La simulation numérique des charges formées

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La simulation numérique des charges formées
La simulation numérique des charges formées
Pierre-Yves Chanteret, ISL
INTRODUCTION – LA DECOUVERTE DE LA CHARGE CREUSE.
"L’effet charge creuse" est obtenu en pratiquant un évidement dans un bloc d’explosif, puis en
revêtant les parois de la cavité d’une fine couche de métal et en amorçant l’explosif à l’opposé de
la cavité. La détonation d'une telle charge au contact d'une cible en acier, engendre la formation
d'un cratère dont la profondeur peut atteindre plusieurs fois le diamètre de la charge. Si l’effet d’un
évidement dans un bloc d’explosif avait pu être utilisé dès
le 18ème siècle dans l'industrie minière, l’intérêt du
revêtement métallique recouvrant les parois de la cavité n'a
été reconnu que très peu de temps avant le déclenchement
de la seconde guerre mondiale.
Au dix neuvième siècle, il avait été remarqué, notamment
par Von Foerster en Allemagne (1883) et Munroe aux
Etats-Unis (1884), qu’en ménageant un évidement dans un
bloc d’explosif et en l'amorçant du côté opposé, on obtenait
une empreinte significative dans un bloc d’acier adjacent.
Malgré la réduction de masse de l'explosif, on en
augmentait l'efficacité au point de parvenir à perforer une
plaque de blindage. Il est probable que le premier à avoir
étudié et expérimenté des charges évidées munies d'un
Effet d’une cavité dans un bloc
revêtement ait été un capitaine français du nom de Lepidi,
d’explosif avec et sans revêtement
qui entre 1891 et 1893 à la Poudrerie Militaire du Bouchet,
étudia un "obus chambré" à cavité cylindrique. Lepidi
découvrit l'effet favorable du revêtement mais rencontra des difficultés
pour la mise au point d'une munition et ses travaux, classés "secret",
tombèrent dans l'oubli. Ce n’est qu’à la fin des années trente que le rôle
du revêtement fût clairement identifié, et ce indépendamment en
Allemagne par F. Thomanek et en Suisse par H. Mohaupt.
Cratère dans l'acier
charge creuse Ø115
En Allemagne, dans un laboratoire de la Luftfahrtforschunganstalt à
Braunschweig, Thomanek avait initié en 1937 des travaux qui avaient
pour but d'augmenter l'effet de focalisation des gaz dans la cavité non
revêtue. Il avait entrepris de tester différentes idées parmi lesquelles
l'incorporation d'additifs lourds dans l'explosif, la mise en forme de l'onde
de détonation et la mise sous vide de la cavité. Thomanek a rapporté que
le 4 février 1938, le tir d'une charge munie d'une ampoule en verre qui
servait à faire le vide dans la cavité, conduisit à un effet extraordinaire. La
petite histoire raconte qu'une des ampoules étant fêlée, Thomanek
ordonna qu'on se débarrasse de la charge en la tirant et que son
assistant eu toutes les peines du monde à le convaincre de venir
constater que le résultat obtenu était identique avec l'ampoule sans le
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vide. C'était donc le verre de l'ampoule qui était responsable de l’effet perforant, et c'est ainsi que
fut identifié le rôle du revêtement.
Si les travaux allemands sont bien documentés, il n'en est pas de même des activités de
H. Mohaupt, lequel revendique avoir inventé en 1935 à Zürich la charge creuse avec revêtement. Il
proposa en 1938 son invention aux autorités françaises et britanniques et déposa un brevet en
France en novembre 1939. Les experts anglais déconseillèrent à leurs autorités de payer "le prix
exorbitant" demandé par Mohaupt, pensant qu'il ne faisait qu'exploiter l'effet, alors déjà connu, de
la cavité sans revêtement. Pendant ce temps là en France, Edgar Brandt acquit les droits du
brevet de Mohaupt. Des PV d'essais de l'Etablissement d'Expériences Techniques de Bourges
datant de février 1940 rapportent les essais concluants de "projectiles chargés par Mr Mohaupt"
contre des plaques de blindage et des murs en béton. La société Brandt fut autorisée à produire
des munitions antichar mais la situation militaire se dégrada trop rapidement pour qu'un début de
production de projectiles à charge creuse se développe. Le gouvernement français autorisa la
transmission des informations vers les Etats-Unis où Mohaupt arriva le 18 octobre 1940 précédé
par un officier français du nom de Delalande. Les essais effectués à Aberdeen donnèrent des
résultats à tel point concluants que le projet fut classé prioritaire et secret. Citoyen étranger,
Mohaupt ne fut pas habilité à participer aux travaux qui conduisirent notamment à la charge du
bazooka.
Charge allemande de
démolition (1942)
En Allemagne, suite à la découverte de Thomanek, les études
de charges creuses prirent rapidement de l'importance, avec
notamment l'expérimentation de différents matériaux de
revêtement et diverses formes de cavité. Ce sont des charges à
revêtement hémisphérique qui furent utilisées le premier jour de
l’offensive allemande le 5 mai 1940 contre des fortifications en
Belgique. Par la suite c'est dans la lutte antichar que la charge
creuse allait montrer toute son efficacité donnant lieu à de
nombreux développements tels que le "Panzerfaust". On avait
cru les chars invincibles et notamment les chars russes T34
dont l'épaisseur de blindage résistait à toutes les munitions,
mais l'apparition de la charge creuse allait remettre en question
cette invulnérabilité des blindés.
Parallèlement
aux
travaux
expérimentaux menés de part et d'autre de l'atlantique, des études
théoriques furent rapidement engagées et il est remarquable que ce
soit pratiquement à la même date, en 1943, que furent émis trois
documents proposant des théories de la charge creuse : rapport de
Trinks du 30 avril en Allemagne, rapport de Taylor du 27 mai en
Grande Bretagne et rapport de Birkhoff du 18 juin aux USA. La
modélisation du fonctionnement de la charge creuse avait alors été
grandement facilitée par l’avènement à la même époque, de la
radiographie éclair qui permettait de visualiser la formation d’un
projectile. En Allemagne, les premiers générateurs de rayons X
capables de temps de pause inférieurs à la microseconde furent
conçus en 1938-39 et c'est dans le laboratoire de Berlin-Gatow
dirigé par Schardin qu'ils furent appliqués aux études de balistique.
Les premiers clichés radiographiques du fonctionnement de
charges creuses datent de 1940 et permirent aux chercheurs de
l'époque de comprendre que la projection et la déformation du
revêtement donnaient naissance à un projectile plus ou moins effilé.
Si la théorie hydrodynamique des charges creuses, qui a été décrite
en 1948 dans une fameuse publication américano-britannique de
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Premiers RX d'une charge
creuse hémisphérique
(Berlin 1940)
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Birkhoff et al [1], s'est rapidement imposée, il est intéressant de savoir qu'à l'origine, des
chercheurs américains et allemands avaient indépendamment émis la même idée que le projectile
de charge creuse pouvait résulter de l'écaillage de la face interne du revêtement. Dans la
conférence qu'il donnait à l'Ecole Nationale Supérieure de l'Armement en 1951, Defrance citait
encore ce qu'il dénommait "théorie de l'arrachement", mais c'est bien la théorie hydrodynamique
qu'il utilisera avec Schall en 1952 à Saint-Louis pour mener des travaux consignés dans un rapport
du LRSL [2] intitulé "Calcul graphique approché de la perforation d'une charge creuse donnée".
LA THEORIE HYDRODYNAMIQUE DES CHARGES CREUSES.
La théorie hydrodynamique des charges creuses est un outil
remarquable qui permet de modéliser tout à la fois la formation
du jet et sa pénétration dans la cible. Cette théorie a été
initialement établie en faisant l'hypothèse de phénomènes
stationnaires. Pour modéliser un processus stationnaire de
formation du jet, il est plus simple de considérer le cas d'une
charge diédrique, constituée de deux plaques d'explosif revêtues
de plaques de métal d'épaisseur constante et formant entre elles
un dièdre d'angle 2α. Lorsque les deux plaques d'explosif de la
charge diédrique détonnent et sont simultanément parcourues
par une onde de détonation se propageant à la vitesse D, les
deux plaques de métal se trouvent relevées d'un angle φ et
projetées l'une vers l'autre à la vitesse vp. Il est d'usage de
dénommer β l'angle formé par le revêtement projeté et le plan de
symétrie de la charge.
Radiographies éclair de la
formation du jet d'une
Le raisonnement proposé par la théorie hydrodynamique
charge creuse
consiste à considérer que le revêtement se comporte comme un
fluide incompressible et que dans un repère mobile attaché au
point de collision, l'écoulement est stationnaire. Dans ce repère
mobile, le matériau du revêtement s'écoule vers le point de
collision à la vitesse apparente vf et s'en éloigne dans le jet et
dans le noyau sans variation de vitesse, en vertu de son
incompressibilité. Les vitesses absolues vj et vn du jet et du
φ
noyau sont alors obtenues en ajoutant et retranchant la vitesse
2α
vc du point de collision à la vitesse d'écoulement vf :
β=α+φ
vj = vf + vc
et
vn = vf – vc
Compte tenu du fait que le vecteur vitesse du revêtement fait un
angle φ/2 avec sa position initiale, il est possible d'exprimer vf et
v
c en fonction de vp. On obtient alors une expression de la
Charge diédrique stationnaire
vitesse du jet -et de la vitesse du noyau- en fonction de la
vitesse de projection du revêtement et des angles α et φ.
L'expression de la vitesse du jet vj peut se mettre sous différentes formes moyennant des
transformations trigonométriques. Schall, qui faisait partie de l'équipe de Schardin et qui fut plus
tard un des directeurs de l'ISL, a proposé une forme qui met bien en évidence l'influence de l'angle
du cône α, sachant que β = α+φ :
vj = vp cos (α/2)/sin (β/2)
et
vn = vp sin (α/2)/cos (β/2)
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(1)
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Dans le cas d'une propulsion stationnaire, on dispose en plus d'une autre relation, dite relation de
Taylor, qui relie la vitesse de projection vp et l'angle de relèvement φ à la vitesse de détonation D
et à l'angle η entre le front de détonation et le revêtement :
vp = 2D sin (φ/2)/sin (η).
(2)
Cette relation permet d'éliminer vp entre les équations (1) et (2) et d'exprimer analytiquement la
vitesse du jet d'une charge creuse stationnaire en fonction de la vitesse de détonation de l'explosif,
de la géométrie de la charge (α et η) et de l'angle de relèvement φ. En écrivant la conservation de
la quantité de mouvement dans le repère mobile, la théorie hydrodynamique permet également de
calculer les proportions de masse mj/m et d'énergie Ecj/Ec qui se retrouvent dans le jet, rapportées
à la masse et à l'énergie cinétique du revêtement:
mj/m = sin2(β/2)
et
Ecj/Ec = cos2(α/2)
Ces deux relations montrent que si la plus grande partie du revêtement se retrouve dans le noyau,
le jet quant à lui récupère pratiquement la totalité de l'énergie transmise au revêtement.
Le second volet de la théorie hydrodynamique qui traite
de la pénétration du jet dans la cible a également été
publié dans l'article de 1948. La modélisation, qui avait
initialement été proposée par des chercheurs
britanniques en 1944, consiste, comme pour la formation
du jet, à faire l'hypothèse de stationnarité et à supposer
que projectile et cible se comportent comme des fluides
incompressibles. Le phénomène étant stationnaire, le
fond du cratère se déplace à une vitesse constante u et
Schéma de l'interaction
dans un repère mobile lié au fond de cratère, les
stationnaire entre jet et cible
matériaux du jet et de la cible se trouvent respectivement
animés de vitesses (vj –u) et u de sens opposés.
L'écoulement étant stationnaire et les matériaux du jet de
densité ρj et de la cible de densité ρc se comportant comme des fluides incompressibles, il est
possible d'appliquer le théorème de Bernouilli et d'écrire l'égalité des pressions dynamiques au
fond du cratère :
ρj (vj-u)2 = ρc u2
Compte tenu du fait que dans un intervalle de temps dt, la longueur du jet diminue de la quantité
dL = (vj-u)dt et que dans le même temps le cratère progresse de la quantité dP = udt, on obtient la
relation :
dP/dL = (ρj/ρc)1/2
(3)
Cette relation indique que la profondeur de pénétration par unité de longueur d'un jet
homocinétique est proportionnelle à la racine carrée des densités du jet et de la cible.
Les équations (1) et (3) expriment les résultats essentiels de la théorie hydrodynamique des
charges creuses stationnaires. Diverses extensions ont par la suite été proposées, notamment
pour étendre la théorie au cas des charges creuses réelles non stationnaires, mais sans remettre
en cause l'hypothèse hydrodynamique. Comme on le verra dans ce qui suit, cette théorie s'avère
particulièrement judicieuse et demeure à la base de tous les modèles analytiques du
fonctionnement des charges creuses. On trouvera en [3] un article très complet et didactique écrit
par Défourneaux en 1970 et entièrement consacré à la théorie hydrodynamique des charges
creuses. Cette théorie est également présentée en détail dans la référence [4] qui constitue
l'unique ouvrage qui ait été consacré exclusivement aux charges creuses.
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LA MODELISATION DU FONCTIONNEMENT DES CHARGES CREUSES.
Une des caractéristiques du fonctionnement de la charge creuse est de permettre la
décomposition du phénomène en étapes successives bien délimitées, ce qui constitue une
circonstance très favorable à la réalisation d'un programme de calcul modulaire. Dans ce qui suit,
on présente pour chacune des étapes du fonctionnement d'une charge creuse, les modèles
analytiques les plus performants, en indiquant quelles sont leurs éventuelles limitations. Sont ainsi
abordées successivement les différentes phases allant de la détonation de l'explosif à la
cratérisation du jet dans la cible, en passant par la mise en mouvement du revêtement, la
formation, l'élongation et la fragmentation du jet. Toutes les références concernant les différents
modèles analytiques ne seront pas explicitées, mais on pourra trouver en [4] et [5] des
informations détaillées sur la plupart des publications citées.
Accélération du revêtement
Pour calculer la projection du revêtement, la plupart des programmes de calcul de charges
creuses connus font appel à des approches se référant soit au modèle de Richter, soit au
formalisme de Gurney.
Il faut savoir que c'est Défourneaux qui au début des années 70 a fait connaître le modèle de
Richter à la communauté scientifique internationale à l'occasion d'exposés présentés aux USA lors
du 5ème symposium de détonation et du 1er symposium international de balistique. C'est ainsi que
pour calculer la vitesse d'implosion du revêtement, les premiers codes analytiques de charges
creuses dont le code américain BASC du BRL, ont eu recours à la formule établie par Richter et
publiée dans un rapport du LRSL datant de 1946. Cette formule traite, en géométrie plane, du
relèvement de plaque par explosif non confiné, et relie linéairement l'inverse de l'angle de
relèvement φ avec le rapport µ de la masse de métal projeté à la masse d'explosif :
1/φ = 1/φ0 + bµ
Dans cette expression, φ0 qui représente l'angle des fumées et b sont des constantes qui ne
dépendent que de l'explosif utilisé. La valeur du coefficient b doit être évaluée à l'aide
d'expériences de relèvement plan au cours desquelles on mesure par radiographie éclair l'angle φ
formé entre la plaque de métal et sa position initiale. La formule de Richter ayant été établie en
géométrie plane et ouverte, les auteurs de codes de charges creuses ont souvent modifié la valeur
du coefficient b, notamment pour prendre en compte l'inclinaison de l'onde ou la présence d'un
confinement. Pour obtenir la vitesse d'implosion du revêtement, le concepteur de code doit définir
les masses de métal et d'explosif en regard l'une de l'autre pour pouvoir en déduire une valeur du
rapport et µ et ensuite éliminer φ entre la relation de Richter et la relation de Taylor.
Si les premiers codes analytiques ont utilisé la formule de Richter, c'est par la suite le formalisme
de Gurney qui s'est peu à peu imposé pour le calcul de la vitesse du revêtement. Les formules
classiques de Gurney ne prévoient pas le cas d'une implosion cylindrique, car la courbure ne
permet pas d'égaliser les quantités de mouvement en implosion et en explosion. Différentes
extensions des formules de Gurney à la géométrie cylindrique ont été proposées et comme il est
précisé en [5], c'est la formule développée par Chanteret [6] qui donne les meilleures prévisions
pour la vitesse du revêtement. Cette formule donne la vitesse vi en fin d'implosion d'un revêtement
accéléré par un cylindre d'explosif de rayon intérieur Ri et de rayon extérieur Re et s'écrit :
vi2 = 2EG / [1/6 + (Re2-Ri2)/(Rx2-Ri2) (Mi/C)]
expression dans laquelle EG représente l'énergie de Gurney de l'explosif utilisé, Mi et C les
masses de revêtement et d'explosif respectivement, et où Rx désigne le rayon pour lequel la
vitesse radiale des gaz est nulle derrière le front de détonation. La valeur de Rx est obtenue par
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résolution d'une équation du troisième degré faisant intervenir les masses du revêtement, de
l'explosif et du confinement éventuel, ainsi que le taux de compression des gaz à l'état CJ derrière
le front de détonation.
De plus, si on dispose d'une équation d'état des produits de détonation –typiquement une équation
du type JWL, il est possible comme cela est expliqué en [6], d'estimer une loi de variation de
l'énergie de Gurney en fonction du taux de détente des gaz et donc de calculer l'accélération du
revêtement en fonction du temps, ce qui permet une détermination plus précise de la vitesse du
revêtement en fin d'implosion.
Formation du jet
Pour le calcul de la vitesse du jet, les codes analytiques utilisent une extension de la théorie
hydrodynamique aux charges instationnaires [7], connue sous le nom de modèle P.E.R. (d'après
les initiales des auteurs). Ce modèle a été établi dans le but de rendre compte du gradient de
vitesse qui existe dans le jet et qui n'était pas prévu par la théorie stationnaire.
La démarche consiste à prendre en compte le fait que
dans les charges réelles, les vitesses d'implosion
varient le long du revêtement et l'angle β n'est plus
égal à α + φ. En dénommant δ l'angle formé par le
vecteur vitesse du revêtement avec la normale,
l'expression donnant la vitesse du jet pour le cas non
stationnaire devient :
vj = vp cos(α+δ−β/2)/sin(β/2)
Géométrie instationnaire
(4)
Différents auteurs et en particulier Defourneaux [3],
ont proposé diverses méthodes pour tenter d'obtenir
une expression analytique de l'angle β dans le cas de
charges non stationnaires. Il faut savoir
que dès 1950, Defrance et Schall avaient
utilisé une méthode graphique à base de
nomogrammes pour calculer pas à pas la
vitesse du jet et sa pénétration dans une
cible
[2].
Toutefois,
l'arrivée
des
calculateurs
a
facilité
les
calculs
analytiques pas à pas, et a notamment
permis une détermination géométrique de
l'angle β par calcul des trajectoires de
points adjacents du revêtement.
vitesses de jet calculées avec β déterminé
Si la détermination de β ne pose pas de
géométriquement et avec β∗ déduit de vc
problème particulier pour un revêtement
infiniment mince, il en va différemment pour un revêtement qui s'épaissit durant l'implosion et se
divise en un jet et noyau dont le diamètre est non négligeable.
Le problème du calcul de β dans la théorie des charges instationnaires a été analysé en se
référant à des résultats obtenus par couplage 2D+1D, méthode qui consiste à introduire dans
l'équation (4) les valeurs en fin d'implosion de vp, β et δ obtenues par une simulation
bidimensionnelle effectuée à l'aide d'un code lagrangien. Grâce à cette méthode de couplage
2D+1D, il a été possible de montrer qu'on calcule de meilleures valeurs des vitesses de jet en
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remplaçant la valeur géométrique de l'angle β par celle d'une quantité β∗, calculée à partir de la
vitesse vc du point de collision sur l'axe.
Cohérence du jet
Les équations de la théorie hydrodynamique indiquent que la vitesse du jet d'une charge creuse
augmente lorsque l'angle du revêtement diminue,
pour atteindre une valeur égale à deux fois la
vitesse de détonation dans le cas d'une charge
cylindrique. Ceci étant, l'expérience montre que
lorsqu'on entreprend de générer des jets de plus
en plus rapides, par exemple en diminuant l'angle
du cône, apparait une limite au-delà de laquelle
les jets formés ne sont plus cohérents, et que
cette limite augmente avec la vitesse du son
dans le matériau de revêtement. Il a été établi en
effet, que ce phénomène d'éclatement du jet
obéit à un critère dit "de sonicité", lequel stipule
que le jet d'une charge creuse est cohérent à la
condition que dans le repère mobile lié au point
de collision, l'écoulement du revêtement soit
subsonique.
Limite de cohérence des jets
La vitesse du son dans le revêtement étant difficilement connue dans les conditions de
température et de pression qui règnent dans la zone de collision sur l'axe du jet, des expériences
ont été menées avec différents matériaux et différentes formes de charges dans le but de valider
et quantifier ce critère de cohérence. Les résultats de cette étude ont montré que pour reproduire
les observations expérimentales, il était nécessaire d'utiliser une valeur seuil supérieure de 20% à
la vitesse des ondes de dilatation mesurée à température ambiante.
En introduisant cette valeur seuil dans les formules de la théorie hydrodynamique, il est possible
de calculer pour chaque matériau de revêtement, une valeur maximale de vitesse de jet cohérent.
On constate alors que cette valeur maximale est
proche de 2.4 fois la vitesse du son, et qu'elle
ne dépend que très peu du design de la charge.
Pour des jets en cuivre, on obtient ainsi une
limite voisine de 10 km/s, alors qu'avec du
nickel -qui a la même densité que le cuivre mais
une vitesse du son 15% supérieure, il est
possible de former des jets cohérents jusqu'à
11.5 km/s. Les expériences menées à l'ISL ont
montré que la plupart des métaux obéissent à
ce critère, à l'exception de l'aluminium pour
Charge creuse à revêtement en molybdène [8]
lequel la limite de cohérence est plus faible que
la valeur prévue par la théorie. Le bien fondé de
ce critère de cohérence est confirmé par le fait que les jets cohérents les plus rapides qui aient été
présentés dans la littérature ouverte, sont des jets en molybdène dont la tête se déplace à
12.5 km/s [8].
Elongation et fragmentation du jet
Les codes analytiques de simulation des charges creuses sont également dénommés codes-1D
car ils utilisent un découpage de la charge le long de l'axe, en référant chaque élément du jet à
une coordonnée lagrangienne qui est généralement l'abscisse initiale s de l'élément de
revêtement. L'évolution du jet est obtenue à partir des valeurs de l'abscisse du point de collision
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xc(s) et de l'instant de collision tc(s) qui sont fournis par le modèle d'implosion d'une part, et à partir
des valeurs de vitesse vj(s) et de masse dmj(s) de jet fournies par la théorie hydrodynamique. La
position à tout instant t de l'élément de jet issu de l'élément de revêtement initialement positionné
en s est donnée par la relation:
x(s,t) = xc(s) + vj(s) [t-tc(s)]
(5)
Le modèle P.E.R. implique que la vitesse des éléments du jet décroit de la tête vers la queue du
jet, c'est-à-dire que le gradient de vitesse par rapport à l'abscisse originelle est négatif. Or il se
trouve que pour la plupart des charges et notamment pour les charges coniques, les éléments
issus de la région du sommet du cône
ne sont pas accélérés suffisamment
longtemps pour atteindre leur vitesse
maximale, ce qui engendre une
inversion de gradient de vitesse en
tête de jet. Ce phénomène, qui peut
Jet en cours d'étirement et de fragmentation
concerner jusqu'à 30 à 40% de la
hauteur du revêtement dans une
charge conique, se traduit par une accumulation de masse en tête de jet et par la formation d'un
élément de tête massif, que les codes 1D traitent par conservation de quantité de mouvement.
L'étirement du jet étant pris en compte par l'équation (5), le module suivant d'un code analytique a
pour rôle de calculer la fragmentation du jet. Ce thème a donné lieu entre la fin des années 70 et le
début des années 90 à de nombreux travaux concernant le développement des instabilités dans
les jets d'une part, et l'établissement de formules semi-empiriques d'autre part. La référence [5]
fournit des informations détaillées sur les différents travaux publiés qui mettent notamment en
évidence le rôle de la valeur de l'écart de vitesse entre fragments du jet, qui se trouve être une
constante caractéristique du matériau de revêtement. Cette valeur communément dénommée ∆Vpl
peut être reliée par un facteur de proportionnalité -compris entre 0.85 et 1 selon les auteurs-, à une
vitesse d'onde cp = (σ/ρ)1/2, expression dans laquelle σ représente la contrainte limite d'écoulement
plastique dans le matériau du jet. Faute de connaitre précisément la valeur de σ dans le jet, les
codes analytiques utilisent généralement une valeur de ∆Vpl mesurée expérimentalement. A titre
indicatif et pour des jets en cuivre, les valeurs de l'écart de vitesse entre fragments ∆Vpl sont
comprises entre 100 m/s pour des cuivres ordinaires, et 70 m/s dans le cas de jets
particulièrement ductiles.
Le nombre de fragments dans le jet étant
défini par la valeur de ∆Vpl, tout code
analytique doit de plus disposer d'une
formule donnant l'instant de rupture tr. Un
bon nombre de formules semi empiriques
ont été proposées qui font intervenir le
rayon initial rj0 du jet et prennent
généralement la forme suivante:
tr = k (rj0/∆Vpl)γ
Il faut savoir que le premier auteur à avoir
proposé une formule de ce type est Hirsch
[9] qui en 1979 a proposé une formule très
simple avec k=1 et γ=1. Malgré son
Calcul de la longueur cumulée d'un jet fragmenté
extrême simplicité, cette formule donne des
résultats relativement bons et a été largement utilisée dans les codes analytiques. Plus
récemment, et notamment grâce aux travaux de J. Petit du CEG [10], on a pu montrer qu'une
valeur de γ égale à 2/3 était plus justifiée et qu'il était possible de dériver une valeur du coefficient
k à partir de données caractéristiques du matériau de revêtement [11].
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Pénétration du jet
Bien que de forme très simple, la loi hydrodynamique de
pénétration est particulièrement performante pour le calcul
de la profondeur des cratères créés par des projectiles
allongés animés de grandes vitesses. Pour appliquer
cette loi au calcul de la pénétration des charges creuses,
il est nécessaire de prendre en compte le fait que la
longueur du jet est en constante évolution au cours du
temps. En effet, le jet s'allonge d'une part sous l'effet du
gradient de vitesse et dans le même temps, il se
consomme et se raccourcit en interagissant avec la cible.
Il est de plus nécessaire de prendre en compte le fait
Illustration de la loi de pénétration
qu'après un certain temps, le jet se fragmente et que la
hydrodynamique
pénétration d'un jet fragmenté n'est plus celle d'un
projectile allongé. La distance entre la charge et la cible,
dite "distance d'action" et communément dénommée H, est donc un paramètre déterminant dans
la définition et le calcul des performances d'une charge creuse.
Il est d'usage de caractériser le pouvoir de pénétration d'une charge creuse par sa courbe P(H) qui
rapporte les profondeurs de pénétration P mesurées dans des cibles en acier lors de tirs de
charges identiques, placées à différentes distances d'action H. Toutes les courbe P(H) ont une
même forme générale qui commence par une partie croissante, passe par un maximum puis
présente une décroissance plus ou moins rapide. L'emplacement du maximum de pénétration et
l'intensité de la décroissance de la courbe dépendent pour partie du design de la charge (vitesse
et énergie du jet) mais également de la qualité de réalisation de la charge (qualité du cuivre,
défauts de symétrie). Typiquement, la courbe P(H) d'une charge de précision performante passera
par un maximum de pénétration compris entre 8 et 10 calibres, qu'elle atteindra pour une distance
d'action comprise entre 5 et 10 calibres.
Dès les origines, les chercheurs ont cherché à
établir des modèles analytiques qui soient
capables de reproduire par calcul la forme
caractéristique de la courbe P(H). Ainsi la
publication fondatrice de 1948 déjà citée [1],
proposait
d'introduire
dans
l'équation
hydrodynamique un facteur correctif λ destiné à
tenir compte des effets instationnaires qui
apparaissent lors de la pénétration par un jet
fragmenté. D'autres travaux théoriques ont été
menés entre les années 50 et la fin des années
80, dont bon nombre ont proposé des
adaptations de la loi de pénétration
hydrodynamique destinées à prendre en
Influence de la distance d'action sur la
compte certains aspects particuliers. La
pénétration d'une charge creuse
référence [5] détaille ces travaux et on se
limitera à citer la pénétration de projectiles animés de gradient de vitesse, la pénétration dans des
matériaux compressibles et surtout le modèle de Tate [12] qui a introduit dans la théorie
hydrodynamique une prise en compte de la résistance du projectile et de la cible. On retiendra que
l'intérêt du modèle de Tate réside essentiellement dans sa capacité à traiter de la pénétration des
projectiles flèches, car dans le cas des charges creuses, les vitesses d'impact sont tellement
élevées que l'équation (3) est suffisante.
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Ces adaptations du modèle hydrodynamique ne permettent pas d'expliquer la forme de la courbe
P(H). En effet, l'avènement des codes eulériens a permis d'étudier quantitativement la pénétration
de projectiles segmentés et de montrer que la fragmentation à elle seule ne permet pas d'expliquer
la décroissance de la courbe P(H), le potentiel de pénétration de fragments parfaitement alignés
s'avérant être légèrement plus élevé que celui de projectiles continus de même longueur totale.
En réalité, la baisse de pénétration des charges creuses au-delà de la distance d'action optimale
est essentiellement due au fait que les fragments ne restent pas alignés sur l'axe de la charge. La
dispersion latérale des fragments de jet a été étudiée de manière quantitative notamment par Held
qui, à l'aide de caméras à fente, a mesuré les déviations transversales de fragments de jets issus
de charges creuses de précision [13]. Par ailleurs, Held a également utilisé des sondes
chronométriques placées à différentes profondeurs dans des cibles en acier pour constater que la
progression du cratère en fonction du temps est conforme à la loi hydrodynamique jusqu'à un
certain instant, puis cesse brutalement pour une vitesse de jet dite "cut-off velocity", qui dépend de
la charge et augmente avec la distance d'action.
A partir de ces observations expérimentales, on a entrepris de bâtir un modèle de calcul de la
courbe P(H) par code analytique, se fondant sur les hypothèses suivantes:
−
chaque élément de jet est doté d'une vitesse transversale (supposée constante) et suit
une trajectoire tridimensionnelle indépendante de celles des autres éléments de jet;
−
chaque élément crée un cratère cylindrique dont la profondeur est donnée par l'équation
(3) et par la longueur de l'élément à l'instant d'impact, et dont le diamètre est calculé par
proportionnalité entre volume de cratère et énergie cinétique de l'élément;
−
dès qu'un élément touche les bords d'un cratère déjà formé, il engendre à l'endroit du
contact, la formation d'un nouvel élément de cratère cylindrique.
Le calcul s'effectue pas à pas, en considérant successivement les cratères élémentaires créés par
chaque élément du jet, en commençant par l'élément de tête et en allant jusqu'au dernier élément
de l'arrière du jet. Le cratère final est ensuite obtenu par juxtaposition des cratères élémentaires.
De tels calculs effectués avec des valeurs de vitesses transversales mesurées expérimentalement
ont donné des résultats qui reproduisaient très convenablement les courbes P(H).
Sachant que les vitesses transversales des éléments de jet ne sont généralement pas connues, il
est souvent nécessaire dans un code analytique d'utiliser des valeurs arbitraires. Notre expérience
nous a montré qu'on obtenait généralement
de bons résultats en utilisant des vitesses
latérales fictives constantes et coplanaires.
C'est ainsi qu'on a pu montrer qu'une valeur
constante de 50 m/s permettait de restituer
correctement la courbe P(H) de charges de
précision.
Il est certain qu'une telle modélisation est
quelque peu simpliste et ne peut pas rendre
compte de la complexité des phénomènes
physiques intervenant lors de l'interaction
d'un jet avec une cible. Elle a cependant le
mérite de restituer de manière correcte
certaines tendances comme l'influence de la
densité ou de la dureté de cibles métalliques.
L'implantation d'un tel module de pénétration
constitue la dernière étape de la construction
d'un code analytique de simulation de
charges creuses.
Calcul de courbes P(H) en utilisant des vitesses
transversales expérimentales
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Applications et limites des codes analytiques
Une fois le module de pénétration implanté, le code analytique ainsi bâti est alors capable de
calculer le pouvoir de pénétration dans les cibles métalliques d'une charge creuse à partir de ses
caractéristiques géométriques et de la nature de son explosif et de son revêtement. Il est bien
entendu toujours possible d'ajouter au module de pénétration certains compléments spécifiques,
de manière notamment à traiter de cibles spéciales. A cet égard, on peut citer à titre d'exemple le
remarquable travail Israélien publié dès 1984 sur la modélisation de l'interaction entre un jet et un
blindage réactif [14].
Bien que les simulations bi et tridimensionnelles soient devenues de plus en plus accessibles au
cours des années, les codes analytiques demeurent des outils essentiels dans bon nombre de
situations. Un code analytique permet d'effectuer des études paramétriques numériques portant
sur le dessin ou la nature des constituants de la charge. C'est ainsi que grâce à un code
analytique, on a pu quantifier très tôt les effets du remplacement de l'octogène par du CL20 dans
le chargement d'une charge creuse et calculer un gain en performance allant de 5% à faible
distance d'action à 15% à grande distance. Ce calcul a pu être effectué à partir de la connaissance
de l'équation JWL d'une composition à base de 95% de CL20 et ce, alors que le produit n'était pas
encore disponible en France. Ce calcul supposait que la dispersion latérale des fragments était
indépendante du chargement explosif et les calculs ont été confirmés par la suite, à l'occasion de
la publication de résultats expérimentaux américains en 1998.
Un code analytique est également un outil
essentiel lorsqu'il s'agit de connaitre les
caractéristiques de jets ayant perforé une
certaine épaisseur d'un quelconque matériau.
C'est par exemple le cas en matière de
vulnérabilité des explosifs face aux charges
creuses, domaine pour lequel il existe un
critère de mise en détonation fondé sur une
valeur seuil de la quantité v2d, où v et d
représentent la vitesse et le diamètre du
projectile agresseur. Pour dimensionner une
charge creuse de déminage ou pour étudier
la vulnérabilité d'une munition placée dans un
environnement quelconque, l'usage d'un code
Calcul de l'influence de l'explosif de chargement
analytique permet de calculer le diamètre et
d'une charge creuse sur ses performances
la vitesse de l'élément de jet qui impactera la
matière explosive. A l'occasion de l'étude d'une charge creuse destinée à faire détoner des
charges enfouies dans différents sols, on a pu montrer que les vitesses résiduelles de jets
calculées étaient en parfait accord avec des expérimentations effectuées à l'ETBS où des charges
creuses avaient été tirées face à de fortes épaisseurs de graviers et d'argile. Un même accord
entre calculs analytiques et mesures expérimentales a également été obtenu dans le cas de jets
de charges creuses pour applications sous marines qui avaient traversé de fortes épaisseurs d'eau.
Les codes analytiques ont été développés essentiellement durant les années 70 à 90, et il n'existe
pratiquement plus de travaux de développement à l'heure actuelle. Tout juste a-t-on pu noter
récemment des travaux concernant la modélisation de la pénétration de jets poreux pour des
applications en recherche pétrolière, domaine pour lequel il faut savoir que plusieurs millions de
charges creuses sont produites et tirées chaque année!
Il reste cependant un domaine pour lequel de nouveaux développements seraient probablement
bénéfiques, à savoir celui de la prévision quantitative des vitesses transversales de jet causées
par les défauts de symétrie dans les charges. Un groupe de travail européen du GEIP avait initié
des travaux sur ce thème au début des années 90. Ce groupe s'était donné comme objectif
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d'élaborer des modèles analytiques qui seraient validés à l'aide de simulations tridimensionnelles
et d'expérimentation de charges ayant des défauts calibrés, tels qu'excentrement de l'amorçage,
désaxage ou excentricité du revêtement…. La complexité de la tâche et la baisse des moyens
affectés aux études de charges creuses n'ont pas permis à ce groupe de mener à bien ces
travaux.
APPORT DES SIMULATIONS BI ET TRIDIMENSIONNELLES DANS LE DOMAINE DES
CHARGES FORMÉES.
Les codes analytiques ont été bâtis à partir de la théorie hydrodynamique des charges creuses
stationnaires et leurs prédictions sont donc d'autant plus fiables qu'elles concernent des charges
creuses classiques. Par charges classiques, il faut entendre des charges avec des angles
relativement fermés, produisant des jets rapides –hypothèse hydrodynamique, sans grandes
variations d'angle ou d'épaisseur, et qui donc ne s'écartent que relativement peu de l'hypothèse de
stationnarité. A contrario, il n'est pas étonnant que certains types de charges telles que les
charges génératrices de noyaux, ne soient pas susceptibles d'un traitement par code analytique.
Si la dénomination anglo-saxonne de "shaped charges" se limite aux charges formant un jet,
l'usage a voulu en France que la notion de "charges formées" –traduction littérale de "shaped
charges", englobe également les charges génératrices de noyaux (CGN) qui constituent aux USA
une catégorie propre, à savoir celle des "Explosively Formed Projectiles" (EFP).
L'idée de concevoir des charges génératrices de
noyaux n'est pas récente, puisque Schardin a rapporté
qu'il avait eu l'occasion d'étudier durant la seconde
guerre mondiale des charges à revêtement en forme
calotte plate, à partir des premières expériences d'un
colonel hongrois nommé Misney [15]. Schardin aavait
alors clairement décrit ce type de charges comme
transformant le revêtement en un projectile compact et
étiré, ayant une efficacité à grande distance. C'est ainsi
Charge plate à assiette massive étudiée
qu'après guerre fut longtemps utilisée aux USA
durant la 2nde guerre, Schardin [15]
l'expression de "Misznay-Schardin effect" pour qualifier
ce type de charges. Au début des années 70, cette
dénomination a été remplacée par l'expression plus
parlante de "self-forging-fragments" avant que ne s'impose dix ans plus tard la notion d'EFP pour
"explosively formed penetrators" ou "explosively formed projectiles".
Le fonctionnement d'une charge génératrice de noyau ne donnant pas lieu à une séparation du
revêtement en un jet et un noyau, il est clair que les codes analytiques de charges creuses ne sont
pas adaptés pour calculer ce type de charges. Il y a bien eu quelques tentatives de modélisation
analytique des charges génératrices de noyaux,
mais sans grand succès car comme le précisait
Held en 1976, une charge de ce type est beaucoup
plus difficile à faire fonctionner correctement qu'une
charge creuse classique [16]. C'est l'avènement des
codes bidimensionnels lagrangiens qui a permis que
soient entrepris à partir des années 70, des travaux
menant à la réalisation de charges génératrices de
noyaux performantes. Les premières publications
ouvertes portaient sur des travaux américains
présentés lors du 3ème Symposium de Balistique
[17], montrant notamment une comparaison entre
Radiographie d'une charge générant un
expériences et simulations numériques effectuées
projectile aérostable (Held, 1976)
avec le code HEMP.
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Très rapidement il est apparu que la qualité des simulations dépendait très fortement des lois
utilisées pour décrire le comportement élasto-plastique du matériau de revêtement et de nombreux
travaux ont été menés pour améliorer les connaissances dans ce domaine. C'est de cette époque
que date le fameux modèle dit de "Johnson-Cook"
(1983), qui propose une formulation exprimant la
limite d'écoulement plastique du matériau en fonction
de l'écrouissage, de la température et de la vitesse
de déformation. En France, le CEG a mené
d'importants travaux dans ce domaine, mettant
notamment en évidence la nécessité d'une prise en
compte des effets du choc initial occasionné par
l'explosif, dans la loi de comportement d'un matériau
de CGN tel que le fer ou le cuivre. Il faut savoir que
les simulations numériques lagrangiennes ont été
Simulations numériques de
d'un apport essentiel pour la mise au point par la
CGN datant de 1977 [17]
firme Nexter de la charge de l'obus d'artillerie Bonus.
Si les premières simulations de charges génératrices de noyaux étaient bidimensionnelles,
l'augmentation des puissances de calcul a rapidement facilité l'accès aux simulations
tridimensionnelles, permettant ainsi de simuler et étudier des charges non axisymétriques ou des
charges comportant des dispositifs destinés à doter les noyaux d'ailettes de stabilisation
aérodynamique, comme dans le cas d'une charge à plusieurs points d'amorçage [18]. Il faut savoir
qu'avaient été publiés dès 1981, des travaux américains mettant en œuvre des simulations 3D
pour calculer les vitesses de rotation induites dans des noyaux de CGN par des dissymétries dans
les charges.
Les simulations numériques de charges formées ont au cours des années, bénéficié de
l’augmentation des puissances de calcul et également des progrès effectués dans le domaine des
logiciels. Les premiers codes accessibles aux concepteurs de charges étaient des logiciels
lagrangiens, moins gourmands en ressources que les
logiciels eulériens mais souvent peu adaptés à traiter
correctement les écoulements de gaz de détonation.
C'est ainsi que les difficultés rencontrées alors pour
traiter la fuite des gaz entre confinement et revêtement
obligeaient à certaines manipulations -telles que
suppression de mailles ou extension de lignes de
glissement, qui affectaient la qualité des simulations
notamment pour les charges CGN.
Aujourd’hui, les capacités de couplage Euler-Lagrange
permettent de simuler correctement l’écoulement des
produits de détonation dans un schéma eulérien, tout
en conservant pour le revêtement une discrétisation
Exemple de simulation 3D: CGN
lagrangienne, plus apte à traiter les déformations
à 3 points d'amorçage [18]
élasto-plastiques de matériaux solides. Dans le cas
des charges creuses classiques, les codes
lagrangiens ne sont pas adaptés pour traiter les très grandes déformations d'un revêtement qui se
sépare en un jet et un noyau. A titre anecdotique, on peut évoquer des tentatives de simulation
lagrangienne de la formation d'un jet en introduisant plusieurs lignes de glissement dans
l'épaisseur d'un revêtement, mais qui sont restées sans suite.
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Dans la famille des charges formées, on trouve également les charges à revêtements
hémisphériques qui forment des jets plus lents que ceux des charges coniques classiques. Les
vitesses des jets obtenus avec de telles charges sont généralement comprises entre 4 et 5 km/s
mais peuvent dépasser 6 km/s pour des revêtements très fins. La phase initiale du processus de
formation des jets de charges hémisphériques est quelque peu différente de celle des jets de
charges à angle fermé mais après une certaine élongation, les jets se comportent pratiquement
comme ceux des charges classiques, si ce n'est qu'ils sont un peu plus massifs parce que plus
lents.
Les
charges
à
revêtements
hémisphériques trouvent notamment un intérêt
pour des revêtements à basse vitesse du son
et le BRL qui les a intensivement étudiées
durant les années 80, a à cette époque utilisé à
la fois un code lagrangien (EPIC) et un code
eulérien (HELP) pour mettre en évidence un
processus de formation de jet qui s'apparente à
un empilement de couches tubulaires [4].
Plus récemment, le besoin a été identifié de
concevoir des charges qui soient, à une
distance d'action d'une centaine de calibres,
capables de performances à la fois plus
Charge à revêtement hémisphérique
élevées que celles des charges CGN et que
bimétallique: simulations eulérienne (HELP) et
celles des charges classiques. Les réflexions
lagrangienne (EPIC), [4]
ont conduit à imaginer des charges qui soient
capables de générer des projectiles ayant des
vitesses relativement élevées et un gradient de
vitesse limité à quelques centaines de m/s. Ce type de charge se situe quelque part entre les
charges creuses et les charges génératrices de noyaux, d'où la dénomination de "charges
hybrides" suggérée par le CEG. Contrairement aux charges creuses classiques, le design de telles
charges est particulièrement délicat et le recours à des simulations eulériennes bidimensionnelles
est indispensable pour obtenir la transformation du revêtement en un projectile rapide et à gradient
de vitesse maitrisé, de telle sorte que sa longueur totale après fragmentation soit optimisée.
Il serait possible de montrer bon nombre d'exemples de situations pour lesquelles les simulations
numériques bi ou tridimensionnelles ont apporté un éclairage décisif pour expliquer certains
phénomènes liés au design ou au fonctionnement de charges formées. C'est paar exemple le cas
dans pour des configurations de charges où les
gaz de détonation ont une action perturbatrice sur
le jet ou sur une partie de la charge. Des
simulations ont ainsi montré comment les gaz de
détonation venaient perturber le jet dans une
charge dont le confinement se prolongeait vers
l'avant en se referment en forme d'ogive. On peut
citer l'étude d'une charge creuse à amorçage
inverse au cours de laquelle une des
configurations testées était dotée d'un dispositif
d'amorçage annulaire dont les gaz venaient
endommager le revêtement avant qu'il n'implose
[19]. Il faut également savoir que les simulations
apportent une aide précieuse pour la conception
des munitions tandem qui associent deux charges
creuses pour combattre les blindages réactifs et
pour lesquelles il est nécessaire d'éliminer les
Charge hybride formant un jet à
éventuels effets négatifs de la détonation de la
gradient de vitesse limité
première charge sur la charge principale.
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On citera un dernier exemple d'apport de la simulation dans le domaine des charges formées qui
concerne des charges diédriques de découpage pour applications spatiales. Des tests de contrôle
de cordeaux de découpe ayant montré certaines performances non satisfaisantes avec formation
de cratères dédoublés, des simulations eulériennes ont été effectuées en introduisant un décalage
de 0.1 mm du chargement explosif par rapport au plan de symétrie. Sachant qu'une simulation 3D
n'aurait pas permis une description suffisamment fine, le phénomène a été simulé en 2D plan -en
supposant une détonation instantanée du cordeau. Avec des mailles de 0.05 mm de côté, le calcul
2D a permis de reproduire l'observation expérimentale d'un double cratère pour les cordeaux avec
défaut [20].
CONCLUSION
Le domaine des charges formées est particulièrement propice pour illustrer une complémentarité
entre codes analytiques et logiciels de dynamique rapide. Le fonctionnement de la charge creuse
se prête naturellement à la réalisation de programmes analytiques modulaires où les données de
sortie de chaque module servent d'entrée au module suivant. Les codes analytiques bâtis à partir
de la théorie hydrodynamique et traitant le
processus complet jusqu'au fond du cratère,
s'avèrent être des outils particulièrement
efficaces
pour
mener
des
études
paramétriques, concevoir des charges pour
des besoins particuliers, dimensionner des
expérimentations face aux blindages…. Mais
les codes analytiques ne permettent pas de
rendre compte de tous les phénomènes et ne
couvrent pas l'ensemble du domaine des
charges
formées.
Des
simulations
Cordeau linéaire de découpe: simulation (2D
lagrangiennes sont nécessaires pour calculer
plan) d'une charge avec et sans défaut de
la formation des projectiles de charges
symétrie [20]
génératrices de noyaux et les simulations
eulériennes
sont
plus
particulièrement
adaptées pour des charges à revêtement hémisphérique ou des charges hybrides. Les simulations
eulériennes donnent la possibilité d'étudier en détails divers phénomènes accompagnant
l'interaction entre jets et cibles spéciales ou certains effets des gaz de détonation sur les jets.
Enfin, les simulations tridimensionnelles apportent une aide précieuse dans certains cas comme
pour l'étude de l'influence des défauts de symétries d'une charge sur ses performances.
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