CARTE DU NON-OU : naviguer dans l - thierry jolif

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CARTE DU NON-OU : naviguer dans l - thierry jolif
CARTE DU NON-OU :
naviguer dans l'Indissidence
LE GUIDE DES INVISIBLES
n°∞
Karma police arrest this man
he talks in maths he buzzles
LikeAfridge hes like
a detuned radio
Thom Yorke/Radiohead, Karma police
La Carte du Non-Où – Guide des Invisibles
CONTREVUE collective.
Contributeurs :
TROPiNKA
http://thierryjolif.hautetfort.com
Lancelot VLAD
http://agedefer.blogspot.com
OLIVIER Cappaert
www.bizarrecity.fr
Death To The world
www.deathtotheworld.com
Les textes de L. Vlad sont, pour l'heure, inédits.
Ils seront ultérieurement mis en ligne dans des versions plus longues et complètes sur le blog Les Délices
de l'Age de Fer, http://agedefer.blogspot.com
Le texte d'Olivier CAPPAERT est, bien qu'écrit spécifiquement pour cette occurrence, disponible sur le
site Bizarre City.
Le texte « Meta-Punk manifesto » est extrait du n°3 du fanzine américain Death to the world, 1994.
Les textes de T. Jolif sont inédits et le demeureront, seul une partie du texte Le Maître et les chiens, est
disponible dans une autre version sur TROPiNKA ... où devraient, toutefois, apparaître leurs
prolongements ... un jour.
Contrefaçon de revue.
Livre – contrefait –
CONTRECARTE –
META-punk Manifesto ...
Dttw
Le Maître et les chiens ...
T. Jolif
JAMAIS nuit ne fut plus noire pour l'intelligence...
L. Vlad
Comme UNE vague de l'océan ...
O. Cappaert
Parmi les VIVANTS cadavres ...
T. Jolif
Gullo-Gullo, ésoterrorisme ...
L.Vlad
7 comme parachèvement et cecitelos ...
T.Jolif
PENETRONS DANS L'IMPENETRABLE
DESIRONS L'INDESIRABLE
« Et l'affirmation de l'existence de Dieu, de Jésus, du Diable, de la
Sorcellerie sont des emblèmes de la liberté, comme l'affirmation
de l'amour tristanien, dans le monde étouffant et carcéral de la
police secrète, des asiles de fou, et du langage convenu . N'est ce
pas assez drôle, que ce « nous pouvons en parler tout à fait
librement »? Car ce dont le Système nous laisse vraiment parler
librement, c'est tout ce qui ne contrarie pas son entéléchie, soit par
indifférence, comme nos préférences de couleurs ou de matière sur
un vêtement, nos orientations sexuelles, etc, soit par service,
comme la « lutte contre les discriminations », le féminisme, etc .
Ceci pour replacer le « tout à fait librement » de notre monde,
analogue au Moscou de la Iejovchtchina. » L. VLAD, Lettre ouverte à
J-C. Michéa, le sort éternel de Kant dévoilé.
« La trace de l'écrivain se trouve seulement
dans la singularité de son absence,
il lui revient le rôle du mort dans
le jeu de l'écriture. »
M. Foucault
META-PUNK MANIFESTO
1. D'OU NOUS VENONS
On nous a TOUT donné :
Assez et plus qu'assez de ce dont nous avons besoin pour la survie physique et le confort dans ce
monde .. PLUS un supplément illimité de divertissements clinquants, hypnotiques, high-tech, produis
par une archi-multi-millardaire industrie médiatique dans laquelle chaque compagnie se lie aux autres
pour pomper leur plus lucrative cible : les adolescents
On ne nous a RIEN donné DU TOUT :
Pas de Vérité, pas d'explication à propos de notre existence sur cette terre, pas de Dieu.
Pas de compréhension de ce qui se tient au-delà de ce monde, ainsi tout ce que nous faisons dans ce
monde semble uniquement temporaire, sans visée ultime.
Pas de parents, ou seulement un parent, ou deux parents sans réponses.
Pas d'amour. Car l'amour sans Dieu est seulement pour la chair (ceci inclut l'amour parental).
Rien pour nous garder ensemble lorsque nous croyons avoir trouvé l'amour. Et, finalement, nous
trouvons seulement que nous sommes tous seuls.
Pas de vie. Seulement l'énergie, rageuse, nerveuse ...
Une liste de « fais » et « ne fais pas », sans aucune raison ultime concernant le POURQUOI nous
devrions faire l'un ou l'autre.
Mais, surtout, par-dessus tout, PAS DE LIMITES. « Sans Dieu, sans immortalité, tout est permis. »
DOSTOIEVSKI
2. OU NOUS ETIONS :
RAMPANT sous les décombres du mouvement hippie qui devait changer le monde en utopie, mais qui
trébucha sur ses t-shirts à noeuds coulants et s'écrasa, tout gras, sur sa face. Le mouvement hippie fut la
dernière tentative de la contreculture pour créer le paradis sur terre. Lorsqu'il échoua nous vîmes qu'il
n'y avait plus d'espoir, et, ainsi aucune raison d'essayer encore ...
VIVANT dans le désespoir. Recherchant même la douleur, car la douleur était la seule chose réelle,
nous le savions, dans ce monde d'hypocrisie.
GORIFIES dans notre pauvreté et notre crasse. Dans une société qui adore la jeunesse, la beauté et la
santé, nous cachions notre jeunesse et défigurions notre beauté, et vivions pauvres-et-sales, en rébellion
contre les valeurs superficielles de ce monde.
PLONGEANT dans la crasse. Cherchant dans les égouts quelque chose de vrai. Puisque les grattes-ciel
et les usines et les supermarchés et les chaines de magasins et de restaurants sont des temples de la
mort, peut-être que des « détritus » (de ceux qui ne collent pas avec la société) pourrions-nous entendre
une parole de vérité...
EXPERIMENTANT avec l'insanité. Car ce que notre société considère actuellement comme sain est
en réalité insane. Alors, peut-être que l'insanité aurait pu nous conduire vers un éclat des choses telles
qu'elles sont.
ESSAYANT absolument tout pour ne pas nous vendre. Mais jamais nous n'aurions pu trouver seuls qui
nous sommes réellement car nous n'avions pas appris par qui que ce soit que nous pouvions être plus
que des animaux aux cerveaux ultra développés. Car personne autour de nous ne s'était élevé au-dessus
de cet état.
...
OU NOUS SOMMES :
NOUS sommes tous ce que nous étions, mais tout est changé.
NOUS essayons toujours d'être honnêtes, d'être nous-mêmes ...
NOUS sommes toujours considérés comme insanes par ce monde, qui ne peut comprendre notre
santé.
NOUS refusons de devenir esclaves de l'histoire, de la mode ou de l'opinion publique ou des
institutions mondaines.
NOUS savons maintenant que nous sommes plus que des animaux, que nous avons été créé pour
l'éternité.
NOUS avons la preuve de notre immortalité lorsque nous donnons ou recevons l'amour, un amour qui
n'est pas seulement humain mais qui est au-dessus de la nature et provient de l'autre monde, et NOUS
savons que la mort ne l'effacera pas. Dans cet amour est une intense PEINE DU COEUR, connue
dans le silence, et que ce monde ne peut comprendre.
OU NOUS ALLONS
Aux Cieux, mais non sans sueur et sang ...
Nous souvenant toujours que :
« Le Royaume des Cieux est pris par la violence, et les violents le prennent par la force. »
« L'expulsion du Paradis est éternelle dans
sa partie principale : ainsi l'expulsion du Paradis
est définitive, la vie en ce monde inéluctable ...
Mais l'éternité de l'événement (ou, pour parler
temporellement la répétition éternelle de
l'événement) rend néanmoins possible, non
seulement que nous puissions demeurer perpétuellement
dans le Paradis, mais encore que nous y soyons en fait.
Peu importe que nous le sachions ou l'ignorions ici. »
Franz Kafka, Journal intime.
LE MAÎTRE ET LES CHIENS,
sur Mikhail Boulgakov,
Introduction à l'INDISSIDENCE !
Il ne fait aucun doute que c'est la littérature qui a tué la Russie.
Vassili Rozanov
Les livres, les vrais, sont fait pour que leurs auteurs, parlent à ceux qui les lisent, par-delà la
mort. L'écriture, je l'ai déjà écrit ailleurs, est un processus thanatologique. L'écriture est liée à la mort et
à son au-delà. Il n'y a pas de littérature, ce n'est qu'un piège, une « machine ». Il y a les livres, c'est-à-dire,
des liens ontologiques, celui qui écrit, celui qui lit, et par-delà la tombe celui qui a écrit et celui qui le lit,
encore !
En redécouvrant, à travers une excellente série télévisée russe, le roman de Boulgakov, « Le
Maître et Marguerite » je me suis aperçu que les arguments exposés par Michel Onfray contre le
christianisme et la foi, sont ceux-là même du littérateur Berlioz. Cette réfraction chronologique m'a
conduit à feuilleter quelques ouvrages du Misosophe. Il faut bien, en effet, se décider à appeler ainsi celui
qui veut philosopher sans amour et sans sagesse. « Sans amour », pourquoi ? Il n'est que de parcourir
son pamphlet gratuitement haineux sur l'athéisme. Rien que ce titre « Traité d'athéologie », comment,
avec un tant soit peu de bon sens, mêler le « logos » à cette diatribe logorrhéique , précisément, à ce
réquisitoire logomachique ? Le ton et les arguments sont ceux-là mêmes qu'employèrent les zélés
littératueurs du système soviétique contre le génie igné de Boulgakov. Ce même ton, cette même pensée
qui fit déclarer à celui que certains veulent encore voir comme la fierté des lettres françaises : « Tout
anti-commnuniste est un chien. »
« Sans sagesse » ? quelle sagesse préside au projet philosophique de M. Onfray ? Et bien, là
encore, nous assistons, médusés, à une nouvelle réfraction chronologique. Ce projet humanisteépicurien est, sous quelques habiles camouflages philosophico-philantropiques, ni plus ni moins que
celui du socialisme révolutionnaire, celui-là même que Dostoïevski avait prophétiquement décelé, celuilà même dont Boulgakov a mystiquement et brillamment analysé le fond-sans fond. Il faut bien, un
jour, redéfinir clairement certains axes, tout ceci ressort de la cacophilia, ou plus exactement encore de la
cacodoxie ! M. Onfray et ses suiveurs sont, sans doute, peut-être, « rebelles » au système, ils ne soupirent,
néanmoins, qu'après un autre système ! Ils sont l'inversion fausse de la dissidence !
« Mais, faire des reproches n'est pas le principal : c'est très facile et à la portée du premier venu; tandis
qu'opposer à l'erreur son propre sentiment, c'est faire preuve de piété et d'intelligence. »
saint Grégoire de Nazianze.
Alors, suivons le sage conseil de ce théologien très sûr : oui, les livres authentiques sont les
vecteurs d'un langage partagé entre vivants et morts. Ils sont les processeurs des énergies du Logos. Ils
sont un maillage de mots, un carrefour vibratoire de la mémoire vivante. Mémoire vivante dont les
« mémoires vives » de nos computer ne sont que les inversions néantisées. Les livres sont des corps
livrés à la mort et appelés à la « re-suscitation » (Cf Religion of Resusciative-Resurrection, Philosophy of the
Common Task of N. F. Fedorov, par Nicolas Berdiaev) par chaque lecture. Les livres sont les instrumentsorganes (organon) qui transforment l'ombreuse opacité de leur matière en la lumière énergétique
irréfragable et noétique. Les livres authentiques sont servis par les puissances angéliques et les servent.
Les livres sont des fenêtres qui peuvent s'ouvrir sur la dimension de ces « lumières noétiques secondes »
(saint Jean Damascène).
« D'abord Il a pensé les puissances angéliques et célestes, et penser était leur fonction. »
saint Grégoire de Nazianze.
Non, les vrais écrivains ne sont pas les « mécaniciens des âmes », mais les miroirs des lumières
noétiques, non pas des miroirs-objets, passifs et inanimés, mais des miroirs-vie, personnels et réflexifs.
Ils ne sont ces mécaniciens que dans le système clos que la littérature comme mécanisme veut leur
assigner pour ultime demeure. L'invention technique que fut l'imprimerie n'a, d'ailleurs, jamais eu
d'autre entéléchie que cette demeure forclose !
Les artisans, les authentiques écrivains, sont ceux qui tissent les fils de lumières tombés du ciel
et qui nous forment une carte bien utile pour regagner la maison du Père. « Désormais je n'oublierais
plus jamais rien » s'écrie le Maître alors qu'il est déjà passé de « l'autre côté » et Ivan, le poète qui avait
écrit, sur commande, une vie de Jésus frelatée est convaincu de ne plus écrire de mauvaise poésie,
s'adressant au Maître, mort mais debout devant lui, s'adressant à son double, mort, mais plus vif que lui
« C'est autre chose qui m'intéresse, maintenant j'écrirais autre chose. »
Et, en n'écrivant plus de signes extérieurs il écrivit pourtant, sa vie durant, entrant en dissidence
intérieure, d'une autre et non-visible écriture.
Le Maître, ressuscite Gogol, le mystérieux maître des lettres russes, tout autant qu'il symbolise
(et « venge ») Boulgakov et tous les écrivains qui savent se situer dans cette chaîne invisible et
imprescriptible, ainsi en est-il d'Ivan, qu'il ressuscite vivant. Le Maître quitte ce monde, mort mais en
vie, mort en apparence pour le monde mais vraiment vivant. Il abandonne au monde son manuscrit car
il n'en a plus, selon ses termes, besoin, car il l'a intégralement intégré en lui, intégration et incarnation
réciproque, c'est corporellement et charnellement qu'il mettra, non de sa plume mais par sa personne
un terme à son histoire qui ne fut jamais la sienne propre et qui, dans sa conclusion devient proprement
sienne. Le manuscrit ne brûle pas, ce sont, en vérité ses ombres qui se consument, les livres objets
qui eux brûlent et c'est le désir de ce livre-objet qui trahi, inévitablement, sa matrice et son créateur, que
le Maître abandonne. Le Maître abandonne le désir vain pour l'amour authentique ! Le Maître indésirable
abandonne l'indésiré...
Dans ce maître-livre, c'est le diable lui-même, nous dira-t-on qui opère ce passage ! Oui, et alors,
répondrons-nous ! Pouvait-il en être autrement dans cette période, sous cette ère machiniquement
glaciaire ?
Voilà comment la personne échappe à la littérature-système machinique. Voilà la véritable
dissidence, la dissidence en Vérité, la dissidence intérieure c'est-à-dire l'écriture intérieure, dont les
livres, l'extériorité, sont les vecteurs transparents de communication, vecteurs transparents, vecteur de
trahison, qui peuvent s'effacer, qui doivent s 'effacer, mais dont l'apparente absence ne peut plus
dissoudre le lien établit : l'écriture internelle, l'indissidence !
Existent : l'écrivain qui doit se dire inscrivain, et le littérateur
que nous disons littératueur, qui par la lettre tue en pétrifiant
et en liquéfiant ...
« le littérateur seul connait le bien et le mal » Zinoviev, Les Hauteurs béantes.
« Pour vous convaincre que Dostoïevski est un écrivain,
faudrait-il que vous lui demandiez un certificat ? »
M. Boulgakov, Le Maître et Marguerite .
JAMAIS NUIT NE FUT PLUS NOIRE POUR L'INTELLIGENCE
Tiqqun : essai d'interprétation.
La dissidence nous est paradoxe . Le Système se rêve comme sans séparation possible puisqu'il autorise en
lui toutes les séparations légitimes . Par sa structure paradoxale il est proprement totalitaire . Est totalitaire
le système social sans sortie de secours .
Le Système n'est pas seulement fait des clôtures réelles, des lois qui garantissent à chacun sa liberté et
son bonheur, de la moraline qui quadrille tout cerveau moyen . La clôture a d'abord lieu dans la
représentation du possible, dans l'ontologie : la sortie ne peut être, et donc ne peut être pensée .
Le Système s'étend sur le monde, mais se rend invisible . Ce totalitarisme moderne floute et organise la
domination archaïque d'une ploutocratie, une organisation coloniale dépourvue de métropole physique . La
métropole de l'Empire, c'est la structure de domination . Les colonies de l'Empire, c'est tout le reste .
Le Système est en guerre, étendue à tout ce qu'il peut arraisonner . Guerre de pillage et d'exploitation à
l'échelle planétaire, nommée mondialisation . Mais cette guerre totale est plus secrète que les guerres
coloniales, qui portaient le nom d'évènements . Plus secrète car décousue en fragments spectaculaires,
terrorisme, développement, crise, délocalisation, etc...que rien ne vient recoudre pour en dessiner la
figure générale . « Sous les grimaces hypnotiques de la pacification se livre une guerre . Une guerre dont on ne peut plus
dire qu'elle soit d'ordre simplement économique, ni même sociale ou humanitaire, à force d'être totale . » (THBL,p 1 ).
Tiqqun est une pensée de gauche qui se sépare de son camp au moment où celui-ci se rallie au
Système .« Mais pour les autres, pour nous, chaque geste, chaque désir, chaque affect rencontre à quelque distance la
nécessité d'anéantir l'Empire et ses citoyens. Affaire de respiration et d'amplitude des passions.» THJF, p 9 . Tiqqun
entraîne une série de percées historiales dans la pensée radicale, dont les conséquences sont
irréversibles .
Tiqqun replace le travail idéologique là où il doit être, comme priorité du travail révolutionnaire .
Cependant la pensée n'est pas produit sur un marché, mais vie, et appel . « l'homme du nihilisme accompli »,
(celui qui ) «a consenti, au moins négativement, (…au Système ) fait objectivement partie de la
domination, et son innocence est elle-même la plus parfaite culpabilité (...) »THBL p 126 .
(...)« L'expérimentation pratique de la liberté, pratique du désœuvrement(...) » THBL, p136 « Ce qui fonde
l'accusation de terrorisme, nous concernant, c'est le soupçon de la coïncidence d'une pensée et d'une vie;
ce qui fait l'association de malfaiteurs, c'est le soupçon que cette coïncidence ne serait pas
laissée à l'héroïsme individuel, mais serait l'objet d'une attention commune . »(Julien Coupat au
Monde) .
Pour se diffuser la pensée doit couler dans les veines du Système comme son propre sang . C'est la
stratégie virale dont se réclame la théorie du Bloom . « contre toute apparence, il ne s'agit pas d'un livre mais d'un
virus éditorial » . Le virus se pare des codes immunitaires de l'organisme qu'il infeste, pour l'envahir de
codes inassimilables, avant de se déclarer comme fièvre, comme avis de décès .
Dans la forme, la métaphysique sera revues branchées, livrets ironiques ou subversifs, au risque du
contresens . La diffusion anonyme et ouverte est affirmée : « le Livre, en tant qu'il se tenait face à son lecteur
dans la même feinte complétude, dans la même suffisance close que le Sujet classique devant ses semblables, est, non moins
que la figure classique de l'« Homme », une forme morte » . Le « droit d'auteur » est un dispositif de la structure
de domination . Cette position est historialement celle où le web perd sa révérence au livre, pour
s'affirmer comme media de référence autonome, et lieu décisif de la recomposition révolutionnaire .
Ainsi un jour l'imprimé cessa d'imiter le manuscrit et affirma ses déterminations propres .
Tiqqun constitue le Système total comme objet grâce à la référence à l'imaginaire, principe d'une
extériorité radicale . « C'EST UNE FICTION QUI A RENDU RÉELLE LA RÉALITÉ » THBL,
p135 . La pensée rigoureuse de l'imaginaire comme être, pour ANÉANTIR LE NÉANT, (Tiqqun 1,
p1) figure de l'imaginaire constituée par l'idéologie racine, pose la question cruciale du rôle de
l'ontologie comme principale et première clôture du Système . « L'enjeu de ce que nous écrivons, de ce que
nous faisons, est de déplacer le plan de la phénoménalité politique, le plan de ce qui est collectivement admis
comme fait à partir de quoi quelque chose de décisif peut advenir (...)» THBL, partie datée de
2004, p 144-145 .
Tiqqun s'appuie sur l'imaginaire pour constituer une figure de la révolte . La révolte devient non pas le
produit d'un rapport de classe, d'une situation matérielle, mais une situation existentielle que la
croissance économique et le partage des fruits de la croissance ne peut acheter, une citadelle
inexpugnable . La dissidence est « en rupture d'abord intérieure avec le monde » THBL, p 134 .
Tiqqun rejette l'individualisme, le positivisme, le matérialisme . Lutter est s'enraciner dans une
communauté . Plus même, la lutte contre le Système vomit le politiquement correct : « A ceux qui jusqu'hier
étaient tenus en minorité, et qui étaient de ce fait les plus étrangers, les plus spontanément hostiles à la société marchande,
n'ayant pas été pliés aux normes d'intégration dominante, celle-ci pourra se donner des airs d'émancipation »THJF, p
12. Voilà pour les derniers vestiges, consternants, de la chute du féminisme .
Devient sensible une recomposition générale de la dissidence dont les conséquences sont à peine
pensées . « Tout doit être posé . Reposé . Nous nous situons au début d'un processus de
recomposition révolutionnaire qui prendra peut être une génération, mais qui sera plus riche
que tout ce qui l'aura précédé, parce que c'est la totalité des problèmes laissés en suspens
pendant si longtemps qui exigent maintenant d'être affrontés . » THBL, texte de 2004 .
THBL : Théorie du Bloom
THJF : Théorie de la Jeune Fille
COMME UNE VAGUE DE L’OCEAN
Face à la mer, plusieurs scénarios cérébraux viennent coloniser la pensée fragile, non concentrée
de l’intellect humain: se laisser emporter par les douleurs énigmatiques du désespoir, ne point maîtriser
l'intelligence indécise qui annihile, celle-ci perdue au loin dans ses ténèbres ignorant l’essentiel… fixer le
cobalt de l’eau !
L’âme glissante dans sa mélancolie peut encore désirer posséder souvenirs des terres infinies
dont le rêveur tardif n’aura jamais l’occasion de fouler, voire encore la possibilité de plonger dans
l’océan afin de fuir quelques responsabilités terrestres. Le regard fuyant il désire plus que tout exercer ce
retour sur soi, pour être enfin l’un deux et assassiner une dernière fois cet humain auquel on a toujours
désiré ressembler ; cet autre que l’on ne sera jamais. Le contemplateur des mers, le rêveur assis sur le
sable face au grand bleu mondial aspire à l’audace de ses icônes, de rejoindre d’un ultime plongeon
l’étendue infinie du large, faire partie de ces âmes rares qui n’appartiendront jamais au monde. Le but
pour eux étant de quitter le globe ravagé par l’esprit du mal, incendies multiples dépourvus de canadairs
comme ces êtres qui gaspillent le temps de la vie à nier leur part d’ombre, néanmoins nécessaire pour
mieux combattre le pyromane machiavélique.
La mer, les vagues, le vent. Elle surfe, elles s’adaptent et ne négligent nullement la rotative
immuable de l’écume qui s’échoue sur le sable ; le vent tonifie la fureur du bleu, se mélangeant à l’océan
afin de frapper comme un missile précis et faire le maximum de dégâts, en résultante de sa colère
exterminatrice naturelle, puis se retirer comme si de rien n’était laissant le vertébré décérébré dans la
béatitude du chaos.
La mer, la douceur, le désordre.
L’océan est comparable - du moins la puissance qui s’en dégage - aux œuvres fondatrices de
l’humanité, aux personnages ayant marqué l’histoire au moyen de leur art, leur engagement ;
romanciers, dissidents, écrivains politiques, futuristes, astronautes, musiciens, inventeurs, mystiques,
martyrs et cetera. C’est ainsi que depuis toujours face à la masse statique des êtres lobotomisés, certains
se dressent en ayant auparavant pris soin de s’abaisser comme jamais, de se briser entièrement pour
s’élever, faire naître en eux ce kérygme dont l’apprentissage embrase toute une vie. Une poignée
d’irréductibles n’a pas choisi, il a simplement été naturel pour eux d’emprunter le chemin le moins
fréquenté, le plus isolé, d’être totalement soumis pour connaître la liberté. Descendre puis remonter…
protocole fait de Glock et autres Sig Sauer, de katanas et sol-sol intérieurs, pensées devenant matières
pour détruire le grand diviseur, armée de l’ombre œuvrant dans l’acte et non le dire, délaissant le suicidé
et ses rêveries stoïciennes face à la majesté de l’océan.
« Cet écrivain que vous voyez devant vous, c’est le prisonnier qui l’a créé. »
Kislovodsk est une ville et une station thermale du kraï de Stavropol, en Russie. Kislovodsk
littéralement « eaux aigres » est ainsi nommée en raison de la présence de ressources minérales
abondant autour de la ville. Kislovodsk a toujours eu cette particularité d’être une sorte de ville
frontière – c’est à la fois la Russie et le Caucase. Sa fonction a donc été double : ville thermale et
forteresse. Elle se situe dans la région caucasienne du nord de la Russie, entre la mer Noire et la mer
Caspienne. L’eau une fois de plus entoure, cajole, arme, alimente, conditionne, baptise déjà l’homme à
venir.
Kislovodsk, Russie, le 11 Décembre 1918, Taisia Chtcherbak perd les eaux et met au monde une
vague de l’océan. Un tremblement dans l’univers ambivalent, extrême, rare, sans concession. L’armelarme se nomme Alexandre Soljenitsyne. Isaakiy Soljenitsyne son père a pris un coup de fusil de chasse
fatal, la foudre retentit, l’âme paternelle embrasa l’enfant, elle le suivra à jamais. Kislovodsk.
Soljenitsyne. Mauvaise journée pour le diable. La vie quelquefois est faite de victoires, de victoires
humaines.
Descente :
Après que sa mère lui eut transmis son penchant pour la littérature et les études scientifiques,
celle-ci mourut en 1940. Alexandre, larme-arme océanique étudie la littérature, les mathématiques et la
doctrine communiste derrière laquelle il se range à l’époque.
La lame de fond putride nazie envahie la terre du jeune Soljenitsyne en 1941. Il revêtira le
vêtement de guerre de l’armée rouge, le rouge politique du siècle passé. Quitte à être communiste, il fut
nécessaire voire vital de revêtir le couvre-chef à l’étoile. La Russie d’aujourd’hui a exécuté son turnover, le propre des grandes nations à agir, transformer, à trans-muter l’état en adéquation avec son
temps. La France grande gueule et avide de commentaires détournés de son anus - alors qu’il lui
faudrait un bon protocole thérapeutique pour enclencher-, demeure statique et n’y arrive plus, végétant
parmi ses idiomes parasites de la place du Colonel Fabien ou de la rue de Solferino.
Back in the Ocean.
La descente s’opère, Alexandre entreprend son Kérygme, tout du moins le début de ce
processus théologique qui fait qu’un homme n’est pas et ne sera jamais figé sur une condition
psychologique, spirituelle particulière. In Christo, le verbe en lui déjà s’électrocute, psaumes de David le
conduisant à la barre, coupable d’activités contre-révolutionnaires. L’océan a soulevé chez cet homme
l’interrogation primale, ce doute enchaîné à la foi qui dirige l’humain vers une non-paix jusqu’à la fin.
C’est ainsi. Soljenitsyne sera désormais en guerre permanente. Le tsunami se déclenche à l’intérieur de
son être. Il ne peut se contenir, secoué des balbutiements de l’orthodoxie sacrée ancrée dans ses gênes
dont les fleurs épanouissent son intellect. Alors, il paiera pour une correspondance critique à l’égard de
la politique de Staline et ses compétences guerrières. Il sera condamné comme traître. Le verdict est de
huit ans.
L’océan peut demeurer stable, se faire oublier, panser les plaies de celui que l’on tente de briser
avant de cracher ses grandes marées. Un destin est un destin. Lorsqu’il sort du camp en 1953, quelques
semaines avant la mort de Staline, les autorités en remettent une couche et envoient ce témoin trinitaire
en exil perpétuel au Kazakhstan.
En exil perpétuel…
« Cet écrivain que vous voyez devant vous, c’est le prisonnier qui l’a créé. »
Personne en Occident n’oserait prétendre aujourd’hui à telle sentence, personne ne pourrait
endurer cette aisance du regard sur la liberté de l’eau, la douceur du bleu ainsi que sa violence contenue
dans la marée noire de la dictature humaine : étude du fascisme, du nazisme, de toutes ces merdes alors
que de nos jours, personne n’est jamais vraiment libre!
Soit ! les balbutiements de l’eau s’adapteront à cette condamnation irrégulière prise au fond d’un
bureau comme tout acte barbare. Les gestations du baptême, en l’occurrence de la vraie révolution
viendront cogner Alexandre, mais toujours dans une lente progression interrogative comme pour
expliquer, synthétiser la pensée qui décide avec justesse en harmonie, avec fureur et sans trembler.
L’océan, la vague, la larme, l’eau, le baptême, parfait schéma du processus de conversion quand rien ne
pourra dorénavant arrêter cette voix de la paix réelle et véritable, de ce fait en guerre. Le combat
s’opère : Goulag et orthodoxie, coups de sang et réflexion théologique. Si vis pacem para bellum.
Soljenitsyne est réhabilité en 1956 et s’installe à Riazan, à 200km au sud de Moscou, où il
enseigne les sciences physiques. C’est Une journée d’Ivan Denissovitch, publié en 1962 dans la revue
soviétique Novy Mir grâce à l’autorisation de Nikita Khrouchtchev en personne qui lui acquiert une
renommée dans son pays ainsi qu’internationale. Ce sont des moments de répits précaires dans sa vie
d’engagé, d’auteur en exil, d’auteur controversé qui font que n’importe quel bloc se rétracte et frémit
face à un personnage polyvalent de talents, se faufilant comme le courant d’une rivière entre les pierres.
On l’épit, le surveille, on le laisse respirer pour remettre la corde dès la reprise des hostilités. La
confiance c’est bien, le contrôle c’est mieux. Ainsi va le monde et c’est sous cette forme irrégulière que
l’existence de Soljenitsyne ne sera jamais un long fleuve tranquille. Quel est le but, le sens d’une vie
calme et paisible lorsque la promesse du glaive claque à l’intérieur d’un être ? Les pressions envers
Soljenitsyne ne cesseront jamais entre le début des années 60 jusqu’aux années 80. Elles sont perfides et
sans pitié, le principe de cette guerre étant de le déstabiliser, de poser une bombe nucléaire
psychologique sur sa façon d’être, de se mouvoir à l’intérieur de sa trinité qui le consume. Il est un
« ZEK », un détenu, un condamné surveillé à perpétuité. La pression du KGB sera insoutenable ;
témoignages compromettants de l’ex-femme de Soljenitsyne ainsi que de son ancien éditeur, filtrage,
écoutes, pressions, etc. Tout cela peut sembler hallucinant à la superposition de nos textes de loi actuels,
dociles envers ces ordures qu’on laisse errer sur la peau de nos enfants, sous couvert d’une liberté
démocratique conditionnelle certifiée d’un certificat médical, et qui en dit long sur le monde libre du
modèle Européen.
Montée :
L’océan ne fait pas dans la demi-mesure lorsque celui-ci se donne entièrement à la terre, laissant
derrière lui dégâts et larmes d’interrogations de millions de pourquoi sans réponses. Dernièrement,
certains personnages du star-système politique nous ont laminé - en prenant soin de dissimuler l’avis de
scientifiques les plus avisés sur la question - un pape catholique terroriste, fasciste, antisémite, assassin
et j’en passe. Les mêmes qui vénèrent le nouveau Président des Etats-Unis, le même Président qui
enverra milliers de Gi’s supplémentaires en Afghanistan contredisant la doctrine des hurleurs anticatholiques, mais des excités se couchant devant un Soljenitsyne orthodoxe car estampillé dissident.
Soljenitsyne pourtant qualifié en son temps de tous les termes médiatiquement esthétiques dont on
afflige le pape aujourd’hui. Un Soljenitsyne aussi, qui approuva à l’époque l’élection de Vladimir
Poutine, les excités bobos pro-tibet détestant ce dernier, mais dont l’Alexandre qu’ils honorent, royaliste
Orthodoxe dénué de tout angélisme vit d’un bon œil le changement de locataire au Kremlin.
« Cet écrivain que vous voyez devant vous, c’est le prisonnier qui l’a créé. »
Le « ZEK » matérialise la rédaction de l’Archipel du Goulag, rédigé sur de minuscules feuilles de
papier entre 1958 et 1967, enterrées une à une dans des jardins d’amis. Une copie de la version finale est
envoyée en Occident pour échapper à la censure. Quelques vagues plus tard, il échappe in extremis à un
attentat en 1971 et commence à vivre dans une conspiration totale.
Sur des minuscules feuilles de papier…
Dans l’océan, parmi les abysses du liquide marin, se trouve le noir, l’invisible, l’indicible,
l’impénétrable renvoyant à son antinomique qu’est la lumière incréée. L’homme oeuvrant en extérieur
au lieu de se désépaissir afin d’ouvrir la brèche de cette persévérance immatérielle, puis laisser se faufiler
le rai phosphorescent du jour salvateur ; au lieu de se rogner et de fournir à sa vie l’épaisseur du sens, au
lieu de se dépouiller et de doter son charisme, de rébellion coordonnée. Du jour nouveau, de l’homme
nouveau, s’extirperont les chaînes et les totalitarismes névrotiques empêchant l’être humain de
cheminer courageusement lors de son pèlerinage terrestre, pour remonter, revenir à sa genèse
spirituelle. Soljenitsyne passera son temps à s’adapter, se mouvoir, se renouveler et se mettre en croix,
s’opposer aux marchands du temple, tout en conservant une dose de contradictions fondamentales
dont peut-être lui-même ne put jamais en résoudre l’énigme.
Alors il décide la publication de l’Archipel du Goulag après qu’une de ses aides est retrouvée
pendue, cette dernière aurait avoué au KGB la cachette où se trouvait un exemplaire de l’œuvre, suicide
sous la menace tel un cétacé rejeté par l’Océan, renvoyant celui-ci crever sur une plage Australienne
malgré son appartenance au milieu aquatique. Action de l’édition entraînant une réaction politique
immédiate de la part de l’Union Soviétique en février 1974, valant à Soljenitsyne d’être déchu de sa
nationalité, arrêté puis expulsé de son pays.
L’exil connaît bien des rebondissements géographiques certes, mais ils sont moindres que les
blessures laissées à l’intérieur de la psyché, faisant résonner le manque, le vide, le « home-sick » de tout
citoyen dénudé éloigné loin, très loin de sa terre natale. Malgré les sourires de rigueur, on sait très bien
au fond de soi que le bannissement et non le départ élargissant le visage d’une banane radieuse et
souriante vacancière, que le temps de l’éloignement prolongé est tout autre. Il peut cependant révéler à
l’homme en quête d’un inconnu qu’il n’arrive pas à débloquer dû à cette peur quasi systémique à
franchir le pas, la paix d’une découverte intérieure stipulant que finalement on est de ce monde et non
d’une nation. Synthèse bien entendue analysée une fois l’exode accompli. Parfois, le cas de force
majeure oblige l’adaptation et l’éveil permanents de tous les sens en alerte ; paradoxe extrême variant de
temps à autre lorsque l’opposé recrée l’appartenance à cette même nation ne nous désirant pas ou plus,
une fois la terre étrangère foulée, puis refoulée. Il est effectivement des sourires qui en disent long,
cependant de façades, car au loin dans un bar, un pub, on fixe la ville, les montagnes, le village, le
Caucase russe d’où l’on a été rejeté qui plus est par sa propre nation.
« Cet écrivain que vous voyez devant vous, c’est le prisonnier qui l’a créé. »
Ce peut-être la fuite vers l’Union Jack, d’autres rives, l’Irlande, le Canada, la France et chacun
sait que même avec détestation de telles situations, qu’aigreur et rumination à travers et envers un
certain déclin de son pays, une appartenance ainsi qu’un lien léger demeurent, malgré la condition
éblouissante dont l’ADN d’être un « global native » produit à l’intérieur de son encéphale bousculé
d’immigré. « The culture shock » invite au voyage, au témoignage et fait partie intégrante de la trinité
suivant pas à pas les tumultes de l’humanité comme elle suivit Soljenitsyne au Goulag. Nul n’est
prophète en son pays.
Alexandre Soljenitsyne ira en Suisse puis une fois l’anti-thèse russe digérée se dirigera vers les
Etats-Unis d’Amérique où il sera invité à de multiples conférences sur la situation géopolitique
mondiale et donnera même l’une d’elles au Sénat Américain. L’occident et ses tendances libertaires
découvrent avec stupeur un homme orthodoxe, conservateur et profondément slavophile. L’océan reste
l’océan, les vagues s’écoulent encore et toujours sur le sable fin, les galets aux couleurs multiples, les
plages glacées de Russie, alors que lui demeure chez l’ennemi rejeté des siens. Son intelligence d’exilé,
invite au musée de la découverte les sous-philosophes abrutis omettant de penser avant de l’ouvrir.
Soljenitsyne fut et restera à jamais l’anti-thèse d’une gauche française et autres spécimens de la parole
ruminante. Ces mêmes gyrophares du nullissime ayant encensé des années durant Soljenitsyne alors que
Medvedev lui rendait un hommage national devant son cercueil. Les métèques bobos renvoyés à
l’époque vers la tiédeur de leur copie sur la façon de contester l’icône tout en lui rendant hommage, le
mieux étant d’attendre les funérailles et la fermer, passer sous silence leur médiocrité ramollie, à des
années lumières de l’engagement révolutionnaire donc Christique d’un Soljenitsyne.
Face à l’océan, il est des personnages que l’on a mâchés et ressassés dans son intellect, chacun
ayant ses mirages personnels, ses proximités spirituelles avec tel auteur, tel homme politique, tel
écrivain. Soljenitsyne fit parler de lui pour de multiples raisons littéraires, honorés des prix les plus
grands, des plus utiles et inutiles. L’écrivain est avant tout un homme comme le menuisier est un cortex
avant de raboter, de vernir. Face à l’océan, il est agréable parfois de laisser son esprit rêver non pas sur
l’œuvre, bien que ce soit celle-ci qui demeure mais sur l’homme et la complexité de l’être dont certains
idéalisent quelquefois une mauvaise et douce folie, dans une assimilation qui sauve certains
contemporains de la noyade mentale. Face à l’océan, les vagues brillent, se fâchent et se rebellent nous
remettant le visage, les actes de l’homme ou la femme dont on a méticuleusement observé chaque pas,
chaque souffle, l’imaginaire volant à la rencontre de ce lettré préféré, ses livres bien calés dans les
bibliothèques mondiales. Alexandre Soljenitsyne rentrera en Russie en mai 1994 où il résidera jusqu’à sa
mort. Il conservera une activité sociale intense jusqu’à ce que la maladie le retire du monde, près de
Moscou. Le 12 Juin 2007, Vladimir Poutine rend hommage à Soljenitsyne en lui décernant le prestigieux
Prix d’Etat. Vladimir Poutine, le détesté des droits de l’hommiste français décorant le référent de la
résistance totalitaire, qui agrandit encore plus le fossé séparants l’intellect des brailleurs à toute forme de
bon sens et d’analyse faite avec calme et recul. Eux sont restés dans les schémas scolaires, niant
l’homme et sa part d’ombre, dénigrant la leur, scotchés sur une planète inconnue dont ils nous livrent la
pollution depuis maintenant plus de trois décennies.
Résurrection :
Soljenitsyne meurt à son domicile à 89 ans dans la nuit du 3 au 4 août 2008. Comme une vague
de l’océan qui s’abat sur le sable avant de recréer ce processus sempiternel du cosmos cheminant vers sa
vérité, je me scénarise l’âme réunifiée en son créateur. Les yeux fermés, je médite sur sa dépouille
enterrée au cimetière du monastère de Donskoï, ayant délaissé les livres de l’auteur pour me consacrer à
l’essentiel de l’âme rebelle dont la paix bien méritée a peut-être retrouvé Taisia et Isaakiy. Comme une
vague de l’océan, la qualité des larmes ne se trouve pas dans la peine mais dans la force du mystère de
l’œil à discerner les fabuleux personnages, que le siècle passé délivra malgré son extraordinaire noirceur.
Les hommes sont des rêveurs, mais combien d’entre eux sont sous écrous, - plus qu’un Soljenitsyne ne
le fut durant toute son existence - incapables de s’échapper d’une prison mentale dont ils ont euxmêmes mécaniquement érigé les miradors. Combien subissent cette prison intérieure où le rêve est
broyé par la peur, la névrose de l’abandon, celle qui ramène à sa propre mort. Le matériel n’est rien,
sachant que le temple se couchera et seule la parole, le verbe demeurera, et qu’un jour encore, ayant
trouvé cette fente lumineuse qui jaillit au fond des gouffres de l’univers, un autre Alexandre Issaïevitch
Soljenitsyne peut-être encore naîtra.
Face à l’océan, je revois l’homme parler de sa voix de sabre. Je l’entends et le dévisage, le salin de la mer
vient le greffer dans mon intellect, puis je me laisse aller, porté par le bruit des vagues en visualisant
cette façon qu’il avait de méditer et se réaliser, de vivre en permanence avec la mort afin de nous
éduquer que c’est la condition humaine qui établit la fonction.
« Cet écrivain que vous voyez devant vous, c’est le prisonnier qui l’a créé. »
« Le roman métaphysique est l'arme la plus haute, l'outil répétitif le plus efficace donc l'intellect individuel dispose contre le
social à la fois pour tisser des liens linéaires dans la société et pour les y détruire, il est l'instrument de l'alliance des hommes
pour dominer l'entropie de la matière par l'entropie de l'esprit, c'est-à-dire incarner l'esprit, l'enfoncer aux enfers de
l'uniformité. » Raymond Abellio
PARMI LES VIVANTS CADAVRES
Iouri Mamleïev
Amusant. Amusant, les faux hasards, les heureuses coïncidences, pas aussi amusant pour sûr que les
plaisanteries en rafales de nos actuels comiques troupiers fonctionnarisés. « Troupiers » ? oui, car ils
accompagnent, comme un cortège haïtien, de leur humour épais, la marche des masses de cadavres sur
pieds composées de l'immense majorité des humains. Cadavres qui s'ignorent tout comme ils ignorent
que le monde de chacun d'eux et que, majoritairement, ils « partagent », ce monde pourrait bien n'être,
en définitive, qu'une image, projection inversée du Goulag, des Camps, du processus
concentrationnaire.
Jacques Ellul avait bien raison en affirmant qu'au final, notre moderne occidentalité avait totalement
intégrée, admise, reprise l'idéologie scrofuleuse des « nationaux-socialistes » ! Idéologie reprise en creux,
c'est-à-dire en se niant elle-même, en inversant certaines de ses options, la violence en pacifisme
autoritaire, la terreur et la propagande en sur-législation et en communication hyper-soft , par exemple !
Ellul vit-il par contre que le même processus eut lieu avec l'idéologie communiste ?
Iouri Mamléïev, écrivain russe né en 1936 n'a pas pu, lui, manquer cette réalité. Publiant dès 1956, sa
prose heurte immédiatement les autorités, « trop éloignée du réalisme socialiste » dit-on encore à l'heure
actuelle, heure tellement encline encore à l'euphémisation. Trop éloignée du « réalisme rationaliste et
scientiste » serait plus éloquent tant nous partageons, occidentaux enculturés, ce goût du réalisme et du
naturalisme creux et sec. Les ouvrages de notre auteur auront donc le bonheur d'être publiés en
samizdat jusqu'en 1974, date de son « exil volontaire » profitant d'une de ces brèches surréelles, comme
seuls savent en pondre les totalitarismes, qui permettait, à la faveur d'une loi d'exception, aux dissidents
de profiter, au même titre que les Juifs, d'un droit à l'émigration.
Dissidents politiques, bien sûr, mais aussi « dissidents de l'art », tous ceux qui pensaient autrement, tous
ceux qui, en définitive osaient encore « penser plus loin et plus large ».
En France nous disposons, à ma connaissance, de trois romans et d'un recueil de nouvelles. En France
il semble que l'auteur soit peu lu, assez peu commenté ...
Son oeuvre curieuse, ambiguë, monstrueuse, décalée, il semble assez difficile aux professionnels de la
profession d'en « rendre compte » ! Et puis, quand bien même il lui était impossible de publier
« légalement », Mamleïev n'a pas « connu les camps » personnellement (son père, lui, y décèdera).
D'ailleurs il n'est que de lire les quatrième de couverture des traductions françaises ! Elles sont
particulièrement « ésotériques ». On se demande si elle ne sont pas rédigées dans le but express
d'orienter le lecteur dans sa lecture : « Délirant, drolissime, absurde ... », en bref on va se taper sur les
cuisses, histoire de ne pas voir et entendre l'abysse métaphysique que le livre expose, exsude à pleines
pages ? Le lecteur français préfèrera voir dans l'absurde spirituel de Mamleïev une sorte de paroxystique
« Monty Python show » à la russe.
Mais, Mamleïev n'est pas de ces littératueurs qui pensent qu'on peut faire mumuse avec l'énergie contenue
dans le langage, avec l'énergie métaphysique que le langage « contient » dans tous les sens du terme et
spécialement dans celui qui évoque une barrière protégeant d'un cataclysme terrible ! D'un cataclysme
d'autant plus terrible qu'il n'aurait rien de ces catastrophes « naturelles », qui ne serait pas rationnalisable
parce qu'appartenant à une autre dimension !
Non ! On ne fait pas mumuse avec cela pour le bon (?) plaisir du scribe ou du décodeur « vivant » à qui
l'on s'adresse !
L'écriture de Mamleïev est une vrille qui ouvre une brèche dans la grotesque perception contemporaine
de la mort, de l'au-delà, de l'outre-tombe ! Aucun réalisme, en effet, ni socialiste, ni « social-démocrate »
pleurnichard ! Aucun réalisme s'il ne débouche sur le transcendant, mais un transcendant terrible,
horrifique, terrifique ! D'autant plus effroyable que son point d'appui se loge dans un quotidien non pas
« réaliste-naturaliste » mais vil, sale, effroyablement « populaire » ! En fait de quotidien on y trouve des
scènes de manger et de boire, de boire surtout, souvent, et encore et encore ... Les personnages de ces
histoires sont-ils seulement sobres ? Une fois, au moins, réellement ? Difficile à dire ! Ce sont, en
définitive, des contemplatifs, mêmes les tueurs sadiques, sanguinaires, même les affreux, déviants,
pervers ... Ils contemplent tout autant qu'ils sont contemplés, par l'abîme ! L'abîme métaphysique qu'ils
veulent tous, à leur manière habiller et dévêtir d'oripeaux divers et variés mais toujours absolument
terrifiants ou, à tout le moins, fort dérangeants !
Le « grotesque contemporain », voilà donc le genre dont Mamleiev serait l'un des maîtres ! Soit, à la
suite de Gogol et de quelques autres, ben voyons ! Imagine-t-on le même « grotesque », soit disant
« désopilant » ici, en Europe de l'Ouest ? Non ! Ah !
Nous voici rassurés. L'auteur dresse, bien sûr, derrière ces personnages déboussolés l'image d'une
Russie « qui ne sait plus qui elle est ni où elle va ». Ben tiens !
Et la façon dont Mamleïev traite la durée, le temps, le Monde ça ne serait pas typiquement russe ? Oui,
on pourrait le dire si on acceptait de voir un peu plus loin que le bout de son nez, beaucoup plus loin si
on ne refusait pas, par ici, toute expression de réalité à la méta-histoire !
En Russie le passé creuse le présent et le dépasse en le projetant vers un futur (un futur pas un a-venir)
qui absorbe tous les passés; leur expansion conjointe autant que disjointe ajoutant encore à la vitesse
des « événements » ! Il y a, dans les romans de Mamleïev, une volonté d'individus groupés à avancer
vers les lointains métaphysiques et méta-historiques qui n'est pas sans rappeler les lignes d'Abellio sur la
caste européenne des prêtres du futur !
C'est dès 1917 que le tsarisme rouge transforme, c'est-à-dire, conjoint ET disjoint, l'un des points
terrestres-célestes du tsarisme blanc en futur. Le monastère des Solovki devient la base de lancement, le
point de réfraction intensifiant, l'archétype réellement spectral de la toile concentrationnaire !
Mais, ceci était méta-historiquement connu; en Russie. Leontiev l'avait ressenti et écrit, Dostoievski
avait vécu et écrit « La maison des morts », les hommes du souterrain, il avait vu et écrit « Les
Possédés », les usines à faire du cadavre vivant1 étaient prêtes dans l'esprit malade d'hommes malades
depuis des lustres. Ils attendaient la bonne « fenêtre de tir », la bonne heure pour offrir au monde leur
remède à eux !
L'Archipel des Solovki devient l'Archipel du Goulag !
Mamleïev situe les histoires de son roman « Chatouny » (le premier traduit en français) en 196. ! 1960
décès du « père » du camp expérimental des Solovki ! 1953, décès de Staline et de Prokofiev, Iouri
Mamleïev tient là la vision du Monde que trimballeront ses personnages et se dit que s'il réussit à
traduire cela dans des livres alors il sera un écrivain !
Apprenez donc à lire ! Tant les livres que la méta-histoire qu'ils révèlent et recèlent !
Ce ne sont pas les personnages de Mamleïev qui déraisonnent, c'est le Monde qui fond, qui « perd les
pédales » :
« Tout n'est que ténèbres alentour mais pour vous, crétins, il fait jour » (Le Monde et le rire)
Quoi de raisonnable dans l'hyper-rationalité affichée du Monde et de ses explications ?
« Le bourrage de crâne imbécile et morbide de notre enfance, comme quoi il n'y a rien après la mort . »
(Chatouny)
Quoi de raisonnable dans le Monde comme camp et tous ces modes d'emplois traduits en « langues »
et accessibles démocratiquement à tous ? Quoi donc, dans ce Monde qui techniquement,
scientiquement a absorbé la moelle des camps, leur essence technicienne ?
« Tout ce que dit le genre humain fera figure, à un moment ou un autre de pure délire » (Le Monde et le
1 Plusieurs personnages de Mamleïev se vivent comme « cadavre » vivant, ou comme vivant avec, en eux, un cadavre.
Le mot lui-même est souvent disserté par les divers métaphysiciens expérimentaux de ses romans. Dans « Les
Couloirs du temps », l'histoire débute avec un groupe d'intellectuels déchus par le « système » et qui vivent
regroupés dans une cave, à la fois caverne de Platon et « souterrain » de Dostoievski, l'un de ses habitants se nomme
Sémion le cadavre ... Par ailleurs, notons que, comme le personnage d'Aliocha, le chrétien « baptiste » « D'une
journée d'Ivan Denissovitch » répond à l'Aliocha des « Frères Karamozov », dans « Chatouny » le seul chrétien de la
sinistre équipe s'appelle Aliocha Christophorov ... Il terminera le roman en ascète « sauvage » au coeur de la forêt
russe ! Les lignes de force d'une vraie littérature !
rire)
La quête sans réponses « exactes » possibles d'une réalité indépassable apparaît dès lors comme
absurde à l'absurdité du camp. « Le monde tourne en dépit du bon sens. » (Le Monde et le rire), c'est là
l'essence de la logique du Monde comme camp.
Les personnages de Mamleïev sont en mouvements, toujours, leurs « pauses », leurs arrêts dans les
« nids » qu'ils se font entre eux ne sont que conjonctions/disjonctions de leur mouvement continuel. Ils
se dispersent, puis se retrouvent pour repartir ensuite qui solitaire qui en petits groupes pour retrouver
d'autres routes mais tout tourne toujours autour de Moscou, on en est jamais loin, on y revient toujours
et on en repart souvent. Et, tous ces chemins sont comme autant d'allées entre les bâtiments du camp.
Ainsi la dissidence se poursuit, dans le camp qui absurdement est ET n'est plus un camp. Dissidence au
Monde qui tourne, « en dépit du bon sens », dissidence aussi et surtout à tous ceux qui pensent savoir
comment le remettre en « ordre » ...
Paradoxalement; ou pas, en fait, le communisme soviétique aura ouvert, infiniment, le monde russe. En
le cloisonnant dans sa « russité » tout en le coupant de sa religiosité, il aura creusé une béance.
L'usine à faire des cadavres qui marchent, en réussissant trop bien à faire oublier l'au-delà lui
a ouvert un brèche immense ! Mamleïev est son « porte-parole » !
GULLO GULLO; ESOTERRORISME
Qui est Miodrag Bulatovic? Un serbe de Bosnie, cet homme aux cheveux de corbeau et au regard
intense, l'auteur né en 1930 de romans écrits entre les années 50 et les années 80 . « Traduit en 29
langues ». Cas examiné, et rejeté par le jury du prix Nobel de littérature. Et l'auteur de Gullo Gullo,publié
en 1983, en 1985 par Belfond. « Synthèse de ses oeuvres antérieures, et son dernier écrit ».
On rencontre parfois un livre comme on rencontre un amour, une balle perdue . En juin 1990, je
cherchais cet ouvrage étrange, intensité, extase et folie. Cette œuvre inconnue dont mon âme avait soif
comme j'avais soif de chair, de la chair blanche d'une jeune femme brune, si éthérée alors, qui s'appelait
Sonia, que j'avais aimé, follement, et que j'avais perdue.
Le livre était sous plastique. Gullo Gullo est le nom du glouton, être polaire, animal d'enfance préféré,
féroce, rusé, sans peur. Le récit semblait vide : « l'animal féroce sert d'emblème à un groupe de
terroristes. Leur victime d'élection, un richissime industriel autrichien, Kurt Bodo Nossak, colosse
inquiétant, se laisse convertir à leur nihilisme exterminateur et revient prêcher leur doctrine dans
l'univers concentrationnaire des multinationales .(…) Le diable, présent dans tous les livres de
Bulatovic, devient ici le maître d'œuvre (…) ». Suivait l'avis d'un membre du jury Nobel : « Gullo Gullo
est un livre très particulier, scandaleux, d'une effroyable cruauté. L'imagination de Bulatovic passe
toutes les limites concevables ».
C'est le diable qui m'a décidé. J'ai acheté ce livre .
J'ai ouvert Gullo Gullo et je ne l'ai jamais oublié, portant le soleil noir de son baiser partout dans mes
chemins. Je l'ai récité à Naples, dans le quartier de la Gare, fief de la Camorra ; je l'ai récité sur un navire
déglingué dans l'Adriatique, en me lavant les dents avec du Whisky tiède, au lever du soleil. Je l'ai lu
dans les trains turcs, sur des terrasses, en même temps que des classiques élégiaques grecs, sur les ruines
de Smyrne. Je ne l'ai jamais fini. Je l'ai lu entièrement, par bribes, mais sans en comprendre l'ensemble .
Et à la relecture, hier, j'ai compris. Ce texte c'est nous, ici et maintenant . Ce monde était voilé en 1983,
encore en 1990. Notre monde est bien très particulier, scandaleux, d'une effroyable cruauté . Chacun a accès au
savoir de ce scandale : Ce temps est en lui-même un crime: voilà le premier sujet de Gullo Gullo. « Que les
hommes de ce temps participent également au crime qu'il constitue sans retour (…) il(le Système) refuse de le
reconnaître comme un fait métaphysique (...) ». (Tiqqun) . Nous avons « de l'explosif dans chaque vaisseau
sanguin ». Ce livre n'est pas une imagination qui passe les limites, il est la prémonition de notre
guerre civile.
L'ouverture est une description du monde moderne à partir d'un journal, entre fureur, destruction et
nostalgie.
« Le proche Orient recommence ses tours de cochon avec son pétrole (…) les cheiks noirs et blancs des
clichés ont l'air menaçant et les Européens qui s'inclinent autour d'eux ressemblent à des putes du siècle
dernier (…) les prix du plomb, de l'aluminium du cuivre montent à une vitesse vertigineuse (…)
Grèves, ô snobisme ! Dans la corne de l'Afrique, on continue de s'égorger, de se tailler en pièces (…)
Les hauts plateaux d'Abyssinie et d'Érythrée baignent littéralement dans le sang, l'urine et les
excréments, et les vents venus du Soudan et du Kenya emportent les sanglots des noirs vers la mer
rouge et les rives de l'océan Indien.(...) »
La confusion règne : « A Lund, en Suède, le professeur portugais Lima de Faria était parvenu à croiser
une cellule humaine et une cellule végétale, et on s'attendait à voir apparaître un monstre humain . (…)
L'hybride humano-végétal était crée, reste à voir si c'est du sang ou de la lymphe qui coulera dans ses
veines .(...) « Quelle terreur va inspirer cette sorte d'homme ? Ce ne sera plus le temps de la terreur
politique et pathologique que nous connaissons aujourd'hui, ce sera le temps de la terreur générale, et ,
ce qui est pire, naturelle. Aux caresses du clair de la une, de la femme s'ajouteront celles de la pierre, de
la ronce, du serpent . (…) les propos humains prendront un autre sens, si toutefois ils ont encore un
sens .(...) Tout le monde baisera, mais sans y trouver de plaisir (…) Les cheiks des pages du Kurier et
leurs clients blancs iront ensemble brouter de l'herbe, siroter du sable, manger de la merde et vomir du
pétrole. On parlera du péché, du remords, du repentir, comme de sentiments appartenant à un lointain
passé. Il n'y aura ni égoïsme, ni haine, ni jalousie... » Caractère typique de Gullo Gullo, l'alliance d'un
avant gardisme littéraire frénétique et d'un imaginaire abyssal.
Hommes avides de parfum et de cruauté, Nossack comme les terroristes de Gullo Gullo sont des
esthètes des formes naturelles, de l'odeur mêlée du sang et des roses : « Pour ne pas penser à
l'écroulement de l'économie mondiale (...) Nossack porta son regard vers (...) la roseraie . Il aimait (…)
la rose Lido de Rome, dont les pétales étaient parfumés, tendres et charnus comme les lèvres de
Brunhild l'année où ils s'étaient connus à Salzburg (...).Mais (…) Nossack préférait les roses violettes,
Blue Parfum, Mainzer Fastnacht (…) couleur de la mort et de la décomposition... »
Les Gullo Gullo comme Nossack s'observent et se comprennent, vont expérimenter l'amitié avant
même de se parler :
« Dans la lunette de son fusil, le kidnappeur numéro un regardait Nossack fouiller dans le jardin alpin
de ses bras longs comme ceux d'un singe. Tout comme il savait que son vrai nom n'était pas Luther, le
kidnappeur numéro un savait que ce qui tourmentait Kurt Bodo Nossack, c'étaient, plus que tout, les
mensonges, la falsification, la conscience que tout ce qui, hier encore, était naturel et unique était
maintenant devenu hybride (...) Le kidnappeur numéro deux, l'Italien, visait . (…) Il ne faisait qu'un
avec son fusil, qui établissait comme un pont entre lui et sa victime . (…) lui-même, l'Italien, le fusil et
Nossack n'étaient plus qu'un seul corps, qu'une seule âme, et nulle pensée n'aurait pu les séparer .(...) »
Livre visionnaire s'il en fut, Gullo Gullo ignore la guerre froide, mais prédit l'orgie exterminatrice de la
purification ethnique. Le groupe Gullo Gullo lit les tracts de groupes terroristes :
Grec : « Si tu es un vrai fils d'Hellas(...) tue tous les Grecs qui répondent au salut d'un Turc... »
Basque, Breton, Palestinien : « Au nom de la fraternité musulmane (…) renverser tous les rois (…) leur
trancher la tête devant le peuple assemblé(...) brûler toutes les ambassades, toutes les légations , toutes
les compagnies aériennes où un juif ou un chrétien on put mettre le pieds, toutes les institutions
(...) »Allemand, Italien : « nous rendrons à la couleur noire son éclat et sa gloire ou nous périrons
jusqu'au dernier »Espagnol,.Arméniens : « Nous tuerons des turcs partout où nous pouvons, (…)
pendant les mille ans à venir » Juif dissident : « Nous sommes prêt à inonder Tel Aviv de sang, sans
l'aide des (…) Arabes. Nous ferons un massacre inouï . (…) Serbe : « Nous, les Serbes, (…) nous
combattons avec acharnement le communisme, l'Islam, le catholicisme(...)Croate : « Le loup est l'animal
mythologique croate. Le temps de son retour est venu. Le temps est venu du loup croate qui défendra
sa tanière croate. Le temps est venu du bond du loup, pour qui il n'y a ni pitié, ni hésitation, ni
discussion. »..
Le temps de la danse macabre est venu, de l'orgie démoniaque de la mort et de la destruction : telle est
l'évidence du livre. Mais ce temps est toujours déjà présent . Il est l'essence du monde capitaliste, que
Bulatovic ne distingue absolument pas du nazisme . Dans ce monde l'homme et l'animal sont des
émigrés, qui assistent à de telles horreurs que l'accès à leur parole, à leur âme est tranché dans une
blessure inguérissable.
Gullo Gullo s'est adjoint les services d'un émigré des Sudètes, le Dr Ott . Cet homme étrange livre des
clefs de ces temps étranges et difficiles :
« Ott avait déclaré n'avoir jamais trouvé de représentation satisfaisante des mondes parallèles, et surtout
du Démon . Hanaff et Luther (du Groupe Gullo Gullo)avaient demandé quel aspect de Satan n'était
pas suffisamment mis en évidence : « Le côté politique, Herren ! » Avait-il répondu, en précisant que
seule l'émigration (…) de l'Est pourrait dessiner et expliquer le Démon . (…) disant qu'il était content,
dans le désert de ce monde suspendu au dessus de l'Abîme, rencontré des âmes soeurs (…) . A ce mot
(…) Hanaff avait rougi, ce qui avait plu au docteur . »
Hanaff lui demande de parler des oiseaux : « (…) personne ne concrétise simultanément comme les
oiseaux la mort et la liberté, le mysticisme et la beauté, l'Ange et le Diable, l'agonie et le désert au dessus
de l'abîme...
-La liberté qui vous tient à cœur, Herr Ott !
-Ah oui, elle me tient à cœur, cette liberté qui a y regarder de plus prêt, diminue de jour en jour...(...) ce
que nous nommons le ciel, les hauteurs, la seule chose qui nous appartienne après tout... »
Nossack, le milliardaire, est un ancien déporté, tatoué, devenu impitoyable . Il vend tout, il vend son
âme. Avec ses amis et invités Turcs et Indiens il vend des armes, des explosifs, des infirmes pour leurs
organes . Ainsi lors d'une bacchanales dont nous avons des exemples contemporains, un Indien
retrouve la mémoire .
« Ce jour là Tataroglu avait livré (…) des infirmes européens. A pleins camions ! Des enfants (…)
certains étaient dans les petites voitures dans lesquelles on les avait emmené à la pension
paneuropéenne au bord de la mer du Nord où on les avait laissés avec des poupées des baisers des
jouets dans les bras, avec des prières la forêt la mer et les vagues (…). Radjah Pantt avait l'impression
que les enfants savaient pourquoi on les avait emmenés là. (…) ils versaient des larmes humaines(...). Il
faut croire que Radjah Pantt s'est soudain rappelé la mer rouge, les horribles commerçants, les fous, les
épileptiques, les vautours aux ailes puantes qui survolaient la marchandise, les enfants qui en
bredouillant gémissant pleurant faisaient leurs adieux aux falaises rocheuses et à la vie, il faut croire que
Radjah Pantt a revu tout cela, car à la surprise de ses amis, il a caché ses parties sexuelles avec ses mains.
Il faut croire qu'il a eu honte de vivre une époque sans justice et sans tribunaux, sur une terre d'où les
hommes, les pluies et les vents n'ont pas encore chassé la crasse, la maladie et le mal . Il faut croire que
Radjah Pantt s'est souvenu de son père et de sa mère qui alors qu'ils mendiaient dans les rues de
Bombay, lui disaient que l'homme ne s'élève que lorsqu'il pense aux malheureux, à ceux qui ont faim et
soif... »
Nossack n'a plus accès à son âme, et rapporte ainsi sa conversation avec Gullo Gullo venu l'enlever, et
auquel il a temporairement échappé : « Les choses se sont gâtées entre eux et moi lorsque j'ai déclaré,
brutalement il est vrai, que je ne croyais pas à la psychologie, à l'âme, à toutes ces conneries de
professeurs et de curés . Il n'y a que l'homme, le physique de l'homme, (…) et le comportement de ce
physique . Et ce comportement ne dépend pas de ce qu'ils appellent l'âme, ou le cœur, il dépend du
nombre de cylindres, pour ne pas dire du nombre de chevaux, du physique de l'homme . Ils ont dû se
vexer, car ils établissent un rapport entre les mots âme, cœur, et souffrance(...) »
Ce monde de ténèbres assimile la poésie au terrorisme. La description de Bulatovic est proche, si
proche de Tiqqun. Trois points de convergence :
La guerre est là, et déclarée depuis longtemps . La rupture avec le monde est existentielle
avant d'être matérielle .
Dialogue de Gullo Gullo avec Nossack :
« Mettez vous dans la tête que la guerre n'a pas été déclarée, mais qu'elle est commencée depuis
longtemps et qu'il faudra bien qu'elle finisse.(...) Il y a bien dans ce pays de l'ordre, une morale et enfin
une police. Nous vous exterminerons comme des chiens enragés ! Il ne restera rien de vous, rien qu'une
fiche de police (…)
-Herr Nossack, calmez vous. En réponse à ce que vous dites de (…) la traque dont nous sommes
l'objet, écoutez les vers du Danois Vagn Steen :
« Tu as beau attraper l'oiseau, tu n'attrapera pas son vol,
Tu peux bien dessiner la rose, tu ne peindra pas son parfum .
En bref le danois dit que quelque soit votre nombre, vous ne pouvez rien contre nous. (...) vous tous
qui pensez ainsi, vous serez vaincus par la philosophie et la poésie, vaincus par la martre...
-Vermine communiste, comment osez vous faire un rapprochement entre la poésie et l'histoire, entre la
vie et des vers de ce genre ! »
Plus tard, Nossack s'est rallié .
« -Herr Nossack (...) Nous n'avons aucun lien concret avec le peuple, à moins d'entendre par ce mot la
pire espèce de bétail, celle qui n'a pas de queue (…) Notre orientation est différente, peut être est-elle
même théologique. Les terroristes rouges sont l'expression d'un moment de révolte (...)fait pour les
indigents de corps et d'esprit(...)nous, nous procédons d'une insatisfaction qui est aussi vieille que
l'humanité.
-Alors, on entendra parler de nous... »
« -Professeur, qu'avez vous fait de moi? Je ne veux pas parler de la pilule que je viens de prendre, je
veux dire en général. Il m'est arrivé quelque chose. Tout ce qui m'entoure est calme, indifférent, vide de
sens. La vie n'est tout de même pas ainsi ?
-La véritable vie est paix, Herr Nossack. La vie du citoyen devrait être entièrement dépourvue de rêves.
Il ne devrait pas y avoir place en elle pour des souvenirs de tatouage, de chair humaine, d'os humains
carbonisés, de savon fait avec de la substance humaine. Un vrai citoyen du monde doit être un bébé
sans mémoire politique...
-Je refuse une telle vie, professeur. »
« Je me dois à beaucoup et beaucoup se doivent à moi. Combien de mes vies passées parlent par ma
bouche (…) je souffre de ne pouvoir vivre en même temps toutes les vies, toutes les réalités . La vie de
l'oiseau, du serpent, de la pierre, de l'étoile (...) Ce n'est pas la mort qui me fait peur, mais mon
incapacité à vivre la vie de tous. Sur mon lit de mort, je ne regretterais pas tant de n'avoir pas possédé
toutes les femmes actuellement vivantes que de n'avoir pas eu celle qui ont vécu autrefois et celles qui
ne sont pas encore nées. Ce qui me tourmente, ce sont les limites du temps et de l'espace... (...)le
possible est la source de toute souffrance(...) »
Le combat terroriste est existentiel et poétique avant d'être militaire . Les terroristes de Gullo
Gullo sont des cathares, des purs .
« Nous ne sommes pas une école(...) La force de notre mouvement, c'est qu'il a des tâches à remplir,
mais que personne ne les impose, elles vont de soi. Vous leur montrerez(...) que seuls les lâches, les
cons, les désespéré »s se mêlent de pendre, d'égorger et en général de tuer : ce n'est pas là notre affaire,
nous sommes des moralistes, des visionnaires, des interprètes (...)il doivent comprendre que les vrais
révoltés, les terroristes de l'avenir sont arrivés... »
Les tâches vont de soi parce qu'elles reposent sur l'être même, qu'elles sont liés à l'essence de l'existence
humaine, qui est d'exister ; les tâches sont nécessitées par une situation existentielle .
« Hanaff, reste toujours jeune, pure et astrale dans ce monde souillé et injuste... »
« Tous les maux de la terre ne résultent pas d'une injuste répartition des biens, des produits, comme
l'affirme Marx, dont vous me prêtez les idées, mais d'une injuste répartition de l'amour...La poétisation !
La restauration des significations primitives, la réalisation des mythes interdits, la rationalisation des
mondes parallèles !
-Herr Nossack, combien cela coûtera-t-il?
Tout ne se mesure pas en marks...(...) je refuse d'admettre que c'est le travail, et lui seul, qui a fait
l'homme . Car alors où sont les principes? Où est la justice? »
« Macha, il y a toujours un roi, vivant ou mort, peu importe . L'important, c'est qu'il y ait un roi quelque
part . Sans roi, il n'y a ni royaume ni philosophie. Ni poésie. Ni hiérarchie!
-Alors, qui est le Roi ?
-L'homme (...) dont la tristesse est immense . (…) Le roi est un être véritable, un état d'âme, le seul être,
qui a notre époque, s'exprime par une métaphore. Le roi est la dialectique ! ».
Là encore, la formidable puissance métaphysique de Bulatovic est éclatante, quand il déclare un état
d'âme être véritable et roi. Car l'eschaton fait de ce qui est faible et exténué dans ce monde injuste ce
qui est appelé à la puissance.
La logique même du Système est exterminatrice, et il s'anéantira de lui-même.
« Les hommes par leur injustice et leur égoïsme, se sont crées un mal concret, le terrorisme, qui menace
d'engloutir le monde. On aurait pu éviter ça, Herr Nossack ! L'homme a trahi les principes
fondamentaux, ceux qui l'ont crée. Maintenant il paie ! »
« Herr Nossack...comment...en quoi...en quels termes saluez vous les millions de téléspectateurs...cette
humanité de consommateurs, comme vous avez joliment dit dans un entretien radiodiffusé...demandait
(...) le reporter d'Eurovision.
-Mon jeune ami..je salue seulement la partie de l'humanité qui ne consomme pas...celle qui pourra
changer...en voyant quelles fautes ont commises les délégués de cette humanité de consommateurs...au
cours de l'histoire, depuis des temps immémoriaux jusqu'à l'époque actuelle...aux autres, pourquoi le
taire...je souhaite de se réformer, de se corriger ou d'être anéantis...
-Anéantis comment, Herr Nossack ?
-Anéantis par eux-mêmes, mon cher jeune homme...
« Vous, culs et cons de l'Ouest, du Sud et du Nord citoyens dont les fichiers théologico-policiers, les
zoologies et autres saloperies de manuels sont pleins de contre-vérités (…) grâce à notre violence et à
notre terrorisme une erreur historique va être réparée et la poésie satisfaite(...)Citoyens et petits
bourgeois du monde, gens de gauche et de droite, liquidateurs de tout ce qui est honnête, juste et
substantiel, vous qui nous étouffez avec l'idéologie des pâtes, du fromage et du chocolat, avec la religion
de vos propres excréments, rappelez vous ceci : Gullo Gullo aura votre tête et vos tripes...(...) vous
(l')avez porté disparu pour en faire l'être le plus sanguinaire, le plus impitoyable, le plus vengeur d
l'histoire (...) »
Ce dernier texte montre aussi, omniprésent dans tout le livre, l'aspect moqueur, et même bouffon de
Bulatovic : il ne respecte rien de ce monde, et ne cesse de pratiquer un humour surréaliste qui accentue
le sentiment d'étrange monolithe que procure ce livre . Un exemple caractéristique est le récit complet
de l'histoire du monde fait par Gullo Gullo, qui crée des expressions comme « le camarade pharaon
Khéphren » .
Résumer le récit ne peut se faire dans un article destiné à faire découvrir un livre . Pour ceux qui savent,
le récit est structurellement sur une structure gnostique de dévoilement . il pointe la source d'énonciation du
discours moral comme origine même du mal . Et ce non pas comme dénonciation de la pureté, mais dans le mouvement
même de l'exigence de la pureté . Gullo Gullo est un livre que les temps rendent progressivement compréhensible : un
classique du XXIème siècle .
7 COMME PARACHEVEMENT ET CECITELOS
Pénétrons l'impénétrable – Désirons l'indésirable
«Le processus qui mène au langage obsessionnel, c'està-dire en fin de compte à la suppression du sens
des mots, a quelque chose de fascinant, d'ensorcelant :
dans ce surgissement d'un non-langage, il y a comme la
promesse d'une nouvelle façon d'être, laquelle, tel le vide,
attire et fait chuter […].»
Armand Robin
Nous en sommes là, cher Armand, nous en sommes là... Extatiques ou pas, nous attendons, nous
soupirons après cette promesse : « nouvelle façon d'être », qui, enfin, surgirait toute armée de ce nonlangage qui se creuse, qui creuse le vide pré-nuptial des mots. Mais le vide a fini, cher Armand d'attirer,
sa force d'attraction est désormais invertie puissamment en stagnation, en puissance centrifuge.
Pour tout chrétien conséquent, le monde, depuis la révélation, à toujours été à la fois une dissidence,
une coupure ontologique, une rébellion ET un camp, un champ concentrationnaire. En conséquence il
ne peut être qu'un dissident de la dissidence, ni du côté de l'ordre ni du camp de la révolution.
Bien que refusant d'être chrétien, cher Armand, vous fûtes, une parfaite image de cela, et sans doute
vous le fûtes, précisément, par ce refus même. Indésirable parce que le monde est indésiré, vous le disiez
de vos poèmes et de leur poète. Le monde indésiré, celui qui se contorsionne par pur désir de dévier de
la trajectoire divine est, déjà, une « nouvelle façon d'être » qui « tel le vide, attire et fait chuter ». Le
monde n'en finit plus de révolutionner, c'est là son souhait, son désir unique d'ailleurs ... Il a su intégrer
toute contestation. Il est lui-même contestation, et enfin, aujourd'hui il a reconnu son essence. En
particulier toute contestation écrite, langagière, par le biais du livre-objet est absorbée et
inframorphosée, elle vient, et en vient à désirer même, se coller, s'agglutiner, se surajouter à la structure
néantisante de la Technique-Monde. Ainsi se fond et se forge le General Universal Langage signalé
par Zinoviev dans Les Hauteurs-Béantes. Il ne s'agit pas d'un nouveau langage submergeant les anciens, ni
même, en fait, une langue unifiée née-non-née de et par extinction des autres, non, il s'agit d'un souslangage, d'une contre-langue, d'un camouflage, d'une machine, c'est-à-dire un piège, une technique,
vous en avez, cher Armand, généré le contre-pôle actif, par votre incarnative plongée dans les langues
humaines ...
Pour de nombreux kabbalistes ADAM-HUMANITE en cédant à la volonté impérieuse de vouloir faire
du savoir SON destin, SA puissance propre et spécifique, isole connaissance et langage : la Schekhina
(soit la forme créée la plus accomplie de la révélation manifestante de Dieu) des autres Sephiroth.
Dans cette condition d'exil la Schekhina perd sa puissance positive et devient maléfique ... C'est en ce sens que l'isolement de la Schekhina
exprime la condition de notre époque... Dans la société du spectacle, où l'isolement de la Schekhina atteint [...] sa phase extrême, non seulement le
langage se constitue en une sphère autonome, mais il ne peut plus rien révéler – ou mieux il révèle le rien de toutes choses. G. Agamben
Soljenitsyne, dans sa période de dissidence intérieure écrivait en caractères minuscules sur de
minuscules bout de papier, par la suite, ses manuscrits étaient toujours divisés et éparpillés, lui-même ne
les possédant jamais en leur intégralité. La miniature verbifiée, la matière divisée par le Verbe pouvait,
alors, encore, faire exploser le système rigidifié à l'extrême. Amolli dans sa tout-puissance même, sa
toute-puissance se fondant sur ce caractère mou, le met, aujourd'hui presque hors d'atteinte. Lui donner
d'autre nom, le nommer, aujourd'hui revient à le repousser encore plus, à l'amollir, à le favoriser dans
cet amollissement qui fait sa force. La prochaine étape ne peut être que le silence, la page blanche
est l'ultime puissance de la bombe théognosique. Ce que Franz Kafka avait bien pressenti, qui aimait,
lorsqu'il le pouvait, à remplacer les mots par des gestes dans ses conversations. La loi est en train de
devenir cet ultime paradoxe qui caractérise le monde du Procès, croissance exponentielle de son champs
et délitement progressif de son caractère coercitif. Les lois se multiplient mais dans le même temps leur
caractère obligatoire devient de plus en plus optionnel ...
Selon Deleuze et Guattari l'homme contemporain est le schizophrène universel. Ils ont, en un sens,
absolument raison, et son sens du législatif semble le confirmer jour après jour.
Selon eux, encore, ce schizophrène ne pourra contre-effectuer la déterritorialisation absolue opérée par le
capital, l'homogénéisation planétaire de l'opinion, qu'en retournant à la « Nature infinie » qui, selon les
mêmes serait le vecteur de la liberté et du bonheur qui préludent à l'éternel...
Nos deux auteurs reverront cette exigence à la baisse. Trop tard et en ayant visé trop bas ...
Zinoviev dans Les Hauteurs Béantes, écrit à propos du personnage nommé le Schizophrène : « le plus
désagréable dans son travail d'écrivain c'était l'absence d'une table et d'un bon stylo. »
Le Schizophrène vit et « excerce » à IVANBOURG, « localité qui ne localise rien ».
L'exercice concret de la pensée et de sa mise en ligne, donne tort à Deleuze. La déterittorialisation n'est
pas le fait exclusif du capital : il l'est de tout économisme et de tout pouvoir qui consent à être
puissance, elle est une de ses « mesure historique autonongérée » (Zinoviev). Ce qui a permis à un
moment T de contre-effectuer cette déterittorialisation c'est le souffle des bombinettes inscrites, des
miniatures verbifiées, et non un quelconque retour à la nature qui, sans le « dire » d'ADAM n'existe tout
bonnement pas. La dissidence nous est paradoxe, il faut accepter de la non-dire, il faut accepter de
rejeter la volonté de faire du savoir NOTRE destin, NOTRE puissance propre. Ceci est l'essence du
gnosticisme qui gagne lorsqu'il perd, ceci est l'essence du gros ON anonyme et perpétuellement diffus
et qui diffuse son vide dont la volonté négative est d'être-sans-être Technique-Monde ...
« Il faudra pousser l'audace jusqu'à affirmer que le non-être participe lui aussi au même Beau-et-Bien, car c'est chose belle et bonne que de le
célébrer en Dieu par la négation de tout attribut. » saint Denys l'Aréopagyte
Il faudra bien bien accepter de contreffectuer l'action pour la rendre efficiente. La dissidence pouvait
avoir un but, un telos et elle acceptait que le « Système » en ait un également, contraire, inverse ... Le telos
explosif de la dissidence était l'achèvement de la fin du « Système » ...
Mais, le Système déboulonné se reboulonne avec cela même qui le renversa, sorte d'Aïkido idéologique.
Il ne peut plus être dit « système », être identifié à cela ce serait aussi son moyen de défense. ON ingère
tout, ON digère tout, ON intègre tout. Surtout les modes-vecteurs de « défense », de « réaction », ON
les assujetti, les ramène à sa dimension de bouffonnerie hypersérieuse, sectaire (qui segmente et
sectionne) et moralisante.
« Karl Marx a dit profondément que les événements de l'histoire se produisaient toujours deux fois, d'abord comme tragédie, ensuite comme
comédie. Cette règle est vraie d'abord en un lieu donné, par succession dans le temps, comme on le voit par exemple en Europe, où les révolutions
furent jadis faites par des « incorruptibles », des Robespierre et des Cromwell, ne le sont plus aujourd'hui que par des profiteurs. Et il s'agit bien
de comédie en effet, puisque la répétition est l'essence du comique, et on pourrait même compléter la formule de Karl Marx en disant que cette
comédie tourne en réalité à la farce, mais à la farce sanglante, car pour boucher les extrêmes et recommencer le cycle elle ré-introduit l'essence du
tragique dans celle du comique, et cela parce que, dans un monde déchu, les profiteurs qui se disent révolutionnaires se couvrent toujours de l'alibi
de nouveaux « incorruptibles » naïvement mêlés aux corrompus et ne possédant pas le sens du ridicule qui s'attache aux anachronismes du
sentiment. » Raymond Abellio.
Finalement, finalement :
CECITELOS ; nous sommes aveuglés par la fin, et aveugles sur la fin !
Et alors ? Comme l'éthique, l'action se doit d'être énergétique non téléologique ! Energétique c'est-àdire ESCHATOLOGIQUE ! C'est l'appel silencieux à
l'indissidence !
« La vérité de la vie spirituelle ne peut être accueillie par la vie naturelle. » N. Berdiaeff
INDICIBLE-DISSIDENCE