Extrait - Michel LAFON

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Extrait - Michel LAFON
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C.C. Hunter
Tome 4
Frémissements
Traduit de l’anglais (États-Unis)
par Marianne Roumy
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DÉJÀ PARUS
Nés à minuit, tome 1 : Attirances
Nés à minuit, tome 2 : Soupçons
Nés à minuit, tome 3 : Illusions
À PARAÎTRE
Nés à minuit, tome 5
Titre original
Shadow Falls, Whispers at Moonrise
© Christie Craig Hunter, 2012
Tous droits de traduction, d’adaptation
et de reproduction réservés pour tous pays.
Première publication en langue originale par
St. Martin’s Press, 2012.
Publié en accord avec St. Martin’s Press, LLC.
© Éditions Michel Lafon, 2013, pour la traduction française
7-13, boulevard Paul-Émile-Victor – Ile de la Jatte
92521 Neuilly-sur-Seine Cedex
www.lire-en-serie.com
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Pour Rose Hilliard, mon éditrice, et Kim Lionetti, mon agent,
pour m’avoir aidée à atteindre mes objectifs en écriture.
Pour mon mari, pour avoir fait le dîner, la vaisselle
et les lessives, et m’avoir permis de tenir les délais
et de réaliser mes rêves.
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Chapitre
1
K
ylie Galen se tenait sur le perron devant le bureau de
Shadow Falls ; la panique s’attaquait à sa santé mentale. Un coup de vent de fin août, toujours glacé par le
fantôme de son père qui s’en allait, releva ses longues
mèches blondes et les éparpilla sur son visage. Elle ne les
dégagea pas. Et ne respira pas non plus. Elle resta plantée
sur place, l’air coincé dans ses poumons, tout en regardant
fixement à travers ses cheveux les arbres qui s’agitaient
dans la brise.
Pourquoi fallait-il que la vie soit si dure ? La question ricocha
dans sa tête comme une balle de ping-pong devenue folle.
Puis la réponse lui vint naturellement.
Parce que tu n’es pas humaine du tout. Ces derniers mois, elle
s’était efforcée d’identifier le type de sang non-humain qui
coulait dans ses veines. Maintenant, elle savait.
Ou du moins, à en croire son cher père, elle était… un
caméléon. Comme un lézard, comme ceux qu’elle voyait
prendre le soleil dans son jardin. Bon d’accord, peut-être
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pas exactement, mais presque. Et dire qu’elle avait eu peur
d’être un vampire ou un loup-garou, parce que ce serait
un peu dur de s’habituer à boire du sang ou à se transformer les soirs de pleine lune ! Mais là, c’était… totalement
énigmatique. Son père devait se tromper.
Son cœur lui martela la poitrine, comme s’il cherchait à
s’échapper. Elle respira enfin. Inspira, puis expira. Ses
pensées passèrent soudain de l’histoire du lézard aux autres
mauvaises nouvelles.
Ces cinq dernières minutes, non pas une, ni deux, ni
trois, mais quatre incroyables révélations lui avaient donné
une sacrée claque. Et lui avaient ouvert les yeux.
Enfin, l’une d’elles ne pouvait pas être entièrement qualifiée de « mauvaise nouvelle » : Derek lui avait avoué qu’il
était amoureux d’elle. Mais pas de « bonne » non plus, loin
de là. Pas maintenant. Pas quand elle estimait que c’était
fini. Pas quand elle avait passé ces dernières semaines à
tâcher de se convaincre qu’ils étaient simplement amis.
Elle envisagea les quatre révélations, ignorant sur
laquelle se concentrer en premier. Ou peut-être que son
esprit savait, lui. Je suis un foutu lézard !
– Pour de vrai ? demanda-t-elle à voix haute.
Le vent du Texas vint lui voler ses paroles. Elle espérait
qu’il les porterait jusqu’à son père – où que fût allé l’attendre le mort qui ne l’était pas totalement.
– Sérieux, papa ? Un lézard ?
Bien sûr, il ne répondit pas. Après deux mois à s’occuper
d’un esprit ou d’un autre, son don de savoir communiquer
avec les fantômes, et surtout ses limites, réussissaient encore
à l’énerver.
– Merde !
Elle avança d’un autre pas vers la porte du bureau pour
se confier à Holiday Brandon, la directrice, puis s’arrêta.
Burnett James, le directeur, un vampire froid au toucher
mais chaud à regarder, était avec cette dernière. Comme
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Kylie ne les entendait plus se disputer, elle supposa qu’ils
faisaient tout autre chose. Du style « se roulaient une
pelle », « échangeaient de la salive » et « dansaient le tango
des langues ». Pour reprendre les expressions de Della, sa
vilaine coloc vampire. Ce qui signifiait sûrement que Kylie
était de mauvaise humeur. Mais elle en avait le droit, non,
après tout ce qui s’était passé ?
Serrant les poings, elle fixa la porte du bureau. Elle avait
déjà interrompu par inadvertance le premier baiser de
Burnett et Holiday, et elle ne tenait pas à recommencer
avec le second. D’autant que Burnett avait menacé de
démissionner de Shadow Falls. Holiday parviendrait sûrement à le faire changer d’avis, non ?
De plus, Kylie avait peut-être besoin de se calmer. De
se détendre et de réfléchir avant de se ruer chez Holiday,
énervée et de mauvaise humeur. Elle pensa alors à son tout
dernier problème de fantôme. Comment l’esprit de
quelqu’un qui était vivant pouvait-il lui apparaître ? C’était
une farce ? Oui, sûrement.
Elle jeta un coup d’œil autour d’elle pour s’assurer que
l’esprit de son père était vraiment parti. Le froid avait
disparu.
Elle tourna les talons, dévala les marches et fit le tour de
la terrasse jusqu’à l’arrière du bureau. Elle se mit à courir,
souhaitant connaître le sentiment de liberté qu’elle éprouvait lorsqu’elle filait vite comme une non-humaine.
Le vent souleva la robe noire qu’elle avait mise pour les
funérailles d’Ellie et fit danser l’ourlet sur ses cuisses. Ses
pieds avançaient en rythme, les baskets qu’elle portait
d’habitude ne lui manquaient pratiquement pas, mais une
fois qu’elle arriva en lisière de la forêt, elle s’arrêta brusquement. Si brusquement que les talons de ses chaussures
creusèrent de profondes ornières dans la terre.
Elle ne pouvait pas aller dans les bois. Elle n’avait pas
d’escorte – la personne incontournable qui la suivait pour
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éviter le méchant Mario et ses potes, si jamais ils décidaient
d’attaquer.
De réattaquer.
Jusque-là, les tentatives du vieil homme pour la tuer
s’étaient révélées vaines, mais par deux fois, elles avaient
provoqué la mort de quelqu’un d’autre.
La culpabilité palpita dans son cœur déjà serré. Puis la
peur. Mario avait montré jusqu’où il était prêt à aller, qu’il
pouvait être mauvais au point de tuer son propre petit-fils,
juste sous ses yeux. Comment pouvait-on être malfaisant à
ce point ?
Elle regarda fixement la rangée d’arbres et les feuilles
qui dansaient dans la brise. C’était une tranche de vie tout
à fait normale, qui aurait dû l’apaiser.
Mais les bois, ou plutôt ce qui était tapi à l’intérieur, la
défiaient presque d’entrer. La narguaient pour qu’elle traverse l’épaisse rangée d’arbres. Déroutée par cette étrange
sensation, elle tâcha de la repousser, mais celle-ci s’intensifia.
Elle inspira l’odeur verte de la forêt et, alors, elle sut.
Avec certitude.
Avec clarté.
Mario n’abandonnerait jamais. Tôt ou tard, elle devrait
l’affronter de nouveau. Et ce ne serait ni serein, ni tranquille, ni paisible. Seul l’un d’entre eux s’en sortirait.
Tu ne seras pas seule. Les paroles résonnaient en elle,
comme pour lui offrir la paix. En vain. Les ombres entre
les arbres dansaient sur le sol, l’appelaient, lui faisaient
signe. Pourquoi, elle l’ignorait.
L’appréhension lui serra la poitrine. Elle enfonça un peu
plus ses talons dans la terre, et celui de sa chaussure droite
se brisa – un petit craquement inquiétant qui ponctua le
silence.
– Merde !
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Elle regarda fixement ses pieds. Ce seul mot semblait
avoir été extirpé du vide, ne laissant qu’un sinistre bourdonnement.
Alors, elle l’entendit.
Quelqu’un poussait un soupir rauque. Si ce bruit n’était
qu’un murmure, elle savait que son propriétaire se tenait
juste derrière elle. Tout près. Et comme aucun froid mortel
ne l’entourait, elle comprit qu’il ne provenait pas du monde
des esprits.
Le bruit reprit. Quelqu’un emplissait ses poumons d’air
vivifiant. Bizarre qu’elle craignît désormais les vivants plus
que les morts.
Son cœur s’arrêta brusquement dans un silence sourd.
Un peu comme les sillons laissés dans la terre par ses talons
de huit centimètres, sa peur croissante creusa des ornières
profondes et douloureuses dans son courage, et elle frissonna.
Elle n’était pas prête. Si c’était Mario, elle n’était pas
prête. Quel que soit le plan ou le destin qu’elle devait suivre,
il lui fallait plus de temps.
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Chapitre
2
–
T
u… vas… bien ?
Pas la voix de Mario. Celle de Derek.
Le ton familier avait chassé sa panique initiale, mais
seulement une seconde. Je t’aime, Kylie. L’aveu que le jeune
homme lui avait fait moins d’un quart d’heure plus tôt
ressurgit brusquement dans son cerveau, accompagné
d’une nouvelle tempête affective, qui tournoya dans sa tête
et son cœur. Derek l’aimait. Mais elle, que ressentait-elle ?
Elle se déplaça légèrement, et son talon droit se détacha,
lui faisant perdre l’équilibre. Voilà comment était sa vie :
comme si elle avait perdu un talon et que son seul choix
était d’avancer en boitant.
– Qu’est-ce qui ne va pas ?
La voix du demi-Fae était teintée d’inquiétude.
Je vais bien. Les mots étaient perchés sur le bout de sa
langue, mais Kylie les avala. Derek pouvait lire en elle. Lui
mentir sur son état émotionnel ne servirait à rien. Alors,
elle se tourna pour lui faire face.
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– Que fais-tu ici sans escorte ? lui demanda-t-il. Tu n’es
pas censée te balader toute seule, au cas où ce vampire
bizarre reviendrait.
Lorsqu’elle croisa le regard de Derek, elle constata que
l’anxiété faisait briller ses yeux. Elle savait que l’agitation
qu’elle y décelait était également la sienne. Quand elle
souffrait, lui aussi. Quand elle éprouvait de la joie, lui aussi.
Quand elle redoutait quelque chose, lui aussi. Vu son état
affectif de ces dernières minutes, il devait vivre un enfer.
Son torse se gonfla sous le T-shirt vert cendré. Il mit une
main sur son ventre musclé, aspirant de l’air dans ses
poumons. Ses cheveux châtain foncé étaient ébouriffés par
le vent et sa frange collait à son front, où perlait de la sueur.
L’espace d’une seconde, elle n’eut qu’une seule envie : tomber dans ses bras et laisser son contact apaisant chasser
l’appréhension en elle.
– Est-ce… ce que j’ai dit ? demanda-t-il. Si oui… je le
retire. Je n’ai pas voulu te déchirer.
On ne pouvait pas retirer une déclaration d’amour,
pensa-t-elle. Pas si elle était sincère. Mais elle n’en dit rien.
– Ce n’est pas ce que tu as dit. (Puis elle s’aperçut que
cela aussi était un mensonge. Cet aveu semait la pagaille
dans ses sentiments.) Enfin, ce sont aussi d’autres choses.
– Lesquelles ? (Il haletait en parlant. Il la chercha du
regard, et elle vit les mouchetures or s’éclairer dans ses iris.)
Je sens que tu es terrifiée, et perdue, et…
– Mais je vais bien.
Elle remarqua de nouveau qu’il était à bout de souffle,
comme s’il avait parcouru deux kilomètres à la course pour
la rejoindre. Était-ce le cas ?
– Où étais-tu passé ?
Il aspira profondément une nouvelle bouffée d’oxygène.
– Dans mon bungalow.
Plus de deux kilomètres.
– Tu as ressenti mes émotions de si loin ?
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– Oui.
Il fronça les sourcils, comme s’il espérait qu’elle ne lui
en voudrait pas. Elle n’aimait pas qu’il puisse déchiffrer ses
sentiments, mais elle ne lui en tenait pas rigueur. Il lui avait
confié une fois que s’il pouvait arrêter de les lire, il le ferait.
Elle le croyait.
– Tu n’avais pas dit que cela s’atténuait ? fit-elle. Cela
continue-t-il à te rendre fou ?
Son épaule gauche se releva de quelques centimètres.
– C’est encore très fort, mais pas aussi puissant qu’avant ;
je peux faire avec, maintenant que je…
Maintenant qu’il avait accepté de l’aimer. C’est ce qu’il
lui avait raconté. C’est pour cela que leur lien était devenu
si puissant. Sa poitrine s’alourdit de nouveau d’indécision.
Tant mieux si l’un d’entre eux pouvait le supporter. Parce
qu’elle, elle n’était pas sûre d’en être capable. Pas s’il
l’aimait. Pas avec les révélations qu’on lui avait faites. Du
moins pas en ce moment.
– Qu’est-ce qui ne va pas ?
Il se rapprocha. Si près qu’elle pouvait sentir l’odeur de
sa peau – une odeur de terre, véritable, réelle.
La tentation de se ruer dans ses bras la submergea. Elle
brûlait d’envie de ressentir le mouvement de sa poitrine qui
montait et redescendait quand il respirait, de laisser ce qui
appartenait au passé faire partie de l’avenir. Refermant ses
poings serrés, elle passa devant lui en boitant avec son talon
cassé, se posta devant un arbre et se laissa glisser par terre,
plus fraîche que la chaleur de l’air. Les brins d’herbe lui
chatouillèrent les jambes, mais elle les ignora.
Il n’attendit pas qu’elle l’invite et s’agenouilla à son côté.
Pas assez près pour la toucher, mais suffisamment pour
qu’elle en ressente l’envie.
– Donc, il n’y a pas que ça ? demanda-t-il.
Elle hocha la tête, et la décision de se confier à lui sembla
déjà prise.
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– Mon père m’est apparu. (Elle se mordit la lèvre.) Il
m’a expliqué ce que j’étais.
Derek eut l’air perplexe.
– Je croyais que c’était ce que tu attendais ?
– Oui, mais… il a affirmé que j’étais un caméléon.
Comme un lézard.
Ses sourcils s’arquèrent, puis il gloussa.
Elle n’apprécia pas sa candeur. Sa panique ressurgit,
trois fois plus forte. Elle avait voulu découvrir ce qu’elle
était afin que les autres l’acceptent, afin de s’intégrer, mais
si, en fin de compte, elle était quelqu’un d’anormal ?
– Je déteste les lézards ! Ils sont exactement comme les
serpents – des minuscules créatures aux yeux exorbités, qui
rampent sur la terre et qui avalent des petites bestioles.
(Elle contempla de nouveau le bois, imaginant une brigade
de lézards lui rendre son regard.) J’ai vu une émission, un
jour, qui montrait un lézard à longue langue qui s’enfilait
une araignée au ralenti. C’était dégoûtant !
Derek secoua la tête, toute trace d’humour disparaissant
de ses yeux.
– Je n’ai jamais entendu parler de lézards surnaturels.
En es-tu certaine ?
– Je ne suis sûre de rien, voilà ce qui est flippant. Ne
pas savoir. (Elle frissonna.) Sérieusement, il vaut mieux
boire du sang qu’avoir une langue comme ça et manger
des insectes.
– Peut-être qu’il s’est trompé. Tu as bien dit que les
fantômes avaient du mal à communiquer, non ?
– Au début, oui, mais à présent, les propos de mon père
sont tout à fait limpides.
Derek ne sembla pas convaincu.
– Mais d’après toi, qu’est-ce que c’est qu’un surnaturel
caméléon ? Il change de couleur ?
Kylie laissa ses paroles faire le tour de son cerveau.
– C’est peut-être ça ?
– Tu peux changer de couleur ?
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Le doute apparut sur son visage.
– Non, mais si ça se trouve, je peux modifier ma configuration. Comme mon grand-père et ma tante qui avaient
l’air humain. Et moi aussi, à l’instant présent.
– Ou alors ton père fait une rechute et il est tout simplement confus. Parce que je n’ai jamais entendu parler de
surnaturels qui savaient changer leur configuration cérébrale.
– Et moi ? fit-elle. Et mon grand-père et ma tante ?
Il haussa les épaules.
– Holiday a affirmé que c’était sûrement un sorcier qui
avait jeté un sort sur ton grand-père et sur ta tante.
– Sur moi aussi ? demanda Kylie.
– Non, mais… d’accord, je n’ai pas la réponse. Et je sais
que tu es contrariée. Mais tu m’as dit que ton vrai grandpère allait te rendre visite, non ? Je suis sûr qu’il t’expliquera
tout.
– Oui.
Elle mordit sa lèvre inférieure.
Derek la dévisagea.
– Autre chose ne va pas, n’est-ce pas ?
Elle soupira.
– Quand j’ai demandé à mon père ce que ça signifiait,
être un caméléon, il m’a répondu que nous le découvririons
ensemble.
– Et pourquoi est-ce que tu n’es pas contente ?
Kylie enfonça une porte ouverte.
– Il est mort, et il est limité dans ses visites terrestres.
Donc, ça signifie que je vais bientôt mourir ?
– Non, pas du tout, répliqua Derek.
Sa conviction rendit son ton plus grave.
Elle allait lui rétorquer qu’il ne pouvait pas en être sûr
à cent pour cent, mais comme elle voulait le croire, elle se
retint. Elle regarda fixement l’herbe et tâcha de s’apaiser,
sachant que son grand-père viendrait dans deux jours,
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sachant qu’elle avait vendu la mèche. Et en effet, elle se
sentait légèrement mieux.
– Tu en as parlé à Holiday ?
Il se pencha et son épaule heurta la sienne. Sa chaleur,
son contact apaisant chassèrent une partie de son angoisse.
Elle secoua la tête.
– Pas encore. Burnett est avec elle dans son bureau.
Kylie n’avait toujours pas réfléchi à cette histoire de
fantôme. Si l’esprit de quelqu’un apparaissait devant vous
alors que cette personne n’était pas morte, qu’est-ce que
cela signifiait ? Les réponses éventuelles firent peu à peu
trembler son cœur.
– Je pense que cela a une certaine importance, dit-il.
– Je sais, mais…
– Il y a autre chose, n’est-ce pas ?
Elle leva les yeux. Lisait-il ses sentiments ou son esprit ?
– Problèmes de fantômes.
– Quel genre ?
De tous les résidents, Derek était le seul que le mot
« fantôme » ne faisait pas fuir.
– Cette personne n’est pas morte.
– Donc ce n’est pas un fantôme.
Derek semblait perdu. Kylie se mordit la lèvre.
– Oui… enfin… au début, il avait complètement l’aspect
d’un zombie – la peau qui pendille, des vers – puis il a
changé. Et son visage s’est transformé en celui de quelqu’un
que je connais.
– Comment est-ce possible ? s’enquit-il.
Elle marqua une pause.
– Je ne sais pas, c’est peut-être un tour.
– Ou pas. Tu ne crois pas que quelqu’un va mourir ?
Plus personne, avait-elle envie de hurler.
– Je ne sais pas.
Elle arracha quelques herbes.
– Qui est-ce ? demanda-t-il. Pas quelqu’un d’ici, n’est-ce
pas ?
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Un poids pesa sur la poitrine de Kylie. Elle ne voulait
rien dire, de crainte que cela devienne réel.
– Je dois y réfléchir.
Derek blêmit.
– Oh, mince ! C’est moi ?
– Non.
Elle jeta les touffes d’herbe et les regarda tourbillonner
dans le vent. Quand elle reposa les yeux sur lui, elle sentit
qu’il lisait ses émotions, déchiffrait leur signification.
– Cette personne compte beaucoup pour toi. Lucas ?
Une voix grave et irritée se fit brusquement entendre.
– Quoi, Lucas ?
Kylie vit Lucas surgir entre les arbres. Ses yeux étaient
d’un orange furieux. La culpabilité la fit tressaillir une
seconde, puis elle la refoula. Elle ne faisait rien de mal.
– Rien, lâcha Derek, comme elle ne disait pas un mot.
(Il se leva et avança d’un pas vers le bureau. Il marqua une
pause et la regarda, puis jeta un œil sur Lucas.) Nous discutions, c’est tout. Ne joue pas les loups-garous avec elle.
Lucas gronda. Derek tourna les talons, visiblement insensible à la colère du garçon. Kylie arracha une autre poignée
d’herbe.
– Je n’aime pas ça.
Lucas la fixa.
– Nous bavardions, c’est tout, expliqua-t-elle. Je lui
parlais d’un esprit et… lui disais qu’il ressemblait à
quelqu’un que j’aime, et il m’a demandé si c’était toi. Tu
devrais être rassuré qu’il sache que tu comptes pour moi.
Lucas se renfrogna encore plus. Était-ce à cause de Derek
ou parce qu’elle avait évoqué les fantômes ? L’incapacité
de Lucas à accepter qu’elle collabore avec les esprits lui
faisait de la peine.
– Il a des sentiments pour toi, répliqua-t-il.
– Nous bavardions, c’est tout.
– Ça me rend fou.
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Ses yeux étincelaient d’un orange foncé.
– Qu’est-ce qui te rend fou ? Que je discute avec Derek
ou que je parle de fantômes ?
– Les deux. (Il y avait une telle honnêteté dans sa voix
qu’elle ne pouvait pas lui en vouloir.) Mais c’est surtout
l’idée que tu passes du temps avec cette espèce de fée.
Qu’il insulte Derek la fit tressaillir. Puis, sans trop savoir
quoi dire, elle se leva. Oubliant son talon manquant, elle
faillit trébucher. Il la rattrapa par le coude.
Elle croisa son regard, toujours marqué par sa colère de
loup-garou. Mais son contact était tendre et bienveillant,
sans aucune trace de la fureur qu’elle avait lue dans ses
yeux. Elle se souvint que certaines de ses réactions étaient
instinctives ; on ne pouvait pas lui en vouloir. Une autre
partie d’elle-même savait que cela n’excusait rien.
Elle soupira.
– Nous en avons déjà parlé. J’aide les esprits, Lucas.
Cela ne changera probablement jamais.
– Oui, mais ils te fichent une sacrée trouille. Ils me
fichent une sacrée trouille.
Kylie se tendit.
– Parce que tu crois que lorsque tu te transformes en
loup, cela ne me fait pas peur ?
– Ce n’est pas la même chose, ce sont des fantômes,
Kylie. Ce n’est pas… naturel.
– Parce que se métamorphoser en loup, ça l’est ? rétorqua-t-elle, sarcastique.
Il soupira.
– D’accord, de la part de quelqu’un qui a vécu sa vie
en tant qu’humain, je comprends ce que tu veux dire. Et,
même si je suis sûr que je n’aimerai jamais cette partie de
toi qui communique avec les fantômes, je fais des efforts
pour l’accepter. Mais admettre que tu passes du temps avec
Derek n’est pas facile, car je sais que s’il en avait l’occasion,
il te volerait à moi sans hésiter.
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Elle ravala des émotions à vif et lui toucha le torse. Sa
chaleur transperça sa chemise et imprégna sa paume.
– Je comprends ce que tu ressens. Parce que j’éprouve la
même chose quand je te vois avec Fredericka. Et c’est bien
pour cela que je ne peux pas te demander de la repousser.
Il posa sa main sur la sienne, et une douce supplication
envahit son regard.
– Ce n’est pas pareil. Fredericka fait partie de ma meute.
Elle secoua la tête.
– Et Derek est un copain.
– Exactement. C’est ce qui change tout. Un ami, ce n’est
pas la même chose que le membre d’une meute.
– Pour moi, c’est pareil. (Elle secoua de nouveau la tête.)
Penses-y. Tu es loyal envers les membres de ta meute. Tu
les défendrais sans hésiter. Tu as de l’affection pour eux.
C’est ce que je ressens pour mes amis.
– C’est parce que tu n’es pas un loup-garou. Ou du
moins, pas encore. (Il posa sa main libre sur sa taille et
l’attira un peu plus contre lui.) Espérons que bientôt, cela
deviendra évident pour toi.
Je ne serai jamais un loup-garou. Elle le regarda. Son regard
ne trahissait plus sa colère, et elle décela de l’affection tout
au fond de ses yeux bleus. Elle comptait pour lui. Elle en
était sûre et certaine. Et peut-être que pour cette raison elle
hésitait à lui dire ce qu’elle savait. Elle s’aperçut qu’elle
n’avait eu aucun scrupule à le révéler à Derek. Pourquoi
parvenait-elle à se confier à celui-ci et pas à Lucas ?
Ennuyée, elle se força à dire :
– Je ne suis pas un loup-garou.
– Tu n’en sais rien. Le fait que tous tes sens se développent avant la pleine lune et que tu connaisses des sautes
d’humeur doit bien avoir une signification.
Elle secoua la tête.
– Non. Je n’en suis pas un. Je le sais.
Il plissa les yeux de confusion.
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– Tu… Comment ?
– Mon père est revenu me voir. Il m’a dit que j’étais un
caméléon.
La perplexité envahit son regard.
Elle fronça les sourcils.
– Je ne sais pas au juste ce que cela signifie.
– C’est n’importe quoi ! (Il la relâcha.) Ça n’existe pas.
Ce n’est pas parce qu’une espèce de fantôme a dit…
– Ce n’était pas « une espèce de fantôme ». C’était mon
père.
– Et ton père est un fantôme.
Que ce soit délibéré ou pas, cela avait tout d’une insulte.
Ses paroles et son comportement la piquèrent au vif. Elle
ôta sa main de son torse chaud. Tout le chaos affectif qu’elle
avait ressenti un peu plus tôt tourbillonna en elle.
– Je sais que c’est un fantôme, répliqua Kylie. Et
j’aimerais qu’il ne soit pas mort. J’aimerais savoir ce qu’il
entendait par là. J’aimerais que tu puisses m’accepter telle
que je suis. Mais je ne peux pas changer le fait que mon
père ait disparu juste avant ma naissance. Je n’y peux rien
si je ne comprends pas ce qu’il voulait dire. D’ailleurs, je
ne comprends pas un dixième de ce qui se passe dans ma
vie en ce moment. Et j’ai le sentiment que tu ne pourras
jamais m’accepter pour ce que je suis.
– Ce n’est pas vrai.
Le déni durcit son expression.
– Si.
Elle s’en alla en boitant.
Elle l’entendit la supplier de rester. Elle l’ignora. Puis
elle s’arrêta et se pencha pour se déchausser. Quand elle
se redressa, son regard fut attiré par la rangée d’arbres
– par leurs feuilles qui s’agitaient, même sans vent. Elle
ressentit de nouveau la sensation inexplicable qu’on l’invitait à y entrer. Aussi tentant cela fût-il, elle tourna les talons
et s’éloigna de la forêt et de Lucas.
Quelque part, elle se dit que ce n’était pas bien.
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Chapitre
3
L
es pieds nus de Kylie filaient sur la terre à toute allure.
Elle entendit le mélange de voix qui venait du réfectoire, où tout le monde s’était rassemblé après les funérailles
d’Ellie. Ellie, morte à cause de Mario.
Une nouvelle vague de culpabilité la submergea. Elle
accéléra encore. Elle ne voulait pas rejoindre le groupe.
Elle… avait besoin… d’être seule.
Elle était presque arrivée devant son bungalow lorsqu’elle
ressentit un courant d’air la croiser à toute allure. Un courant d’air de vampire. En chasse, peut-être.
Kylie se força à presser le pas et se prépara mentalement
à se battre. Non pas qu’elle ait la moindre chance de remporter une bataille contre un vampire. Quelle que soit sa
super force, elle ne lui servait qu’à aider autrui.
Une protectrice, l’appelaient les autres surnaturels. Mais
comment pouvaient-ils la surnommer ainsi alors qu’elle
n’avait pas protégé Ellie ? Même les dons de guérisseuse
de Kylie avaient échoué. Comme c’était injuste qu’elle
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puisse ressusciter un oiseau, mais pas une amie… Elle en
aurait payé le prix. Quelle que soit le morceau d’âme
qu’elle eût été obligée de donner pour sauver Ellie.
Elle ressentit de nouveau, le courant d’air qui la croisa
à toute allure. Cette fois, elle vit un rideau de cheveux
bruns raides tourbillonner au vent. Un vampire, clairement.
Mais pas en chasse.
Della apparut à côté d’elle, courant elle aussi à tombeau
ouvert. Mais c’était un vampire, elle avançait avec aisance,
comme pour faire son jogging quotidien.
– Où est le problème ?
La chevelure foncée de Della, qui révélait ses origines
asiatiques, volait derrière elle comme un drapeau.
– C’est toi, le problème. (Kylie s’arrêta dans un sursaut.)
Je ne supporte pas que tu me croises à toute allure sans
que je puisse deviner que c’est toi. Je me sens menacée.
J’ai l’impression d’être une… proie.
– Zut alors, dit Della de sa voix trahissant sa mauvaise
humeur habituelle. Excuse-moi de me faire du souci. Je t’ai
entendue cavaler comme une dératée et j’ai cru que l’on
te poursuivait.
– Désolée, personne ne me court après.
Le regard de Kylie se reposa brusquement sur les bois.
Ils me narguent juste pour me faire entrer dans la forêt, pour que
je les affronte. Mais qui était-ce et pour quelle raison ? Avant,
elle avait cru que c’était Mario, mais si elle s’était trompée ?
– Que s’est-il passé ? demanda Della.
Kylie arracha ses yeux de la forêt.
– Rien.
Della inclina sa tête de côté, comme si elle écoutait le
cœur de Kylie, cherchait des signes de mensonge. Elle roula
des yeux.
– Menteuse, menteuse, ton nez s’allonge !
Kylie grommela.
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– D’accord, je mens. Et Pinocchio ne m’arrive pas à la
cheville !
– Waouh, tu es de charmante humeur ! Et à cause de
quoi ?
– De toi.
Son ton mordant la fit tressaillir.
Della se fendit d’un grand sourire, comme si elle appréciait la colère de Kylie. Celle-ci se mit en route.
– Qui est censé t’escorter ? demanda-t-elle.
– Je ne sais pas.
Le regard de Kylie se posa brusquement sur le bois, et
la sensation fut plus forte que jamais. Elle détala le long du
chemin, repoussant ses limites. Elle ne s’arrêta pas avant
d’être arrivée à son bungalow. Elle avait des crampes
d’estomac à force de courir. Elle s’affala sur leur terrasse.
– Alors, que s’est-il passé ? demanda Della, qui n’avait
même pas de mal à respirer et se laissa lourdement tomber
à côté d’elle.
Quelque chose m’appelle dans les bois.
Ça paraissait fou. Kylie ne pouvait pas le dire. Elle
regarda Della. Les yeux noirs légèrement en amande de sa
coloc semblaient sincèrement inquiets, et cela lui donna
l’impression d’être une garce.
– Désolée, je suis de sale humeur.
– Ce qui est tellement rare, rétorqua Della. J’adore !
Kylie roula des yeux et décida de jouer franc-jeu :
– As-tu déjà entendu parler des caméléons ?
– Oui.
– Vraiment ? Et que sais-tu sur eux ?
– Ce sont des lézards qui changent de couleur. Selon
Chan, ils n’ont pas trop mauvais goût. À Hawaii, les vampires du coin vendent leur sang. Il est censé être aussi bon
qu’un O négatif.
– Non.
Kylie remonta ses genoux et les serra.
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– Non quoi ?
– Euh… les caméléons sont-ils une sorte de surnaturels ?
– Un lézard surnaturel ?
Della rit.
Kylie sursauta.
– Hé, dit son amie en s’affalant à son côté. Qu’est-ce
qui ne va pas ?
Kylie ouvrit la porte du bungalow d’un coup et reposa
les yeux sur sa coloc.
– Tout va mal.
– C’est à cause d’Ellie ?
La voix de Della révélait une émotion qu’elle cachait
d’habitude.
Le cœur de Kylie se serra davantage.
– Oui, c’est à cause d’Ellie. Et c’est parce que je suis un
lézard. C’est un tout, quoi.
– Tu es un lézard ?
Le sérieux disparut des yeux de Della, qui se fendit d’un
grand sourire.
Kylie passa la porte à toute allure, puis se retourna d’un
coup.
– Oui, tu es un vampire. Et moi, je suis un lézard, alors
autant s’y faire, et maintenant !
Le sourire railleur de Della s’en alla.
– Tu as fumé la moquette ? Sérieux, pour moi, tu es un
loup-garou. Ce nouveau comportement de râleuse est
hyper révélateur !
– Parce que les vampires ne râlent jamais ?
Kylie roula des yeux.
– Non, nous sommes casse-pieds. Casse-pieds et râleurs,
ce sont deux choses complètement différentes.
Della entra. Sa tentative de faire de l’humour était censée
l’aider, pas lui faire du mal.
Mais Kylie n’était pas d’humeur.
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– Je ne suis pas un loup-garou. (Les larmes lui piquèrent
les yeux.) Si c’était le cas, alors Lucas serait heureux et tout
irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Della ouvrit la bouche en grand.
– Tu es sérieuse ? Qui t’a dit que tu étais un lézard ?
– Mon père.
Les yeux de Della s’écarquillèrent.
– Tu délires ?
– Pas du tout.
Della s’affala sur le canapé et passa la pièce en revue à
toute allure.
– Est-il présent en ce moment ?
– Non.
– Ouf. (Elle se frappa les cuisses.) Peut-être qu’il avait
fumé quelque chose ?
Kylie leva ses yeux remplis de larmes au ciel.
– Tu pourrais arrêter de balancer des vannes ?
Della prit un coussin qu’elle lui jeta dessus.
– Tu vois, c’est l’attitude de loup-garou qui ressort
encore !
Kylie virevolta sur elle-même pour entrer dans sa chambre, mais avant qu’elle n’arrive à la porte, Della se planta
d’un coup devant elle. Flippante, la vitesse d’un vampire !
– Très bien, dit-elle. Je vais essayer d’être sérieuse…
mais c’est de la folie ! Je sais que tu ne veux pas le croire,
mais on te fait sûrement une farce. Un lézard surnaturel,
ça n’existe pas. Tu n’as qu’à lui demander.
– Demander à qui ?
La porte d’entrée du bungalow claqua lorsque Miranda
entra. Ses cheveux blonds détachés étaient parsemés de
rose, de vert et de noir. Kylie ignorait si son amie se servait
de ses pouvoirs de Wiccan ou d’une coloration maison pour
colorer sa chevelure.
Miranda fronça les sourcils.
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– Pourquoi m’as-tu laissée en plan ? demanda-t-elle à
Della.
Celle-ci fit la grimace.
– Désolée, Kylie est en pleine crise. Je ne peux jouer les
Super Copines qu’avec une seule d’entre vous à la fois.
Miranda regarda Kylie.
– Quel genre de crise ?
D’habitude, la jeune fille partageait tout avec ses colocs.
Mais à cet instant, elle regretta de ne pas avoir fermé sa
bouche. Tout ce temps, elle avait voulu savoir ce qu’elle
était et pensait que cela résoudrait tout, mais voilà qu’elle
le savait et se sentait plus perdue que jamais.
– Une belle crise de reptile ! pouffa Della en flanquant
sa main à sa bouche. (Puis elle lança un regard d’excuse à
Kylie.) Oups !
– Quoi ? fit Miranda.
Della laissa tomber une main sur sa hanche.
– Explique à Kylie que les lézards surnaturels, ça n’existe
pas.
– Perry peut se transformer en lézard. (Les yeux de
Miranda brillaient de fierté.) Hier, il s’est changé en…
– Arrête, lâche-nous avec Perry ! (Della colla ses deux
mains sur son ventre.) Promis, je vais gerber.
– Ce que tu peux être vache ! la rembarra Miranda.
– Je ne suis pas vache, j’en ai juste marre d’entendre
des trucs sur Perry. « Les orteils de Perry sont si mimi !
Perry a la plus belle des taches de rousseur derrière l’oreille
droite » et patati et patata…
– Tu es jalouse, c’est tout ! Parce que tu n’as pas de
chéri, alors que Kylie et moi en avons un !
Avait. Kylie avait un copain. Elle ne savait pas trop ce qui
allait advenir entre Lucas et elle, à présent. Ses supplications
pour qu’elle ne s’enfuie pas résonnaient dans son cœur.
– Jalouse ? lui hurla Della. Arrête, je préfère encore
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avaler mon propre cœur que devenir transie d’amour
comme toi !
Miranda leva la main et agita le petit doigt – un signe
sûr qu’une incantation allait jaillir de ses lèvres. Les yeux
de Della brillèrent et elle montra ses canines.
– Arrêtez ! (Kylie laissa aller son regard de l’une à
l’autre. Elle ne pouvait plus les supporter.) Oh, et puis non,
continuez. Vous deux, vous menacez de vous entretuer
depuis que je suis arrivée ici, et je n’en peux plus ! Alors,
allez-y, tuez-vous et abrégez mes souffrances, que l’on en
finisse !
Intérieurement, elle tressaillit de nouveau. Elle ne le pensait pas. Pas même maintenant, quand elle était furieuse,
mais peut-être qu’un peu de psychologie inversée pourrait
aider ces deux-là.
Miranda et Della regardèrent fixement Kylie, comme si
elle avait perdu la tête, et elles avaient sûrement raison,
mais c’était en partie leur faute. Leurs chamailleries
constantes lui avaient fait péter les plombs.
– Allez, qu’attendez-vous ? Tuez-vous ! Et arrangezvous pour que ce soit divertissant.
Elle croisa les bras et les foudroya du regard. Elle se mit
à taper du pied droit, exactement comme sa mère quand
elle allait piquer une colère.
Les yeux de Della retrouvèrent leur couleur noire et ses
canines disparurent sous sa lèvre supérieure. Miranda
baissa son petit doigt menaçant. Alors comme ça, la psychologie inversée avait marché. Ah ah ah ! Qui l’eût cru ?
– C’est quoi son problème ? demanda Miranda à Della,
comme si Kylie était trop perturbée mentalement pour
qu’elle s’adresse à elle.
– Aucun, répondit-elle, hyper rageuse. C’est vous qui en
avez un !
Della jeta un coup d’œil à Miranda et haussa les épaules.
– Elle se prend pour un lézard.
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