Pour les jeunes et le territoire
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Pour les jeunes et le territoire
Semaine des missions locales Pour les jeunes et le territoire Pendant la semaine nationale des missions locales, celle de Vichy a ouvert sa porte aux élus qui ont été invités, pour une demi-journée, à travailler avec un conseiller et les jeunes reçus dans la structure. D ans le groupe, ça détonne. Par la tenue — costume sombre et cravate contre jean et baskets — mais par l’âge aussi. Car à côté des sept jeunes de 18 à 24 ans et de leur conseiller, s’est assis autour de la table un élu (quinquagénaire) de l’agglomération qui va participer à une matinée de travail. Aujourd’hui, c’est un atelier d’orientation. Objectif : « ressortir deux pistes de métiers, réalistes et réalisables » confie le conseiller. La feuille de route paraît simple ; elle ne l’est pas. Pour la plupart, ils sont pourtant diplômés, du BTS au CAP. Mais la première expérience, ils l’attendent encore. Sur la feuille intitulée « itinéraire professionnel » qu’ils remplissent avec application pendant la première heure, les lignes se suivent et se ressemblent : stage, stage et stage avec parfois quelques incursions qui n’ont strictement rien à voir ni avec leur diplôme ni avec leur motivation : la super qualifiée en secrétariat avoue un passage chez Mac Donald’s et l’électromécanicien indique, en riant jaune, deux semaines chez un fleuriste et une en grande-surface à pousser une balayeuse, remplacements en CDD. Alors si on remplit avec soin les cases des dates, durée, tâches et autres de la feuille en question, devant celle des «aptitudes développées» le stylo reste parfois en l’air. Car, ils le disent, s’ils sont là c’est que depuis la sortie de l’école, ils « galèrent », parfois depuis quatre ans. Dire dans ces conditions, vécues comme autant d’échecs, ce qu’ils savent faire et bien faire, c’est complexe ; l’écrire c’est presque impossible. Le conseiller, qui explique aussi que « souvent, ils ne se connaissent pas assez euxmêmes », est là pour ça, leur faire reprendre confiance : « j’ai besoin d’être remotivé » dit un jeune comme s’il ne l’était pas, lui qui avouera plus tard venir de chez lui, enfin de chez ses parents, à vingt kilomètres de là, en petit scooter chaque jour... Le nerf de la guerre Mais ses parents, ils aiment le voir partir le matin et rentrer le soir. « Ils ne supportent pas de me voir ne rien glander ! » confirme un autre, bientôt suivi par une approbation quasi unanime du groupe. La pression sociale, celle de l’échec ou de la triste réponse qu’ils doivent faire à la sempiternelle question : « qu’est-ce que vous faites dans la vie ? » est donc doublée d’une pression parentale qui, de plus, rend la vie de tous les jours compliquée au point qu’une jeune femme concède contourner l’obstacle en « étant chez moi le moins possible ». On le comprend vite, c’est chez son petit copain qu’elle se réfugie, et elle n’ira pas plus loin. Quand l’élu aborde la question de la mobilité, elle est la première à dire « non », et fermement. Elle revendique d’être née à Vichy de vouloir y faire sa vie, y fonder une famille, elle termine même en réclamant de pouvoir, le plus tard possible, y mourir... Une autre revendique le même choix mais pour des raisons familiales : Papa, Maman, les frères et sœurs mais aussi un bébé tout neuf arrivé juste avant qu’elle ait dix-huit ans. Pour les quelques autres, partir, c’est « pourquoi pas » voire un « oui » franc motivé par une envie de «s’en sortir», « d’être indépendant » confirme un diplômé de boulangerie qui a compris, juste avant le CAP que le pétrin, « c’était pas son truc ». Partir, oui, loin, oui, pour mieux revenir, c’est entendu mais ce qui manque, c’est souvent le nerf de la guerre, l’argent, le permis de conduire et les quelques sous qui permettent de s’installer ailleurs avec, dans la tête, le risque de tout chambouler pour quelques mois, le temps d’un CDD ou de « ne pas faire l’affaire » puisque depuis la sortie de l’école, ils ont la sensation de ne jamais avoir fait l’affaire. Autour de la table, une des jeunes filles a souvent le regard ailleurs, c’est qu’elle tient peut-être un stage qui pourrait déboucher sur un emploi. Le conseiller est toute ouïe qui, pendant la pause, sort la parfaite boite à outil de la mission locale pour effacer, devant cette opportunité, les tracas administratifs éventuels et les risques de déception. Leurs croyances sont plus fortes que nos vérités « Je la suis depuis quatre ans explique-t-il à l’élu qui l’a trouvée “timide” ; elle est sortie de sa bulle, elle parle, elle a un diplôme. Je vais l’inscrire tout de suite dans le dispositif CIVIS (Contrat d’insertion dans la vie sociale). Elle aura ses conventions de stage demain et pourra alors signer tout de suite ; on pourra aussi lui couvrir quelques frais. » Ultime vérification, celle de l’entreprise qui signe : « elle sont fiables à 99%, mais cette jeune femme est encore fragile, je ne veux pas prendre de risque » s’excuse-t-il presque en demandant à un de ses collègues de prendre l’attache du directeur de l’entreprise. À constater la connaissance du parcours, des motivations, de l’environnement familial des jeunes dont il parle, on pourrait penser que le conseiller en suit une grosse dizaine. L’estimation le fait rire : il a 300 dossiers dans son portefeuille dont 130 très actifs, c’est-à-dire qu’il a vu en chair et en os dans les quatre derniers mois. Les sujets : la confiance en soi, « leurs croyances, qui sont d’abord plus fortes que nos vérités » et puis une forme de culture générale locale qui manque parfois. Sur le premier sujet, il l’avoue, l’environnement familial compte pour beaucoup. La modification substantielle de la situation économique n’est pas toujours perçue par les familles qui assimilent parfois la difficulté à trouver un emploi à de la paresse. Il suffit que les jeunes aient été en échec scolaire avant, et leur vie de jeune adulte peut vite se résumer à une série de fiascos. Si on ajoute à ça l’isolement que peut créer ces situations et l’incapacité, pour cause d’absence de moyens, à se mouvoir socialement, la personnalité est vite atteinte, et le doute potentiel sur ces propres capacités devient rapidement « une certitude d’incapacité universelle et permanente ». Les entreprises proches de la mission locale : pour embaucher et pour casser les clichés Pour lutter contre cela, le conseiller a besoin de temps et de quelques clés aussi. Démonter les croyances — autre façon d’évoquer les déterminismes sociaux — en est une. Et le conseiller de citer une vision de l’entreprise souvent erronée : « ils ont l’impression que toutes les entreprises sont des multinationales avec des patrons qui se gavent et des gens comme eux qui galèrent ». Dans ces cas là, il y a le discours mais aussi la rencontre et la directrice de citer le travail fait avec les entreprises qui viennent directement recruter à la Mission locale ou le travail mené avec le Centre des jeunes dirigeants de jumeler un chef d’entreprise et un jeune qui vont partager quelques journées ensemble, histoire de casser les clichés. Il faut dire que le territoire économique est mal connu de ces jeunes. « Il y a quinze boites d’intérim à Vichy qu’en général ils ne connaissent pas », pas davantage d’ailleurs que les zone d’activités — où se concentre l’emploi — ou les administrations. Un trivial Pursuit économique et local et une vie à construire... Et le conseiller de sortir un jeu de son invention : un plateau avec le plan de la ville et des cartes de questions dans le plus pur style Trivial Pursuit qui permet un cours de géographie économique locale bien utile. À ce jeu, tout le monde n’avance pas à la même vitesse et ça, le conseiller le sait. Il y a les jeunes qui sont à deux pas de l’insertion et puis ceux qui sont ailleurs, « une vie à construire » dit-il en pensant aux trois qui, tout à l’heure, n’ont pu citer aucun centre d’intérêt, à celui qui avoue « vivre au jour le jour et n’avoir aucun projet à court terme » ou encore à cette jeune femme qui se promet une carrière hors de portée, qui le sait mais qui continue d’agiter cet horizon comme un excuse lui permettant, pour l’instant, de ne pas réfléchir à autre chose. C’est comme une convention de jeu d’enfants : «on dirait qu’on serait... » sauf qu’à vingt ans, en général, ça ne se fait plus. Pas de quoi pourtant décourager le conseiller. « C’est une affaire de temps assure-t-il, on finit toujours pas y arriver ». Coeur de métier contre actions spécifiques Cette foi, disons le mot, ils sont une trentaine à l’avoir chevillée au corps, trente conseillers auxquels il faut ajouter quatre personnes chargées de fonction support et une directrice, le tout pour un budget de 1,5M€, budget contraint... qui ne l’est pas aujourd’hui ? À Montluçon, la contrainte est telle qu’on y envisage des licenciements. À Vichy, non, pas pour l’instant même si les collectivités veulent encore réduire leur soutien. L’année dernière la réduction de 90.000 euros à 70.000 euros de la subvention de la communauté d’agglomération Vichy Val d’Allier (VVA) avait provoqué un tollé à gauche (voir Allier République N°288 du 5 septembre 2015). Réduction des subventions de fonctionnement Visiblement, le même scénario est à l’honneur cette année, avec la même réponse : c’est 70.000 euros de fonctionnement (dont 25.000 sont reversés en loyer à... VVA) et 30.000 euros en actions spécifiques, comprendre en financement à venir chercher au coup par coup. Cette stratégie de l’action spécifique n’est pas qu’une mode locale. Un directeur de mission locale de la région centre, membre de l’association nationale, l’explique : « la subvention de fonctionnement échappe par nature aux élus qui, s’ils veulent avoir le détail, doivent plonger dans les rapports d’activité. Ils préfèrent le coup par coup, l’action “machin” dont on sait combien elle coûte presque heure par heure, qui a un début et qui a une fin. Le problème c’est que les actions spécifiques portent bien leur nom : elles ont un public cible sur lequel il ne faut pas se tromper. Et pour ne pas se tromper, il faut connaître les jeunes, leurs parcours, leurs besoins donc faire avec soin des entretiens, des sessions de travail en amont, bref, notre cœur de métier. Dans un budget, si vous avez trop d’actions spécifiques et pas assez d’action-cœur de métier, vous finissez par mal cibler votre public donc mal faire votre cœur de métier et mal faire les actions spécifiques, voilà le risque ». Qui paye quoi : la réponse va-t-elle faire débat ? À Vichy, pour l’instant, on l’évite. Avec la comptabilité analytique, on sait où on en est : trois quart des postes sont sur des actions spécifiques, « c’est la limite » assure la directrice qui, dans quelques jours, va présenter un budget en équilibre mais aussi quelques chiffres sur le rapport entre les subventions de fonctionnement et les services rendus, territoire par territoire et action par action. Et là, surprise : si l’État assume financièrement les commandes qu’il passe, certaines collectivités comptent sur la solidarité avec les autres territoires pour prendre en charge leurs propres jeunes. Le tableau en question promet quelques discussions entre élus... Quoique. Pour la semaine nationale des missions locales, 99 élus ont été invités à venir passer une demi-journée dans la structure. Christophe POMMERAY Conseiller Municipal Ville de Vichy. Attaché parlementaire de Gérard Charasse, député de l’Allier.