Extrait - Michel LAFON
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Extrait - Michel LAFON
- Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 1 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 2 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 3 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 4 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 5 C.C. Hunter Tome 4 Frémissements Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marianne Roumy - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 6 DÉJÀ PARUS Nés à minuit, tome 1 : Attirances Nés à minuit, tome 2 : Soupçons Nés à minuit, tome 3 : Illusions À PARAÎTRE Nés à minuit, tome 5 Titre original Shadow Falls, Whispers at Moonrise © Christie Craig Hunter, 2012 Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction réservés pour tous pays. Première publication en langue originale par St. Martin’s Press, 2012. Publié en accord avec St. Martin’s Press, LLC. © Éditions Michel Lafon, 2013, pour la traduction française 7-13, boulevard Paul-Émile-Victor – Ile de la Jatte 92521 Neuilly-sur-Seine Cedex www.lire-en-serie.com - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 7 Pour Rose Hilliard, mon éditrice, et Kim Lionetti, mon agent, pour m’avoir aidée à atteindre mes objectifs en écriture. Pour mon mari, pour avoir fait le dîner, la vaisselle et les lessives, et m’avoir permis de tenir les délais et de réaliser mes rêves. - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 8 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 9 Chapitre 1 K ylie Galen se tenait sur le perron devant le bureau de Shadow Falls ; la panique s’attaquait à sa santé mentale. Un coup de vent de fin août, toujours glacé par le fantôme de son père qui s’en allait, releva ses longues mèches blondes et les éparpilla sur son visage. Elle ne les dégagea pas. Et ne respira pas non plus. Elle resta plantée sur place, l’air coincé dans ses poumons, tout en regardant fixement à travers ses cheveux les arbres qui s’agitaient dans la brise. Pourquoi fallait-il que la vie soit si dure ? La question ricocha dans sa tête comme une balle de ping-pong devenue folle. Puis la réponse lui vint naturellement. Parce que tu n’es pas humaine du tout. Ces derniers mois, elle s’était efforcée d’identifier le type de sang non-humain qui coulait dans ses veines. Maintenant, elle savait. Ou du moins, à en croire son cher père, elle était… un caméléon. Comme un lézard, comme ceux qu’elle voyait prendre le soleil dans son jardin. Bon d’accord, peut-être 9 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 10 pas exactement, mais presque. Et dire qu’elle avait eu peur d’être un vampire ou un loup-garou, parce que ce serait un peu dur de s’habituer à boire du sang ou à se transformer les soirs de pleine lune ! Mais là, c’était… totalement énigmatique. Son père devait se tromper. Son cœur lui martela la poitrine, comme s’il cherchait à s’échapper. Elle respira enfin. Inspira, puis expira. Ses pensées passèrent soudain de l’histoire du lézard aux autres mauvaises nouvelles. Ces cinq dernières minutes, non pas une, ni deux, ni trois, mais quatre incroyables révélations lui avaient donné une sacrée claque. Et lui avaient ouvert les yeux. Enfin, l’une d’elles ne pouvait pas être entièrement qualifiée de « mauvaise nouvelle » : Derek lui avait avoué qu’il était amoureux d’elle. Mais pas de « bonne » non plus, loin de là. Pas maintenant. Pas quand elle estimait que c’était fini. Pas quand elle avait passé ces dernières semaines à tâcher de se convaincre qu’ils étaient simplement amis. Elle envisagea les quatre révélations, ignorant sur laquelle se concentrer en premier. Ou peut-être que son esprit savait, lui. Je suis un foutu lézard ! – Pour de vrai ? demanda-t-elle à voix haute. Le vent du Texas vint lui voler ses paroles. Elle espérait qu’il les porterait jusqu’à son père – où que fût allé l’attendre le mort qui ne l’était pas totalement. – Sérieux, papa ? Un lézard ? Bien sûr, il ne répondit pas. Après deux mois à s’occuper d’un esprit ou d’un autre, son don de savoir communiquer avec les fantômes, et surtout ses limites, réussissaient encore à l’énerver. – Merde ! Elle avança d’un autre pas vers la porte du bureau pour se confier à Holiday Brandon, la directrice, puis s’arrêta. Burnett James, le directeur, un vampire froid au toucher mais chaud à regarder, était avec cette dernière. Comme 10 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 11 Kylie ne les entendait plus se disputer, elle supposa qu’ils faisaient tout autre chose. Du style « se roulaient une pelle », « échangeaient de la salive » et « dansaient le tango des langues ». Pour reprendre les expressions de Della, sa vilaine coloc vampire. Ce qui signifiait sûrement que Kylie était de mauvaise humeur. Mais elle en avait le droit, non, après tout ce qui s’était passé ? Serrant les poings, elle fixa la porte du bureau. Elle avait déjà interrompu par inadvertance le premier baiser de Burnett et Holiday, et elle ne tenait pas à recommencer avec le second. D’autant que Burnett avait menacé de démissionner de Shadow Falls. Holiday parviendrait sûrement à le faire changer d’avis, non ? De plus, Kylie avait peut-être besoin de se calmer. De se détendre et de réfléchir avant de se ruer chez Holiday, énervée et de mauvaise humeur. Elle pensa alors à son tout dernier problème de fantôme. Comment l’esprit de quelqu’un qui était vivant pouvait-il lui apparaître ? C’était une farce ? Oui, sûrement. Elle jeta un coup d’œil autour d’elle pour s’assurer que l’esprit de son père était vraiment parti. Le froid avait disparu. Elle tourna les talons, dévala les marches et fit le tour de la terrasse jusqu’à l’arrière du bureau. Elle se mit à courir, souhaitant connaître le sentiment de liberté qu’elle éprouvait lorsqu’elle filait vite comme une non-humaine. Le vent souleva la robe noire qu’elle avait mise pour les funérailles d’Ellie et fit danser l’ourlet sur ses cuisses. Ses pieds avançaient en rythme, les baskets qu’elle portait d’habitude ne lui manquaient pratiquement pas, mais une fois qu’elle arriva en lisière de la forêt, elle s’arrêta brusquement. Si brusquement que les talons de ses chaussures creusèrent de profondes ornières dans la terre. Elle ne pouvait pas aller dans les bois. Elle n’avait pas d’escorte – la personne incontournable qui la suivait pour 11 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 12 éviter le méchant Mario et ses potes, si jamais ils décidaient d’attaquer. De réattaquer. Jusque-là, les tentatives du vieil homme pour la tuer s’étaient révélées vaines, mais par deux fois, elles avaient provoqué la mort de quelqu’un d’autre. La culpabilité palpita dans son cœur déjà serré. Puis la peur. Mario avait montré jusqu’où il était prêt à aller, qu’il pouvait être mauvais au point de tuer son propre petit-fils, juste sous ses yeux. Comment pouvait-on être malfaisant à ce point ? Elle regarda fixement la rangée d’arbres et les feuilles qui dansaient dans la brise. C’était une tranche de vie tout à fait normale, qui aurait dû l’apaiser. Mais les bois, ou plutôt ce qui était tapi à l’intérieur, la défiaient presque d’entrer. La narguaient pour qu’elle traverse l’épaisse rangée d’arbres. Déroutée par cette étrange sensation, elle tâcha de la repousser, mais celle-ci s’intensifia. Elle inspira l’odeur verte de la forêt et, alors, elle sut. Avec certitude. Avec clarté. Mario n’abandonnerait jamais. Tôt ou tard, elle devrait l’affronter de nouveau. Et ce ne serait ni serein, ni tranquille, ni paisible. Seul l’un d’entre eux s’en sortirait. Tu ne seras pas seule. Les paroles résonnaient en elle, comme pour lui offrir la paix. En vain. Les ombres entre les arbres dansaient sur le sol, l’appelaient, lui faisaient signe. Pourquoi, elle l’ignorait. L’appréhension lui serra la poitrine. Elle enfonça un peu plus ses talons dans la terre, et celui de sa chaussure droite se brisa – un petit craquement inquiétant qui ponctua le silence. – Merde ! 12 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 13 Elle regarda fixement ses pieds. Ce seul mot semblait avoir été extirpé du vide, ne laissant qu’un sinistre bourdonnement. Alors, elle l’entendit. Quelqu’un poussait un soupir rauque. Si ce bruit n’était qu’un murmure, elle savait que son propriétaire se tenait juste derrière elle. Tout près. Et comme aucun froid mortel ne l’entourait, elle comprit qu’il ne provenait pas du monde des esprits. Le bruit reprit. Quelqu’un emplissait ses poumons d’air vivifiant. Bizarre qu’elle craignît désormais les vivants plus que les morts. Son cœur s’arrêta brusquement dans un silence sourd. Un peu comme les sillons laissés dans la terre par ses talons de huit centimètres, sa peur croissante creusa des ornières profondes et douloureuses dans son courage, et elle frissonna. Elle n’était pas prête. Si c’était Mario, elle n’était pas prête. Quel que soit le plan ou le destin qu’elle devait suivre, il lui fallait plus de temps. - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 14 Chapitre 2 – T u… vas… bien ? Pas la voix de Mario. Celle de Derek. Le ton familier avait chassé sa panique initiale, mais seulement une seconde. Je t’aime, Kylie. L’aveu que le jeune homme lui avait fait moins d’un quart d’heure plus tôt ressurgit brusquement dans son cerveau, accompagné d’une nouvelle tempête affective, qui tournoya dans sa tête et son cœur. Derek l’aimait. Mais elle, que ressentait-elle ? Elle se déplaça légèrement, et son talon droit se détacha, lui faisant perdre l’équilibre. Voilà comment était sa vie : comme si elle avait perdu un talon et que son seul choix était d’avancer en boitant. – Qu’est-ce qui ne va pas ? La voix du demi-Fae était teintée d’inquiétude. Je vais bien. Les mots étaient perchés sur le bout de sa langue, mais Kylie les avala. Derek pouvait lire en elle. Lui mentir sur son état émotionnel ne servirait à rien. Alors, elle se tourna pour lui faire face. 14 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 15 – Que fais-tu ici sans escorte ? lui demanda-t-il. Tu n’es pas censée te balader toute seule, au cas où ce vampire bizarre reviendrait. Lorsqu’elle croisa le regard de Derek, elle constata que l’anxiété faisait briller ses yeux. Elle savait que l’agitation qu’elle y décelait était également la sienne. Quand elle souffrait, lui aussi. Quand elle éprouvait de la joie, lui aussi. Quand elle redoutait quelque chose, lui aussi. Vu son état affectif de ces dernières minutes, il devait vivre un enfer. Son torse se gonfla sous le T-shirt vert cendré. Il mit une main sur son ventre musclé, aspirant de l’air dans ses poumons. Ses cheveux châtain foncé étaient ébouriffés par le vent et sa frange collait à son front, où perlait de la sueur. L’espace d’une seconde, elle n’eut qu’une seule envie : tomber dans ses bras et laisser son contact apaisant chasser l’appréhension en elle. – Est-ce… ce que j’ai dit ? demanda-t-il. Si oui… je le retire. Je n’ai pas voulu te déchirer. On ne pouvait pas retirer une déclaration d’amour, pensa-t-elle. Pas si elle était sincère. Mais elle n’en dit rien. – Ce n’est pas ce que tu as dit. (Puis elle s’aperçut que cela aussi était un mensonge. Cet aveu semait la pagaille dans ses sentiments.) Enfin, ce sont aussi d’autres choses. – Lesquelles ? (Il haletait en parlant. Il la chercha du regard, et elle vit les mouchetures or s’éclairer dans ses iris.) Je sens que tu es terrifiée, et perdue, et… – Mais je vais bien. Elle remarqua de nouveau qu’il était à bout de souffle, comme s’il avait parcouru deux kilomètres à la course pour la rejoindre. Était-ce le cas ? – Où étais-tu passé ? Il aspira profondément une nouvelle bouffée d’oxygène. – Dans mon bungalow. Plus de deux kilomètres. – Tu as ressenti mes émotions de si loin ? 15 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 16 – Oui. Il fronça les sourcils, comme s’il espérait qu’elle ne lui en voudrait pas. Elle n’aimait pas qu’il puisse déchiffrer ses sentiments, mais elle ne lui en tenait pas rigueur. Il lui avait confié une fois que s’il pouvait arrêter de les lire, il le ferait. Elle le croyait. – Tu n’avais pas dit que cela s’atténuait ? fit-elle. Cela continue-t-il à te rendre fou ? Son épaule gauche se releva de quelques centimètres. – C’est encore très fort, mais pas aussi puissant qu’avant ; je peux faire avec, maintenant que je… Maintenant qu’il avait accepté de l’aimer. C’est ce qu’il lui avait raconté. C’est pour cela que leur lien était devenu si puissant. Sa poitrine s’alourdit de nouveau d’indécision. Tant mieux si l’un d’entre eux pouvait le supporter. Parce qu’elle, elle n’était pas sûre d’en être capable. Pas s’il l’aimait. Pas avec les révélations qu’on lui avait faites. Du moins pas en ce moment. – Qu’est-ce qui ne va pas ? Il se rapprocha. Si près qu’elle pouvait sentir l’odeur de sa peau – une odeur de terre, véritable, réelle. La tentation de se ruer dans ses bras la submergea. Elle brûlait d’envie de ressentir le mouvement de sa poitrine qui montait et redescendait quand il respirait, de laisser ce qui appartenait au passé faire partie de l’avenir. Refermant ses poings serrés, elle passa devant lui en boitant avec son talon cassé, se posta devant un arbre et se laissa glisser par terre, plus fraîche que la chaleur de l’air. Les brins d’herbe lui chatouillèrent les jambes, mais elle les ignora. Il n’attendit pas qu’elle l’invite et s’agenouilla à son côté. Pas assez près pour la toucher, mais suffisamment pour qu’elle en ressente l’envie. – Donc, il n’y a pas que ça ? demanda-t-il. Elle hocha la tête, et la décision de se confier à lui sembla déjà prise. 16 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 17 – Mon père m’est apparu. (Elle se mordit la lèvre.) Il m’a expliqué ce que j’étais. Derek eut l’air perplexe. – Je croyais que c’était ce que tu attendais ? – Oui, mais… il a affirmé que j’étais un caméléon. Comme un lézard. Ses sourcils s’arquèrent, puis il gloussa. Elle n’apprécia pas sa candeur. Sa panique ressurgit, trois fois plus forte. Elle avait voulu découvrir ce qu’elle était afin que les autres l’acceptent, afin de s’intégrer, mais si, en fin de compte, elle était quelqu’un d’anormal ? – Je déteste les lézards ! Ils sont exactement comme les serpents – des minuscules créatures aux yeux exorbités, qui rampent sur la terre et qui avalent des petites bestioles. (Elle contempla de nouveau le bois, imaginant une brigade de lézards lui rendre son regard.) J’ai vu une émission, un jour, qui montrait un lézard à longue langue qui s’enfilait une araignée au ralenti. C’était dégoûtant ! Derek secoua la tête, toute trace d’humour disparaissant de ses yeux. – Je n’ai jamais entendu parler de lézards surnaturels. En es-tu certaine ? – Je ne suis sûre de rien, voilà ce qui est flippant. Ne pas savoir. (Elle frissonna.) Sérieusement, il vaut mieux boire du sang qu’avoir une langue comme ça et manger des insectes. – Peut-être qu’il s’est trompé. Tu as bien dit que les fantômes avaient du mal à communiquer, non ? – Au début, oui, mais à présent, les propos de mon père sont tout à fait limpides. Derek ne sembla pas convaincu. – Mais d’après toi, qu’est-ce que c’est qu’un surnaturel caméléon ? Il change de couleur ? Kylie laissa ses paroles faire le tour de son cerveau. – C’est peut-être ça ? – Tu peux changer de couleur ? 17 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 18 Le doute apparut sur son visage. – Non, mais si ça se trouve, je peux modifier ma configuration. Comme mon grand-père et ma tante qui avaient l’air humain. Et moi aussi, à l’instant présent. – Ou alors ton père fait une rechute et il est tout simplement confus. Parce que je n’ai jamais entendu parler de surnaturels qui savaient changer leur configuration cérébrale. – Et moi ? fit-elle. Et mon grand-père et ma tante ? Il haussa les épaules. – Holiday a affirmé que c’était sûrement un sorcier qui avait jeté un sort sur ton grand-père et sur ta tante. – Sur moi aussi ? demanda Kylie. – Non, mais… d’accord, je n’ai pas la réponse. Et je sais que tu es contrariée. Mais tu m’as dit que ton vrai grandpère allait te rendre visite, non ? Je suis sûr qu’il t’expliquera tout. – Oui. Elle mordit sa lèvre inférieure. Derek la dévisagea. – Autre chose ne va pas, n’est-ce pas ? Elle soupira. – Quand j’ai demandé à mon père ce que ça signifiait, être un caméléon, il m’a répondu que nous le découvririons ensemble. – Et pourquoi est-ce que tu n’es pas contente ? Kylie enfonça une porte ouverte. – Il est mort, et il est limité dans ses visites terrestres. Donc, ça signifie que je vais bientôt mourir ? – Non, pas du tout, répliqua Derek. Sa conviction rendit son ton plus grave. Elle allait lui rétorquer qu’il ne pouvait pas en être sûr à cent pour cent, mais comme elle voulait le croire, elle se retint. Elle regarda fixement l’herbe et tâcha de s’apaiser, sachant que son grand-père viendrait dans deux jours, 18 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 19 sachant qu’elle avait vendu la mèche. Et en effet, elle se sentait légèrement mieux. – Tu en as parlé à Holiday ? Il se pencha et son épaule heurta la sienne. Sa chaleur, son contact apaisant chassèrent une partie de son angoisse. Elle secoua la tête. – Pas encore. Burnett est avec elle dans son bureau. Kylie n’avait toujours pas réfléchi à cette histoire de fantôme. Si l’esprit de quelqu’un apparaissait devant vous alors que cette personne n’était pas morte, qu’est-ce que cela signifiait ? Les réponses éventuelles firent peu à peu trembler son cœur. – Je pense que cela a une certaine importance, dit-il. – Je sais, mais… – Il y a autre chose, n’est-ce pas ? Elle leva les yeux. Lisait-il ses sentiments ou son esprit ? – Problèmes de fantômes. – Quel genre ? De tous les résidents, Derek était le seul que le mot « fantôme » ne faisait pas fuir. – Cette personne n’est pas morte. – Donc ce n’est pas un fantôme. Derek semblait perdu. Kylie se mordit la lèvre. – Oui… enfin… au début, il avait complètement l’aspect d’un zombie – la peau qui pendille, des vers – puis il a changé. Et son visage s’est transformé en celui de quelqu’un que je connais. – Comment est-ce possible ? s’enquit-il. Elle marqua une pause. – Je ne sais pas, c’est peut-être un tour. – Ou pas. Tu ne crois pas que quelqu’un va mourir ? Plus personne, avait-elle envie de hurler. – Je ne sais pas. Elle arracha quelques herbes. – Qui est-ce ? demanda-t-il. Pas quelqu’un d’ici, n’est-ce pas ? 19 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 20 Un poids pesa sur la poitrine de Kylie. Elle ne voulait rien dire, de crainte que cela devienne réel. – Je dois y réfléchir. Derek blêmit. – Oh, mince ! C’est moi ? – Non. Elle jeta les touffes d’herbe et les regarda tourbillonner dans le vent. Quand elle reposa les yeux sur lui, elle sentit qu’il lisait ses émotions, déchiffrait leur signification. – Cette personne compte beaucoup pour toi. Lucas ? Une voix grave et irritée se fit brusquement entendre. – Quoi, Lucas ? Kylie vit Lucas surgir entre les arbres. Ses yeux étaient d’un orange furieux. La culpabilité la fit tressaillir une seconde, puis elle la refoula. Elle ne faisait rien de mal. – Rien, lâcha Derek, comme elle ne disait pas un mot. (Il se leva et avança d’un pas vers le bureau. Il marqua une pause et la regarda, puis jeta un œil sur Lucas.) Nous discutions, c’est tout. Ne joue pas les loups-garous avec elle. Lucas gronda. Derek tourna les talons, visiblement insensible à la colère du garçon. Kylie arracha une autre poignée d’herbe. – Je n’aime pas ça. Lucas la fixa. – Nous bavardions, c’est tout, expliqua-t-elle. Je lui parlais d’un esprit et… lui disais qu’il ressemblait à quelqu’un que j’aime, et il m’a demandé si c’était toi. Tu devrais être rassuré qu’il sache que tu comptes pour moi. Lucas se renfrogna encore plus. Était-ce à cause de Derek ou parce qu’elle avait évoqué les fantômes ? L’incapacité de Lucas à accepter qu’elle collabore avec les esprits lui faisait de la peine. – Il a des sentiments pour toi, répliqua-t-il. – Nous bavardions, c’est tout. – Ça me rend fou. 20 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 21 Ses yeux étincelaient d’un orange foncé. – Qu’est-ce qui te rend fou ? Que je discute avec Derek ou que je parle de fantômes ? – Les deux. (Il y avait une telle honnêteté dans sa voix qu’elle ne pouvait pas lui en vouloir.) Mais c’est surtout l’idée que tu passes du temps avec cette espèce de fée. Qu’il insulte Derek la fit tressaillir. Puis, sans trop savoir quoi dire, elle se leva. Oubliant son talon manquant, elle faillit trébucher. Il la rattrapa par le coude. Elle croisa son regard, toujours marqué par sa colère de loup-garou. Mais son contact était tendre et bienveillant, sans aucune trace de la fureur qu’elle avait lue dans ses yeux. Elle se souvint que certaines de ses réactions étaient instinctives ; on ne pouvait pas lui en vouloir. Une autre partie d’elle-même savait que cela n’excusait rien. Elle soupira. – Nous en avons déjà parlé. J’aide les esprits, Lucas. Cela ne changera probablement jamais. – Oui, mais ils te fichent une sacrée trouille. Ils me fichent une sacrée trouille. Kylie se tendit. – Parce que tu crois que lorsque tu te transformes en loup, cela ne me fait pas peur ? – Ce n’est pas la même chose, ce sont des fantômes, Kylie. Ce n’est pas… naturel. – Parce que se métamorphoser en loup, ça l’est ? rétorqua-t-elle, sarcastique. Il soupira. – D’accord, de la part de quelqu’un qui a vécu sa vie en tant qu’humain, je comprends ce que tu veux dire. Et, même si je suis sûr que je n’aimerai jamais cette partie de toi qui communique avec les fantômes, je fais des efforts pour l’accepter. Mais admettre que tu passes du temps avec Derek n’est pas facile, car je sais que s’il en avait l’occasion, il te volerait à moi sans hésiter. 21 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 22 Elle ravala des émotions à vif et lui toucha le torse. Sa chaleur transperça sa chemise et imprégna sa paume. – Je comprends ce que tu ressens. Parce que j’éprouve la même chose quand je te vois avec Fredericka. Et c’est bien pour cela que je ne peux pas te demander de la repousser. Il posa sa main sur la sienne, et une douce supplication envahit son regard. – Ce n’est pas pareil. Fredericka fait partie de ma meute. Elle secoua la tête. – Et Derek est un copain. – Exactement. C’est ce qui change tout. Un ami, ce n’est pas la même chose que le membre d’une meute. – Pour moi, c’est pareil. (Elle secoua de nouveau la tête.) Penses-y. Tu es loyal envers les membres de ta meute. Tu les défendrais sans hésiter. Tu as de l’affection pour eux. C’est ce que je ressens pour mes amis. – C’est parce que tu n’es pas un loup-garou. Ou du moins, pas encore. (Il posa sa main libre sur sa taille et l’attira un peu plus contre lui.) Espérons que bientôt, cela deviendra évident pour toi. Je ne serai jamais un loup-garou. Elle le regarda. Son regard ne trahissait plus sa colère, et elle décela de l’affection tout au fond de ses yeux bleus. Elle comptait pour lui. Elle en était sûre et certaine. Et peut-être que pour cette raison elle hésitait à lui dire ce qu’elle savait. Elle s’aperçut qu’elle n’avait eu aucun scrupule à le révéler à Derek. Pourquoi parvenait-elle à se confier à celui-ci et pas à Lucas ? Ennuyée, elle se força à dire : – Je ne suis pas un loup-garou. – Tu n’en sais rien. Le fait que tous tes sens se développent avant la pleine lune et que tu connaisses des sautes d’humeur doit bien avoir une signification. Elle secoua la tête. – Non. Je n’en suis pas un. Je le sais. Il plissa les yeux de confusion. 22 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 23 – Tu… Comment ? – Mon père est revenu me voir. Il m’a dit que j’étais un caméléon. La perplexité envahit son regard. Elle fronça les sourcils. – Je ne sais pas au juste ce que cela signifie. – C’est n’importe quoi ! (Il la relâcha.) Ça n’existe pas. Ce n’est pas parce qu’une espèce de fantôme a dit… – Ce n’était pas « une espèce de fantôme ». C’était mon père. – Et ton père est un fantôme. Que ce soit délibéré ou pas, cela avait tout d’une insulte. Ses paroles et son comportement la piquèrent au vif. Elle ôta sa main de son torse chaud. Tout le chaos affectif qu’elle avait ressenti un peu plus tôt tourbillonna en elle. – Je sais que c’est un fantôme, répliqua Kylie. Et j’aimerais qu’il ne soit pas mort. J’aimerais savoir ce qu’il entendait par là. J’aimerais que tu puisses m’accepter telle que je suis. Mais je ne peux pas changer le fait que mon père ait disparu juste avant ma naissance. Je n’y peux rien si je ne comprends pas ce qu’il voulait dire. D’ailleurs, je ne comprends pas un dixième de ce qui se passe dans ma vie en ce moment. Et j’ai le sentiment que tu ne pourras jamais m’accepter pour ce que je suis. – Ce n’est pas vrai. Le déni durcit son expression. – Si. Elle s’en alla en boitant. Elle l’entendit la supplier de rester. Elle l’ignora. Puis elle s’arrêta et se pencha pour se déchausser. Quand elle se redressa, son regard fut attiré par la rangée d’arbres – par leurs feuilles qui s’agitaient, même sans vent. Elle ressentit de nouveau la sensation inexplicable qu’on l’invitait à y entrer. Aussi tentant cela fût-il, elle tourna les talons et s’éloigna de la forêt et de Lucas. Quelque part, elle se dit que ce n’était pas bien. - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 24 Chapitre 3 L es pieds nus de Kylie filaient sur la terre à toute allure. Elle entendit le mélange de voix qui venait du réfectoire, où tout le monde s’était rassemblé après les funérailles d’Ellie. Ellie, morte à cause de Mario. Une nouvelle vague de culpabilité la submergea. Elle accéléra encore. Elle ne voulait pas rejoindre le groupe. Elle… avait besoin… d’être seule. Elle était presque arrivée devant son bungalow lorsqu’elle ressentit un courant d’air la croiser à toute allure. Un courant d’air de vampire. En chasse, peut-être. Kylie se força à presser le pas et se prépara mentalement à se battre. Non pas qu’elle ait la moindre chance de remporter une bataille contre un vampire. Quelle que soit sa super force, elle ne lui servait qu’à aider autrui. Une protectrice, l’appelaient les autres surnaturels. Mais comment pouvaient-ils la surnommer ainsi alors qu’elle n’avait pas protégé Ellie ? Même les dons de guérisseuse de Kylie avaient échoué. Comme c’était injuste qu’elle 24 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 25 puisse ressusciter un oiseau, mais pas une amie… Elle en aurait payé le prix. Quelle que soit le morceau d’âme qu’elle eût été obligée de donner pour sauver Ellie. Elle ressentit de nouveau, le courant d’air qui la croisa à toute allure. Cette fois, elle vit un rideau de cheveux bruns raides tourbillonner au vent. Un vampire, clairement. Mais pas en chasse. Della apparut à côté d’elle, courant elle aussi à tombeau ouvert. Mais c’était un vampire, elle avançait avec aisance, comme pour faire son jogging quotidien. – Où est le problème ? La chevelure foncée de Della, qui révélait ses origines asiatiques, volait derrière elle comme un drapeau. – C’est toi, le problème. (Kylie s’arrêta dans un sursaut.) Je ne supporte pas que tu me croises à toute allure sans que je puisse deviner que c’est toi. Je me sens menacée. J’ai l’impression d’être une… proie. – Zut alors, dit Della de sa voix trahissant sa mauvaise humeur habituelle. Excuse-moi de me faire du souci. Je t’ai entendue cavaler comme une dératée et j’ai cru que l’on te poursuivait. – Désolée, personne ne me court après. Le regard de Kylie se reposa brusquement sur les bois. Ils me narguent juste pour me faire entrer dans la forêt, pour que je les affronte. Mais qui était-ce et pour quelle raison ? Avant, elle avait cru que c’était Mario, mais si elle s’était trompée ? – Que s’est-il passé ? demanda Della. Kylie arracha ses yeux de la forêt. – Rien. Della inclina sa tête de côté, comme si elle écoutait le cœur de Kylie, cherchait des signes de mensonge. Elle roula des yeux. – Menteuse, menteuse, ton nez s’allonge ! Kylie grommela. 25 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 26 – D’accord, je mens. Et Pinocchio ne m’arrive pas à la cheville ! – Waouh, tu es de charmante humeur ! Et à cause de quoi ? – De toi. Son ton mordant la fit tressaillir. Della se fendit d’un grand sourire, comme si elle appréciait la colère de Kylie. Celle-ci se mit en route. – Qui est censé t’escorter ? demanda-t-elle. – Je ne sais pas. Le regard de Kylie se posa brusquement sur le bois, et la sensation fut plus forte que jamais. Elle détala le long du chemin, repoussant ses limites. Elle ne s’arrêta pas avant d’être arrivée à son bungalow. Elle avait des crampes d’estomac à force de courir. Elle s’affala sur leur terrasse. – Alors, que s’est-il passé ? demanda Della, qui n’avait même pas de mal à respirer et se laissa lourdement tomber à côté d’elle. Quelque chose m’appelle dans les bois. Ça paraissait fou. Kylie ne pouvait pas le dire. Elle regarda Della. Les yeux noirs légèrement en amande de sa coloc semblaient sincèrement inquiets, et cela lui donna l’impression d’être une garce. – Désolée, je suis de sale humeur. – Ce qui est tellement rare, rétorqua Della. J’adore ! Kylie roula des yeux et décida de jouer franc-jeu : – As-tu déjà entendu parler des caméléons ? – Oui. – Vraiment ? Et que sais-tu sur eux ? – Ce sont des lézards qui changent de couleur. Selon Chan, ils n’ont pas trop mauvais goût. À Hawaii, les vampires du coin vendent leur sang. Il est censé être aussi bon qu’un O négatif. – Non. Kylie remonta ses genoux et les serra. 26 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 27 – Non quoi ? – Euh… les caméléons sont-ils une sorte de surnaturels ? – Un lézard surnaturel ? Della rit. Kylie sursauta. – Hé, dit son amie en s’affalant à son côté. Qu’est-ce qui ne va pas ? Kylie ouvrit la porte du bungalow d’un coup et reposa les yeux sur sa coloc. – Tout va mal. – C’est à cause d’Ellie ? La voix de Della révélait une émotion qu’elle cachait d’habitude. Le cœur de Kylie se serra davantage. – Oui, c’est à cause d’Ellie. Et c’est parce que je suis un lézard. C’est un tout, quoi. – Tu es un lézard ? Le sérieux disparut des yeux de Della, qui se fendit d’un grand sourire. Kylie passa la porte à toute allure, puis se retourna d’un coup. – Oui, tu es un vampire. Et moi, je suis un lézard, alors autant s’y faire, et maintenant ! Le sourire railleur de Della s’en alla. – Tu as fumé la moquette ? Sérieux, pour moi, tu es un loup-garou. Ce nouveau comportement de râleuse est hyper révélateur ! – Parce que les vampires ne râlent jamais ? Kylie roula des yeux. – Non, nous sommes casse-pieds. Casse-pieds et râleurs, ce sont deux choses complètement différentes. Della entra. Sa tentative de faire de l’humour était censée l’aider, pas lui faire du mal. Mais Kylie n’était pas d’humeur. 27 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 28 – Je ne suis pas un loup-garou. (Les larmes lui piquèrent les yeux.) Si c’était le cas, alors Lucas serait heureux et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Della ouvrit la bouche en grand. – Tu es sérieuse ? Qui t’a dit que tu étais un lézard ? – Mon père. Les yeux de Della s’écarquillèrent. – Tu délires ? – Pas du tout. Della s’affala sur le canapé et passa la pièce en revue à toute allure. – Est-il présent en ce moment ? – Non. – Ouf. (Elle se frappa les cuisses.) Peut-être qu’il avait fumé quelque chose ? Kylie leva ses yeux remplis de larmes au ciel. – Tu pourrais arrêter de balancer des vannes ? Della prit un coussin qu’elle lui jeta dessus. – Tu vois, c’est l’attitude de loup-garou qui ressort encore ! Kylie virevolta sur elle-même pour entrer dans sa chambre, mais avant qu’elle n’arrive à la porte, Della se planta d’un coup devant elle. Flippante, la vitesse d’un vampire ! – Très bien, dit-elle. Je vais essayer d’être sérieuse… mais c’est de la folie ! Je sais que tu ne veux pas le croire, mais on te fait sûrement une farce. Un lézard surnaturel, ça n’existe pas. Tu n’as qu’à lui demander. – Demander à qui ? La porte d’entrée du bungalow claqua lorsque Miranda entra. Ses cheveux blonds détachés étaient parsemés de rose, de vert et de noir. Kylie ignorait si son amie se servait de ses pouvoirs de Wiccan ou d’une coloration maison pour colorer sa chevelure. Miranda fronça les sourcils. 28 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 29 – Pourquoi m’as-tu laissée en plan ? demanda-t-elle à Della. Celle-ci fit la grimace. – Désolée, Kylie est en pleine crise. Je ne peux jouer les Super Copines qu’avec une seule d’entre vous à la fois. Miranda regarda Kylie. – Quel genre de crise ? D’habitude, la jeune fille partageait tout avec ses colocs. Mais à cet instant, elle regretta de ne pas avoir fermé sa bouche. Tout ce temps, elle avait voulu savoir ce qu’elle était et pensait que cela résoudrait tout, mais voilà qu’elle le savait et se sentait plus perdue que jamais. – Une belle crise de reptile ! pouffa Della en flanquant sa main à sa bouche. (Puis elle lança un regard d’excuse à Kylie.) Oups ! – Quoi ? fit Miranda. Della laissa tomber une main sur sa hanche. – Explique à Kylie que les lézards surnaturels, ça n’existe pas. – Perry peut se transformer en lézard. (Les yeux de Miranda brillaient de fierté.) Hier, il s’est changé en… – Arrête, lâche-nous avec Perry ! (Della colla ses deux mains sur son ventre.) Promis, je vais gerber. – Ce que tu peux être vache ! la rembarra Miranda. – Je ne suis pas vache, j’en ai juste marre d’entendre des trucs sur Perry. « Les orteils de Perry sont si mimi ! Perry a la plus belle des taches de rousseur derrière l’oreille droite » et patati et patata… – Tu es jalouse, c’est tout ! Parce que tu n’as pas de chéri, alors que Kylie et moi en avons un ! Avait. Kylie avait un copain. Elle ne savait pas trop ce qui allait advenir entre Lucas et elle, à présent. Ses supplications pour qu’elle ne s’enfuie pas résonnaient dans son cœur. – Jalouse ? lui hurla Della. Arrête, je préfère encore 29 - Lafon - Nés à Minuit-t4 - 140 x 220 - 27/2/2013 - 15 : 36 - page 30 avaler mon propre cœur que devenir transie d’amour comme toi ! Miranda leva la main et agita le petit doigt – un signe sûr qu’une incantation allait jaillir de ses lèvres. Les yeux de Della brillèrent et elle montra ses canines. – Arrêtez ! (Kylie laissa aller son regard de l’une à l’autre. Elle ne pouvait plus les supporter.) Oh, et puis non, continuez. Vous deux, vous menacez de vous entretuer depuis que je suis arrivée ici, et je n’en peux plus ! Alors, allez-y, tuez-vous et abrégez mes souffrances, que l’on en finisse ! Intérieurement, elle tressaillit de nouveau. Elle ne le pensait pas. Pas même maintenant, quand elle était furieuse, mais peut-être qu’un peu de psychologie inversée pourrait aider ces deux-là. Miranda et Della regardèrent fixement Kylie, comme si elle avait perdu la tête, et elles avaient sûrement raison, mais c’était en partie leur faute. Leurs chamailleries constantes lui avaient fait péter les plombs. – Allez, qu’attendez-vous ? Tuez-vous ! Et arrangezvous pour que ce soit divertissant. Elle croisa les bras et les foudroya du regard. Elle se mit à taper du pied droit, exactement comme sa mère quand elle allait piquer une colère. Les yeux de Della retrouvèrent leur couleur noire et ses canines disparurent sous sa lèvre supérieure. Miranda baissa son petit doigt menaçant. Alors comme ça, la psychologie inversée avait marché. Ah ah ah ! Qui l’eût cru ? – C’est quoi son problème ? demanda Miranda à Della, comme si Kylie était trop perturbée mentalement pour qu’elle s’adresse à elle. – Aucun, répondit-elle, hyper rageuse. C’est vous qui en avez un ! Della jeta un coup d’œil à Miranda et haussa les épaules. – Elle se prend pour un lézard. 30