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Match Retour
Souveraine,
Prétendante
Ferrari BB 512i vs Porsche 911 Turbo
Dans le monde des GT de route, Ferrari,
puissance installée, règne sur les performances
et sur les rêves. Par la magie de son turbo,
l’insolente 911 ose revendiquer le sceptre.
Par robert puyal
Photos laurent villaron
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Match Retour
Ferrari BB 512i vs Porsche 911 Turbo
errari et Porsche, l’affiche est belle. En 1974,
elle reste déséquilibrée : Porsche, challenger
valeureux, s’en prend au champion établi. Ferrari
est déjà couronné par sa carrière en F1
(68 victoires et cinq titres pilotes) ou aux
24 Heures du Mans (9 victoires en 16 ans, de 1949
à 1965). Tandis que Porsche ne peut revendiquer
qu’une petite victoire en F1 (G.P. de France 1962) et vient tout juste
de décrocher ses deux premières couronnes mancelles, 1970 et
1971, particulièrement probantes, il est vrai.
Sur la route, même chose. La « grande Ferrari » est une institution.
Depuis près de trente ans, elle domine le monde des grand
tourisme. La 911 donne surtout du fil à retordre aux Dino, mais
elle se garde bien de challenger le haut de gamme rouge.
Jusqu’à ce qu’arrive le turbo. En course, où une sorte de 911
hypertrophiée, à l’arrière profilé en camionnette et au moteur
vitaminé par l’accessoire magique, termine seconde des
24 Heures 1974, sur les talons d’une Matra V12. Et sur route,
avec l’apparition de la Porsche Turbo, au Salon de Paris 1974.
Défi immédiat : elle n’est pas plus rapide que la grande
Ferrari mais elle accélère plus fort !
F
Notons que la 911 dont nous disposons est de la deuxième
génération : moteur 3,3 litres, aileron revu (pas dans le sens de
l’effacement !). De même, notre exemplaire de BB est le plus abouti,
pas le plus recherché : après trois ans (1976), son moteur a forci
et est passé au carter sec, en 1981 il a troqué ses carburateurs
contre une injection, perdant 20 chevaux mais gagnant en facilité.
L’écart initial de 100 chevaux (360 à la BB carbus, 260 à la Turbo
3 litres) s’est donc dangereusement réduit : 340 contre 300, sachant
que la 911 est bien plus légère. La reine est menacée !
Vu du volant
A bord, enfin… La BB est de celles où l’on demande poliment
la permission de s’asseoir. Et c’est déjà quelque chose !
Pour qui descendrait de sa Daytona, tout change : on est assis
plus près de la route mais plus haut par rapport à un pare-brise
plus grand, large baie ouverte sur un avant infiniment plus court
et plongeant. Le volant est bas, on se sent un peu sans défense,
maintenant que le moteur n’est plus là pour vous protéger, exposé
comme sur un télésiège. Mais vous n’êtes pas passif et
l’accélération vous propulse très vite dans le paysage. On ressent
très bien la présence d’une cloison tout près de sa nuque. Cette
impression d’être suivi…
Boxers sur le ring
La Turbo, au contraire, s’emploie à vous rassurer de toutes les
Les prénoms claquent comme des noms de guerre : Boxer pour
manières. Malgré le matricule nouveau – 930 –, vous êtes dans
l’une, Turbo pour l’autre, tout simplement. Quant aux silhouettes,
une 911. L’érudit relève les menues différences avec délectation,
toutes deux importent sur la route le vocabulaire de la course,
et surtout la présence du manomètre de suralimentation, mais
mais pas le même niveau de langue. La BB, nez allongé, habitacle
pour l’essentiel on est bien à bord de la GT éternelle, dans une
avancé, capot arrière plat, impose l’architecture et les
exécution plus luxueuse. Les premiers mètres à bord
proportions des protos du Mans, enveloppées d’une
sont confortables, tranquilles. Insipides donc, c’est
Avantage de la
douceur très civile. La gentille 911 nous arrive enflée
tout le paradoxe de la Turbo, pour qui vient acheter là
hausse des tarifs,
de toutes parts, comme les créatures du groupe 4.
des sensations inédites. Reste à titiller la turbine
les anciennes sont
Même avec le recul de quarante années, on ne peut
magique. Et là, pas de doute, dans un grondement
de mieux en mieux
maintenues et
que s’extasier sur l’énormité visuelle et technique de
étouffé, ça pousse ! Le fameux coup de pied aux fesses
présentées. Nos
l’aileron arrière, haut et plat.
de la Turbo est forcément un peu attiédi aujourd’hui
deux exemplaires
sont dans un état
remarquable !
ATTENTION, MONSTRES
SACRéS ! C’EST L’APPELLATION
QU’AVAIT CHOISIE JOSé ROSINSKI,
NOTRE GRAND MAîTRE ET
FONDATEUR DE LA RUBRIQUE
ESSAIS DE SPORT AUTO.
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Pour un ingénieur de
stricte obédience,
le Ferrari est un
V12 à 180°, pas
un boxer, question
de calage et de
manetons. Mais bon,
Ferrari lui-même
disait « boxer »…
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Ferrari BB 512i vs Porsche 911 Turbo
Technique
Ferrari BB 512i
Porsche 911 Turbo
Années de production
Exemplaires produits
MOTEUR
Type (nbre de cylindres)
Bloc/culasses
Cylindrée
Alésage x course (mm)
Taux de compression
Distribution
1981 - 1984 (1972 - 1984) *
1 007 (2 323) *
1978 - 1989
17 791
V12 à 180°, central AR
Alliage/alliage
4 942 cm3
82 x 78
9,2
2 x 2 arbres à cames en tête
Alimentation
Injection Bosch K-Jetronic
Puissance maxi
Couple maxi
TRANSMISSION
Type
Boîte
340 ch DIN à 6 000 tr/mn
46 mkg à 4 200 tr/mn
6 cyl. à plat, porte-à-faux AR
Alliage/alliage
3 299 cm3
97 x 74,4
7
2 x 1 arbre à cames en tête
Injection Bosch K-Jetronic,
turbo kkk 3 LDZ,
échangeur air/air
300 ch DIN à 5 500 tr/mn
44 mkg à 4 000 tr/mn
Propulsion
Manuelle, 5 vitesses
synchronisées
Différenciel autobloquant Série
CHÂSSIS - CARROSSERIE
Structure
Châssis tubulaire acier,
panneaux acier
Roues indépendantes,
Suspension AV
triangles superposés,
barre antiroulis
Roues indépendantes,
Suspension AR
triangles superposés,
barre antiroulis, correcteur
d’assiette oléopneumatique
Disques ventilés 288/297 mm
Freins AV/AR
Crémaillère
Direction
Poids
1 580 kg
Rapport poids/puissance 4,6 kg/ch
DIMENSIONS - CAPACITÉS
L–l–h
4 400 – 1 830 – 1 120 mm
Empattement
2 500 mm
Voies AV & AR
1 510 & 1 570 mm
Pneumatiques AV & AR
240/55 VR 415 (TRX)
PERFORMANCES annoncées/mesurées **
Vitesse maxi
280/275 km/h
400 m D.A.
-/13’’7
1 000 m D.A.
25’’1/24’’6
0 à 100 km/h
6’’3/BUDGET
Prix 1983
526 000 F
Equivalent 2016 (INSEE) 157 000 €
Cote Sport Auto
310 000 €
Propulsion
Manuelle, 4 vitesses
synchronisées
Non
Monocoque acier
Roues indépendantes, barres
de torsion longitudinales,
barre antiroulis
Roues indépendantes,
barres de torsion
transversales, barre antiroulis
Disques ventilés percés
304/309 mm
Crémaillère
1 300 kg
4,33 kg/ch
4 291 – 1 775 – 1 310 mm
2 272 mm
1 432 & 1 501 mm
205/55 VR 16 & 225/50 VR 16
260/258 km/h
-/13’’7
24’’0/24’’6
5’’4/5’’7
439 000 F
131 000 €
110 000 €
* Entre parenthèses, toutes BB ** Mesures Sport Auto n° 263 (décembre 1983)
L’avis de Robert Puyal
Eh oui, s’il s’agissait de disputer une course,
il faudrait choisir la Porsche. Plus légère, plus
efficace, elle accélère plus fort et freine encore
mieux. Et reste quand même moins chère
malgré les excès actuels. Pourtant, puisqu’il
s’agit de sensations, d’exotisme, d’esthétique,
de rareté, la Ferrari demeure intouchable.
Victoire : Ferrari
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que les 300 chevaux nous sont servis couramment par des
tractions. N’importe, il y a la manière. La courbe de couple de la
Turbo demeure atypique ; elle se dresse soudain, et vous
empoigne effectivement le bas des reins pour vous envoyer voir
là-haut si vous y êtes. Sans avoir à solliciter quantité de soupapes
et de pistons, comme la Ferrari sait si bien le faire, la Porsche
distribue du couple avec une simplicité ménagère et fascinante.
Dès que vous appuyez, les mètres-kilos affluent instantanément
et aussi longtemps que vous en ressentez le besoin, jusqu’à
260 km/h, une vitesse ignorée des Porsche jusque-là. Le flat-six
turbo ne surclasse pas le flat-twelve, mais il le dévalue : pourquoi
tant de peine pour obtenir de bonnes accél, alors que mister KKK
vous les sert en potion instantanée ?
LE TURBO NE SURCLASSE PAS LE FLAT-12,
MAIS IL LE DéVALUE : à quoi bon TANT
DE CUISINE POUR OBTENIR DE BONNES
ACCÉLérationS, ALORS QU’IL SAIT
LES SERVIR EN POTION INSTANTANéE ?
Chef-d’œuvre mécanique
Pour qui ne veut pas entendre parler de cette préparation aux
relents de sorcellerie, la Ferrari pratique le noble art. Pas de
doute, la magie du flat-12 frappe l’imagination et les oreilles.
Ici, pas besoin de pots spéciaux, d’effets sonores de synthèse.
Dire que les marques, aujourd’hui, délèguent des ingénieurs,
chargés de programmer l’extase des pantins du tympan… Ici, la
musique est belle parce que l’orchestre est grand, le registre
étendu, les graves harmonieux, les aigus exaltants. Que du pur…
Oui, on se surprend à jouer de la boîte mécanique pour s’organiser
des montées chromatiques.
Côté comportement, la Porsche n’a rien de spécifique à raconter
jusqu’aux vitesses qui lui sont exclusives. C’est une 911 avec ses
défauts et ses qualités, plus puissante mais bien moins rugueuse
et vive qu’une 2,7 litres RS, par exemple. Au contraire, la BB, en
plus du bel canto, vous fait du cinéma. Même aux plus basses
allures, elle est spéciale. Le pédalier en revanche a su s’adoucir,
mais la boîte est à la fois rapide et douloureusement ferme.
Certes, il y a un peu d’autosuggestion dans ce sentiment d’être
« l’homme à la BB » ! Mais la voie avant étroite et la voie arrière
élargie (par rapport à une BB carbus) donnent l’impression,
assez R5 Turbo, de rouler dans un triangle, ou un tronc de cône.
Quand on veut réveiller la belle d’un coup de gaz, histoire
d’animer les photos, c’est l’extérieur avant de l’équipe Michelin
qui laisse le premier filer l’adhérence. Raté pour le déhanché
élégant. Reste que la BB, chaussée étroit, ne « suradhère » pas
encore et délivre des sensations plus fines que la Testarossa
très élargie qui va bientôt lui succéder. Quant au moteur, sans
ce côté interrupteur de la Turbo, il donne tout simplement du
bonheur. Souple, à la fois discrètement serviable et franchement
zélé si vos ordres lui plaisent (prendre des tours, par exemple),
il enroule autour du trafic, toujours prêt à remonter d’un cran
quand la file se dégage. Sa bonne humeur ferait de la BB une
excellente voiture de ville ! Mais elle fait plutôt rêver de voyages
au long cours (quoique à peu près sans bagages). n
Les années 70.
La course connaît
des accélérations
prodigieuses, et
contamine les
voitures de sport,
qui se découvrent
des horizons
insoupçonnés.
Remerciements
Les établissements De Widehem nous
ont confié nos deux protagonistes. A en
juger par la qualité de ces deux machines,
à vendre 350 000 € pour la Ferrari et
140 000 € pour la Porsche, l’adresse est
bonne ! www.dewidehem.fr
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