Peuples arabes, à vous de jouer

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Peuples arabes, à vous de jouer
Nombre de document(s) : 1
Date de création : 22 octobre 2014
Créé par : SCD-NANCY-II
Peuples arabes, à vous de jouer !
Courrier international - 28 mars 2013................................................................................................................... 2
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Date de création : 22 octobre 2014
Courrier international, no. 1169
Plein écran, jeudi 28 mars 2013, p. 54
JEUX VIDÉO
Peuples arabes, à vous de jouer !
Raphael Cormack
Prospect
( LONDRES ) - Le 27 janvier, le président
égyptien Mohamed Morsi a déclaré
l'état d'urgence dans trois villes du
canal de Suez. Le lendemain, jour
anniversaire du début de l'insurrection
de 2011, l'ambiance était tendue. Ce
jour-là, j'ai rencontré dans un
cybercafé du Caire huit jeunes
Egyptiens qui utilisaient des noms de
code comme "Dragon cracheur de
feu", "Le Fantôme" et "Hohoz". Ils
étaient en train de recruter des
hommes à Alexandrie et de choisir
leurs chefs dans la capitale, en vue
d'une attaque.
Jordanie en personne a été surpris en
train de jouer à bord de son jet privé.
Et Internet a contribué à doper le
secteur. Selon DDA, 65 % des
internautes saoudiens et 56 % des
internautes égyptiens jouent à des
jeux en ligne.
Ces
hommes
n'appartiennent
cependant pas à un groupe anarchiste.
Ils sont les fans d'un nouveau ludiciel
arabe intitulé Knights of Glory
[Chevaliers de gloire], un "jeu en
ligne massivement multijoueur" [où
un très grand nombre de personnes
peuvent jouer simultanément, via
Internet]. Son action se déroule aux
VIIe et VIIIe siècles, pendant les
conquêtes arabes. Il a été réalisé par
une société appelée Falafel Games.
Falafel Games n'est pas la seule
société à courtiser le nouveau marché
moyen-oriental. Dans la région,
nombreux sont les concepteurs qui en
avaient assez de jouer à des jeux
[occidentaux] qui décrivent le monde
arabe sans rien y connaître. Vince
Ghossoub, l'un des fondateurs de
Falafel Games, reproche à ces
ludiciels de trop souvent montrer les
Arabes "d'une façon très stéréotypée".
Entre autres, la série Call of Duty a
été particulièrement controversée. Le
quatrième opus, intitulé Modern
Warfare, s'est attiré les foudres des
censeurs d'Arabie Saoudite et des
Emirats arabes unis. Le but du jeu
était de renverser Khaled Al-Asad, le
tyran d'un pays pétrolier non nommé
du Proche-Orient.
Dans le monde arabe, les jeux vidéo
sont un secteur en pleine expansion.
Le marché pèse entre 1 et 2,6
milliards de dollars [de 770 millions à
2 milliards d'euros]. Le cabinet
d'analyse Discover Digital Arabia
(DDA) estime qu'un enfant saoudien
dépense en moyenne 400 dollars en
jeux vidéo chaque année. Le roi de
Pour
les
concepteurs
moyenorientaux, les jeux vidéo permettent
de montrer la région sous un jour
différent. De fait, tous les adeptes de
Knights of Glory à qui j'ai parlé
conviennent que le jeu présente un
"côté très arabe". Il n'a pourtant pas
été créé au Caire, mais dans un petit
bureau de Hangzhou, en Chine. C'est
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là que Vince Ghossoub et Radwan
Kasmiya ont fondé Falafel. Ils
dirigent
une
équipe
de
vingt
personnes, pour la plupart des
Chinois. Ghossoub se désigne luimême comme le "ministre des
Affaires étrangères" de la société : il
s'occupe du marketing et des activités
commerciales. Kasmiya, le "ministre
de l'Intérieur", est le chef de projet,
ou main game designer.
S'il existait un titre de père fondateur
du jeu vidéo arabe, Kasmiya pourrait
légitimement le revendiquer. Il a
commencé à concevoir des ludiciels
dès l'école primaire. En 1998, âgé de
25 ans, il a lancé Afkar Media, le
premier studio de jeux vidéo arabes.
Sans craindre la polémique : Under
Ash (2001), considéré comme le
premier jeu vidéo vraiment arabe,
raconte l'histoire de la première
Intifada palestinienne. Cela a donné
des idées à plus d'un - le Hezbollah
s'est essayé à concevoir un jeu vidéo
intitulé Special Force en 2003.
Kasmiya, quant à lui, a poursuivi avec
Under Siege (2005), inspiré de la
deuxième Intifada. Les joueurs
doivent s'efforcer de sortir vivants de
manifestations ou, dans d'autres
niveaux, lutter contre des soldats
israéliens - mais jamais des civils,
souligne
Kasmiya.
"Certaines
personnes disent que c'est de la
propagande,
d'autres
des
jeux
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documentaires", déclare-t-il. Mais le
camp dans lequel Kasmiya se situe est
clair. Il m'explique que la série de
jeux s'inspire des rapports de l'ONU
et que, à ce titre, elle reflète la réalité.
Gagner est impossible - quel que soit
le personnage que vous choisissez,
masculin ou féminin, vous mourez
toujours à la fin.
Après Under Siege, Kasmiya est passé
à des jeux véhiculant un message.
Quraish (2007) est un "labo de
recherche historique" situé aux VIIe
et VIIIe siècles, pendant les conquêtes
arabes. Comme il s'agit d'une période
controversée sur le plan religieux correspondant à la montée de l'islam
-, il lui a fallu des années pour obtenir
l'aval de la censure saoudienne, et
certains des choix accessibles au
joueur ont dû être limités. En général,
la censure est un obstacle que tous les
concepteurs de jeux du monde arabe
doivent négocier.
Falafel Games est né en 2008. Cela
faisait déjà dix ans que Kasmiya
concevait des jeux en Syrie quand le
Libanais Ghossoub [qui étudiait alors
en Chine] l'a contacté et lui a proposé
de collaborer. Ils ne s'étaient jamais
rencontrés,
mais
Ghossoub
connaissait le travail de Kasmiya.
"Avant la révolution, confie ce
dernier, les temps étaient durs pour
tout créateur [en Syrie]." Il a donc
rejoint Ghossoub en Chine.
20 000 connexions par jour
Knights of Glory, le gros succès de
Falafel, a été conçu pour réunir des
joueurs de tout le monde arabe.
Ghossoub est fier que "tant de gens
puissent nouer des liens sans tenir
compte de leur nationalité". Dans une
région où les médias subissent une
censure sévère et où l'accès à
l'information est souvent limité, ce
jeu de stratégie offre une nouvelle
façon d'interagir. Il attire 10 000 à 20
000 connexions uniques par jour
depuis le Maroc jusqu'en Irak, et les
chiffres vont croissant. Les joueurs
les plus acharnés, environ 5 000
personnes, jouent en ligne en
moyenne dix heures par jour, six jours
par semaine. Chaque équipe se
compose de seize joueurs qui
communiquent par une fenêtre de
discussion située en bas à gauche de
l'écran. C'est là que tout se passe ou
presque : on monte des plans, on
renforce ses défenses... et on discute
beaucoup de politique contemporaine.
Ghossoub, lui-même passionné de
Knights of Glory, confie que ses
discussions avec les autres joueurs lui
ont permis de prendre connaissance de
certains
événements
rarement
mentionnés dans les journaux ou à la
télévision.
Ghossoub et Kasmiya se sont donné
pour mission ambitieuse d'encourager
le sentiment panarabe depuis leur base
chinoise. Ils comptent traduire leur
jeu en ourdou et en farsi pour toucher
un marché plus vaste dans le monde
musulman et envisagent de créer un
jeu sur le "printemps arabe". Pour le
moment, ils se concentrent sur le
Proche-Orient plutôt que de viser les
marchés plus rentables d'Occident et
d'Extrême-Orient. Mais ils comptent
bien créer un jour des jeux en anglais.
La recette Falafel n'est pas la seule
façon de faire un jeu vidéo arabe. En
novembre 2012, j'ai rencontré dans un
café de Londres Mahmoud Khasawneh
et Candide Kirk, les PDG de Quirkat,
une société de jeux vidéo jordanienne.
Ils étaient venus discuter avec
certains de leurs concepteurs basés au
Royaume-Uni.
3
Fondé en 2004, Quirkat a connu un
succès retentissant trois ans plus tard
avec Arabian Lords, son premier jeu,
qui est resté six semaines à la
deuxième place des meilleures ventes
de Virgin Megastore au ProcheOrient. Depuis, la société a travaillé
sur des jeux comme MENA Speed,
une course automobile se déroulant au
Caire, à Dubaï et à Koweït, et
Moosiqar, dans lequel on joue du oud
[instrument à cordes très répandu dans
les pays arabes] sur des airs arabes.
Séduire un public mondial
La société tire son nom du quirkat, un
jeu antique qui serait à l'origine du
jeu de dames. Ce nom révèle l'objectif
du studio : créer des jeux arabes
destinés à séduire un public mondial.
Il vient juste de sortir Pro Foosball, le
premier jeu arabe distribué dans le
monde entier et - encore plus
important
publié
par
la
multinationale Sony. "Nous avons
vraiment dû nous battre contre l'idée
que les sociétés arabes ne pouvaient
qu'arabiser ou adapter des jeux venant
de l'étranger, déclare Khasawneh.
Nous avons dû lutter contre le préjugé
selon lequel, si c'était fait sur place,
c'était médiocre." Sony est désormais
convaincu que Quirkat est capable de
créer des jeux destinés à toute la
planète depuis la Jordanie.
Khasawneh s'empresse toutefois de
faire remarquer que l'on peut viser un
public mondial sans abandonner la
coloration moyen-orientale. Les jeux
qu'il conçoit décrivent le monde arabe
de façon moderne. "Pas de tentes ni
de dromadaires !" s'exclame-t-il.
Falafel et Quirkat inspirent le respect
au Moyen-Orient. Alors que le secteur
du jeu vidéo est rongé par le piratage,
les joueurs semblent prêts à acheter
en toute légalité les titres de ces
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sociétés.
Kamiya
qualifie
cette
attitude de "dignité numérique".
La décennie actuelle est passionnante
pour qui fait des jeux vidéo arabes. Il
est certes encore difficile de produire
et de publier un jeu entièrement dans
le monde arabe, confie Candide Kirk,
de Quirkat. Mais de nouvelles
sociétés font leur apparition. Nezal,
une entreprise d'Alexandrie, vient de
terminer un jeu musical où un groupe
de manifestants doit utiliser des
rythmes pour vaincre la police puis
Hosni Moubarak lui-même. Elle vient
de recevoir 1 million de dollars
d'Ideavelopers, une société de capitalrisque égyptienne, pour créer un
nouveau jeu. D'après Candide Kirk, il
faut garder un oeil sur l'industrie du
jeu saoudienne. "Ils pensent vraiment
en arabe. Ils coderaient en arabe s'ils
le pouvaient." Les concepteurs de
jeux arabes commencent enfin à se
faire entendre des grandes sociétés
internationales. Le français Ubisoft a
des bureaux au Maroc et dans le
Golfe, et le japonais Sony a fourni un
soutien crucial aux jeux de Quirkat.
"Avant,
nous
allions
à
des
conférences spécialisées où il n'était
© 2013 Courrier international ; CEDROM-SNi inc.
news·20130328·IL·977667 - Date d'émission : 2014-10-21
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4
question que de l'Amérique, de
l'Europe et de l'Extrême-Orient. Nous
étions obligés d'interroger : 'Et le bout
de terre qui est au milieu ?'
Maintenant, il n'est plus possible de
l'ignorer."
Les concepteurs de jeux vidéo du
monde arabe pensent avoir beaucoup
à apporter. Outre les décors et les
personnages, le monde arabe possède
une créativité unique. "Nous sommes
l'une des cultures qui sait le mieux
raconter des histoires", fait valoir
Khasawneh.

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