Une petite fille, cette reine des anges ! (Bernanos)

Transcription

Une petite fille, cette reine des anges ! (Bernanos)
Une petite fille, cette reine des anges ! (Bernanos)
Le jeune curé est chez lui, au presbytère d'Ambricourt. Récemment, il est allé au château, il y a eu un
entretien avec la comtesse. Celle-ci se plaint de monsieur le comte qui la trompe avec l'institutrice de sa
fille, laquelle devient insupportable. Elle se plaint aussi de la mort de son fils, âgé de deux ans.
Au fil de la conversation, le jeune prêtre, avec une simplicité complète, maladroite, a fait surgir le vrai mal :
derrière ses apparences affables, la comtesse n'a pas fait son deuil, elle vit dans la révolte contre Dieu et la
haine de ses proches. Elle oppose à l'amour de Dieu l'amour pour son petit garçon, dont elle porte une
mèche de cheveux dans un pendentif. (tandis que sa fille réagi en portant une photo de son père en
pendentif).
Le curé lui fait remarquer que « nos fautes cachées empoisonnent l'air que d'autres respirent, et tel crime
dont un misérable portait le germe à son insu, n'aurait jamais mûri sans ce principe de corruption »[1]. La
comtesse est révoltée. Mais une larme sur les joues émaciées du jeune prêtre (il souffre d'un cancer dont il
ignore encore le diagnostic) lui fait poursuivre la conversation.
Progressivement, le prêtre lui fait répéter le « Notre Père », insistant sur le règne de Dieu qui est aussi le lieu
où elle retrouvera son enfant. La comtesse se détache du pendentif, elle s'apaise, se remet à espérer et reçoit
la bénédiction.
La nuit même, elle meurt (elle était cardiaque). Le comte, qui ne s'en aperçoit que le matin, décide
d'éloigner l'institutrice, mais il décide aussi de faire chasser du village ce curé si dérangeant.
C'est alors que le curé doyen, le curé de Torcy, rend visite au jeune prêtre.
Extrait :
« - Travaille, fais de petites choses, a-t-il dit, en attendant, au jour le jour. Applique-toi bien ;
Rappelle-toi l'écolier penché sur sa page d'écriture, et qui tire la langue. Voilà comment le curé
souhaite nous voir, lorsqu'il nous abandonne à nos propres forces. Les petites choses n'ont l'air
de rien, mais elles donnent la paix. C'est comme les fleurs des champs, vois-tu. On les croit
sans parfum, et toutes ensembles, elles embaument. La prière des petites choses est innocente.
Dans chaque petite chose, il y a un Ange. Est-ce que tu pries les Anges ?
-mon Dieu, oui... bien sûr. »
- On ne prie pas assez les Anges. Ils font un peu peur aux théologiens, rapport à de vieilles
hérésies des Eglises d'Orient, une peur nerveuse, quoi ! Le monde est plein d'Anges.
Et la Sainte Vierge, est-ce que tu pries la Sainte Vierge?
-
« Par exemple ! »
-
La pries-tu comme il faut, la pries-tu bien?
Elle est notre mère, c'est entendu. Elle est la mère du genre humain, la nouvelle Eve. Mais elle
est aussi sa fille.
L'ancien monde, le douloureux monde, le monde d'avant la grâce l'a bercée longtemps sur son c
œur désolé -des siècles et des siècles- dans l'attente obscure, incompréhensible d'une "virgo
L'ancien monde, le douloureux monde, le monde d'avant la grâce l'a bercée longtemps sur son c
œur désolé -des siècles et des siècles- dans l'attente obscure, incompréhensible d'une "virgo
genitrix"...
Des siècles et des siècles, il a protégé de ses vieilles mains chargées de crimes, ses lourdes
mains, la petite fille merveilleuse dont il ne savait même pas le nom.
Une petite fille, cette reine des anges! Et elle l'est restée, ne l'oublie pas!... »[2]
La mère de Jésus marque la rupture avec « le monde d'avant la grâce ». Or, c'est exactement ce qui
s'est passé dans la conversation avec la comtesse : une irruption de la grâce. Le jeune curé dit : « L'enfer
c'est de ne plus aimer. Tant que nous sommes en vie, nous pouvons nous faire illusion, croire que nous
aimons par nos propres forces, que nous aimons hors de Dieu. Mais nous ressemblons à des fous qui tendent
les bras vers le reflet de la lune dans l'eau. Je vous demande pardon, j'exprime très mal ce que je pense. »[3]
Le jeune curé l'invite à aimer en Dieu, c'est à dire par la grâce. Et c'est Marie qui a ouvert le monde de la
grâce (cf. Galates 4).
Marie est la « Virgo genitrix », c'est à dire la Vierge Mère, la Mère de Dieu. Et elle est la fille d'un monde
désolé aux mains chargées de crimes, comme ces habitants de Ambricourt, qui secrètement attendent la
grâce... Mère de la sainte espérance. Le roman avait d'ailleurs commencé en ces termes : « Le village
semblait attendre aussi - sans grand espoir - un maître à suivre vers quelque improbable, quelque
inimaginable asile. »[4]
La Vierge est la reine des anges, ces anges dont il est dit qu'ils sont attachés aux petites choses, à toutes
ces petits travaux innocents, qui donnent la paix, et qui font traverser l'épreuve. Comment ne pas penser aux
30 années de vie toute ordinaire à Nazareth ?
La Sainte Vierge « une petite fille »,
Elle est petite et le jeune prêtre lui ressemble par sa simplicité qui démasque les péchés secrets, par sa
fragilité physique extrême. Leur sainteté est celle des béatitudes, c'est celle de l'esprit d'enfance, si proche de
l'esprit de pauvreté. Le jeune prêtre est timide, il semble dépourvu quand son propos, comme à son insu,
s'élève dans les hauteurs ou fait sortit le péché de son repaire. Il pense « que dire ? que faire »[5] Et c'est
avec naturel, comme d'expérience, qu'il dit « donnez votre orgueil avec le reste, donnez tout »[6].
Elle est petite fille, bercée par l'humanité, elle appelle l'esprit d'enfance. Bernanos nous en livre la clé au
début du récit, par les réflexions du curé de Torcy :
« D'où vient que le temps de notre petite enfance nous apparaît si doux, si rayonnant ? Un gosse
a des peines comme tout le monde, et il est, en somme, si désarmé contre la douleur, la
maladie ! L'enfance et l'extrême vieillesse devraient être les deux grandes épreuves de l'homme.
Mais c'est du sentiment de sa propre impuissance que l'enfant tire humblement le principe
même de sa joie. Il s'en rapporte à sa mère, comprends-tu ? Présent, passé, avenir, toute sa vie,
la vie entière tient dans un regard, et ce regard est un sourire. Eh bien, mon garçon, si l'on nous
avait laissé faire, nous autres, l'Eglise eut donné aux hommes cette espèce de sécurité
souveraine. Retiens que chacun n'en aurait pas moins eu sa part d'embêtement. La faim, la soif,
la vie entière tient dans un regard, et ce regard est un sourire. Eh bien, mon garçon, si l'on nous
avait laissé faire, nous autres, l'Eglise eut donné aux hommes cette espèce de sécurité
souveraine. Retiens que chacun n'en aurait pas moins eu sa part d'embêtement. La faim, la soif,
la pauvreté, la jalousie, nous ne serons jamais assez forts pour mettre le diable dans notre
poche, tu penses ! Mais l'homme se serait su le fils de Dieu, voilà le miracle ! »[7]
[1]Georges BERNANOS, Journal d'un curé de campagne (Plon 1936), éditions « Le livre de poche », Paris,
1966, p. 144
[2]Ibid., p. 179-180
[3]Ibid., p. 148
[4]Ibid., p. 6
[5]Ibid., p. 146
[6]Ibid., p. 149
[7]Ibid., p. 20
Lire plus sur Georges Bernanos
Françoise Breynaert
Georges Bernanos (1888-1948)
Les mains de la Vierge (Bernanos)
Le regard de la Vierge (Bernanos)
L’injustice : ne jamais la regarder sans prier (Bernanos)
Immaculée (Bernanos)
Une petite fille, cette reine des anges ! (Bernanos)
L’Eglise a les nerfs solides, le péché ne lui fait pas peur (Bernanos)