Nathalie Goujon - Académie de l`Entrepreneuriat

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Nathalie Goujon - Académie de l`Entrepreneuriat
Gregory Bateson, but conscient, effectuation et codéveloppement d’entrepreneurs
------Communication pour les Deuxièmes Rencontres de la Recherche et de l’Action
« Enseignement, Formation et accompagnement dans le champ de l’entrepreneuriat »
31 janvier et 1er février 2013 – Groupe ESC Chambéry Savoie
-------Nathalie GOUJON
Coach professionnelle
Formée au modèle de Palo Alto
Chargée de cours EM Lyon
[email protected]
Damien RICHARD
Enseignant-chercheur
Sciences de Gestion
[email protected]
Groupe ESC Chambéry Savoie
12, avenue Lac d’Annecy - Savoie Technolac
73381 Le Bourget-du-Lac - France
Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
Résumé : Comment accompagner les entrepreneurs de manière efficace et durable ? Dans un
environnement de plus en plus complexe et changeant, les entrepreneurs sont plus que jamais à
l’origine de l’innovation et de création de richesses et d’emplois. Notre pratique de
l’accompagnement d’entrepreneurs repose sur un cadre théorique articulant la théorie de
l’effectuation (Sarasvathy, 2001), les apports de Bateson sur les buts conscients (Bateson
1977,1980) et le codéveloppement professionnel (Payette, Champagne, 1997 ; Hoffner-Lesure,
Delaunay, 2011) utilisé avec l’approche systémique et stratégique de Palo Alto (Watzlawick,
Weakland, Fisch, 1975 ; Wittezaele, Garcia, 1992) .Le point commun de ces approches est de
mettre la contingence et la liberté de l’entrepreneur au cœur de l’accompagnement en mettant de
côté tout raisonnement impliquant une causalité linéaire et privilégiant une approche systémique et
stratégique intégrant la complexité et les logiques de récursivité et de causalité circulaire. La
question théorique de recherche que nous posons est la suivante : s’il est peu efficace – voir
contreproductif - d’accompagner l’entrepreneur dans une démarche déterministe et linéaire visant à
atteindre un objectif clair et défini, un « but conscient », pour reprendre l’expression de
Bateson (1967), dans quelle mesure l’approche stratégique et systémique de Palo Alto associée au
dispositif de codéveloppement professionnel (Payette, Champagne, 1997) constitue-t-elle un
puissant levier d’accompagnement d’entrepreneurs qui se retrouvent potentialisés dans leur
« bricolage » de ressources personnelles et sociales afin de faire émerger une réalité nouvelle qui
amène à un projet entrepreneurial se construisant chemin faisant ? Ainsi, la théorie de l’effectuation
largement légitimée en entrepreneuriat, nous a permis d’amener G. Bateson et l’approche de Palo
Alto dans ce monde de l’accompagnement à l’entreprenariat. En effet, leurs prémisses
constructivistes, le fait qu’elles sont toutes les deux des approches pragmatiques et des modèles de
transformation utilisant les dimensions interactionnelle du langage les relient de manière évidente.
Quels sont les premiers effets obtenus sur le plan empirique ? Et surtout quelles sont les perspectives
ainsi ouvertes pour innover radicalement sur le terrain de l’éducation et de l’accompagnement en
entreprenariat ?
Mots clés : Bateson, but conscient, effectuation, coaching, entrepreneuriat, intervention stratégique
et systémique.
Abstract:
Keywords: Gregory Bateson, conscious goal, effectuation, coaching, entrepreneurship, systemic and
strategic intervention
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Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
« Twenty years from now, you will be more disappointed by the things you didn’t do than by the
ones you did do. So throw off the bowlines. Sail away from the safe harbor. Catch the trade winds in
your sails. Explore. Dream. Discover. »
Mark Twain (1835-1910)
Introduction
Créer de nouvelles entreprises durables est un enjeu majeur en ces temps de crise et de chômage de
masse. « Comment accompagner les entrepreneurs dans leur projet de création ? » est une question
cruciale aujourd’hui. Les enjeux de l’entreprenariat et de l’accompagnement des entrepreneurs sont
devenus en quelques années une préoccupation majeure aussi bien pour la sphère politique que pour
les universités et Grandes Ecoles d’ingénieurs ou de commerce. Les intentions de créer une
entreprise sont de plus en plus présentes non seulement chez les jeunes qui poursuivent leurs études
mais également chez des personnes plus seniors qui se retrouvent sur le marché de l’emploi à cause
de la crise. En France, le dispositif législatif d’auto-entrepreneur a renforcé cet état de fait en
contribuant à simplifier les démarches administratives du porteur de projet. Près de 90% des
entreprises se créent sans salarié, et les Très Petites Entreprises de moins de 10 salariés représentent
plus de 93% des entreprises en France1, c’est dire si la figure de l’entrepreneur et son
accompagnement dans le lancement de son projet tiennent une place centrale dans la dynamique de
création d’entreprises et donc dans la dynamique de croissance d’un territoire.
L’objet principal de cet article est de présenter une démarche d’accompagnement des entrepreneurs
articulant la théorie de l’effectuation de S. Sarasvathy (2001), l’approche systémique et stratégique
de Palo Alto (Bateson, 1977, 1980 ; Watzlawick, Weakland, Fisch, 1975 ; Wittezaele, Garcia 1992)
et le dispositif de codéveloppement (Payette et Champagne, 1997) en l’illustrant par deux cas
d’entrepreneurs accompagnés. Sur le plan théorique, nous voulons montrer en quoi ces cadres
théoriques sont non seulement complémentaires mais que leur articulation permet de proposer un
cadre d’accompagnement particulièrement pertinent pour des entrepreneurs. Les liens théoriques
que nous proposons d’investiguer permettent de résoudre certains problèmes tout en ouvrant de
belles perspectives de recherche pour l’avenir. Sur le plan théorique, nous souhaitons montrer en
quoi le cadre théorique de l’effectuation et de l’accompagnement effectual des entrepreneurs
(Sarasvathy, 2009 ; Read, Sarasvathy et al. 2011) constitue un puissant étayage pour penser dans
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Source : INSEE PREMIERES n° 1172 de janvier 2008
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Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
l’action le paradoxe du but conscient de G. Bateson (1967). Dans un texte de 1967, But conscient ou
nature, G. Bateson montre que les buts conscients nous emmènent souvent là où l’on ne veut pas
aller, ou tout au moins pas là où nous souhaitions aller. En conséquence, il propose l’idée que le
sujet a juste à s’adapter en souplesse lorsque l’effet émerge. Nous pensons qu’à cet endroit, le
processus d’effectuation de S. Sarasvathy (2009) rejoint la vision cybernétique et systémique du
vivant proposée par Bateson et en particulier ce paradoxe du but conscient.
Pour investiguer cette articulation théorique, nous avons accompagné des groupes d’entrepreneurs,
à la fois au sein d’un incubateur et dans le cadre d’un dispositif pédagogique de sensibilisation à
l’entrepreneuriat.
Pour les groupes d’entrepreneurs, nous avons travaillé sous forme de séances de codéveloppement
(Champagne et Payette, 1997 ; Hoffner-Lesure et Delaunay, 2011) en mettant l’accent sur le partage
de savoirs pratiques et sur la réflexion autour de problématiques vécues afin de trouver des pistes de
solutions.
Dans un premier temps nous tracerons les contours de chacun des cadres théoriques en prenant soin
de mettre en évidence les liens que nous proposons. Dans un deuxième temps, nous rendrons
compte de deux cas d’accompagnement d’entrepreneurs que nous avons fait en nous appuyant sur
l’apport de Bateson et l’approche de Palo Alto. Enfin, dans un troisième temps nous discuterons les
résultats, limites et perspectives ouvertes par cette recherche-intervention pour le champ de
l’éducation et de l’accompagnement en entreprenariat.
1 – Délimitation et articulation de trois cadres théoriques complémentaires
S’accorder sur les contours de chacun des cadres théoriques - théorie de l’effectuation, approche
systémique et stratégique de Palo Alto et codéveloppement - est évidemment essentiel avant de
penser à les articuler. L’objet de cette section n’est pas de présenter en détail les théories mais
d’expliciter en quoi une articulation de ces cadres théoriques au sein d’un processus
d’accompagnement individuel et collectif d’entrepreneurs constitue une démarche non seulement
innovante mais résolutoire dans un certain nombre de cas et qu’elle ouvre d’intéressantes
perspectives de recherche.
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Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
1.1. La théorie de l’effectuation de Sarasvathy (2001)
Cette théorie développée par S. Sarasvathy (2001) il y a plus de 10 ans repose sur un triple héritage,
celui de J. March et H. Simon (1958) sur la rationalité limitée dans la prise de décisions au sein des
organisation, celui de W. James (1912) et de C.S. Pierce (1978) sur l’empirisme radical2 et sur le
pragmatisme en tant que méthode pour clarifier les conception des objets, avec cette idée
fondamentale que « la croyance est ce qui prépare l’individu à agir » ou à ne pas agir. Enfin elle
repose sur la théorie économique de J. Schumpeter (1939) qui postule que la demande peut être
créée et que les innovations prennent la forme de « nouvelles combinaisons »3 qui emploient des
éléments existants en intégrant des transformations.
La théorie de l’effectuation bouleverse la manière de voir et de comprendre comment les
entrepreneurs pensent et agissent dans leur démarche de création. Elle met fin au mythe de
l’entrepreneur visionnaire porteur d’une idée géniale : celui qui transforme une idée en projet
lucratif par la réalisation d’un business plan et d’une levée de fond auprès d’un capital-risqueur en
créant son entreprise autour d’une équipe motivée aux compétences parfaitement complémentaires.
Les observations de Sarasvathy (2001) sont très différentes : les entrepreneurs partent souvent d’une
idée simple, floue voir triviale. Pour créer leur activité, ils s’appuient sur les moyens du bord, à
savoir selon Sarasvathy, leur personnalité (« Who you are »), leur réseau de contacts (« Who you
know »), et leur savoir (« What you know »). Bien souvent, ils ne rédigent pas de business plan tout
de suite, mais bricolent au fil de l’eau une stratégie faite d’une succession de boucles de rétroaction
avec leur environnement.
Les principes de l’effectuation selon Read, Sarasvathy et al. (2011) inversent ceux de la stratégie
classique :
« The bird-in-hand principle4 ». Sarasvathy et ses collègues ont observé que généralement
les entrepreneurs qui réussissent partent des ressources à leur disposition pour bricoler
chemin faisant une stratégie plutôt que de définir un but très précis pour ensuite trouver les
ressources nécessaires à son accomplissement. L’approche de l’effectuation part des
ressources données pour chercher les effets possibles. Elle renverse ainsi la stratégie
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L’empirisme radical de W. James se résume souvent par la formule : « Le vrai consiste simplement dans ce qui est
avantageux pour la pensée. ».
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Pour Schumpeter (1939) l’essence de l’entreprenariat tient dans l’effectuation de ces « nouvelles combinaisons ».
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L’expression “a bird in hand worth two in the bush” a été traduite par P. Silberzahn (2011) par “Un tiens vaut mieux
que deux tu l’auras”.
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Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
classique basée sur le raisonnement causal, qui part du but souhaité pour en déduire les
moyens nécessaires (causes) permettant d’atteindre le but.
« The affordable loss principle ». Dew, Sarasvathy et al. (2009) ont montré que les
entrepreneurs qui réussissent ont souvent un raisonnement en perte acceptable en essayant
quelque chose et en estimant ce qu’ils peuvent perdre au pire, en sachant qu’ils peuvent se
permettre cette perte. Souvent ils expriment même qu’ils n’avaient « rien à perdre, tout à
gagner ». Cette approche propose un renversement des modèles classiques de prise de
décision sur la base d’une estimation des gains attendus (théorie néoclassique de
l’investissement ou raisonnement en retour sur investissement). Par exemple, un jeune
diplômé ou un cadre au chômage qui ambitionne de se lancer dans une activité libérale de
conseil peut se dire « Je travaille douze mois sur ce projet et si ça n’a pas pris dans douze
mois, je me mets à rechercher du travail. » Le coût d’opportunité de l’absence de salaire est
connu, les investissements sont modiques (ordinateur, déplacements…), donc le risque est
maîtrisé alors que l’espérance de gains est indéterminée.
« The crazy quilt principle5 ». Sarasvathy et ses collègues (2009) ont observé que les
entrepreneurs à succès ont tendance à multiplier les partenariats tous azimuts avec différents
types de parties prenantes dans l’intention de co-construire avec eux une offre de service sur
mesure. Silberzahn (2011) résume ainsi ce processus dynamique de co-construction : « la
démarche entrepreneuriale consiste donc non pas à résoudre un puzzle conçu par d’autres,
mais à assembler un patchwork avec des parties prenantes qui se sélectionnent ellesmêmes, sans que l’on puisse dire à l’avance avec qui le patchwork sera créé, et donc quelle
forme il prendra. »
Pour Sarasvathy (2001), l’entrepreneur a tendance à fonctionner selon une logique effectuale6 (en
partant de ce qu’il est, de ce qu’il connait et de son réseau) et non pas causale (qui partirait de
l’objectif stratégique pour évaluer les moyens nécessaires). Après cette présentation succincte de la
théorie de l’effectuation, nous allons présenter la théorie du but conscient de G. Bateson (1967).
5
P. Silberzahn (2011) traduit cette expression par principe du « patchwork fou ».
P. Silberzahn (2012) montre que la logique effectuale reposerait sur le paradigme de création (« on ne résout pas un
problème mais on définit de nouvelles possibilités à partir des ressources existantes ») alors que la logique causale
reposerait sur le paradigme du choix (décision en termes de choix parmi un certain nombre d’options existantes
identifiées) – Source : http://philippesilberzahn.com.
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Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
1.2. Le paradoxe du but conscient de G. Bateson (1967)
G. Bateson (1967) expose la théorie du « paradoxe de buts conscients » en montrant que les buts
conscients nous emmènent là où l’on ne veut pas aller….ou tout au moins pas là où nous
souhaitions aller. Tout se passe comme si le fait d’orienter la conscience vers ces buts nous coupait
des « processus récursifs adaptatifs » avec l’environnement. L’individu voit seulement la version
élaborée de manière réflexive d’une réalité complexe et donc ne perçoit qu’un faible pourcentage
de ce qui affecte les sens. Il est guidé dans cette perception par certains buts. Le problème c’est que
tout se passe comme si c’étaient les buts qui décidaient de ce dont l’individu allait prendre
conscience. Si Bateson applique ce raisonnement à l’échelle de l’individu, il l’applique également à
l’échelle d’une institution ou d’une science. Ce qui lui fait écrire que « si nous laissons nos buts
décider seuls de ce qui doit être examiné consciemment, nous n’obtiendrons jamais qu’un sac à
malices (…) » (Bateson, 1967 [1980 : 225]). Pour Bateson, lorsque notre conscience est organisée
en fonction d’un but, alors elle fonctionne comme un « dispositif court-circuité » qui ne nous permet
pas d’agir avec sagesse pour vivre en harmonie avec notre environnement mais seulement d’obtenir
rapidement ce que nous voulons dans l’immédiat. Le problème c’est que l’adjonction de la
technique moderne à ce système ancien du but conscient a tendance à augmenter le risque de
bouleversement des équilibres de l’organisme, de la société et du monde biologique. L’explosion
actuelle des risques psychosociaux, du burnout, des situations de harcèlement et des troubles
mentaux au travail ne seraient que des symptômes pathologiques de cette perte d’équilibre qui nous
menace.
Ainsi, pour Bateson, avoir des buts conscients et s’y tenir nous empêcheraient de percevoir les
feedbacks de notre environnement. Ces feedbacks auraient pu amener à une adaptation, un
ajustement (de nos pensées, de nos actions, de nos réactions…) qui auraient pu contribuer à
l’accomplissement de ce que l’on voulait faire. D. Gerbinet (2007) résume l’idée en montrant que le
fait de penser en termes de buts conscients nous pousse à « négliger la nature systémique de notre
environnement ». « La logique du but conscient ne prend pas en compte la causalité circulaire des
phénomènes naturels, elle ne tient pas compte des processus récursifs, des feed-backs de
l’environnement. » (Gerbinet, 2007). Or pour Bateson (1967) la nature systémique de l’être humain,
de la culture ainsi que du système écologique et biologique n’est pas discutable. Le hiatus tient dans
le fait que la conscience (« le réflexif »selon Bateson) attachée à un but devient aveugle à la nature
systémique de l’homme car elle « extrait de l’esprit global des séquences qui ne présentent pas la
structure en boucle qui caractérise l’ensemble de la structure systémique. » (Bateson, 1980). Une
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Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
cause n’entraînant pas un seul effet, selon la théorie générale des systèmes (principe de non causalité
linéaire) et puisque les actions humaines ont des répercussions systémiques et interactionnelles, on
ne peut pas réellement prévoir les conséquences d’une action. Selon G. Bateson, l’individu a
« juste » à s’adapter en souplesse lorsque l’effet émerge. Et précisément, nous avons pu observer
que c’est ce que font les entrepreneurs en continu.
Bateson nous met en garde : « Si vous suivez les ordres plein de "bon sens" de la conscience, vous
deviendrez rapidement avide et dépourvu de sagesse7. » (Bateson, 1980 : 227). Ainsi, en poussant le
trait, les entrepreneurs auraient plutôt intérêt à ne pas définir de stratégie au préalable, ne pas avoir
de « buts conscients ». Même s’ils dessinent les contours d’une stratégie - dans leur business plan
par exemple -, elle est alors souvent vécue comme théorique et ils peuvent très bien obtenir un effet
différent de celui imaginé. Et surtout leur champ perceptuel se trouve rétréci par une focalisation sur
l’objectif. Comme « la carte n’est pas le territoire », un business plan n’est qu’une carte qui n’est
pas supposé détailler toutes les nuances de l’activité entrepreneuriale, c’est plutôt un outil de
communication qui se construit et se reconstruit sans cesse chemin faisant pour les différentes
parties prenantes.
Le paradoxe du but conscient peut se formuler dans la formule paradoxale suivante : « Pour
atteindre le but, il faut l’abandonner. » (Bateson 1977 : 193). Là où Bateson (1967) rejoint la
théorie de l’effectuation de Sarasvathy c’est quand il prend l’exemple de l’artiste qui, s’il peut avoir
un but conscient, « doit nécessairement écarter toute arrogance au profit d’une expérience créatrice
où l’esprit conscient ne jouera plus qu’un rôle secondaire. » (Bateson, 1980 : 231). Pour Bateson,
c’est dans l’art créatif que l’homme peut « faire l’expérience de lui-même – de son "soi" total –
comme d’un modèle cybernétique », il arrive alors à la conclusion que l’homme est fait de « bribes
et de morceaux de l’étoffe dont les rêves sont faits » (Bateson, 1980 : 231). Pour compenser notre
propension excessive aux buts, Bateson invite l’individu à ouvrir sa conscience à l’art, la poésie, la
spiritualité. Cette ouverture est en résonance avec la méditation de pleine conscience (mindfulness)
qui consiste à se focaliser sur l’instant présent, sur ses sensations internes et perceptions en
suspendant tout jugement et toute poursuite d’un but conscient avec des conséquences positives sur
la santé et le bien-être (Clutterbuck, 1973 ; Segal et al., 2002 ; Wallace et al., 2006 ; Steiler, 2012).
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Bateson (1967) entend ce terme de “sagesse” la prise en compte dans notre comportement du savoir concernant la
totalité de l’être systémique.
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Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
De la même manière, D. Gerbinet (2007) utilise les écrits de Herrigel (1974) dans son article sur le
paradoxe du but conscient en montrant comment la métaphore de l’archer illustre la théorie de
Bateson. Le paradoxe de l’histoire est que pour atteindre ce but, il faut perdre la conscience du but.
En effet, ce qui est visé est un état où « l’archer n’a plus conscience de lui-même comme d’un être
occupé à atteindre le centre de la cible (…) l’archer, l’arc, la flèche et la cible ne constituent plus
des entités distinctes, mais constituent un même circuit cybernétique » (Gerbinet, 2007).
Enfin après avoir présenté la théorie du but conscient de G. Bateson (1967), nous allons exposer les
principales caractéristiques de l’approche de Palo Alto appliquée dans notre cas à
l’accompagnement d’entrepreneurs.
1.3. L’approche systémique et stratégique de Palo Alto
En relation avec les travaux de Bateson et notamment sa théorie de la double contrainte8 (double
bind) pour expliquer la schizophrénie (Bateson, 1969), les chercheurs de Palo Alto appliquent
efficacement les modèles logiques et cybernétiques (théorie des Types Logiques, paradoxes
logiques, feed-back…) à la communication humaine (Watzalawick, Beavin, Jackson, 1972 ;
Watzawick, Weakland, Fisch, 1975). Les chercheurs du groupe de Palo Alto ont remis en cause
l’orthodoxie de la communication humaine en proposant une théorie générale de la communication
fondée sur les travaux de Ruesch et Bateson (1951) pour laquelle « la communication est la matrice
dans laquelle sont enchâssées toutes les activités humaines » (Ruesch et Bateson, 1988 : 13).
De 1958 à 1962, Bateson, son groupe de recherche et l’équipe du MRI (Mental Research Institute)
ont des connexions indéniables. Watzalwick par exemple, s’appuie sur les travaux de Bateson dans
Une logique de la communication. Après le départ de Bateson du MRI, les chercheurs de Palo Alto
développent une approche plus spécifiquement thérapeutique en vue d’intervenir sur des situations.
Les prémisses théoriques de l’approche de Palo Alto sont systémiques et constructivistes,
interactionnelles, stratégiques, et enfin pragmatiques (Brasseur et al., 1998).
Le modèle de Palo Alto est :
8
Plus d’une centaine de publication sur cette théorie ont été rencensé par Y. Winkin (1981). Pour une synthèse claire,
nous renvoyons le lecteur à P. Watzlawick , J.H. Beavin et D. Jackson (1972 : 211-220).
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Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
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Un modèle systémique et constructiviste : il repose sur la théorie générale des systèmes
(Bertalanffy, 1973) qui comprend notamment trois propriétés importantes : a) la totalité :
« le tout est supérieur à la somme des parties » ; b) l’équifinalité : « à partir de conditions
initiales identiques, deux systèmes peuvent évoluer vers des états finaux différents et
réciproquement » ; c) l’homéostasie : « tout système tend à maintenir un équilibre
dynamique de fonctionnement ».
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Un modèle interactionnel : l’interaction dynamique entre les parties qui composent le
système est au centre du modèle. Les interactions entre l’individu et son environnement sont
permanentes : « on ne peut pas ne pas communiquer » selon la célèbre formule de
Watzlawick. L’individu est à la fois le résultat et le moteur de toutes ces interactions.
Lorsqu’un problème est traité avec cette approche, l’on va chercher les interactions
dysfonctionnelles : Ce n’est jamais une personne qui a un problème de manière
intrapsychique mais des interactions qui posent problème (avec les autres, avec elle-même
en pensée, avec son environnement…). C’est donc une façon de voir très différente de la
pensée analytique et intrapsychique dominante.
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Un modèle stratégique : D’après J-.J. Wittezaele (Colloque de mars 2006 – « changements
de comportements » à Namur) « Un problème c’est la même difficulté qui revient sans arrêt.
Et pourquoi est-ce qu’elle revient ? Et bien parce ce que ce qu’on a essayé de mettre en
place pour la résoudre n’a pas été efficace. Quand ce n’est pas efficace cela maintient et
même renforce le problème. Pour nous, c’est extrêmement important parce que la cible de
notre intervention va être dans un premier temps d’empêcher les personnes de recourir à
ces tentatives de solution inefficaces. Les personnes ont le sentiment d’avoir tout essayé
pour résoudre le problème. Pourtant c’est en fait leur manière de regarder le problème qui
limite les moyens qu’ils mettent en œuvre pour tenter de résoudre le problème » Un
problème c’est donc une difficulté qui a été mal résolue. « La souffrance psychologique
résulte d’une carte du monde inductrice d’une interprétation de la situation, souvent
considérée comme la seule possible, porteuse de souffrance et d’un mode d’interaction avec
les autres, souvent également perçu comme l’unique façon envisageable de résoudre un
problème insupportable alors qu’au contraire il contribue à le maintenir et à éprouver un
sentiment d’impuissance » (Brasseur, 2000). Si l’on trouve ce que la personne et/ou son
entourage a mis en place pour résoudre le problème et qui ne fonctionne pas (qui donc
maintient ou même renforce le problème) et que l’on fait en sorte qu’elle arrête de faire cela
et/ou fasse quelque-chose à 180° alors on obtient un changement dans le système qui permet
que le problème soit résolu.
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Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
Pour cela les praticiens du modèle de Palo Alto élaborent « une stratégie » qui va s’exprimer
au travers de « tâches » demandées à la personne qui affirme avoir un problème C’est en
effet extrêmement délicat d’amener les personnes à faire exactement l’inverse de ce qu’elles
font depuis très longtemps parfois. Ensuite il est demandé aux personnes d’effectuer des
« tâches » entre les séances parce qu’on pense que le plus important se passe en dehors des
séances, dans leur vie avec le problème… Elles vivent alors « une expérience émotionnelle
correctrice » (Alexander, 1959) qui amène le changement (soit par l’arrêt des tentatives de
solutions, soit par une action à 180° de ces tentatives de solution).
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Un modèle pragmatique : une grille de résolution de problèmes : Du fait des prémisses
systémiques, cybernétiques voire biologiques, la démarche est assez cadrée, presque
scientifique. Les praticiens du modèle de Palo Alto utilisent donc une grille de résolution de
problèmes très pragmatique :
o Quel est le problème ? En quoi et pour qui ?
En entreprise, dans une situation de harcèlement par exemple, il est très courant de tenter de
ramener à la raison l’agresseur, de le faire travailler avec un coach alors qu’il n’est pas du
tout client du changement : ce n’est pas un problème pour lui !
o Quelles sont les émotions associées au problème ?
Repérer les émotions permet ensuite soit de les faire diminuer afin de débloquer la situation,
soit de les utiliser de manière stratégique. (la colère peut être très utile pour amener une
personne a changer de comportement).
o Quelles sont les tentatives de solution ?
Quelles sont les éléments mis en place par une personne pour résoudre une difficulté et qui
ne fonctionnent pas ? Qu’est-ce qui a été essayé jusque là sans succès par la personne ou son
entourage personnel et/ou professionnel ?
o Quel est le thème des tentatives de solution ?
A un niveau logique supérieur, on va chercher une sorte de dénominateur commun aux
tentatives de solution. C’est un peu comme si c’était toujours la même musique qui était
jouée avec différents instruments. Ainsi, il nous faut trouver le thème musical pour changer
de morceau et pas seulement d’instrument. Si l’on ne fait pas cela, alors on reste au niveau
des actions et on n’englobe pas suffisamment le problème.
o Quel est donc le thème d’intervention ?
Une fois que l’on a trouvé le thème des tentatives de solutions alors on cherche le thème
d’intervention qui se trouve à l’opposé (à 180°) de ce que la personne a essayé de faire
jusqu’alors.
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Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
o Quelle tâche peut-on construire ?
La tâche est une action vis-à-vis du problème qui va permettre le changement. Les personnes
repartent par exemple, de séance avec des choses à faire, dire, penser qui selon la stratégie
construite amèneront un changement par l’arrêt des tentatives de solution ou une action à 180 °.
L’approche systémique et stratégique de Palo Alto est donc un modèle pragmatique qui refuse toute
forme de pathologisation définitive et propose une approche centrée sur des interventions brèves
(Fisch, Weakland et Segal, 1986 ; Wittezaele et Garcia, 1992) avec comme finalité non pas la
compréhension (pourquoi ?) mais le changement (comment faire autrement ?). Cette approche nous
semble particulièrement adaptée à la situation de l’accompagnement d’entrepreneurs qui sont avant
tout centrés sur l’action.
2. Le cadre méthodologique
Notre approche méthodologique prend la forme d’une recherche-action (Argyris et Schön, 1996)
qui vise non pas seulement à une compréhension généralisable du processus entrepreneurial mais à
forger de nouveaux outils d’accompagnement des entrepreneurs. Pour cela, nous avons accompagné
deux groupes de 8 entrepreneurs sur une durée de 12 mois dans le cadre d’un incubateur, à raison
d’une séance de 3 heures par mois. Nous avons aussi bien sûr utilisé toutes autres situations
d’accompagnement d’entrepreneurs vécues lors de modules de formation ou de rencontres moins
formelles. Nous avons mobilisé pour cet accompagnement le cadre théorique de Bateson ainsi que
l’approche systémique et stratégique de Palo Alto. Enfin, l’intervention a pris la forme d’un groupe
de codéveloppement professionnel (Champagne et Payette, 1997).
« Comment accompagner des entrepreneurs dans leur projet de création de manière plus durable ou
plus écologique au sens de Bateson ? » a été la question fil-rouge de cette recherche. Dans les
groupes de codéveloppement d’entrepreneurs, l’un après l’autre, les entrepreneurs participants ont
pris le rôle de « client » pour exposer un aspect de leur pratique d’entrepreneur qu’ils voulaient
améliorer ou une problématique que leur posait l’évolution de leur projet. Les autres ont agi comme
« consultants » pour aider ce client à sortir de sa difficulté en développant son pouvoir d’agir et en
élargissant la vision des enjeux systémiques dont était tissé sa problématique, son blocage ou sa
préoccupation. L’organisation des sessions s’est faite en suivant le cadre du codéveloppement
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Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
professionnel (Champagne et Payette, 1997 ; Hoffner-Lesure et Delaunay, 2011) car elle présente
trois avantages :
a) elle rend les participants acteurs de leurs apprentissages et de leur développement ce qui
convient bien à ce type de population habituée à agir, à faire, à expérimenter ;
b) elle est centrée sur la résolution de problèmes qui est bien l’objet de la grille de résolution de
problèmes du modèle de Palo Alto ;
c) elle repose sur une dynamique de groupe, développe l’intelligence collective et des
apprentissages fondées sur le partage de pratiques, la construction du sens et de l’identité qui
n’est pas sans rappeler les communautés de pratiques (Wenger, 1998).
d) Enfin, les entrepreneurs, dans ce cadre, apprennent à aider des participants et donc progressent
vis-à-vis de leur posture de manager et de chef d’entreprise tout en apprenant à devenir des
praticiens réflexifs (Schön, 1983).
Les séances de groupes se structurent en six étapes (Champagne et Payette, 1997) :
1. Exposé de la problématique, de la préoccupation ou de la question ;
2. Clarification : questions d’information et de clarification des « Consultants » et de
l’animateur (incluant notamment les « tentatives de solutions » qui entretiennent le
problème) ;
3. Contrat de consultation : résultat espéré et type de consultation souhaitée ;
4. Réactions, commentaires, suggestions, questions réflexives, questions stratégiques des
« consultants » (le client écoute, fait préciser et note).
5. Synthèse des pistes de résolution trouvées par le groupe : exemple : conception d’un plan
d’action, autres manières de regarder le problème, injonctions de tâches pour mettre un
terme aux « tentatives de solutions » et sortir du cercle vicieux…Etc
6. Conclusion : évaluation et assimilation des apprentissages par chacun en prenant des notes,
éventuellement synthèse d’un point théorique par le chercheur-intervenant facilitateur du
groupe.
Une des spécificités de notre intervention par rapport au processus original de codeveloppement est
l’utilisation du modèle Palo Alto qui empêche de tomber dans les tentatives de solution de
l’entrepreneur et donc de ne pas l’aider en lui proposant ce qu’il a déjà essayé ou ce que son
entourage lui conseille d’essayer et qui ne fonctionne pas.
L’autre spécificité est que nous intervenons sur le processus plus qu’un animateur. Notre posture est
plus proche de celle d’un superviseur : qui recadre et propose également des pistes de résolution de
problèmes.
13
Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
A l’issue de chaque groupe de codéveloppement, nous [D.R.] avons tenu un journal recherche en
rédigeant une synthèse réflexive de nos impressions et avancées à chacune des sessions et
complétant les verbatim pris en notes lors de la séance. Cela nous a permis de récolter un matériel
discursif relativement fiable, c’est-à-dire correspondant à ce que pense et ressent la personne lors de
la séance en essayant, grâce au questionnement stratégique, d’avoir une vision, si ce n’est objective,
du moins intersubjective, de la carte du monde mentale du participant et valide, c’est-à-dire pertinent
par rapport à notre projet de recherche.
De l’ensemble des séances de codéveloppement animées, nous avons choisi de construire deux cas
d’entrepreneurs composés de l’agrégation de plusieurs situations accompagnées dans le but de
servir notre projet d’un point de vue pédagogique. Ils ont été aussi inspirés des 7 années
d’intervention (NG) dans le département entrepreneuriat de l’EM lyon dans des programmes de
création virtuelle d’entreprise.
3. Résultats et discussion
Nous avons choisi de présenter les résultats sous formes de deux cas typiques d’accompagnement
d’entrepreneurs. Les deux situations que nous proposons sont donc des regroupements de verbatim
de plusieurs sujets que nous avons rassemblés pour construire des cas avec une visée pédagogique
de clarté dans la présentation des résultats. C’est aussi un choix de notre part, de faire cette
reconstruction, afin de respecter la confidentialité des situations.
Nous présentons les deux cas différents : Vincent : « réussir à tout prix » et Julie : « contrôler
l’incontrôlable » dans les sections suivante.
3.1. L’histoire de Vincent : « Réussir à tout prix »
Il entre dans la salle de l’incubateur où nous avons rendez-vous et je [N.G.] me dis : « Il est trop
chouette ce jeune ». Il s’appelle Vincent, il a 23 ans et il a créé son entreprise il y a un an encore
soutenu par l’école de commerce dont il est bientôt diplômé. En effet, je crois que son projet, qui le
passionne, lui a fait laisser quelques ardoises au prof de droit international !
Je le regarde avec sa chemise rose et son pantalon de costume gris …il est souriant, il me connaît, ca
va, mais je sens son malaise. Il m’a demandé un rendez-vous en urgence….
14
Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
« -Je suis contente de te voir Vincent mais qu’est-ce qui t’amène ?
-J’ai perdu la foi et je voulais vous voir, je pète les plombs.
-Ok, tu as perdu la foi, Vincent, c’est-à-dire ?
- Je n’arrive plus à faire ma prospection téléphonique, ni même à relancer les prospects que j’ai déjà
rencontrés, c’est l’horreur. »
J’apprends, au niveau contextuel, que son associé François déteste faire cela et est plutôt « l’artiste »
dans leur projet. François conçoit les propositions d’actions de communication et envisage les
campagnes. Ainsi, c’est plutôt Vincent qui porte le projet commercialement parlant. C’est lui qui
serre des mains et qui prospecte… Alors oui je comprends que c’est grave !
« -D’accord Vincent, tu n’as plus la foi, dis-je.
-Oui vous voyez le fameux adage, la loi des 3 F : « foi, fric, fun ». Et bien aujourd’hui, pour moi, il
n’y a plus rien. On ne gagne rien et je ne m’éclate plus. »
Mon expérience des jeunes porteurs de projets me fait me détendre…Je me dis, ok il est dans une
phase de creux de ces montagnes russes émotionnelles qu’ils doivent tous enchaîner à un rythme
frénétique. J’ai l’habitude… Mais quand même il a l’air si touché !...
Alors il m’explique :
« - J’ai beau avoir des listings de prospects faits par notre stagiaire Audrey, je n’arrive rien à faire :
je compose parfois le numéro et je raccroche au dernier moment…. ou pire, quelqu’un répond et je
prétexte une erreur…Impossible de parler ! »
Je dis : « - Ah bon et comment expliques tu cela ? Qu’est-ce que tu te dis à ce moment là ?
-Ben j’ai plus la foi quoi, cela me saoule.
-Ca te saoule ou tu crois quelque chose ? Qu’est-ce que tu te dis à ce moment précis où tu ne peux
parler ?
-Je crois qu’on va m’envoyer paître, je me dis que je vais me faire jeter.
- Et que dit François ou ton entourage ?
- François, trop rien, mais je vois qu’il commence à s’inquiéter car il m’a demandé hier le nombre
de prospects contactés depuis le début du mois. Quant à Amélie, ma copine, elle me dit de
m’accrocher de me fixer des objectifs d’appels par jour…
-D’accord, revenons à quand tu te dis que tu vas te faire jeter…..tu as le plus peur de quoi ?
-Peur qu’on me dise que mon positionnement est nul.
- C’est déjà arrivé ?
- Non mais j’ai peur de cela…
- Tu as peur que l’on te dise que ton positionnement est nul, Ok… Et quoi d’autre ?
- Bien, heu…que nous sommes trop chers.
15
Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
- D’accord…
Je me dis, alors, regardons ensemble ses peurs, j’ai cela en tête et je demande :
- Trop chers, et qu’est-ce qui pourrait se passer de pire ?
- Que j’enchaîne les conversations téléphoniques et les entretiens comme cela et qu’on me dise que
mon offre est nulle, que nous sommes trop chers et…
- Et quoi ? Que tu n’aies plus de clients ?
- Oui c’est exactement cela : que je sois et que nous soyons la risée de tout le monde, qu’on n’ait
plus de chiffre, plus rien…
- Et ?...
- Et que nous ne puissions plus nous verser nos SMIC ni même nous rembourser nos frais. Que nous
devions déposer le bilan et planter nos familles et nos potes qui ont mis de l’argent.
- Et encore quoi d’autre… ?
- Et voilà, ce serait l’horreur totale…Ma copine me quitterait ….et François avec son bébé et sa
femme : ils seraient à la rue et sans rien…c’est affreux.
- Et puis l’ensemble de ta famille te tomberait dessus pour demander des comptes et Amélie aussi en
disant que tous les week-ends et toutes les nuits à bosser où tu la délaissais furent vains et inutiles….
- Oui c’est cela.
- Et puis au niveau de l’école et de tes stagiaires ? Je continue à le questionner car je sens que nous
n’avons pas tout regardé en face encore et qu’il a d’autres peurs dans « sa manche »…
- Ben on laisserait tout le monde tomber et on passerait pour des blaireaux.
- Ah oui, en effet c’est terrible …Et qu’est-ce que tu ferais alors ?
- Ben je n’en sais rien, ce serait l’enfer.
- Tu chercherais un autre job ou tu relancerais un nouveau projet ? »
Je vois que ma question le désarçonne. Il n’était pas allé jusqu’au bout… et puis je freine : « -Non,
mais non, tu serais anéanti et tomberais probablement en dépression…Sans parler du fait que tu
serais sûrement obligé de retourner vivre chez tes parents.
- Oui, mais vous êtes atroce de me dire ces trucs…
- Oui Vincent, je regarde avec toi tes peurs et des scénarios qui pourraient se produire et qu’il
faudrait alors que tu assumes… Mais je crois que nous pourrions envisager encore d’autres
catastrophes et que nous n’avons pas tout exploré.
Je crois que tu vis une période très compliquée et très éprouvante et le souci du commercial puisque tu es celui qui le porte dans votre entreprise – t’obsède de plus en plus et c’est bien naturel.
Je crois que tu as de nombreuses peurs et qu’elles sont légitimes… il y en a probablement d’autres à
16
Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
venir et je vais te proposer quelque chose de difficile mais nécessaire pour envisager ce à quoi nous
n’avons pas encore pensé….
Ainsi, je vais te demander de poursuivre ce que nous avons commencé ensemble aujourd’hui et de
prendre, chaque jour, quinze minutes pour réfléchir au pire qui pourrait se produire : qu’est-ce qu’on
pourrait te répondre de vraiment horrible et insupportable en prospection commerciale ?
Voilà pour cet aspect précis de la prospection mais nous devons aller plus loin. Vincent, je veux que
tu répondes à la question suivante : Si tu étais sûr que ton entreprise ne marchera jamais, que feraistu ? »
Il est pétrifié et concentré et me dit : « D’accord je vais le faire », je sens sa voix qui vacille. Il note
notre rendez-vous quinze jours plus tard et sort en pilotage automatique, bouffi d’émotions…
Le principe là est de lui faire affronter le pire afin de réduire ses angoisses en prospection (imaginer
le pire de ce qu’on pourrait lui répondre), regarder les choses en face permet de faire baisser la
pression comme lorsqu’enfant l’on ose se lever pour s’approcher de l’ignoble monstre dans le coin
de notre chambre qui est en fait une couverture posée sur un tas de jouets. « Touchez les fantômes et
ils disparaissent » disait Paul Watzlawick. Il s’agit donc d’une prescription à 180° de ce qu’il tentait
de faire en n’y pensant pas trop et en essayant de s’auto convaincre en se disant « ça va bien se
passer ! »
Dans la 2ème partie du travail que nous lui avons demandé, nous sommes passés à un niveau
logique supérieur en « attaquant » son but conscient : il veut à tout prix réussir et nous sentons qu’il
est déjà bien braqué sur cela. D’expérience et conformément à la pensée de Bateson, nous avons
constaté que c’est une des meilleures manières de ne rien obtenir que de vouloir à tout prix atteindre
un but. Puisque, selon Bateson, si on est orienté vers un but conscient et seulement lui, alors on se
coupe de feedbacks de l’environnement, des autres, de son intuition qui pourraient permettre
justement d’atteindre ce but.
La semaine suivante, je [N.G.] revois Vincent. Il est devant moi et me dit :
« - C’était horrible votre question !
- Je sais Vincent, je suis navrée, mais le pire peut arriver et je préfère que l’on s’y prépare.
- J’ai paradoxalement bien dormi cette semaine et je me sens moins stressé. J’avais votre question
en tête souvent et je me suis dis en fait que si j’étais sûr que l’entreprise ne fonctionnera jamais et
bien j’abandonnerai de suite. Je tenterai de rembourser mes proches au fil du temps et chercherai un
poste en finance de marchés pour gagner enfin ma vie.
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Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
- D’accord donc tu ferais cela… et sinon sur tes peurs liées à la prospection et le « qu’est-ce qui
pourrait se passer de pire », comment cela s’est passé cette semaine avec cette tâche ?
- Je me suis dit qu’au pire on me dirait que notre offre ou notre prix ne convient pas et qu’il serait
toujours temps de réajuster. En plus j’ai pensé cette semaine que la prospection téléphonique n’est
pas adaptée à notre projet. J’ai donc pris des rendez-vous de réseau avec des contacts donnés par
notre premier client.
Ce qui s’est passé ensuite pour Vincent c’est que grâce à l’apaisement de sa peur, il s’est remis en
lien avec ces feedbacks internes (son intuition) et les feedbacks externes de son environnement. Il a
donc pratiquement arrêté la prospection « dans le dur » et a multiplié les contacts de réseau, redirigé
à chaque rendez-vous vers des personnes à même d’être intéressées par son offre. Ainsi l’offre a pu
considérablement changer : les rencontres avec son marché ont modifié leur politique de prix et ils
se sont positionnés sur une niche mieux identifiée par les parties prenantes.
La tâche prescrite d’imaginer le pire a permis de mettre un terme à ses efforts habituels pour dénier
ses peurs et à les remplacer par une pensée consciente sur ce qu’il pourrait se passer de pire dans la
prospection. Cette pensée centrée sur le pire qui était à 180° des efforts précédents pour échapper
aux sentiments de peur a eu pour effet de rouvrir le champ des possibles et d’envisager d’autres
possibilités pour prospecter. Ce mouvement effectué par Vincent a permis de renouer avec un
pouvoir d’agir qui se trouve plus en phase avec l’environnement. Du point de vue de l’effectuation
de Sarasvathy, nous pourrions dire que Vincent s’est reconnecté à « qui il était » en incluant ses
sentiments de peur du refus en situation de prospection, plutôt que de se couper de cette réalité, il a
réussi à l’inclure comme une ressource. Ensuite, la prise en compte de cette réalité subjective lui a
permis de connecter avec son intuition et l’intelligence qu’il a de son marché. Il est sorti de l’ornière
d’une « prospection aveugle dans le dure » pour faire avec « qui il connait », il s’est engagé dans
une démarche de prospection en s’appuyant sur son réseau professionnel et sur les
recommandations des premiers clients. Avec l’exercice du pire, il a conscientisé ce qu’il était prêt à
perdre (« Raisonnement en perte acceptable ») pour continuer son aventure entrepreneuriale. Et
enfin, en rencontrant des prospects et en discutant avec eux de son offre, il a commencé à coconstruire l’avenir avec eux (principe du « patchwork fou »).
Tout cela a été rendu possible aussi car il a lâché son but conscient de réussir son entreprise à tout
prix avec une vision restrictive de réussir en prospectant. Il a même envisagé échouer grâce à cette
question que nous lui avons posée.
18
Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
3.2. L’histoire de Julie : « contrôler l’incontrôlable »
Ce jour d’automne, l’ensemble des participants à notre séance de codéveloppement est arrivé au
compte goutte : ils sont si tendus par leurs projets ! Les appels aux clients potentiels, les prises de
rendez-vous, les dépôts des statuts pour certains, la recherche de nouveaux fournisseurs….
Ils arrivent avec smartphones, ordinateurs connectés et du stress plein la tête.
Aujourd’hui nous travaillerons sur la situation de Julie. D’un commun accord avec les autres
participants, c’est la question la plus délicate à traiter. En effet, chaque séance le groupe se met
d’accord sur les problèmes à traiter en priorité, nous ne programmons jamais à l’avance les sujets
afin de répondre à leurs besoins en temps réel.
Elle commence ainsi :
- J’ai deux problèmes : d’abord je ne sais pas si je dois lancer mon activité avec 2000 ou 4000
pièces : cela me stresse car on passe du simple au double. Si je pars avec un stock qui s’avèrera trop
faible alors je manquerai des ventes et si je vois trop grand, j’ai peur de rester avec de la
marchandise sur les bras. D’autre part, je me demande comment connaître les marges de mes
fournisseurs pour ne pas me faire avoir.
En effet, je bluffe avec eux en demandant des prix que j’imagine atteignables pour eux.
Seulement, je pense que je devrais avoir une grille précise pour travailler. Cela me rassurerait
d’avoir des références de calcul sur chaque catégorie de produits et être sûre que ce que je négocie
est adapté. De la même manière si j’exagère, j’ai peur qu’ils ne veuillent plus travailler avec moi et
alors je n’aurais plus de produits.
L’ensemble du groupe questionne pour mieux comprendre :
- Mais comment penses-tu que font tes concurrents ?
- En fait je n’en sais rien et je n’ai pas vraiment de concurrents pour l’instant.
- Est-ce que c’est déjà arrivé que tes fournisseurs disent non parce que tu exigeais un prix trop
faible ?
- Non mais c’est déjà difficile de les convaincre de me rencontrer alors je n’ai pas intérêt à être à
côté de la plaque…
Je [NG] reformule sa demande en gardant les distinctions qu’elle fait sur chaque problématique et
pressentant qu’il y a un thème plus large qui englobe ses inquiétudes.
Nous arrivons donc avec le contrat suivant :
- Julie tu souhaites donc que l’on t’aide à réfléchir à l’évaluation de tes stocks de départ et à
comment construire une grille de prix fournisseurs, c’est cela ?
- Oui, j’aimerais bien.
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Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
Chaque participant propose quelque chose. Ils reviennent sur comment elle a calculé ses quantités
pour donner une autre manière de calculer ou un conseil en fonction de ce qu’ils ont eux-mêmes fait
dans leur projet. Ils essaient aussi de proposer des voies alternatives pour trouver d’autres
fournisseurs et d’autres produits…
Nous sommes là vraiment dans l’opérationnel et Julie note frénétiquement les idées de ses pairs.
En fin de tour de table, je reprends la parole :
- « En fait Julie, corriges-moi si je me trompe, mais tu cherches à savoir quelles doivent être tes
quantités de départ, et tu souhaites être sûre de cela ? De la même manière tu cherches à trouver une
grille de calcul pour obtenir des prix de tes partenaires de manière adéquate, c’est bien cela ?
- Oui c’est cela.
- Or les quantités, comme te l’a dit le groupe, on ne peut pas vraiment savoir mieux que toi combien
prévoir. Tu peux à la limite imaginer ce que tu risques de perdre et éventuellement trouver un plan B
pour écouler les produits qui te resteront comme te l’a proposé Camille. Mais ce sont les seules
marges de manœuvre que tu as. Comme tout le monde ici, tu navigues à vue et c’est extrêmement
courageux de ta part. C’est un peu votre lot de jeune créateur d’entreprise de devoir sans cesse
bluffer comme tu dis. Le principal est de prendre une décision « la moins pire » possible en fonction
des données que tu as et de ton intelligence. La meilleure décision n’existe pas. Il s’agit de décider et
de rendre cette décision bonne en l’assumant
- Oui, enfin c’est difficile, j’aimerais bien avoir plus de données pour décider comme cette grille sur
mes prix…
- Je comprends Julie, mais justement à propos de cette grille, je voulais te demander existe-t-il
quelque part, quelqu’un qui a cette information ? Est-ce possible d’obtenir cette grille actuellement ?
- Non, je ne pense pas car c’est un nouveau marché et je propose aussi une nouvelle manière de
travailler. En effet…
- Exactement. Peut-être que tu pourras la construire petit à petit avec l’expérience et les mois ou
années de pratique sur le marché, non ?
- Si, si, je ne voyais pas les choses comme cela….
- Tu vois Julie c’est comme si tu cherchais à contrôler l’incontrôlable et à savoir avant de pouvoir
savoir. Alors le doute s’installe et tu te sens prise dans une cascade de doutes dont il est difficile
d’émerger. C’est bien cela ?
- Oui tout à fait : une question en amène deux autres puis encore deux autres…C’est exponentiel et
c’est infernal !
- En effet, je crois que cela fonctionne exactement comme cela. C’est comme un arbre des doutes.
Au départ il y a un tronc, la première question, puis quelques branches, d’autres questions, qui se
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Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
ramifient en une multitude d’autres branches plus fines…. Alors tu te perds dans des ramifications
où il n’y a pas de réponses.
- Oui c’est terrible et infini semble-t-il !
- C’est infini si tu laisses l’arbre des doutes se déployer. En fait dans ce genre de situation, il faut
absolument se demander : est-ce que quelqu’un, quelque part dans l’univers a une réponse à cette
question ? Si la réponse est « oui », alors vraiment il faut la chercher sans relâche. En revanche, si la
réponse est « non », comme pour ta grille, il faut couper comme un bûcheron au niveau du tronc
l’arbre des doutes. Le tronc étant la première question à laquelle personne n’a de réponse. J’aimerais
que tu puisses te dire : « Ok, personne ne peut, pour l’instant, répondre à cette question alors
j’arrête ».
De la même manière, pour toutes les questions que vous avez, tous, autour de cette table, toutes ses
« forêts de doutes », dites-vous que si une question arrive et que la réponse est introuvable, alors
bloquez-là : coupez au tronc les arbres des doutes !
Bien sûr, vous pouvez continuer et laisser pousser ces arbres de doutes mais alors, sachez que vous
vous apprêtez à vivre plus violemment les montagnes russes émotionnelles que vous subissez déjà.
Je n’ai pas trop envie que vous vous fassiez des tours de « Space Montain » en continu pendant des
mois voire des années…Vous allez vous faire du mal si vous faites cela. D’autre part, comme tu le
sais, Julie, lorsque l’on est dans les branches alors on retarde ou on évite la prise de décision ce qui
pourrait amener à bloquer l’entreprise. On pourrait même imaginer à terme qu’elle périclite de ce
fait. »
L’intervention, menée grâce au modèle de Palo Alto, a été d’abord, d’effectuer un recadrage. Le
recadrage permet de « recadrer la vision » de l’interlocutrice : on cherche à lui montrer sa situation
sous un autre angle qui ouvre des possibilités plus larges avec un effet apaisant.
Chercher à répondre à ces questions sans réponses du fait de la nouveauté du marché et du fait du
début de son activité, tétanisait Julie. Lui montrer cela et l’amener à se rendre compte qu’elle
pouvait choisir de faire autrement en décidant de bloquer ces questions a été libérateur.
La portée du recadrage a été ensuite appuyée grâce à la technique de « la plus grande peur ». En
effet, en lui disant qu’elle pouvait continuer à faire cela mais qu’elle risquait d’une part de souffrir
plus et d’autre part de faire péricliter son entreprise en ne prenant pas de décision, a permis d’asseoir
plus fermement cette nouvelle vision des choses.
4. Conclusion
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Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
Si un nombre croissant de recherches montrent que l’entrepreneur n’est pas guidé par une démarche
déterministe et linéaire visant à atteindre un objectif clair et défini (Dew, 2009 ; Taleb, 2007 ;
Silberzahn, 2012), les dispositifs pédagogiques et les démarches d’accompagnement des grandes
écoles et des universités ne semblent pas encore avoir pris acte de cette prise de conscience. Est-ce
là le symptôme d’une recherche académique, certes dominante par rapport à la pédagogie, mais qui
refuse de s’engager dans la transformation des pratiques pédagogiques ? Est-ce qu’on serait là face à
un nouveau syndrome de la connaissance inutile9 ?
Dans cet article, nous avons tenté un dialogue entre praticien et chercheur autour de la question
pragmatique « Comment accompagner des entrepreneurs dans leur projet de création de manière
plus efficace et plus durable ? ». Nous voulions éviter de tomber dans l’ornière d’un savoir
prédigéré constitué de recettes à appliquer qui pourrait guetter la théorie de l’effectuation en
essayant de l’articuler avec la pensée complexe de G. Bateson et notamment avec sa théorie du but
conscient ainsi qu’avec l’approche systémique et stratégique de Palo Alto.
Nous sommes conscients de n’avoir fait qu’ébaucher cette articulation nécessairement complexe.
Pourtant nous espérons que le lecteur pourra tirer profit de ce pont théorique que nous avons tracé et
qui a beaucoup à offrir, aussi bien du côté théorique que du côté pragmatique, à des enseignantschercheurs et des praticiens souhaitant innover sur le plan de la pédagogie et de l’accompagnement
dans le champ de l’entreprenariat :
-
Du côté théorique, les chercheurs pourraient d’avantage exploiter les ressources
considérables qu’offre la pensée de G. Bateson et celle de l’école de Palo Alto à une
expérimentation empirique de la théorie de l’effectuation, pour peu qu’ils acceptent d’aller
explorer et d’articuler plusieurs cadres théoriques pour conduire leur recherche et leurs
interventions ;
-
Du côté pragmatique, les praticiens pourraient développer des pratiques plus efficaces et
surtout plus élégantes (car moins coûteuses en temps et en souffrance psychique) à la
condition de le faire avec le modèle de Palo Alto et sa grille de résolution de problèmes et
sur la base d’une observation réflexive de leur pratique et de ce qui marche et ne marche
pas.
9
Cf. le livre éponyme de J.-F. Revel (1988).
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Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
-
En identifiant les tentatives de solution et/ou les buts conscients des entrepreneurs, les
praticiens de l’accompagnement pourraient alors les amener à plus de souplesse adaptative
et donc moins de souffrance.
Renforcer les liens entre chercheurs et praticiens revêt plus que jamais un caractère urgent pour
que nos institutions (universités et grandes écoles) demeurent en capacité d’offrir un
accompagnement utile aux entrepreneurs d’aujourd’hui, dans le monde en crise qui est le nôtre.
L’innovation pédagogique passe nécessairement par l’instauration d’espaces et de temps pour
conduire une vraie discussion centrée sur le métier d’entrepreneur, ses enjeux interactionnels,
stratégiques et identitaires. L’enjeu est de faciliter l’apprentissage d’une accession à
l’autonomie, à la liberté et à la responsabilité d’écrire soi-même son propre destin pour chaque
entrepreneur.
23
Gregory Bateson, but conscient, effectuation et accompagnement d’entrepreneurs
Remerciements
Les auteurs remercient les professeurs Emmanuel Abord de Chatillon (Université de Grenoble),
Fabienne Bornard (ESC Chambéry), Joseph Heili (ESC Chambéry) et Philippe Silberzahn (EM
Lyon) pour les discussions qui ont enrichi cet article.
Je [NG] remercie également Jean-Jacques Wittezeale (Institut Grégory Bateson) grâce à qui j’ai
découvert, comme une révélation, le modèle de Palo Alto et Dany Gerbinet (IGB) qui, par sa
passion pour Bateson, m’a amenée à rentrer dans les écrits de cet auteur incroyable.
Enfin, je [NG] remercie Régis Goujet qui me donne la possibilité de travailler depuis plusieurs
années avec des porteurs de projets à l’EM Lyon.
Les erreurs et insuffisances du texte ne sont bien sûr qu’imputables aux auteurs.
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