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Match Retour Souveraine, Prétendante Ferrari BB 512i vs Porsche 911 Turbo Dans le monde des GT de route, Ferrari, puissance installée, règne sur les performances et sur les rêves. Par la magie de son turbo, l’insolente 911 ose revendiquer le sceptre. Par robert puyal Photos laurent villaron 90 Sport Auto Avril 2016 91 Sport Auto Avril 2016 Match Retour Ferrari BB 512i vs Porsche 911 Turbo errari et Porsche, l’affiche est belle. En 1974, elle reste déséquilibrée : Porsche, challenger valeureux, s’en prend au champion établi. Ferrari est déjà couronné par sa carrière en F1 (68 victoires et cinq titres pilotes) ou aux 24 Heures du Mans (9 victoires en 16 ans, de 1949 à 1965). Tandis que Porsche ne peut revendiquer qu’une petite victoire en F1 (G.P. de France 1962) et vient tout juste de décrocher ses deux premières couronnes mancelles, 1970 et 1971, particulièrement probantes, il est vrai. Sur la route, même chose. La « grande Ferrari » est une institution. Depuis près de trente ans, elle domine le monde des grand tourisme. La 911 donne surtout du fil à retordre aux Dino, mais elle se garde bien de challenger le haut de gamme rouge. Jusqu’à ce qu’arrive le turbo. En course, où une sorte de 911 hypertrophiée, à l’arrière profilé en camionnette et au moteur vitaminé par l’accessoire magique, termine seconde des 24 Heures 1974, sur les talons d’une Matra V12. Et sur route, avec l’apparition de la Porsche Turbo, au Salon de Paris 1974. Défi immédiat : elle n’est pas plus rapide que la grande Ferrari mais elle accélère plus fort ! F Notons que la 911 dont nous disposons est de la deuxième génération : moteur 3,3 litres, aileron revu (pas dans le sens de l’effacement !). De même, notre exemplaire de BB est le plus abouti, pas le plus recherché : après trois ans (1976), son moteur a forci et est passé au carter sec, en 1981 il a troqué ses carburateurs contre une injection, perdant 20 chevaux mais gagnant en facilité. L’écart initial de 100 chevaux (360 à la BB carbus, 260 à la Turbo 3 litres) s’est donc dangereusement réduit : 340 contre 300, sachant que la 911 est bien plus légère. La reine est menacée ! Vu du volant A bord, enfin… La BB est de celles où l’on demande poliment la permission de s’asseoir. Et c’est déjà quelque chose ! Pour qui descendrait de sa Daytona, tout change : on est assis plus près de la route mais plus haut par rapport à un pare-brise plus grand, large baie ouverte sur un avant infiniment plus court et plongeant. Le volant est bas, on se sent un peu sans défense, maintenant que le moteur n’est plus là pour vous protéger, exposé comme sur un télésiège. Mais vous n’êtes pas passif et l’accélération vous propulse très vite dans le paysage. On ressent très bien la présence d’une cloison tout près de sa nuque. Cette impression d’être suivi… Boxers sur le ring La Turbo, au contraire, s’emploie à vous rassurer de toutes les Les prénoms claquent comme des noms de guerre : Boxer pour manières. Malgré le matricule nouveau – 930 –, vous êtes dans l’une, Turbo pour l’autre, tout simplement. Quant aux silhouettes, une 911. L’érudit relève les menues différences avec délectation, toutes deux importent sur la route le vocabulaire de la course, et surtout la présence du manomètre de suralimentation, mais mais pas le même niveau de langue. La BB, nez allongé, habitacle pour l’essentiel on est bien à bord de la GT éternelle, dans une avancé, capot arrière plat, impose l’architecture et les exécution plus luxueuse. Les premiers mètres à bord proportions des protos du Mans, enveloppées d’une sont confortables, tranquilles. Insipides donc, c’est Avantage de la douceur très civile. La gentille 911 nous arrive enflée tout le paradoxe de la Turbo, pour qui vient acheter là hausse des tarifs, de toutes parts, comme les créatures du groupe 4. des sensations inédites. Reste à titiller la turbine les anciennes sont Même avec le recul de quarante années, on ne peut magique. Et là, pas de doute, dans un grondement de mieux en mieux maintenues et que s’extasier sur l’énormité visuelle et technique de étouffé, ça pousse ! Le fameux coup de pied aux fesses présentées. Nos l’aileron arrière, haut et plat. de la Turbo est forcément un peu attiédi aujourd’hui deux exemplaires sont dans un état remarquable ! ATTENTION, MONSTRES SACRéS ! C’EST L’APPELLATION QU’AVAIT CHOISIE JOSé ROSINSKI, NOTRE GRAND MAîTRE ET FONDATEUR DE LA RUBRIQUE ESSAIS DE SPORT AUTO. 92 Sport Auto Avril 2016 Pour un ingénieur de stricte obédience, le Ferrari est un V12 à 180°, pas un boxer, question de calage et de manetons. Mais bon, Ferrari lui-même disait « boxer »… 93 Sport Auto Avril 2016 Match Retour Ferrari BB 512i vs Porsche 911 Turbo Technique Ferrari BB 512i Porsche 911 Turbo Années de production Exemplaires produits MOTEUR Type (nbre de cylindres) Bloc/culasses Cylindrée Alésage x course (mm) Taux de compression Distribution 1981 - 1984 (1972 - 1984) * 1 007 (2 323) * 1978 - 1989 17 791 V12 à 180°, central AR Alliage/alliage 4 942 cm3 82 x 78 9,2 2 x 2 arbres à cames en tête Alimentation Injection Bosch K-Jetronic Puissance maxi Couple maxi TRANSMISSION Type Boîte 340 ch DIN à 6 000 tr/mn 46 mkg à 4 200 tr/mn 6 cyl. à plat, porte-à-faux AR Alliage/alliage 3 299 cm3 97 x 74,4 7 2 x 1 arbre à cames en tête Injection Bosch K-Jetronic, turbo kkk 3 LDZ, échangeur air/air 300 ch DIN à 5 500 tr/mn 44 mkg à 4 000 tr/mn Propulsion Manuelle, 5 vitesses synchronisées Différenciel autobloquant Série CHÂSSIS - CARROSSERIE Structure Châssis tubulaire acier, panneaux acier Roues indépendantes, Suspension AV triangles superposés, barre antiroulis Roues indépendantes, Suspension AR triangles superposés, barre antiroulis, correcteur d’assiette oléopneumatique Disques ventilés 288/297 mm Freins AV/AR Crémaillère Direction Poids 1 580 kg Rapport poids/puissance 4,6 kg/ch DIMENSIONS - CAPACITÉS L–l–h 4 400 – 1 830 – 1 120 mm Empattement 2 500 mm Voies AV & AR 1 510 & 1 570 mm Pneumatiques AV & AR 240/55 VR 415 (TRX) PERFORMANCES annoncées/mesurées ** Vitesse maxi 280/275 km/h 400 m D.A. -/13’’7 1 000 m D.A. 25’’1/24’’6 0 à 100 km/h 6’’3/BUDGET Prix 1983 526 000 F Equivalent 2016 (INSEE) 157 000 € Cote Sport Auto 310 000 € Propulsion Manuelle, 4 vitesses synchronisées Non Monocoque acier Roues indépendantes, barres de torsion longitudinales, barre antiroulis Roues indépendantes, barres de torsion transversales, barre antiroulis Disques ventilés percés 304/309 mm Crémaillère 1 300 kg 4,33 kg/ch 4 291 – 1 775 – 1 310 mm 2 272 mm 1 432 & 1 501 mm 205/55 VR 16 & 225/50 VR 16 260/258 km/h -/13’’7 24’’0/24’’6 5’’4/5’’7 439 000 F 131 000 € 110 000 € * Entre parenthèses, toutes BB ** Mesures Sport Auto n° 263 (décembre 1983) L’avis de Robert Puyal Eh oui, s’il s’agissait de disputer une course, il faudrait choisir la Porsche. Plus légère, plus efficace, elle accélère plus fort et freine encore mieux. Et reste quand même moins chère malgré les excès actuels. Pourtant, puisqu’il s’agit de sensations, d’exotisme, d’esthétique, de rareté, la Ferrari demeure intouchable. Victoire : Ferrari 94 Sport Auto Avril 2016 que les 300 chevaux nous sont servis couramment par des tractions. N’importe, il y a la manière. La courbe de couple de la Turbo demeure atypique ; elle se dresse soudain, et vous empoigne effectivement le bas des reins pour vous envoyer voir là-haut si vous y êtes. Sans avoir à solliciter quantité de soupapes et de pistons, comme la Ferrari sait si bien le faire, la Porsche distribue du couple avec une simplicité ménagère et fascinante. Dès que vous appuyez, les mètres-kilos affluent instantanément et aussi longtemps que vous en ressentez le besoin, jusqu’à 260 km/h, une vitesse ignorée des Porsche jusque-là. Le flat-six turbo ne surclasse pas le flat-twelve, mais il le dévalue : pourquoi tant de peine pour obtenir de bonnes accél, alors que mister KKK vous les sert en potion instantanée ? LE TURBO NE SURCLASSE PAS LE FLAT-12, MAIS IL LE DéVALUE : à quoi bon TANT DE CUISINE POUR OBTENIR DE BONNES ACCÉLérationS, ALORS QU’IL SAIT LES SERVIR EN POTION INSTANTANéE ? Chef-d’œuvre mécanique Pour qui ne veut pas entendre parler de cette préparation aux relents de sorcellerie, la Ferrari pratique le noble art. Pas de doute, la magie du flat-12 frappe l’imagination et les oreilles. Ici, pas besoin de pots spéciaux, d’effets sonores de synthèse. Dire que les marques, aujourd’hui, délèguent des ingénieurs, chargés de programmer l’extase des pantins du tympan… Ici, la musique est belle parce que l’orchestre est grand, le registre étendu, les graves harmonieux, les aigus exaltants. Que du pur… Oui, on se surprend à jouer de la boîte mécanique pour s’organiser des montées chromatiques. Côté comportement, la Porsche n’a rien de spécifique à raconter jusqu’aux vitesses qui lui sont exclusives. C’est une 911 avec ses défauts et ses qualités, plus puissante mais bien moins rugueuse et vive qu’une 2,7 litres RS, par exemple. Au contraire, la BB, en plus du bel canto, vous fait du cinéma. Même aux plus basses allures, elle est spéciale. Le pédalier en revanche a su s’adoucir, mais la boîte est à la fois rapide et douloureusement ferme. Certes, il y a un peu d’autosuggestion dans ce sentiment d’être « l’homme à la BB » ! Mais la voie avant étroite et la voie arrière élargie (par rapport à une BB carbus) donnent l’impression, assez R5 Turbo, de rouler dans un triangle, ou un tronc de cône. Quand on veut réveiller la belle d’un coup de gaz, histoire d’animer les photos, c’est l’extérieur avant de l’équipe Michelin qui laisse le premier filer l’adhérence. Raté pour le déhanché élégant. Reste que la BB, chaussée étroit, ne « suradhère » pas encore et délivre des sensations plus fines que la Testarossa très élargie qui va bientôt lui succéder. Quant au moteur, sans ce côté interrupteur de la Turbo, il donne tout simplement du bonheur. Souple, à la fois discrètement serviable et franchement zélé si vos ordres lui plaisent (prendre des tours, par exemple), il enroule autour du trafic, toujours prêt à remonter d’un cran quand la file se dégage. Sa bonne humeur ferait de la BB une excellente voiture de ville ! Mais elle fait plutôt rêver de voyages au long cours (quoique à peu près sans bagages). n Les années 70. La course connaît des accélérations prodigieuses, et contamine les voitures de sport, qui se découvrent des horizons insoupçonnés. Remerciements Les établissements De Widehem nous ont confié nos deux protagonistes. A en juger par la qualité de ces deux machines, à vendre 350 000 € pour la Ferrari et 140 000 € pour la Porsche, l’adresse est bonne ! www.dewidehem.fr 95 Sport Auto Avril 2016