Le «Lac des cygnes» sous le signe du mâle.

Le «Lac des cygnes» sous le signe du mâle. - Libération
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FRANÇOIS SERGENT LONDRES DE NOTRE CORRESPONDANT. 25 OCTOBRE 1996 À 00:01
A Londres, accueil enthousiaste d'une version gay du ballet de Tchaïkovski,
où le cygne est dansé par un homme.
Les cygnes du Lac sont des hommes. Une révélation et une évidence après avoir vu la production du célébrissime ballet
de Tchaïkovski, montée par Matthew Bourne. Créé l'an dernier dans un petit théâtre de Londres, ce Lac des Cygnes
érotisé remplit depuis la rentrée le Picadilly Theatre, l'une des grandes salles du West End le Broadway local. Seul
Diaghilev avait réussi cet exploit en 1921 avec la Belle au bois dormant.
La critique unanime salue «le spectacle le plus fabuleux sur une scène londonienne» (Daily Telegraph), et parle «de
théâtre sensationnel de bout en bout» (Time Out). Simon Callow, l'un des papes du théâtre anglais, «implore» dans le
Sunday Express, d'aller voir le Lac des Cygnes de Bourne et s'enthousiasme pour «ce coup de génie d'une totale
simplicité: le cygne que le Prince rencontre est dansé par un homme».
Selon Matthew Bourne, le chorégraphe comblé, récompensé par un Olivier Award pour sa mise en scène, «l'idée d'un
cygne mâle est évidente. La force, l'énorme envergure des ailes de ces créatures suggèrent pour moi la musculature
d'un danseur mâle plus qu'une ballerine avec son tutu blanc».
Bourne explique avoir vu pour les répétitions un film au ralenti montrant un cygne attaquant un petit bateau de pêche.
«C'était terrifiant». Changer le sexe des cygnes permet surtout d'oblitérer toutes les visions préconçues du ballet de
Tchaïkovski, symbole usé et neu-neu de la danse romantique. Les rapports entre le cygne et le prince Siegfried
deviennent soudain ambigus et chargés d'un nouvel érotisme que n'aurait pas dédaigné Tchaïkovski, homosexuel
refoulé et malheureux.
Bourne ne nie pas que son ballet puisse être vu comme un «Lac des Cygnes gay», avec l'apparition de marins à la
Genet ou d'un homme nu devant lequel le prince jeune homme manque s'évanouir. Thud, un magazine homosexuel,
salue ainsi «ce Lac gay, follement homoérotique». Mais le chorégraphe entend aller au delà de cette image univoque,
expliquant que son Lac des Cygnes est «l'histoire d'un homme sans amour dans sa vie». «En termes purement
physiques, ajoute-t-il, le sommet de la relation est le moment où le cygne soulève le prince et l'entoure de ses bras,
c'est l'image la plus importante de la pièce parce que c'est si simple et si universel, le besoin d'être étreint, tout le
monde peut s'identifier avec cette image.» Que ce soit deux hommes finalement importe peu. L'image est sensuelle et
sexuelle, sans être pour autant chargée d'«un machisme musclé, souvent typique des chorégraphies pour les danseurs
mâles», explique Bourne.
Et si les cygnes mâles dont devenus la signature de ce Lac, ils en viennent à faire oublier l'humour dévastateur de la
production, qui s'en prend allégrement à la maison des Windsor. La fiancée du Prince est une rousse volcanique en
mini-jupe, avec toute la classe discrète associée à Fergie, tandis qu'un valet promène à travers la scène un corgi en
peluche et à roulettes, qui mord tout le monde, comme les horribles bêtes d'Elizabeth II. Le prince a même des oreilles
décollées. «Je ne nie pas que nos personnages royaux ressemblent aux personnages prééminents de la saga Windsor»,
avoue Bourne, pince-sans-rire.
L'histoire du prince Siegfried est celle d'un enfant qui veut que sa mère l'aime et l'étreigne, l'histoire même, selon les
psychologues royaux, de Charles, adolescent solitaire et malheureux. En revanche, la très jolie reine du ballet qui flirte
outrageusement avec ses valets parait apocryphe, mais elle ajoute à la charge érotique du ballet, délibérément
séducteur et rigolard, avec des apparitions fortuites des Blues Brothers, de l'Ange bleu et de Jimi Hendrix. Fort de son
succès, le Lac des Cygnes doit entamer l'an prochain une tournée internationale qui devrait l'emmener à Broadway.
Paris n'est pas compris dans l'itinéraire, mais les Cygnes sont à Londres jusqu'en janvier.
Le «Lac des cygnes», au Picadilly Theatre, Denman Street, Picadilly Circus, Londres, à 19 h 30; tél.: 4413691734
(réservations par téléphone et cartes de crédit, entre 9,50 et 30 livres).
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François SERGENT Londres de notre correspondant.
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