Vieux Charles - Généalogie et Histoire du dunkerquois

Transcription

Vieux Charles - Généalogie et Histoire du dunkerquois
A Coudekerque-Village
Charles Caloone, dit le « Vieux Charles »,
un « guérisseur qui se taille une manière de célébrité »
par Jean Lemaire
Source : archives personnelles d’Augusta Taccoen que nous remercions
Qui aurait pensé qu'en la paisible commune de Coudekerque-Village, dont l’ombre du clocher
s’étend sur quelque cinq cents âmes, s’abritait un illustre guérisseur ?
A vrai dire, « Le Temple de la Guérison » s’élève, isolé dans la campagne, à un quart de lieue de
cette agglomération. Des chemins tortueux, boueux, pierreux, y conduisent, par champs sans culture et
prairies sans bétail. L’hiver dans toute sa rigueur paralyse encore la vie campagnarde qui ne reviendra
qu’avec les premiers bourgeons et le gazouillement des oiselets, nouvellement venus en ce monde.
Et qu’importent ces chemins aux mille sinuosités, tels un Golgotha dans la plaine, puisqu’ils
conduisent, eux aussi, le pèlerin au sauveur de l’humanité.
En la circonstance : Charles Caloone, mieux connu dans le pays sous le nom plus prosaïque de
« Vieux Charles ».
Sur la route du guérisseur
C’était la première fois que j’allais pénétrer chez un guérisseur et je m’efforçai de m’imaginer
quel pouvait être le décor de cette officine campagnarde.
Les grands hommes sont la simplicité même, me dis-je, et certainement « Vieux Charles » a
choisi cette maisonnette d’apparence pauvre, pour mieux s’isoler du monde.
Ainsi l’aménagement intérieur doit être d’une netteté absolue et même avec un confort frisant le
luxe. Le cabinet de consultation doit être tapissé de fioles et d’éprouvettes, de bocaux renfermant les
savantes compositions d’herbes desséchées, de pots de porcelaine, imprimés de mystérieuses
inscriptions latines. Enfin de tout ce qui me semblait nécessaire à ces guérisons quasi miraculeuses.
Ne m’avait-on pas dit que « Vieux Charles » en taxi effectuait des visites au-delà des frontières ?
Peut être même avait-il un secrétaire-guérisseur, des huissiers, que sais-je ?
J’étais au point de me demander si le Maître me recevrait, moi, toujours en parfaite santé et ne
sachant que faire de guérisseurs si ce n’est que de les questionner par pure curiosité professionnelle.
Et, ainsi que ma voiture, mes idées allaient bon chemin. L’une et les autres s’arrêtèrent en même
temps à la suite d’un violent coup de frein.
J’étais au seuil du « Temple de la guérison ».
Jean Lemaire / Généalogie et Histoire du Dunkerquois / G.H.Dk.
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Le temple
Pittoresquement située entre le chemin vicinal et un petit ruisseau, qui serpente capricieusement dans
la campagne, une maisonnette sans étage abrite le guérisseur et sa science mystérieuse et respectée.
Le toit qui descend très bas, est encore tout imprégné de la rosée matinale.
Les gouttelettes déliées apparaissent, à travers les rayons du soleil, comme autant de perles aux
reflets merveilleux mais combien éphémères.
N’interprétons pas cette beauté passagère de la nature comme le symbole de la science de « Vieux
Charles » dont le fluide merveilleux se propage en ondes bienfaisantes à dix lieues à la ronde.
Et ce « temple » m’apparut, semblable à toutes les petites maisons dont la campagne est parsemée.
Un jardinet par devant, une grange par derrière, le tout clôturé par une haie bien taillée.
Dans la cuisine, dont la porte, qui donne directement accès au jardin, était ouverte, « Vieux
Charles » et sa femme se tenaient paisiblement de chaque côté d’un poële flamand qui, comme l’on sait, fait
aussi office de cuisinière.
Le guérisseur, alerte septuagénaire, avait la mine réjouie, ce qui me donna beaucoup d’assurance
pour lier connaissance. Et, voulant montrer que j’étais « du pays », je l’interpellais sans façon :
Alors « Vieux Charles » il paraît que tu es un fameux guérisseur ? On te connaît à dix lieues à la
ronde par les merveilleux résultats de ton pouvoir personnel et exceptionnel.
Raconte-moi donc ton histoire. Elle m’intéresse.
Et dans un large sourire, approchant sa chaise de la mienne, nous causâmes longuement.
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Comment on devient guérisseur
Dans la famille Caloone on est guérisseur de père en fils. C'est un pouvoir, un don de la nature
qui se transmet d'une génération à l’autre, et qui remonte si loin qu'il est impossible d'en déterminer
l'origine. Mais tous les enfants issus d'un même mariage ne peuvent le devenir. Seul le dernier, qu’il
soit garçon ou fille, reçoit cette grâce divine que son père ou sa mère a le devoir de lui transmettre.
C’est ainsi que « Vieux Charles » a actuellement un fils de vingt ans qui « travaille » avec lui ;
parce qu’étant le dernier de la famille il est au courant du fantastique secret.
Malheureusement son jeune âge lui fera bientôt revêtir l’habit militaire. Et il n’a peut-être pas
encore songé le pôvre, que sa qualité de guérisseur lui interdira infailliblement de demander au major,
une exemption de service quelle qu’elle soit…
Le secret de « Vieux Charles »
Il n’est pas dit qu’un malade avoue sa maladie ; « Vieux Charles » la connaît déjà avant qu’on
lui en parle.
Il lui suffit de voir son patient, pour la deviner. Et aussitôt commence le traitement qui est d’une
simplicité extrême.
Le malade peut être assis, debout ou couché peu importe pourvu qu’aucune étoffe ou autre
matière ne recouvre l’endroit malade.
Alors « Vieux Charles » approche et lentement d’un geste de pontife, pose délicatement les deux
mains sur la chair dévêtue.
Alors, le pouce de la main droite signe une croix, pendant que les yeux levés vers le ciel, « Vieux
Charles » attend que le fluide guérisseur descende en lui et se propage dans le mal de son client.
Pendant ce temps, le guérisseur récite des prières spéciales qu’il se refuse - bien entendu - à
révéler.
L’opération ne dure qu’un instant car le fluide descend toujours très rapidement.
Toutefois le malade n’obtient pas immédiatement la suppression de son mal. Il doit, lui aussi,
jouer son rôle en récitant chaque soir pendant neuf jours cinq Pater et cinq Ave.
La guérison se fait alors d’une façon certaine le troisième, le sixième ou au plus tard, le
neuvième jour.
Et la preuve ? C’est que « Vieux Charles » n’a jamais eu deux fois le même client pour le même
mal.
Aucun médicament n’est nécessaire.
Seule, une croyance absolue de la religion est indispensable.
Et lorsque le malade ne sait pas prier, mais que sa bonne volonté et sa croyance en Dieu ne font
aucun doute, « Vieux Charles » parfait philanthrope, prie pour lui.
Et le résultat est le même.
Hommes et bêtes
Depuis seize ans que le guérisseur exerce, ses bienfaits à l’humanité ne se comptent plus.
Des milliers de personnes ont eu recours à son extraordinaire pouvoir.
Et chaque dimanche matin dès cinq heures, ce ne sont que des malades se dirigeant vers le
« temple de la guérison », blancs, noirs, jaunes, toutes les races convergent vers le soulagement.
Et… « Vieux Charles » est de telle façon absorbé qu’il n’a guère le temps d’aller à la messe…
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Voyant à ce sujet, mon grand étonnement :
-
Pensez donc, me dit-il, tu ne sais pas Monsieur que je traite 82 maladies pour les hommes et autant
pour les femmes ? 36 pour les vaches et 36 pour les chevaux ? et que tous les autres animaux sont
guéris selon leurs maux ?
-
???
-
Tiens, pas plus tard qu'il y quinze jours on m'amène un gros cochon qui avait un terrible abcès
sur la fesse. Il ne cessait de crier tant il souffrait. Et la pauvre bête allait très certainement
crever avant peu. J’ai dit mes prières. J’ai touché sa plaie purulente. Immédiatement il a cessé
de crier, la bête ne souffrait plus et le huitième jour l’abcès avait disparu.
-
Mais alors ?
-
???
-
Mais . . . je pensais que le malade devait réciter cinq Pater et cinq Ave
-
Ah ! Mon bon Monsieur ! Quand ce sont des bêtes. . . c’est le propriétaire qui prie pour elles !
C’était tout simplement merveilleux.
Et une question que je ne lui ai pas posée me vint immédiatement à l’esprit.
Dans quelle situation se mettrait donc le propriétaire d’une importante porcherie si l’un des
« locataires » était atteint d’une maladie contagieuse ?
… Et « Vieux Charles » me raconta une autre histoire.
Il y a un an à peine, si mes souvenirs sont exacts, un cultivateur me conduisit un vieux cheval que les
pénibles travaux des champs avaient complètement usé.
Il n’était même plus bon à traîner la charrue quoique mangeant double ration d’avoine.
Son propriétaire voulait le faire abattre lorsque, conseillé par un voisin, il se décida à me soumettre
le cas qu’il jugeait désespéré. J’ai dit mes prières. J’ai touché de mes mains tout ce corps fatigué,
m’arrêtant principalement à l’endroit du cœur.
Et, de vulgaire canasson qu’il était, le cheval est reparti tout fringant. A te point qu’il fut très difficile
à atteler. L’heureux propriétaire fut quitte en récitant pendant une neuvaine, cinq Pater et cinq Ave chaque
jour.
Mais, lui dis-je, si sur un corps aussi énorme que celui d’un cheval, vous réussissez de tels prodiges,
votre fluide doit avoir des effets terribles sur les hommes qui commencent à faiblir ?
… « Vieux Charles » eut un sourire entendu et sa bonne tête de septuagénaire se balança dans un
geste affirmatif.
Devant des faits aussi troublants qui eurent le don de bouleverser tout mon être, je n’ai plus voulu que
« Vieux Charles » me racontât d’autres histoires. J’en pris congé immédiatement.
D’ailleurs de nombreux clients attendaient sa consultation.
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Vieillards, hommes, femmes, enfants, adolescents, tous se pressaient à la porte.
Et sur la route encore, j’ai croisé de nombreux piétons, des chevaux, des moutons, trois chiens et deux
vaches, qui visiblement se dirigeaient vers le « Temple de la guérison ».
Jean Lemaire
Extrait du journal « Nord Maritime » année 1935.
Note : le titre initial est : « A Coudekerque-Village un « guérisseur qui se taille une manière de
célébrité »
Jean Lemaire / Généalogie et Histoire du Dunkerquois / G.H.Dk.
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