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19 JUIN 2014 France - Allemagne : Une coopération énergétique nécessaire Atelier animé par Jean-Marie Chevalier 19 Juin 2014 Faire connaître le fonctionnement énergétique de l’Allemagne pour générer des dynamiques économiques et industrielles franco-allemandes dans le domaine de l’énergie, tel était l’objectif de Jean-Marie Chevalier, en consacrant le 19 juin dernier dans une salle de conférence à l’Université de Paris Dauphine - un atelier à cette thématique. Pour convaincre son auditoire des perspectives qu’offrirait plus de coopération franco -allemande, le parrain de l’Observatoire Énergies d’Entreprises s’était entouré de six contributeurs*, qui ont détaillé la stratégie énergétique du gouvernement allemand, relevé ses forces et faiblesses et surtout dévoilé les opportunités de développement que recèle cette « Silicon Valley de l’Énergie ». * Jean-Marc Bazenet, responsable Finance et Administration chez EDF Allemagne, Mi chel Cruciani du Centre de Géopolitique de l'Énergie et des Matières Premières (CGEMP), Susanne Hounsell de l’IHS-CERA. Jean-Claude Perraudin, conseiller nucléaire et énergies renouvelables à l'Ambassade de France à Berlin, Mélanie Persem directrice de l’Office franco-allemand pour les énergies renouvelables et Philippe Vassilopoulos de l’Europeen Power Exchange (EPEXSpot). Le couple franco-allemand : une place à prendre au sein de l’Union européenne Un atelier consacré à présenter les caractéristiques du marché énergétique allemand puis à les comparer avec celles de la France s’est imposé comme une évidence à Jean-Marie Chevalier. « L’Europe se fait et se fera avec une coopération entre la France et l’Allemagne » a-t-il affirmé en préambule à son atelier. Ajoutant que le couple franco-allemand occupe une place fondamentale dans le paysage énergétique international, marqué par beaucoup d’interdépendance, d’énormes incertitudes et des surprises. « Qui aurait imaginé le développement massif du gaz de schiste aux États-Unis ou l’accident nucléaire majeur de Fukushima au Japon ? » Certes. Mais la France et l’Allemagne ont pris des options énergétiques différentes, alors comment les réunir autour de projets collaboratifs ? Jean-Marie Chevalier se veut positif. Les pays peuvent s’apporter mutuellement en partageant des retours d’expérience. Un exemple ? « Je remarque qu’émerge en France une prise de conscience des citoyens. Ceux-ci souhaitent participer à des décisions qui concernent leur quotidien, notamment énergétique. De même, les régions veulent devenir plus autonomes sur la question de l’énergie. Or, l’Allemagne, qui a une longueur d’avance sur ces -1- 19 JUIN 2014 questions-là, pourrait être une source d’inspiration extraordinaire ». L’intervention de ses six invités en a apporté la preuve. Les mots pour le dire Préalable indispensable pour bien comprendre le contexte énergétique en Allemagne : s’arrêter sur l’expression utilisée par les Allemands pour exprimer ce que nous appelons en France « la transition énergétique ». « En Allemagne, c’est "Energiewende" qui est utilisé et signifie littéralement le tournant énergétique. Cela a induit pour les Allemands des changements fondamentaux » relève Jean-Claude Perraudin, conseiller nucléaire et énergies renouvelables à l'Ambassade de France à Berlin. Les fondements de la stratégie énergétique allemande s’articulent désormais autour de 7 objectifs : l’abandon du nucléaire d’ici à 2022, la sécurité de l’approvisionnement, le maintien du niveau de l’industrie allemande, la compé titivité du prix de l’énergie, le développement des EnR, la préservation de l’environnement et le respect des objectifs européens en matière de gaz à effet de serre. Des objectifs ambitieux mais pas toujours conciliables ! À la fin de 2013, les sources de production en Allemagne se répartissaient de la manière suivante : 46 % charbon (houille + lignite), 15 % nucléaire, 10 % gaz, 5 % fioul, soit 76 % provenant des sources traditionnelles, 3 % hydroélectrique, 21 % éolien, photovoltaïque et biomasse, soit 24 % provenant de sources renouvelables. Nouveau cadre économique L’Allemagne essaie cependant de se donner les moyens de ses ambitions. « Pour réaliser son projet de passer à 40 % - 45 % d’énergies renouvelables dans la consommation électrique à horizon 2025, et à 55 % - 60 % d’ici à 2035, le pays a modifié ses instruments réglementaires. Aussi le mécanisme de soutien aux EnR a-t-il évolué » remarque Mélanie Persem de l’Office franco-allemand pour les énergies renouvelables. Comment ? Le gouvernement a décidé de sortir d’une logique de subventions trop généreuses. « Pour préserver la compétitivité des entreprises, l’Allemagne les a longtemps exemptées de participer au financement des EnR » rappelle Mélanie Persem. La liste des entreprises éligibles à l’exemption s’est restreinte et concernera surtout les technologies aux coûts de production bas. Par ailleurs, le gouvernement a mis en place un système de vente directe obligatoire de l’électricité renouvelable. Ainsi les EnR s’inscrivent dans une logique d’économie de marché d’offre et de demande. « Fin 2013, 50 % de l’électricité renouvelable a accédé à la vente directe : 89,4 % de celle provenant des capacités éoliennes, 49 ,8 % des capacités en biomasse, 43,6 % des capacités hydrauliques, 13,7 % des capac ités photovoltaïque ». Enfin les autoconsommateurs, -2- - 10 % de l’électricité produite est 19 JUIN 2014 autoconsommée en Allemagne – devront eux aussi contribuer au financement de la transition énergétique. Des citoyens partie prenante... jusqu’à un certain point Le passage à « l’Energiewende » n’a pas effrayé les Allemands. Au contraire... Sensibilisés depuis longtemps aux préoccupations environnementales, ils sont favorables aux énergies renouvelables. En témoignent le nombre d’installations photovoltaïques sur les résidences des particuliers, ainsi que le souligne Mélanie Persem. Toutefois, nuance Jean-Marc Bazenet, responsable Finance et Administration chez EDF Allemagne, « un récent sondage a révélé que le nombre de ceux qui trouve le prix à payer pour soutenir les énergies renouvelables trop élevé est augmentation ». Et pour cause. Entre 2000 et 2013, le prix du kWh est passé de 13,9 à 28,7 centimes d’euros pour les ménages allemands. « Cette hausse s’explique par le fait que le soutien actuel à la production d’électricité d’origine renouvelable entraîne une chute des prix sur les marchés de gros, et un resserrement de l’écart entre base et pointe » explique Michel Cruciani. Pas pour rien si l’expression « précarité énergétique » n’a fait son apparition en Allemagne que depuis peu, ainsi que le relève Jean-Claude Perraudin. Conséquence ? Face à la grogne qui enfle, le gouvernement encourage les consommateurs à faire jouer la concurrence, à comparer les prix entre fournisseurs et à changer de fournisseur d’énergie si nécessaire. Par ailleurs, « on assiste chez les particuliers à l’apparition du " Pro-sumer " » constate Susanne Hounsell de l’IHSCERA. « Il s’agit d’un consommateur proactif, dont la maison est souvent équipée d’installation s photovoltaïques, qui a donc conscience de son pouvoir de négociation avec les fournisseurs d’électricité ». Un marché allemand de l’énergie très diversifié L’Allemagne est un exemple de marché de l’énergie très diversifié, beaucoup plus diversifié que les autres pays européens. Il compte 4 TSO (Transmission System Opérator), près de 900 distributeurs de vente en gros et plus de 900 distributeurs de vente au détail. « Parmi les nouveaux vendeurs d’énergie, beaucoup de petites compagnies régionales, des coopératives communales et des agrégateurs de petits producteurs sont recensées » relève Philippe Vassilopoulos de l’Europeen Power Exchange (EPEXSpot). C’est pour ces nouveaux acteurs du marché de l’énergie que la Bourse Européenne de l’Électricité EPEX SPOT a ouvert, en mai dernier, une enchère d’un quart d’heure. « L’enchère, qui a lieu à 16 heures, sept jours sur sept, après l’enchère Day-Ahead pour les contrats horaires, permet la négociation des variations intrahoraires de production et de consommation planifiées ou prévues » précise Philipe Vassilopoulos. -3- 19 JUIN 2014 Ces enchères 15min permettent notamment aux producteurs d’énergies renouvelables, d’ajuster leurs positions horaires aux variations infra-horaires prévisibles. « Face aux enjeux de la transition énergétique, les marchés d'électricité peuvent aider à l'intégration des EnR et fournissent un débouché aux EnR sortant des dispositifs d'aide ». Ecueils qui guettent la stratégie énergétique de l’Allemagne Si le parti pris énergétique de l’Allemagne, tourné vers les EnR est ambitieux, il est néanmoins risqué, ainsi que le remarque Jean-Claude Perraudin. « Les équipements des EnR ne sont pas toujours les mieux adaptés aux endroits où ils ont été installés. De plus, les infrastructures de raccordement des EnR avec le réseau ont pris du retard ». Ce qui peut générer des troubles au niveau de la sécurité du réseau. Selon Jean-Claude Perraudin, le pays se trouverait face à trois sortes d’écueil. Premier d’entre tous, l’écueil économique : la nouvelle politique énergétique allemande pourrait avoir pour conséquence de fragiliser le tissu industriel. « Certes, le marché des EnR crée de l’emploi, du savoir-faire exportable, mais il en détruit par ailleurs ». Quid de la tentation de délocalisation des entreprises soucieuses de diminuer leur facture électrique ou d’éviter les micro-coupures électriques, génératrices de dégâts matériels ? L’autre écueil est social, avec la montée de la précarité énergétique, et la baisse de motivation des citoyens. « Ceux-ci commencent à être saturés par les installations photovoltaïques notamment, qui dégradent les paysages ». Le troisième écueil concerne l’image de l’Allemagne sur le plan international. « Si l’Allemagne qui donne l’exemple ne relève pas ses défis, elle pénalisera son image de marque ». Quelques différences de fond entre la France et l’Allemagne Les deux pays ne s’approvisionnent pas aux mêmes sources d’énergies, qu’elles soient conventionnelles ou renouvelables. « L’Allemagne utilise 46 % de charbon, la France 73 % de nucléaire » relève Michel Cruciani chargé de mission au Centre de Géopolitique de l'Energie et des Matières Premières (CGEMP). « Côté EnR, l’hydroélectricité représente 14 % en France contre 3 % en Allemagne ». Autre différence de fond, soulevée par Jean-Marc Bazenet, responsable Finance et Administration chez EDF Allemagne, « la politique énergétique allemande ne relève pas forcément de préoccupations climatiques. La preuve : les émission de CO 2 ont augmenté de 2,5 % car les Allemands utilisent plus de charbon et du lignite ». -4- 19 JUIN 2014 Et puis, contrairement à la France, l’Allemagne enregistre une baisse de sa natalité. Le pays a donc du mal à anticiper ses besoins en énergie de demain et les coûts qu’ils représenteront. « La France maîtrise mieux sa consommation finale d’électricité par habitant » précise Michel Cruciani. La consommation sectorielle finale d’électricité présente enfin des différences notables. « Celle du secteur industriel représente 43 % du total en Allemagne, contre 27 % en France, où elle décline régulièrement. Dans le secteur résidentiel et tertiaire, l’électricité concourt à 5 % des besoins en chaleur en Allemagne, contre 17 % en France » relève Michel Cruciani. Des fournisseurs d’énergie aussi chahutés en Allemagne qu’en France Les fournisseurs d’électricité allemands sont confrontés au même contexte économique difficile que les Français, ainsi que l’explique Suzanne Hounsell de l’IHS-CERA. Les raisons ? Elles sont multiples. Les revenus du marché de gros ont diminué : baisse des coûts des énergies traditionnelles en particulier du gaz, idem pour le charbon. De plus, les efforts des citoyens pour réduire leur consommation d’énergie impactent la demande qui, dans sa globalité, baisse. Le volume des ventes d’électricité diminue forcément. En revanche les coûts d’ exploitation, eux, augmentent : ils atteignent les 16 milliards de dollars. Mais précise Suzanne Hounsell, « si les consommateurs paient leur électricité plus chère, les opérateurs ne gagnent pas davantage, les investissements dans les EnR et le développement puis la maintenance de nouveaux réseaux étant de plus en plus élevés ». Sans parler des investissements que les fournisseurs traditionnels doivent fournir pour garder leurs clients.... Bref, les fournisseurs d’énergie sont obligés d’imaginer de nouveaux modèles économiques, allant vers plus de services offerts aux clients. Quelles coopérations possibles entre les deux pays ? En février dernier, la coopération franco-allemande a fait l’objet d’un conseil de ministres francoallemands, d’où il est ressorti des mesures concrètes : la mise en place à la fois d’une plateforme technologique pour développer les partenariats industriels et technologiques et d’une structure de coopération rassemblant l’ADEME et la DENA. Autres mesures : le renforcement de l’ OFAEnR en vue du traitement de l’industrialisation des technologies des transitions énergétiques, l’intensification de la coopération entre organismes de recherche (CEA, IFP-EN, Helmholtz, Université technique de Munich) et l’accompagnement de l’investissement privé et local via des instruments financiers développés par la caisse des Dépôts et la KfW (Kreditanstalt fu r Wiederaufbau). « Les domaines prioritaires identifiés par ce conseil des ministres sont les réseaux de transport d’électricité, le stockage électrique et le développement des technologies hydrogènes et solaires » dévoile Jean-Claude Perraudin. L’Allemagne est ouverte aux coopérations. D’ailleurs, -5- 19 JUIN 2014 parmi les objectifs envisagés pour soutenir les EnR d’ici à 2017, il y a le recours à des appels d’offre. « Sachant que l’Allemagne n’a pas d’expérience dans le domaine des appels d’offres sur éolien off shore, la France constituerait un partenaire idéal pour lancer des projets phares » révèle Mélanie Persem. Nouveaux marchés en lien avec la politique énergétique allemande « L’Allemagne, caractérisée par un marché énergétique très diversifié avec une cha îne de valeurs atomisée est souvent présentée comme la Silicon Valley de l’Energie » remarque Suzanne Hounsell. Avec raison, car les opportunités de développement y sont nombreuses. « Notamment, précise Jean-Marc Bazenet, dans l’innovation concernant la production décentralisée, les "smart grids", le stockage et la mobilité électrique ». Le potentiel de marché pour les solutions innovantes est estimé entre 35 et 60 milliards d’euros. « EDF fait d’ailleurs partie des pionniers qui investissent en Allemagne » ajoute Jean-Marc Bazenet. Elle le fait via deux entités, Ubricity, qui développe une solution innovante d’infrastructure de recharge pour les véh icules électriques à grande échelle et à moindre coût, et Electranova Capital, qui, elle, développe des piles à combustibles hautes températures pour différents marchés. Autre secteur à fort potentiel : l’immobilier intégrant des systèmes de stockage élec trique. « L’électricité coûtant chère en Allemagne, la tentation de l’auto-consommation se répand parmi la population » remarque Jean-Claude Perraudin. « Des prometteurs immobiliers proposent des maisons équipées d’un système de stockage d’énergie, pour être autonomes et non raccordées au réseau ». -6-