissement de la sécurité intérieure et la
protection du Timor-Oriental contre une invasion éventuelle des milices pro-indonésiennes ayant trouvé refuge au Timor-Occidental et disposant encore de leurs
armes dans les camps. Avec l’aide des soldats et policiers des NU, ce problème fut
résolu relativement vite et durablement. La reconstruction des maisons détruites
et des infrastructures du pays, par contre, prit beaucoup plus de temps.
Le pays manque de personnes qualifiées dans tous les domaines comme par
exemple dans l’administration publique, la justice, la police et dans l’armée. Il
manque des professeurs à tous les niveaux scolaires, des informaticiens, des
postiers et des transporteurs. On pourrait nommer encore beaucoup d’autres secteurs, dans lesquels il y a un manque similaire de personnel qualifié. Lors des élections pour l’assemblée constitutive, il n’y avait, au Timor-Oriental, que 24 juges,
13 procureurs d’état et 9 avocats plaidants, tous ayant reçu une formation en droit
en Indonésie. Jusqu’à présent, 1.073 policiers, dont un tiers sont des femmes, ont
été formés dans une école nationale du parti pour les 13 districts du TimorOriental. La minuscule armée du Timor-Oriental est composée de 600 hommes,
la plupart de ceux-ci étant d’anciens membres recrutés parmi les troupes des guérilleros de Falintil. Ce nombre est insuffisant pour protéger les frontières extérieures
de l’État insulaire qui a déjà des difficultés à protéger, de manière provisoire, sa
frontière longue de 150 km avec le Timor-Occidental. Pour ce qui est des champs
pétrolifères et de gaz dans la tranchée du Timor, le Timor-Oriental aura de la peine
à préserver cette région aussi vitale pour le pays, sans aide extérieure.
Des voix, comme par exemple celle de Sergio Vieira de Mello, le responsable de
l’UNTAET, se multiplient, redoutant l’échec de la mission des Nations unies,
c’est-à-dire assurer, à l’expiration du mandat en janvier 2000, une transition réussie du Timor-Oriental à un nouvel État autonome et indépendant. Actuellement,
13
il est prévu que les Nation unies demeurent au Timor-Oriental aussi après l’expiration de ce délai et permettent d’appuyer ainsi la création ultérieure d’un État
indépendant. Le East Timor International Support Center (ETISC)14a fait une proposition concrète quant à la transition graduelle du Timor-Oriental vers l’indépendance.
Dans une déclaration qui a été publiée le 24 avril 2001, à Dili, par l’ETISC,
il y a demande de prolongation du mandat de l’UNTAET au-delà du délai prévu
initialement, c’est-à-dire jusqu’au 31/12/2001, pour permettre au Timor-Oriental
une transition graduelle vers l’indépendance. Après les élections d’août 2001, un
gouvernement autonome sera formé par les Timorais orientaux, les Nations unies
maintenant leur souveraineté sur l’île jusqu’à ce que les dispositions nécessaires
aient été prises. Durant cette phase, les collaborateurs internationaux dans les différents secteurs seraient progressivement remplacés par des spécialistes autochtones,
formés pendant cette période. L’ETISC estime que le processus de transition
requiert l’intervention d’organismes et de spécialistes internationaux. Si la pleine
souveraineté est accordée, les corrections nécessaires ne pourraient s’effectuer
que difficilement de l’extérieur du Timor-Oriental alors souverain. On estime que
le Timor-Oriental sera dans l’incapacité, sans aide extérieure, de payer le budget
de l’État et de financer son infrastructure à moins de recourir aux richesses liées à
l’exploitation de ses gisements de pétrole et de gaz dans la tranchée du Timor,
approximativement dans les années 2004 ou 2005. La présence prolongée des
Nations unies pourrait être alors sauvegardée par un mandataire spécial du secrétaire
général des Nations unies. Quant à la durée, on pourrait accorder un mandat
supplémentaire de six mois, prolongé selon le cas par l’évolution de l’état des
choses au Timor-Oriental ou bien mettre fin au mandat par l’octroi de la pleine
souveraineté.
Problèmes à résoudre
Le problème non résolu des personnes déplacées au TimorOccidental
Durant les troubles qui ont fait suite au référendum d’août 1999, des centaines
de milliers de Timorais15 orientaux ont cherché leur salut dans la fuite pour
échapper à la violence des milices et de l’armée indonésienne. D’autres furent forcés par les troupes indonésiennes de quitter le Timor-Oriental et furent déportés
14
au Timor-Occidental16. Après le départ des troupes indonésiennes et de l’administration, une grande partie des réfugiés et des personnes déplacées sont rentrées
au Timor-Oriental ces deux dernières années. On parle de 181.000 hommes qui
seraient rentrés au Timor-Oriental. Cela signifie que demeurent toujours entre
70.000 et 100.000 personnes au Timor-Occidental. La plupart de ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas rentrer sont des hommes de nationalité indonésienne qui se sont établis au Timor-Occidental au cours de la politique de déplacement et ce depuis 197517. D’autres réfugiés sont des membres de l’armée
indonésienne, de la police, de l’administration qui ont droit aux rémunérations
salariales ou pensions de l’État indonésien18, ou bien des milices pro-indonésiennes
envers lesquelles on a engagé des poursuites pénales.
Dans les camps de réfugiés, ce furent souvent d’anciens combattants des milices qui y ont exercé le commandement et qui ont tourmenté les réfugiés. Après
l’attaque de membres d’une organisation d’aide humanitaire des Nations unies
(UNHCR) à Atambua, en septembre 2000, durant laquelle trois collaborateurs
furent tués, les autorités internationales ont retiré leurs collaborateurs des camps
de réfugiés au Timor-Occidental19. En juin 2001, un scrutin a eu lieu au TimorOccidental auquel ont participé 268.407 personnes déportées du TimorOriental20. Le résultat fut surprenant puisque très peu de gens ont voté pour le
retour au Timor-Oriental tandis que plus de 90% décidèrent de rester en Indonésie. Des observateurs critiques tels que Fr. Frank Brennan SJ du Jesuit Refugee
Service, à Dili, et le seul à rester sur place au Timor-Occidental avec ses collaborateurs depuis le départ des collaborateurs du UNHCR, constatent qu’il y a eu beaucoup d’irrégularités lors du scrutin. La plupart des réfugiés du Timor-Oriental ne
se seraient pas rendus compte de la portée du scrutin. Beaucoup d’entre eux
auraient cru qu’il fallait voter pour pouvoir demeurer en Indonésie parce qu’ils
y avaient trouvé une sécurité relative dans les camps de réfugiés et qu’ils n’étaient
pas du tout informés de la situation au Timor-Oriental ou mal informés
intentionnellement par les membres des milices pro-indonésiennes.
Chez les réfugiés prédominait le sentiment que, face à la situation incertaine
au Timor-Oriental, il valait mieux attendre les élections d’août 200121, pour ensuite reconsidérer leur décision. D’autres ont dit avoir été achetés pour voter en
faveur de l’Indonésie. En septembre 2000, on parlait d’un nombre de 30.000 à
50.000 personnes qui attendaient leur rapatriement pour le Timor-Oriental.
Jusqu’en août 2000, 12.000 personnes sont rentrées de sorte que le nombre de
personnes attendant leur retour au pays a été estimé à 30.000.
15
Problèmes structurels du Timor-Oriental
a) La variété des races, langues et cultures22
Vu le nombre relativement restreint de la population qui se chiffre à environ
800.000 personnes, on est étonné de la variété ethnique, linguistique et culturelle, ce qui rend difficile une prise de conscience d’une identité nationale homogène. Au Timor-Oriental, il y a plus de 40 différents groupes ethnolinguistiques ;
il ne ressort pas clairement s’il s’agit de dialectes ou bien de langues développées.
Le tetum est utilisé comme langue principale par 97 groupes ethniques des tribus (sucos), c’est-à-dire un pourcentage de 19% de la population. Il faut signaler
que, statistiquement parlant, chaque tribu (suco) est comptée sans indiquer le
nombre d’hommes et de femmes y appartenant. Ainsi, le pourcentage de 19% des
tribus parmi lesquelles le tetum est la langue principale, ne dit rien de la partie
numérique de la population. A côté du tetum, il y a la langue apparentée, c’està-dire le tetum teric, parlé dans 25 tribus, soit 5% de la population. De toute façon,
ce fut le tetum la langue qui, durant l’époque de la résistance, fut considérée à
l’échelon national comme l’expression d’une identité propre et comme symbole
de la résistance contre l’irruption du bahasa indonesia comme langue nationale
et langue d’enseignement. L’Église catholique a encouragé le tetum en utilisant
celui-ci à l’échelon national, en tant que langue unique autochtone, dans la
liturgie. A côté du tetum, il y a aussi le mambae, parlé par 113 tribus, soit 22,7%
de la population ainsi que le macassae, parlé par 64 tribus, soit 12,9% de la
population.
La nouvelle ligne politique consistant à introduire le portugais comme langue
nationale par des tentatives de célébrer, tous les dimanches, dans les paroisses,
au moins une messe en portugais n’a récolté que très peu de succès. Que le portugais ou le bahasa indonesia soient des langues mal acceptées ressort du fait que
seulement 1% de la population au Timor-Oriental considère l’une de ces deux
langues comme la langue principale dans sa tribu.
Le portugais comme langue nationale
La question de la langue est à la source de beaucoup de problèmes. Pour les exilés, rentrant du Portugal ou de pays de langue portugaise, il semble naturel de proposer le portugais comme langue nationale pour le Timor indépendant. Ce qui n’est
pas le cas pour la majorité de la population. En effet, depuis l’invasion indonésienne
en 1975, la langue officielle de l’enseignement primaire et secondaire et jusqu’à
l’université a été le bahasa indonesia. Ceci signifie que tous les Timorais, jusqu’à
16
l’âge de 30 ans, ont connu – le tetum aussi en école primaire – l’indonésien
comme langue pédagogique. Le nombre de Timorais qui pouvaient entreprendre
des études universitaires, n’a jamais été très élevé. Mais il est un fait que la grande majorité des étudiants provenant du Timor-Oriental, ont fait des études dans
les universités indonésiennes et y sont, en partie, toujours inscrits. Dans la lutte
pour l’indépendance du Timor-Oriental, les étudiants timorais orientaux ont joué
un rôle de premier plan. Même après le référendum, beaucoup d’enfants timorais
orientaux ont fréquenté les écoles de Java, où ils ont obtenu une formation moyennant des bourses de différentes institutions, pour la plupart ecclésiastiques. On
craint maintenant que ces enfants et adolescents issus du Timor-Oriental aient été
influencés, idéologiquement parlant, par l’Indonésie, et ne provoquent des troubles, dès leur retour dans le nouvel État du Timor-Oriental. Une formation en langue indonésienne au Timor-Oriental avec le portugais comme langue nationale,
ne serait d’ailleurs pas très utile à l’avenir.
Il n’y a qu’une petite minorité, quoique assez influente, qui maîtrise la langue portugaise. L’introduction du portugais comme langue nationale va isoler
la population du Timor-Oriental de l’ensemble du monde insulaire indonésien
et également de ses voisins comme l’Australie et les pourtours plus étendus. Il
reste à savoir si l’on parviendra effectivement à familiariser la langue portugaise
au Timor-Oriental. Il est plus probable que dans la vie de tous les jours, le tetum
s’imposera et, qu´en outre, l’anglais et l’indonésien seront les langues véhiculaires pour le commerce, les études secondaires, bref les contacts internationaux.
L´UNTAET se sert actuellement de quatre langues : le tetum, le bahasa indonesia,
le portugais et l´anglais.
b) Problèmes de santé publique
Le nombre d’établissements de santé publique/soins de malades s’élève à 218.
Il y a 27 cliniques mobiles, 66 institutions de soins de malades, 107 établissements communaux de santé sans lits et 9 avec lits. Actuellement, le nombre d’hôpitaux s’élève à 9 bâtiments. 50% des établissements sont administrés par
l’État, 39% par des organisations non-gouvernementales (ONG) et 8% par
l’Église. Les soins médicaux sont particulièrement insuffisants dans les régions
rurales. Il n’y a pratiquement pas de médecins. L’assistance pour des soins
ambulatoires est insuffisante. Dans l’ensemble du pays, il n’y a pas de cliniques
psychiatriques ou psychosomatiques. Vu le grand nombre de gens souffrant non
seulement de lésions physiques mais aussi psychiques ou de traumatismes, il
s’agit d’une donnée particulièrement dramatique.
17
Toutes les femmes qui, en septembre 1999, ont été victimes de viol, ont besoin d’urgence de soins et de consultations professionnelles. Le programme psychosocial de Caritas, à Dili, assisté par Caritas Australia, a débuté modestement avec la
consultation des traumatisés. Le département de santé de l’administration provisoire a également entrepris, en collaboration avec les services professionnels
australiens, un programme pour le «rétablissement et le développement psychosocial » (Psychosocial Recovery and Development), exerçant la consultation des
victimes de violence publique et familiale. Il faut remarquer aussi, à cet égard,
l’initiative des « Femmes du Timor-Oriental contre la violence et pour l’assistance
des enfants », fondée en 1998 au Timor-Oriental par des femmes sur place, qui
s’occupe de femmes et enfants victimes de violence. L’apparition du SIDA est
récente et s’explique par l’arrivée des soldats des Nations unies, phénomène qui
s’est étendu au pays entier et qui a pris une ampleur inhabituelle.
c) Problèmes de l’enseignement et de l’éducation
Au temps de l’occupation indonésienne, 75% des enseignants étaient des Indonésiens ; ceux-ci ont tous quitté le pays. A cause de cela, le manque de professeurs se fait cruellement sentir. Depuis février, l’UNTAET paie les salaires des
enseignants qualifiés. Le nombre d’enseignants compétents est de beaucoup inférieur au nombre d’enseignants dont on a besoin. La plupart des enseignants timorais sont seulement qualifiés pour l’enseignement primaire. Comme beaucoup
de bâtiments scolaires ont été détruits pendant les troubles, on a mis du temps
à rénover les vieilles écoles et à bâtir de nouvelles. Durant la période de transition, l’enseignement s’est poursuivi dans trois langues : le tetum – surtout dans
les écoles primaires -, l’indonésien et le portugais, selon la compétence linguistique des professeurs ou des élèves. Pourtant, le portugais a été introduit comme
langue obligatoire dans toutes les écoles.
Le gouvernement portugais a supporté ce programme linguistique par l’envoi d’enseignants ; toutefois ils ont de la peine à s’intégrer dans la culture étrangère. Durant une période transitoire de cinq années, les curriculum indonésiens
et les livres de langue bahasa indonesia doivent être utilisés dans les écoles du
Timor-Oriental. Au début 2001, il y avait au Timor-Oriental 14 lycées (High
Schools) avec 5.200 élèves et 276 professeurs, 4 écoles professionnelles et artisanales avec 641 élèves et 116 professeurs. En outre, il y a 52 Junior High Schools
avec 11.000 élèves et 500 enseignants, 418 écoles primaires avec 95.000 élèves
et 3.900 enseignants et plus de 13 jardins d’enfants avec 1.135 enfants et 57 enseignants.
18
Aspect du développement économique
Dans la courte période suivant le départ des Indonésiens, il y a eu au TimorOriental un redressement économique ; et malgré cela, le nombre de personnes
qui bénéficient de revenus réguliers s’élève seulement à environ 25.000, le revenu
moyen s’élevant seulement à 300$ américains. Grâce à la présence de plusieurs
milliers de collaborateurs de l’UNTAET, un nouveau secteur de travail a vu le jour
pour quelques Timorais orientaux, mais qui ne pourra persister. Avec l’indépendance, l’agriculture et ses 45.000 paysans, en particulier la culture du café,
va redevenir la source principale de revenus. Il faut voir si le tourisme, l’espoir
de beaucoup de gens à l’avenir, va effectivement rapporter du profit. La même
chose vaut pour le rendement de la production pétrolière et de gaz de la tranchée du Timor. Le 4 juillet 2001, l’Australie et le Timor-Oriental ont conclu un
accord, sur une échéance de 20 ans, portant sur la distribution des rendements
des gisements de pétrole et de gaz de la tranchée du Timor. Cet accord, dont les
modalités doivent encore être précisées et discutées en détail, entrera en vigueur
en 2002, avec l’indépendance du Timor-Oriental. Les conditions de cet accord
stipulent que le Timor-Oriental doit percevoir 90% des rendements, tandis que
l’Australie en obtiendra 10%. Pressée par les instances internationales, l’Australie a renoncé dans cet accord à prétendre à un pourcentage plus élevé, comme
concédé à l’Australie dans les contrats précédemment conclus avec l’Indonésie.
Car, conformément au contrat conclu avec l’Indonésie le 6 septembre 1988, l’Australie aurait dû obtenir 50% et l’Indonésie 50% des rendements de la production pétrolière et de gaz de la tranchée du Timor. Les explorations y sont en grande partie terminées, mais la production proprement dite ne sera entreprise qu’à
partir de l’année 2004. Ensuite, le Timor-Oriental doit recevoir chaque année,
pendant une période de 20 ans, 180 millions de dollars américains pour les licences et ventes, ce qui permettra de financer en grande partie le budget étatique
et la reconstruction du pays. Cela sera, en tout cas, le revenu le plus sûr et le
plus important de ce petit pays. Si l’on considère que le budget annuel du
Timor-Oriental s’élève actuellement à 65 millions de dollars américains, il s’agit effectivement d’un montant énorme. Le budget annuel des dépenses des diverses institutions de l’UNTAET s’élève par ailleurs à 563 millions de dollars américains.
Le dollar comme monnaie nationale
Il est symptomatique que, lors de la phase de transition au Timor-Oriental, au
début de sa création en tant que nation, le pays ait choisi comme langue nationale le portugais et comme monnaie nationale le dollar américain. Pour ce qui
est de la monnaie, l’UNTAET, au mois d’août 2001, se voyait obligée d’annon-
19
cer des sanctions envers tous les marchands et commerçants qui, contrairement
aux instructions, continuaient à faire leurs transactions en rupiahs indonésiens,
escudos portugais ou dollars australiens et non pas en dollars américains. Il manque de la monnaie pour pouvoir faire des affaires inférieures à un dollar. Avec
les îles indonésiennes voisines, il est plus facile de faire les affaires en rupiahs
indonésiens. Pourtant, il n’est pas exclu que la population du Timor-Oriental se
familiarise avec le dollar américain.
Comment seront les rapports avec l’Indonésie ?
L’Indonésie a officiellement accepté le détachement du Timor-Oriental de son
union étatique et s’est engagée à respecter la souveraineté du Timor-Oriental indépendant. La présidente Megawati Sukarnoputri, dans sa première déclaration gouvernementale, après son accession au pouvoir, en août 2001, a de nouveau
reconnu devant le Parlement indonésien la cession du Timor-Oriental. Les deux
dirigeants politiques du Timor-Oriental, José « Xanana » Gusmao et José Ramos
Horta, ont par la suite réagi avec conciliation et déclaré à leur tour qu’il serait
décisif pour le Timor-Oriental de développer désormais une relation de bon voisinage avec l’Indonésie. Face aux massacres et violations des droits de l’homme
commis par l’Indonésie pendant la période de l’occupation et surtout pendant
la phase de transition, ces gestes de conciliation sont très importants23.
Il s’agit de déclarations politiques qui sont utiles au rétablissement des rapports de confiance entre deux voisins aussi inégaux, mais elles ne peuvent toutefois pas changer la réalité politique. C’est que le Timor-Oriental est effectivement un petit État insulaire qui aura des difficultés à se maintenir en place par
rapport à une Indonésie prépondérante. Désormais, la voie Ombai-Wetar va être
placée sous la juridiction du Timor-Oriental. Cela signifie que l’Australie va pouvoir utiliser cette voie navigable comme passage pour sa flotte marchande et navale afin de parvenir par la mer des Moluques au Pacifique. Cela posera des problèmes pour l’Indonésie. Jusqu’à présent, l’Indonésie a évité de désarmer les
milices pro-indonésiennes qui ont fui le Timor-Oriental et ont trouvé refuge au
Timor-Occidental. Si ceci n´est pas effectué, il y a danger d’une probable invasion de ces combattants frustrés vers le Timor-Oriental. Au cas où le TimorOriental s’inclinerait face à l´Australie et conclurait un pacte de sécurité, cela
pourrait déboucher sur de la résistance en Indonésie.
20
Le rôle de l’Église catholique au TimorOriental
De partenaire privilégié au défenseur des droits de l’homme
L’Église catholique au Timor-Oriental s’est montrée, durant les quelque quatre
cents ans de l’époque coloniale portugaise (1586 –1975), un partenaire toujours
fiable pour la puissance coloniale et a bénéficié d’une série de privilèges. Ainsi,
elle a été subventionnée chaque année par l’État portugais, via une aide financière, et n’a pas été soumise à l’impôt. En outre, l’État a mis à sa disposition, la
plupart du temps gratuitement, des terrains à bâtir et des institutions comme des
écoles ou hôpitaux ; il y avait aussi des attributions de terrain sous forme de plantations de café pour l’entretien des églises. Les frais des transports des missionnaires au Timor et lors des vacances aux pays d’origine furent également financés par l’administration coloniale. Au Timor-Oriental, l’Église catholique fut
chargée officiellement, par le biais du concordat de 1940, valable dans toutes les
régions de missions, de l’ « éducation de la population autochtone », équivalant
au monopole de l’Église sur le secteur éducatif. L’architecture des églises, la réalisation de la liturgie et la piété populaire furent marquées par l’empreinte portugaise. La plupart des prêtres et des religieux étaient des étrangers, surtout des
portugais et des italiens. Le nombre de professions autochtones était plutôt limité. Quand l’époque coloniale portugaise toucha à sa fin, l’Église s’est progressivement détachée de sa vocation à collaborer, à sa mission prophétique, à la création du nouvel ordre.
Or, il est incroyable que l’Église catholique ait pu jouer, pendant le bouleversement des années soixante-dix, un rôle aussi décisif. Les événements et la
tournure particulière qu’a pris le processus de décolonisation par l’invasion
indonésienne au Timor-Oriental, doligèrent l’Église catholique, quasiment contre son gré, à prendre position et à intervenir au-delà de ses tâches pastorales pour
se positionner dans le champ politique. En effet, durant les bouleversements politiques et l’oppression qui suivit l’invasion indonésienne du Timor-Oriental,
c’est l’Église catholique seule qui s’est avérée le principal défenseur des droits de
l’ensemble de la population.
Certes, l’Église catholique a perdu, au début de la domination indonésienne au Timor, en 1975, son statut privilégié, statut dont elle a pu profiter durant
l’époque coloniale. Ce fut une perte de ses privilèges mais cela lui a permis aussi
d´accroître sa crédibilité. En effet, la puissance coloniale a toujours entravé l’Église dans le rôle politique qu’elle aurait pu jouer. Il est vrai que les structures
21
ecclésiastiques ont aussi été affectées par ces nouveaux rapports complètement
déréglés, mais l´Église fut aussi la seule organisation solide après la chute des
anciennes structures. Durant l’époque dramatique de la guerre civile et des luttes ultérieures, les Églises ont pu offrir de l’aide matérielle aux gens qui étaient
menacés par la famine. Dans l’histoire douloureuse des nombreuses violations
des droits de l’homme par l’armée et la police indonésienne, l’Église catholique
a prouvé sa capacité à défendre le peuple, prévenir et être un observateur critique. La cruauté et le mépris des hommes par les soldats et fonctionnaires indonésiens ont réduit à néant toutes les espérances que la population du TimorOriental avait pu s´imaginer de son adhérence à l’Indonésie.
Car, en Indonésie, chaque citoyen doit appartenir à l’une des cinq religions reconnues par l’État – islam, catholicisme, protestantisme, hindouisme et bouddhisme -, les membres des religions traditionnelles ayant été confrontés à la question
de savoir à quelle religion ils voulaient adhérer, l’islam étant à leurs yeux surtout la religion des forces étatiques de l’armée et la police indonésienne, il ne
représentait pas le premier choix pour la plupart d’entre eux. Or, ce ne furent ni
par la supériorité de la foi catholique sur les autres religions, ni par conviction
que les Timorais ont fréquenté l’église, mais parce que l’Église catholique a été
le seul contrepoids possible à la répression indonésienne. De plus, l’Église est intervenue en faveur du maintien des coutumes culturelles et religieuses des Timorais orientaux et a défendu leurs intérêts. Par la suite, il y a eu une grande vague
de conversions, suite à laquelle le nombre de catholiques s’accrut de 30% au début
de la domination indonésienne pour culminer aujourd’hui à 85% de la population au Timor-Oriental.
Les religions traditionnelles au Timor-Oriental sont devenues des religions
illégitimes à la suite du règlement conformément à l’idéologie Pancasila selon
laquelle les religions qui croient en Dieu sont reconnues par l’État. La grande majorité des adhérents aux religions traditionnelles s’est prononcée en faveur de l’Église catholique. En effet, à côté de l’aversion envers l’islam considéré comme
religion des oppresseurs, il est un fait qu’une série de coutumes et rites ont une
certaine affinité avec la religiosité traditionnelle du Timor-Oriental. Dans l’enseignement des candidats au baptême, les catéchistes profitent de ce fait pour
faciliter la transition à la nouvelle religion aux membres des anciennes religions
traditionnelles. Le nouvel ordre au Timor-Oriental, de plus, a détruit, en grande partie, les bases du vieil ordre religieux, culturel et moral ou les a modifiées
de sorte que les hommes, étant à la recherche d’une nouvelle orientation, ne peuvent pas être facilement guidés. La grande vague de conversions au sein de la
population, qui avait vécu jusque-là une religiosité traditionnelle animiste, ne
signifie pas la fin des rites, coutumes et idées liées à elle. Les recherches d’eth-
22
nologues, comme par exemple celles de l’américaine Elisabeth Traube, qui a fait,
pour la première fois en 1974, des études de champs détaillées dans différents
villages du Timor-Oriental, et qui a récemment visité de nouveau les mêmes villages, a démontré que la vieille piété populaire d’empreinte animiste est restée
toujours très vivace. Même si les paysans, dans la campagne, se sont convertis
au catholicisme, ceci ne signifie pas qu’ils se sont libérés de la notion d´âmes malveillantes qui doivent être apaisées par des rites particuliers. Lors d’évènements
importants dans la vie privée tels que la récolte ou le début de la construction
d’une maison, on continue ainsi à respecter et à plus ou moins suivre ouvertement certains rites.
La contribution de l’Église à la lutte pour la libération
En 1983, l’évêque catholique Costa Lopes fut destitué de son poste comme administrateur apostolique du diocèse de Dili parce que jugé « personne indésirable »
par les instances du gouvernement indonésien et de l’armée. Carlos Ximenes Belo
SMB, désigné comme son successeur, était encore un très jeune prêtre à l´époque, ayant juste achevé sa formation de professeur en théologie à Rome et
ayant vécu, en tout, 13 années au Portugal et à Rome. Ce n’est qu’en 1981 que
Belo arriva au Timor-Oriental et fut institué dans les œuvres pour la jeunesse de
son ordre des Salésiens de Don Bosco. La désignation de ce jeune prêtre, ayant
fait du bon travail au niveau de son engagement pour les jeunes, mais qui, malgré tout, passait pour très inexpérimenté, fut très difficile à admettre par l’Église catholique et les croyants.
Le nouvel administrateur ne fut ordonné prêtre que trois ans avant sa désignation comme évêque et, par la suite, n’a pas pu acquérir l’expérience qui l’aurait valorisé, qualifié et lui aurait apporté la crédibilité nécessaire pour ce poste
épineux d’unique évêque au Timor-Oriental. Durant toute sa formation, il a exclusivement étudié auprès des écoles et universités de l’ordre des Salésiens et en tant
que membre de cet ordre, est rarement entré en contact avec le clergé du diocèse et s’est peu familiarisé avec les tâches administratives d’un diocèse. Or, l’on
n’a toujours pas très bien compris pourquoi ce nouvel administrateur fut désigné par Rome. Carlos Filipe Ximenes Belo ne fut, certes pas, le candidat rêvé du
clergé du diocèse, et même, au moment de sa désignation, était complètement
inconnu aux yeux des catholiques du Timor-Oriental.
Mais il se révéla bientôt que ce nouvel évêque était apte à conduire son évêché et prêt à intervenir pour les droits de ses compatriotes auprès des autorités
indonésiennes. Ainsi l’évêque Belo a soutenu ouvertement la lettre du clergé du
Timor-Oriental de 1985, dans laquelle l’occupation indonésienne fut sévèrement
23
et énergiquement critiquée. Dans cette lettre, l’on parle du danger de « la lente
extermination ethnique, culturelle et religieuse ». Dans des lettres pastorales postérieures, l’évêque Belo n´a cessé de s’opposer aux abus de l’administration militaire indonésienne, comme par exemple quant à la politique du contrôle des naissances, où il découvrit les débuts d’une stérilisation forcée de la population.
L’évêque Belo fut ensuite de plus en plus contrôlé et sévèrement surveillé par les
autorités de sécurité indonésiennes. Ses rapports avec la conférence épiscopale,
à l’égard de laquelle il avait le statut d’un hôte, en souffrirent également. En effet,
les évêques indonésiens n’ont pas été d’accord avec l’attitude critique de Belo
vis-à-vis des efforts d’intégration indonésiens, et ont aussi approuvé la révocation du prêtre portugais du Timor-Oriental afin de promouvoir l’intégration de
l’île à l’union étatique indonésienne.
Les évêques indonésiens, qui se voyaient défenseurs de la minorité catholique
dans une Indonésie dominée par l’islam, tendaient plutôt à faire preuve de leurs
convictions nationales et patriotiques envers les critiques dans les rangs des islamistes dans le pays, que d’intervenir pour leurs frères au Timor-Oriental. Étant
en minorité avec juste 3,6% de la population, l’Église catholique en Indonésie
évitait de prendre une position résolument prophétique qui aurait pu susciter
l’aversion ou la colère de la majorité musulmane, et mettre ainsi en danger sa
propre légitimité. C’est que, dès le début, l’Église catholique se voyait une force
loyale à l’État et fière du rôle qu’avaient joué les catholiques dans la lutte pour
l’indépendance et la formation de l’État. Pour cette raison, elle a toujours eu des
difficultés à percevoir l’opposition des catholiques au Timor-Oriental à une
intégration dans l’État indonésien.
Ce fut cette ambiguïté qui empêcha toujours l’Église de prendre une position claire vis-à-vis des violations des droits de l’homme. Ce ne fut que dans les
dernières années que les catholiques indonésiens montrèrent plus de compréhension au refus des catholiques du Timor-Oriental. Il y eut plus d’information
sur la situation réelle et l’intérêt général fut davantage une donnée à prendre en
compte au Timor-Oriental. À cause des scandales liés à la corruption, le régime
Suharto perdait de plus en plus de sa crédibilité et de l´appui de la population.
Face aux violations répétées des droits de l’homme, la conférence épiscopale prit
alors ouvertement la parole, en septembre 1995, dans une lettre pastorale très
critique à l´égard des autorités : les évêques indonésiens protestèrent contre les
actes de violence répétés à l’égard de la population civile et exigèrent du gouvernement indonésien un changement de sa politique d’immigration. En fait,
l’immigration forcée de musulmans au Timor-Oriental suscita des situations problématiques et incita les Timorais orientaux à la résistance, poussés au bord de
leur propre territoire.
24
L’Église catholique, de l´époque de transition à l’indépendance
Quant au rôle de l’Église au Timor-Oriental indépendant, les deux évêques, Carlos Filipe Ximenes Belo de Dili et Basilio do Nascimento de Baucau24, ont expliqué clairement que l’Église a voulu se retirer de la politique autant que possible. Pendant la phase transitoire, les deux évêques ont pris la parole plusieurs
fois en avertissant les politiques, leur demandant de ne pas perdre de vue les intérêts du pays et de refréner leurs ambitions inspirées par les intérêts du parti pour
ne pas compromettre le bien public. Les deux évêques se sont activement engagés à rétablir un esprit de conciliation et de compréhension entre les différents
groupes ennemis dans le pays. Faisant cela, ce fut surtout l’évêque Belo25 qui attira l’attention sur le fait qu’une réelle réconciliation ne peut pas signifier que l’on
s’abstienne d´un compte rendu juridique et d’une condamnation des crimes commis. La condition préalable à une paix réelle et la coexistence en harmonie entre
les différents groupes de la population est la recherche objective des injustices
passées. Dans leurs appels aux réfugiés du Timor-Occidental, les deux évêques
catholiques sont intervenus pour encourager autant que possible les réfugiés à
revenir au Timor-Oriental.
Quant à la collaboration de l’Église catholique avec nombre d’organisations
non-gouvernementales (ONG) dans le pays, l’effort a surtout consisté à ne pas
apparaître comme l’auteur de projets et à se focaliser sur les organisations ecclésiastiques avec lesquelles l’Église catholique avait déjà collaboré de par le passé.
A l’avenir, il est permis que l’on s’attende à un éclaircissement de la situation
ecclésiastique et politique au Timor-Oriental. Actuellement, les deux diocèses de
Dili et de Baucau sont, conformément au droit ecclésiastique, des « administrations apostoliques » directement sous l’autorité du Pape et non pas des diocèses au sens limitatif du terme. L’institution d’un troisième diocèse, dans un
avenir proche, permettra d’accorder au Timor-Oriental l’autonomie de plein droit
en tant que province ecclésiastique.
Dans le passé, les évêques Belo et Nascimento ont eu le statut de « visiteurs »
au sein de la conférence épiscopale indonésienne. Depuis les événements de septembre 1999, cela a pris fin. Même au sein de la Fédération des conférences épiscopales asiatiques (FABC), le Timor-Oriental n’en fait plus partie. La demande
présentée il y a quelques années, pour l’obtention du statut de « membre associé », a été rejetée à l’époque à cause de la situation politique particulièrement
imprécise. On peut s’attendre à ce que le Timor-Oriental, après l’établissement
d’une province ecclésiastique autonome, puisse devenir un membre à part entière de la FABC. Cela permettrait de sortir l’Église catholique au Timor-Oriental
de son isolation actuelle dans l’espace asiatique-pacifique et signifierait aussi une
étape importante vers la normalisation.
25
La voie ardue de la démocratie
Élection de l’assemblée constituante le 30 août 2001
Le 30 août 2001 représente le deuxième anniversaire du référendum qui a permis à la grande majorité de la population du Timor-Oriental de prendre son destin
en main, et choisir pour l’indépendance et contre l’intégration à l’union étatique indonésienne. L’élection de l’assemblée constituante (Constituent Assembly) a eu lieu, caractérisée par un taux de participation de 91%, soit 382.968 des
421.018 habitants du Timor-Oriental ayant le droit de vote. Les électeurs, dont
la moitié sont des analphabètes, furent appelés à élire au scrutin direct les 88 membres de cette assemblée dont la mission première sera d’élaborer la Constitution
du nouvel État du Timor-Oriental. Le nombre élevé de partis politiques (16) qui
ont participé à ce scrutin fut impressionnant26. Le déroulement des premières élections libres s’est passé sans heurts. Les craintes que les milices pro-indonésiennes situées dans les camps de réfugiés au Timor-Occidental puissent profiter de
l’occasion pour faire mouvement vers le Timor-Oriental afin de perturber les
élections ne se sont pas vérifiées. Au Timor-Oriental, il n’y a pas eu de troubles
dans les différents bureaux de vote dans la capitale de Dili, ni à Liquica et Bacau,
villes ayant été la proie d’actes de violence deux années auparavant. Ainsi les élections se sont déroulées sans incidents majeurs. C’est du moins l’opinion unanime de tous les observateurs internationaux. Un certain nombre de
critiques ont été formulées. A l´origine de ces critiques, le Parti Démocrate Timoré (UDT) et son leader Joao Carrascalao. Les reproches de fraudes lors des élections ont été évoqués parce que certains auraient donné leur voix deux fois, parce
que les urnes électorales n’auraient pas été mises sous scellés et parce que le Fretilin aurait intimidé la population. Le comité indépendant de vote des Nations
unies a rejeté ces accusations.
Dans les camps de réfugiés au Timor-Occidental, les membres des milices proindonésiennes, qui vivent là-bas depuis deux ans, ont hissé, comme signe de protestation, les drapeaux indonésiens rouge-blanc, et le jour de l’élection fut désigné par eux comme « jour de deuil pour le Timor-Oriental ». Enrico Guterres,
l’ancien dirigeant de la fameuse milice Aitarak, milice réputée pour ses exactions,
lors d´un interview à Jakarta, où il vit en résidence surveillée – n’ayant toujours
pas été jugé par un tribunal -, déclara que les élections au Timor-Oriental n’ont
pas été libres, mais prétendues comme telles par les Nations unies. Le résultat
des élections ne serait pas l’établissement de l’État indépendant Timor-Oriental
mais une réserve sous la dépendance des Nations unies, dans laquelle les habi-
26
tants seraient soumis à un statut semblable à celui des aborigènes australiens.
Guterres a ajouté que lui-même ne se sentait pas préoccupé par cela puisqu´il
disposait de la nationalité indonésienne.
Jusqu’au 31 janvier 2002, c’est-à-dire jusqu’à la fin du mandat des Nations
unies, le Timor-Oriental restera sous la domination de l´UNTAET, qui accordera
l´indépendance et désignera le gouvernement à une date qui n’a pas encore été
fixée précisément. Le 8 juillet 2001, les 16 partis participant à l’élection se sont
engagés, via un pacte sur l’unité nationale, à éviter toute violence et à mener une
campagne électorale pacifiquement.
Le 25 août, soit quelques jours avant l’élection à l’assemblée constituante,
l’ancien leader du mouvement pour l’indépendance, José « Xanana » Gusmao27,
lui-même n’étant pas candidat à l’un des 88 sièges de cette assemblée, se déclara être prêt à porter sa candidature à la présidence du Timor indépendant. Cette
déclaration fut précédée par une période plus au moins chaotique lors de laquelle José Xanana Gusmao, par dégoût et aversion pour les différents partis politiques et leurs petites querelles, quitta avec fracas, en avril, le Parlement temporaire du Timor-Oriental, ayant fermement déclaré à l’époque qu’il ne se
représenterait plus au poste de président. Cette annonce n’a pas été véritablement prise au sérieux parmi la population et la classe politique, personne n’y
croyant. De plus, de par sa lutte au sein de l’organisation guérilla Falantil, sa condamnation et son long séjour passé en prison, Xanana Gusmao était un personnage avéré au Timor-Oriental. Surtout, José Xanana Gusmao, a tout fait, après
avoir renoncé à se porter candidat, pour que son nom ne tombe pas dans l’oubli, donnant constamment son opinion sur toutes les questions d´actualité et
événements dans le pays28. Cette manœuvre ne servait, après tout, qu’à augmenter
ses chances dans la course à la présidentielle, ce qui ne se conçoit pas alors comme
un véritable désir de pouvoir représenter son peuple mais plutôt comme une manifestation personnelle de son ambition politique
Désignation d’un gouvernement de transition
Comme prévu, le Front Révolutionnaire pour le Timor-Oriental indépendant,
mieux connu sous l’abréviation Fretilin, a remporté une large majorité avec
57,37% des voix. Avec 55 des 88 sièges au sein de l’assemblée constituante, le
Fretilin est le groupement le plus important. Cependant, il a manqué la majorité des deux tiers, lui donnant des libertés étendues quant à l’élaboration de la
Constitution. Le deuxième parti, avec 8,72% et sept sièges, fut le Parti démocrate,
suivi de près par le Parti social-démocrate qui gagna 8,18% des voix, soit six sièges. Le même nombre de sièges revint à l’Association social-démocrate. Le Parti
27
conservateur démocrate timorais, lui qui en 1975 avait lutté contre le Fretilin,
pendant la courte phase de l’indépendance provisoire avant l’invasion indonésienne, obtint à peine deux sièges. Entre-temps, l’assemblée constituante qui représente le Parlement du Timor-Oriental pendant la phase de transition, a commencé
son travail le 17 septembre.
Comme porte-parole lors de l’assemblée constituante des dirigeants, fut élu
Francisco Guterres. Le 20 septembre 2001, Sergio Vieira de Mello, le dirigeant
de la mission des Nations unies au Timor-Oriental, a nommé Mari Alkatiri premier ministre du deuxième gouvernement de transition qui va mener le pays,
probablement l’année prochaine, à l’indépendance. Alkatiri qui occupait jusqu’alors le poste du secrétaire général du Parti Fretilin, préside un gouvernement
constitué de dix ministres, sept vice-ministres et trois secrétaires d’État. Sergio
Vieira de Mello a présenté le nouveau cabinet comme le « premier véritable gouvernement représentatif élu librement dans l’histoire du Timor-Oriental ». L’office du ministre des affaires extérieures restera une compétence de José Ramos
Horta qui avait déjà occupé cette fonction au sein du premier gouvernement de
transition. Il exercera ainsi à la fois les fonctions de vice premier ministre. José
Xanana Gusmao ne fait pas partie du nouveau gouvernement. Il a refusé l’offre
de prendre la direction de la commission de planification pour les questions de
développement au sein du nouveau gouvernement. En revanche, il fait partie
du comité de consultation non-gouvernemental qui doit jouer le rôle de médiateur
entre le gouvernement et le peuple concernant les questions de développement.
L’objectif premier : paix et réconciliation parmi les groupes de
population
Il faudra un certain temps avant que les blessures du passé se cicatrisent parce
que le souvenir des dévastations, des expulsions, des déchirements et assassinats
parmi la population civile, durant la période de transition et après le référendum
d’août 1999, est encore très présent. À présent, l’une des priorités est de s´occuper de l’analyse juridique et psychologique de ces atteintes aux droits de l’homme29. S’il est entendu que l’armée indonésienne et les fonctionnaires furent des
provocateurs, ce furent essentiellement les milices du Timor-Oriental qui ont été
responsables de la plupart des atrocités. Quand la situation est devenue dramatique, conscients de leur perte, beaucoup d´indonésiens ont quitté le TimorOriental pour fuir vers le Timor-Occidental. Alors se pose le problème d’une
éventuelle réconciliation qui n’est pas vraiment compatible avec l’exigence de
poursuites judiciaires engagées à l’égard des auteurs de ces atrocités.
Des personnalités comme l’évêque Belo ne cessent de prôner une réconciliation. En se braquant sur l’histoire du Timor-Oriental, on constate que l’île fut,
28
dans le passé, connue pour ses chasseurs de têtes : il y avait beaucoup de
conflits entre les différents groupes de la population et l’on coupait la tête des
guerriers morts au combat. A cette époque, existaient plusieurs usages culturels
permettant de rétablir la paix et de parvenir à une réconciliation. Celle-ci était
effective au moment où les anciens adversaires se rendaient mutuellement les
têtes. De manière symbolique, une cérémonie semblable devrait pouvoir
s’effectuer ou bien être développée aujourd’hui pour permettre une réconciliation
accomplie vers l’extérieur30. Il y a eu quelques initiatives pour nouer une
réconciliation entre les différents groupes de population au Timor.
Sur l’initiative de l’agence pour le développement international des ÉtatsUnis (USAID), quelques 300 réfugiés du Timor-Oriental qui vivent maintenant
au Timor-Occidental, mais qui étaient domiciliés aux abords de la frontière
entre le Timor-Oriental et le Timor-Occidental, se sont rencontrés en août 2001
à Haekesak pour un dialogue avec des Timorais occidentaux. On a évoqué l’appartenance commune au même clan pour conclure un accord basé sur une coexistence pacifique à l’avenir. On a affirmé que des relations parentales existaient
depuis une éternité, bien avant l’arrivée des Portugais et Néerlandais, c’est-à-dire
avant la séparation de l’île entre le Timor-Oriental et le Timor-Occidental. Lors
de cette rencontre, beaucoup de participants ont souligné qu’une coexistence
paisible des différentes composantes du peuple serait réalisable sur la base de
notions traditionnelles des liens familiaux et du culte des ancêtres. Il est dangereux que des politiciens rentrant d’exil insistent trop sur les éléments des cultures étrangères et mettent ainsi en péril l’identité culturelle.
Une analyse réelle des traumatismes survenus suite aux événements dramatiques durant la période de l’occupation indonésienne prendra du temps. La
démarche punitive et purement juridique ne suffira pas, même si l’on peut supposer que cette démarche est la condition préalable à un nouveau départ. Il y a
aussi nécessité d´élaborer, parallèlement à cela, un programme basé sur la réconciliation entre les différents groupes de la population. La commission pour la paix
et la justice (Justice and Peace Commission) du diocèse de Dili prépare un programme d’empreinte globale pour les différents groupes à Dili et dans les villages environnants. Ce programme étudie les stratégies conflictuelles non-violentes,
le traitement de la détresse, de la colère et des troubles, et se réfère aussi à des
considérations plus théologiques de la réconciliation. On a instauré pour le pays
entier un Comité National de Vérité et Réconciliation, sans doute inspiré par le
modèle de l’Afrique du Sud, qui rassemble des documents sur la violence, les expulsions forcées, les viols, les assassinats et les pillages, les enlèvements et disparitions d’individus, bref, toutes les atteintes aux droits de l’homme de ces dernières
années.
29
Une tâche à long terme sera d’éduquer les futures générations aux droits de
l’homme. Il est crucial que les aspects sociaux, économiques, politiques et religieux concernant les droits de l’homme puissent être mis en relation concrète avec
les traditions culturelles et religieuses, les coutumes du Timor-Oriental. L’évolution d’une identité autonome nationale au Timor-Oriental ne sera possible que
si l’on parvient à développer une identité autonome, se référant à un citoyen d’un
État autonome, en combinant la tradition ancestrale avec la modernité.
Poursuites juridiques des responsables
Juste après le départ de l’administration et de l’armée indonésienne, régnait un
consensus au niveau de l’opinion publique internationale pour que les violations des droits de l’homme soient poursuivies en justice. Beaucoup de personnes
exigèrent alors un tribunal international pour que les fonctionnaires de l’armée
et de l’administration indonésienne doivent s’expliquer et se justifier auprès d’un
tribunal de droit commun. Un tel tribunal international n’est jamais devenu
réalité, d’autant plus que les États-Unis n’en ont pas été un ardent défenseur.
Ceux-ci ont invoqué le fait que cela serait un fardeau inopportun pour la jeune
démocratie en Indonésie si les chefs de l’armée nationale devaient se retrouver
devant un tribunal international, ce qui pourrait facilement provoquer un
coup d’état militaire en Indonésie. Le gouvernement indonésien, lui, s’est toujours prononcé avec véhémence contre une procédure judiciaire internationale et a promis que l’on entreprendrait les poursuites juridiques nécessaires au
niveau national pour que tous les responsables des atteintes aux droits de
l’homme soient sanctionnés.
Cette promesse, faite à l’origine par le président Abdurrahman Wahid, fut
renouvelée par son successeur Sukarnoputri, mais n’a pas vraiment été tenue.
En 1999, Abdurrahman Wahid a décrété l’instauration d’un « tribunal ad hoc
relatif aux atteintes aux droits de l’homme au Timor-Oriental » ; le délai concernant les violations des droits de l’homme susceptibles d’être poursuivies fut
reporté à la période suivant le 30 août, le jour du référendum. Après son élection à la présidence, Megawati Sukarnoputri a étendu ce délai en ordonnant de
poursuivre en justice tous les crimes commis dans la période du mois d’avril jusqu’en septembre 1999. En même temps, elle a toutefois décrété que les poursuites
pénales ne seraient engagées que dans 3 des 13 districts au Timor-Oriental.
Néanmoins, l’on se satisfait de cette mesure en estimant que cette démarche n’est
pas seulement une réaction à la critique internationale mais une initiative réelle visant à élucider les crimes commis et demander des comptes aux responsables de ces crimes.
30
Or, le décret présidentiel ne concerne que les crimes commis par les milices proindonésiennes, alors que les délits des hauts fonctionnaires de l’armée et de l’administration indonésienne ne seraient toujours pas sanctionnés. Seuls rentreraient dans cette catégorie les déportations massives de plus de 200.000
Timorais orientaux, en septembre 1999, et également les actes criminels du début
de l’année 1999, quand l’armée a formé et instruit les milices et les a munies
d’armes.
Ce n’est que deux années après le départ des Indonésiens qu’un tribunal, institué par l´UNTAET, commença ses travaux. Un premier procès, sous la présidence du procureur général Mohamed Othman31, avec l´aide de 13 juristes et 20
enquêteurs policiers, fut intenté, à Dili, à l´égard de 50 personnes accusées de
crimes contre l’humanité, meurtres, viols et expulsions. Le début de la procédure
fut compliqué puisque dans le pays, il n’y avait plus aucune infrastructure utilisable pour les juges. A Dili, tous les bâtiments administratifs ont été détruits
par les Indonésiens avant leur départ. De plus, il n’y a jamais eu de juges autochtones et tous les registres ont été anéantis. Pendant la phase préparatoire des procès, des médecins légistes, pathologistes et d’autres spécialistes ont exhumé
environ 300 fosses et ont pu identifier 260 victimes. Une première douzaine de
jugements furent prononcés et des détentions entre sept et quinze ans infligées.
D’autres procédures restent encore à être engagées, procédures qui permettraient de faire la lumière sur les motifs et les causes des « crimes de l’armée indonésienne » et « crimes des milices autochtones » qui ont été commis dans la période précédant le référendum d´août 1999. Sont concernés les assassinats à Palos
et à Liquica, la destruction des maisons de l’évêque Carlos Filipe Belo et du politicien Manuel Carralscalao, les incendies en masse des églises et des séries de viols
perpétrés dans l’ensemble du pays. L’objectif de ces actions, se déroulant pendant la phase préparatoire du référendum, a été d’intimider la population et de
la presser de voter pour l’Indonésie. Quand le résultat fut, malgré tout, contre
l’Indonésie, il y eut des actes de vengeance à l’égard de la population du TimorOriental, afin de la punir pour son vote en défaveur de l’Indonésie. De plus, presque tout le pays fut réduit complètement en cendres et plus de 200.000 Timorais orientaux expulsés.
Ces actes que l’on a prétendu « spontanés », accomplis par des milices paniquées et des soldats récalcitrants, ne se sont pas vérifiés dans les faits. Au contraire,
il y eut des plans détaillés de l’armée indonésienne, dans lesquels des actions étaient préparées, réfléchies et déjà déterminées à l’avance. Il est à déterminer dans
quelle mesure les États-Unis et l’Australie connaissaient ces plans, mais il est incontestable que le commandement de l’armée, en particulier le chef de l’armée, le
général Wiranto a dû en prendre connaissance. Pourtant, ce ne seront pas les
31
responsables du haut commandement de l’armée qui doivent comparaître devant
le tribunal au Timor-Oriental puisque ce tribunal n’est pas compétent à leur égard.
Ce ne sont que les partisans des milices autochtones, qui ont été formés, armés
et commandés par les Indonésiens et qui ont fait le « sale boulot » qui seront jugés.
Lors de la procédure contre la soi-disant Alpha-Team, un groupe de 10 miliciens,
sous le commandement de Joni Marques, tenu pour responsable de l’assassinat
de prêtres, de torture, de l’enlèvement et de l’expulsion de communes rurales entières. Même si les miliciens furent des criminels, il s’est avéré lors de ce procès
que les soldats, officiers et policiers indonésiens et surtout les membres des
unités spéciales tel que le Kopassus y furent aussi impliqués.
Aux promesses faites de veiller à la sécurité et à la protection de la population, l’armée indonésienne n’a, en aucune manière, mis fin aux excès, mais a,
par contre, en fournissant des armes, délibérément soutenu ces actes ou bien les
a rendu possibles en faisant semblant de ne pas les voir. Le tribunal, sous l’égide du procureur général Othman, ne pourra certes pas condamner le haut commandement de l’armée ; mais, lors de procédures contre des charges inférieures, la responsabilité de toutes les personnes ne comparaissant pas devant le
tribunal s’inscrira dans les dossiers ; des actes d’accusations et des mandats d’arrêt vont être établis, valables également devant tout tribunal international. En
Indonésie même, les hauts militaires sauront probablement se soustraire à leur
responsabilité. Par contre, lors de voyages à l’étranger ils seront susceptibles d’être arrêtés pour comparaître devant un tribunal international. Chaque jugement,
prononcé à Dili, fait monter la pression sur le gouvernement indonésien pour
qu´il prenne à son tour des mesures contre ces personnes. Il appartient à la communauté internationale de faire pression sur Jakarta pour que les violations des
droits de l’homme commises au Timor-Oriental soient punies. L’Église et d’autres groupes ont maintes fois exigé de porter les responsables devant les tribunaux. La réconciliation et la paix dans le pays ne peuvent aboutir au TimorOriental que si cela se concrétise dans les faits.
Dans les derniers mois, au Timor-Oriental, il y eut une controverse sur la
question de savoir si les poursuites juridiques des responsables des massacres, commis dans la période précédant et suivant le référendum, étaient indispensables
à une véritable réconciliation. La controverse prend un tour étonnant car José
Xanana Gusmao qui a passé des années dans les prisons indonésiennes se prononce pour une amnistie plus ou moins étendue, alors que le titulaire du prix
Nobel de la paix, l’évêque Carlos Belo insiste pour que les anciens membres des
milices, à savoir les soldats et policiers indonésiens et en particulier les généraux
qui commandaient, soient portés devant un tribunal. En fait, rien que pour le
mois de septembre 1999, pas moins de 3.000 hommes auraient été tués, d’in-
32
nombrables femmes violées et plus de 500.000 personnes expulsées de leurs domiciles. On devrait pouvoir punir ces crimes et porter les responsables devant les
tribunaux. Ceci s’effectuerait au mieux - à cet égard l’évêque Belo est encouragé par beaucoup de Timorais – par l’instauration d’un tribunal international qui
pourrait, par la suite, non seulement poursuivre juridiquement les crimes contre le peuple du Timor-Oriental mais aussi les crimes commis contre la communauté internationale. Pourtant, il est peu probable qu’un tribunal international, rejeté énergiquement par l’Indonésie, prenne forme, si José Xanana
Gusmao, probablement le premier président du Timor indépendant, ne soutient
pas cette idée ou alors la soutient sans grande conviction.
33
Exigences
Poursuites juridiques à l’égard des responsables des violations
des droits de l’homme
Une enquête et une instruction doivent se mettre en place et les présumés coupables jugés. On doit faire pression sur l’Indonésie pour porter les hauts fonctionnaires de l’armée, les responsables des violations des droits de l’homme,
devant un tribunal international. Le gouvernement indonésien doit, en outre,
se charger des frais de rapatriement des réfugiés et payer les réparations et
dédommagements. En outre, les violations des droits de l’homme perpétrées par
les indonésiens pendant toute la période de l’occupation indonésienne du
Timor-Oriental ne peuvent être ignorées et doivent être poursuivies.
Susciter l’initiative personnelle et renoncer aux abus
de l’aide internationale
Au Timor-Oriental, dans les dernières années, après les événements dramatiques
de septembre 1999, une multitude d’organisations internationales, d’organisations d’aide privées et ecclésiastiques se sont engagées32 à porter secours à la population dans le besoin. Après deux années, il importe de dresser un bilan critique.
Des pans entiers de la population du Timor-Oriental dépendent de plus en plus
des programmes d’assistance des organisations internationales censées aider les
gens qui sont réellement dans le besoin. Or, ce que l’on constate, c’est qu’en faisant bénéficier des pans de population trop larges, incluant des gens n’étant pas
réellement dans le besoin, on brise l’initiative individuelle et on crée des rapports
de dépendance
Se préparer à la « période qui suivra le départ de l´UNTAET »
L’exigence, mentionnée ci-dessus, pour la promotion d’initiatives personnelles
doit, en premier lieu, porter sur la période suivant le départ de l’UNTAET, qui
aura lieu en fin de mandat des Nations unies, fin janvier 2002. D’ici là, il faut
faire des efforts centrés sur l’instruction civique. Il s’agit de transmettre les
notions fondamentales d’une société démocratique, à savoir la pluralité d’opinions, l’acceptation des résultats des élections et des décisions prises à la majorité et beaucoup plus.
34
Annotations
1 Source : Poverty Assessment Timor Loro Sa’e, Internal Working Document 16 June 2001 : Development Indicators
for East Timor, Initial Results from the Sucos by the East Timor Transitional Administration (ETTA), the Asian Development Bank, World Bank, the United Nations Development Programme (UNDP).
2 D’autres indications statistiques (N.B.Suco=tribal society; société tribale Aldeia=village). La population compte
841.303 personnes (49% féminin; 51% masculin), se répartit sur 498 sucos, qui vivent dans 2,336 Aldeias.
Nombre moyen d’habitants par Aldeia : 360 personnes.
Nombre de familles : 180,283 ; en permanence déplacées ou en fuite : 18,391 familles (en juillet 2001).
Nombre de maisons rendues inhabitables par la force : 67,498.
Actuellement, 53% de ces maisons sont réparées ou bien habitables.
Le nombre d’écoles s’élève à 923, c’est-à-dire 14% de moins qu’avant les actes de violence perpétrés dans l’année 1999.
71 sont des écoles primaires, 11 des collèges (Junior High School), 3 des lycées (Senior High School) et 15 d’autres
écoles. Le nombre de professeurs s’élève à 5,789 dont 1,633 féminins et 4,156 masculins. 237,551 élèves (m/f) ou
79% des enfants d’âge scolaire fréquentent une école. 718 écoles (78%) sont publiques, tandis que 173 (19%) sont
administrées par l’Église. Le nombre d’écoles privées s’élève à 26 (3%).
A cause des excès ayant suivi le référendum de septembre 1999, le nombre d’habitants du Timor-Oriental a été réduit approximativement de 100.000 aboutissant à 750.000, la différence se composant de réfugiés qui ont quitté le pays
contre leur gré et les membres des milices pro-indonésiennes qui ont fui l’Indonésie par crainte de poursuites juridiques ou de représailles.
3 http://sipa.columbia.edu/ICRP/etrptchap4.pdf
5 Voir M. Schlicher, op.cit.299.
6 “The Timores need only to read and write, and then we should give them a hoe and an axe”, voir M. Schlicher,
op.cit.301.
7 Dans ce contexte, on peut mettre en doute la décision de faire du portugais la langue nationale au Timor-Oriental
indépendant.
8 Si l’on tient compte qu’en 1906, 79% des Portugais étaient des analphabètes, l’engagement insuffisant de la part de
l’administration coloniale portugaise dans le secteur éducatif paraît moins critiquable. V. M. Schlicher, op.cit. 301.
9 M. Schlicher a brièvement décrit les intérêts économiques au Timor-Oriental à cette époque : « Moyennant d’innombrables firmes et fusions d’entreprises, les différentes branches de l’armée participent activement aux affaires
économiques du pays. La notion de ,military economy’, utilisée souvent pour illustrer cette structure économique
montre comment l’armée domine ce secteur. Denok est une entreprise de la Réserve Stratégique (KOSTRAD) et fut
dirigée par un des hommes politiquement les plus puissants d’Indonésie : Benny Murdani. Il appartient au cercle
intérieur du Président Suharto et a participé de façon déterminante, en tant que commandant en chef de l’armée, à
la planification et à la réalisation de l’invasion indonésienne au Timor-Oriental et au ,processus d’intégration’ suivant », v. M. Schlicher, op.cit.200.
10 Voir le compte-rendu détaillé de James Dunn, Crimes against Humanity in East Timor, January to October 1999, Their
Nature and Causes. James Dunn fut invité par le procureur général Mohamed Othman afin de mettre en évidence
les violations des droits de l’homme au Timor-Oriental en 1999.
11 ‚Kopassus’ (unité spéciale de l’armée indonésienne) voir
p. ex. : http//www.fas.org/irp/world/indonesia/kopassus.htm
12 Les couleurs « Rouge-Blanc » représentent les couleurs du drapeau indonésien et l’appui des milices à l’intégration
du Timor-Oriental à l’État indonésien.
13 La structure internationale résulte d’une clé de répartition qui prévoit des contingents déterminés pour certains pays.
Cela signifie, cependant, qu’il n’y a pas de profil requis quant à l’envoi. La composition multicolore, en particulier
des policiers, qui font le service dans leurs uniformes nationaux, a pour effet une image traditionnelle qui convient
éventuellement pour les parades mais pas pour le service quotidien. Les qualifications varient aussi considérablement.
14 Le East Timor International Support Center (ETISC) a été fondé durant la période de l’occupation indonésienne au
Timor-Oriental en 1977, pour appuyer la lutte des Timorais pour l’indépendance, par la coordination de différents
groupes en Europe, Amérique du Nord et dans le monde entier. Il siégeait à Davao dans les Philippines et à Darwin
(Australie). Le titulaire du prix Nobel de la paix, Ramos Horta, est le président de l’ ETISC.
15 Des chiffres précis n’ont jamais été rendus accessibles à cause des circonstances chaotiques au Timor-Oriental en septembre 1999. On suppose que 250 à 300.000 personnes sont arrivées au Timor-Occidental.
16 Lors d’une visite au Timor-Oriental, en juillet 2001, je profitai de l’occasion pour parler avec quelques personnes déplacées de la capitale de Dili au Timor-Oriental qui, entre-temps, ont pu rentrer dans leur pays.
17 On parle d’un chiffre de 60.000 Indonésiens qui se sont établis lors de la politique de déplacement au Timor-Oriental
au cours de l’occupation indonésienne entre 1975-1999. Presque tous ont quitté le Timor-Oriental après le référendum
du 30 août 1999.
18 On parle d’un chiffre de 20.000 personnes dans les camps du Timor-Occidental dont les familles reçoivent une pension ou un salaire du gouvernement indonésien. Ces gens ne veulent pas rentrer au Timor-Oriental ou ne veulent
rentrer que s’il y a garantie qu’ils puissent revendiquer aussi au Timor-Oriental les pensions et les salaires de l’État
indonésien.
19 Le 21 mai 2001, six personnes convaincues d’avoir commis des meurtres ont été condamnées à des peines légères et
inattendues comprises entre 10 et 20 mois de prison. Ce jugement a soulevé des protestations énergiques de la part
des Nations unies ainsi que de la part de l’Église catholique.
20 Des voix se sont élevées et ont fait remarqué que le nombre de ceux qui se disaient des réfugiés du Timor-Oriental
était très élevé. Il semble que la possibilité de pouvoir bénéficier de l’aide humanitaire internationale ait poussé beaucoup de personnes n’y ayant pas droit, à se faire enregistrer comme réfugiés.
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21 Les réfugiés au Timor-Occidental étaient exclus aux élections du 30 août 2001 parce qu’il ne leur avait pas été possible de remplir la condition quant à une éventuelle participation, à savoir leur rentrée au Timor-Oriental jusqu’au
20 juin 2001.
22 « L’observateur extérieur est toujours étonné de la variété ethnique au Timor, liée à la variété culturelle et linguistique. Il apparaît qu’au cours des diverses migrations des peuples au sud-est de l’archipel asiatique, beaucoup d’influences
se soient réunies en un point : à côté d’influences malaises et mélanésiennes se trouvent aussi des groupes de peuples dominés des papoua et même des traces d’aborigènes australiens » voir M. Schlicher, Portugal in Osttimor, eine
kritische Untersuchung zur portugiesischen Kolonialgeschichte in Osttimor 1850 – 1912, Hamburg 1996, p. 85.
23 Pourtant, cette attitude de conciliation est controversée au Timor-Oriental. Cela fut manifeste lors d’une rencontre
à Jakarta, en avril 2001, entre une délégation dirigée par José Xanana Gusmao et par les milieux gouvernementaux
indonésiens, traitant d’un compte rendu analytique des atteintes aux droits de l’homme commis par les Indonésiens
au Timor-Oriental. Prawobo Subianto, le leader de l’unité spéciale Kopassus, chargée de tâches spéciales dans le domaine de l’espionnage, de l’anti-terrorisme et d’autres tâches extraordinaires, avait concédé à cette occasion qu’il y avait
eu des excès de la part des troupes indonésiennes stationnées au Timor-Oriental. José Xanana Gusmao s’est contenté
de cette déclaration et a remarqué que tout ceci était une affaire du passé et qu’il fallait aller de l’avant. Xanano
Gusmao fut énergiquement critiqué pour ces mots par d’anciennes victimes, comme Domingos Santan Guterres, qui
avait été torturé par les soldats indonésiens, et aussi pour avoir embrassé Prawobo.
24 Le Vatican avait divisé en 1997 le seul diocèse existant de Dili et érigé à côté de lui le diocèse de Baucau, dont le premier évêque fut nommé Basilio do Nascimento.
25 Quant aux conditions essentielles pour la réconciliation, l’évêque Belo a donné son opinion, en un sermon tenu à
Sydney, le 24 février 1999, à savoir une bonne année et demie avant le début de la vague de violence au TimorOriental : « On n’arrivera pas à la réconciliation en serrant simplement la main ou en disant de beaux mots. Ce qui
est certain, c’est que la réconciliation n’implique pas que l’on oublie le passé. Réconciliation signifie sûrement beaucoup plus. C’est une tâche difficile et pénible. La réconciliation est indispensable si des sociétés qui sont déchirées
par la politique et la terreur veulent se redresser afin qu’elles deviennent des lieux où la dignité humaine est respectée. On ne pourra jamais trop parler des crimes qui ont été commis dans mon pays, le Timor-Oriental, pour rendre
justice aux multitudes de victimes. Je veux me focaliser sur l’avenir et présenter quelques idées qui sont importantes pour permettre une paix équitable moyennant un processus de réconciliation.
Nelson Mandela a dit : « Pour faire la paix avec ton ennemi, il faut que tu collabores avec ton ennemi, alors cet ennemi deviendra ton partenaire. » Qu’est-ce qu’il entend par cela ? Tout simplement, que nous, dont la vie est brisée par
la violence et la crainte, puissions envisager un nouveau début, et devions parler avec les persécuteurs. Ceux qui ont
commis des crimes doivent avouer ce qu’ils ont fait, afin que l’on puisse enlever à leurs victimes le poids de la honte,
de la crainte et de la colère. Ceci ne peut se passer que dans un processus mutuel sur base de l’égalité et de la dignité de toutes les personnes affectées. Vivre dans la crainte et être livré quotidiennement à la violence entraîne des victimes qui sont exposées au passé, paralysées et sans aucune aide. Or, l’objectif doit être de briser le cercle vicieux de
la violence et de créer de nouvelles conditions de vie, qui font des victimes des survivants. Mais ceci présuppose une
réconciliation sociale et individuelle.
L’une des premières conditions préalables à la réconciliation est la recherche de la vérité. La vérité concernant des
événements qui se sont peut-être passés il y a une centaine d’années est encore vivace en nous. Si cette vérité n’est
pas reconnue ou bien si elle est altérée par des processus politiques, alors une mise au point au sujet de ces événements deviendra très difficile. Si des gouvernements prétendent que certains événements n’ont jamais eu lieu malgré les témoignages des victimes, alors qu’ils se sont effectivement produits , ces gouvernements perdent de leur crédibilité et de leur autorité. Nous entendons beaucoup de beaux mots sur les tentatives d’une unité nationale, d’une
coopération et d’une harmonie, mais en même temps, on donne l’ordre aux unités militaires de tirer sur des civils.
Chaque gouvernement qui utilise la violence, ne peut survivre que par la violence. La violence entraîne de la nouvelle violence, et les criminels vivent avec la crainte de devenir eux-mêmes des victimes.
Des hommes qui vivent en inimitié par la crainte et la discrimination, ne peuvent entreprendre des relations humaines paisibles que s’ils reconnaissent la vérité des faits. Ce n’est qu’alors qu’ils peuvent élaborer en commun des projets pour l’avenir. Tant que la vérité n’est pas reconnue, son souvenir reste ancré dans les mémoires et les relations
restent tendues.
Durant la période d’appartenance à l’Indonésie, nous étions obligés de vivre sous un régime qui faussait quotidiennement les faits et la langue. Pour que l’on puisse dire la vérité en public, il est nécessaire que la paix règne et empêche l’usage de la force du gouvernement ; alors il y aura des hommes qui seront prêts à collaborer. La tâche primordiale est donc de poser les fondements d’un nouveau gouvernement au Timor-Oriental. Nous craignons qu’il y ait
encore plus de violence avant que nous puissions vraiment débuter ce processus ».
26 Les partis les plus importants sont :
Le Front Révolutionnaire du Timor Indépendant [Fretilin], qui proclama, en1975, l’indépendance et qui, en premier
lieu, mena la lutte de résistance contre l’Indonésie. Mari Alkatari et Francisco Guterres sont les dirigeants du Fretilin.
Parti Social-démocrate [PDS] sous la direction de l’ancien gouverneur Mario Viegas Carrascalao.
Union Démocratique Timoraise [UDT], dirigée par Joao Carrascalao, frère de Mario Viegas Carrascalao, un parti qui,
déjà en 1975, luttait pour le pouvoir politique au Timor-Oriental contre le Fretilin.
Un autre Parti social-démocrate est l’ASDT, dirigé par Francisco Xavier do Amaral.
Parti des Ouvriers [Trabalishta]
Pro-Référendum-Apodeti, un parti, qui, à l’origine, a soutenu l’intégration à l’Indonésie.
Parti Démocratie, une nouvelle formation, dirigée par Fernando Araujo du mouvement étudiant, qui a été emprisonné durant six années dans la même prison où s’est trouvé José Xanana Gusmao.
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Parti Timorais Socialiste [PST], une nouvelle formation, dirigée par Avelino Coelho da Silva, qui s’est engagé contre
le Fretilin et la UN.
Parti Nationaliste Timor Leste [PNT], dirigé par Abilio de Araujo, qui, paraît-il, a des relations avec l’armée indonésienne.
27 José Xana Gusmao, né le 20 juin 1946, a subi une formation de quatre ans à l’école des Jésuites à Dare, a fait un service militaire de trois ans dans l’armée portugaise et fut engagé ensuite pendant plusieurs années dans l’administration
coloniale. En 1969, se marie avec Emilia, avec laquelle il a deux enfants. Sa première épouse vit avec les enfants en
Australie. En deuxièmes noces, José Xana Gusmao s’éprend de l’australienne Kirstiy Sword, avec laquelle il a un fils
(âgé d’un an en 2001). En 1974, Gusmao reçut le prix des poètes du Timor-Oriental pour son poème « Mauberedias ».
Après l’invasion indonésienne, Gusmao a été à la tête de la résistance du Fretilin pendant 13 ans. Arrêté en 1992, il
fut condamné à une peine de prison de vingt ans, dont il a purgé sept ans.
28 Dans un discours devant le congrès national de résistance timoraise (CNRT), le 12 février 2001, José Xanana Gusmao a présenté quelques principes de base au sujet de « réconciliation, tolérance, droits de l’homme et élections ».
D’abord, il donna un compte rendu de l’histoire récente du Timor-Oriental et souligna que le peuple du Timor-Oriental
est un peuple « qui aime la paix ».Selon lui, ceci a été perceptible durant l’époque coloniale portugaise car il n’y avait
ni de présence militaire ni de police politique, à l’exception de la phase finale. Pour lui, durant la période d’occupation
japonaise, la population du Timor-Oriental a démontré qu’elle était apte à opposer de la résistance et a su combattre l’injustice. Par contre, l’époque de l’occupation par l’Indonésie à partir de 1975, a été une période qui a amené
beaucoup de changements. En effet il considère que, face à l’arbitraire de l’armée indonésienne, l’autre facette des
Timorais est apparue face à la violence, eux-mêmes pouvant réagir avec agressivité. A son avis, le régime indonésien
a eu un effet corrupteur et nuisible parce que basé sur la trahison et la collaboration pour de vils motifs. L’Indonésie a
songé à combattre de manière précise et systématique le mouvement de résistance et, faisant cela, se serait
« acheté » des traîtres et des espions. Il est convaincu que les Indonésiens sont parvenus à entraîner une « culture de
violence ». On a ciblé la jeunesse, qui, au Timor-Oriental, a été particulièrement fragile, car sans occupations
quelconques ; selon lui, beaucoup de jeunes se sont écartés du droit chemin en se droguant et en faisant des paris.
D’autres jeunes sont devenus violents et se sont laissé acheter par les milices pro-indonésiennes qui leur offraient
une formation aux armes et l’appartenance à un groupe déterminé.
29 Dans une lettre au secrétaire général, Koffi Anan, à la mandataire des atteintes aux droits de l’homme et autres organisations des Nations unies, 44 organisations chrétiennes, qui entretiennent des relations de partenariat de longue
date avec les Églises au Timor-Oriental, ont rappelé que la justice est la condition préalable à toute forme de réconciliation. La lettre exige, une fois de plus, qu’un tribunal international doive réprimer les atteintes aux droits de l’homme au Timor-Oriental. La lettre prévoit aussi le rapatriement des réfugiés au Timor-Oriental.
30 voir M. Schlicher, op.cit.94-97.
31 Pour ce qui est des procédures des droits de l’homme, Othman a de l’expérience internationale puisque c’est lui, dans
les années 1996 – 2000, qui a statué en tant que procureur, dans plusieurs procès, contre les violations des droits de
l’homme commises pendant la guerre civile au Rwanda.
32 Au début de l’année 2001, au Timor-Oriental, 127 organisations non-gouvernementales étaient enregistrées et
inscrites dans le registre national-ONG.