Plan détaillé de la dissertation

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Plan détaillé de la dissertation
Carole Guidicelli
HORS SÉRIE : INCENDIES DE WAJDI MOUAWAD
Séance 12 : Évaluation/groupement de textes
Plan détaillé de la dissertation :
I) Le théâtre met en scène des personnages de criminels hors du commun
1/ Ce sont des criminels hors du commun par la nature de leurs crimes, et c’est cela
qui les place aux limites de l’humain.
Par exemple, le personnage de Koltès, Roberto Zucco, s’est rendu notamment coupable
de parricide, matricide, infanticide.
Clytemnestre, assassinant son époux, commet un régicide (Agamemnon est le roi
d’Argos).
Nihad, dans Incendies, est non seulement un tueur et un bourreau particulièrement
cruel, mais encore il viole sa mère et a deux enfants d’elle.
Atrée, pour se venger de son frère Thyeste, non seulement tue ses propres neveux, mais
encore les sert à manger à leur père dans un banquet cannibale.
Ce sont des crimes particulièrement horribles car ils touchent au cercle familial et sont
commis avec une violence et un raffinement particulièrement poussés. Ils traduisent la
démesure de ces personnages.
2/ Ce sont des crimes hors du commun par leur démesure, laquelle transparaît
dans le mode opératoire choisi et dans la façon dont le criminel réitère le crime.
Leur façon d’opérer fait ressortir le pire de l’être humain en termes de barbarie, de
bestialité, de violence aveugle, de folie.
Atrée, juste après son forfait, en rapporte tous les détails à Thyeste, pour lui infliger une
souffrance supplémentaire et il a lui-même l’air de se délecter de ce qu’il raconte.
Clytemnestre, elle, a choisi d’assassiner Agamemnon par une ruse humiliante pour la
victime : alors qu’il sort du bain rituel qu’elle lui a préparé, elle l’enveloppe dans un tissu
qui le prend au piège tel un filet inextricable. Ce valeureux guerrier, ce grand roi est donc
nu et sans défense, et sa mise à mort est une honte pour lui.
De plus, Clytemnestre réitère en quelque sorte ce crime en le racontant, ce qui accroît sa
vengeance et la prolonge.
3/ Ces criminels, non seulement n’éprouvent ni remords ni culpabilité, mais encore
revendiquent vivement leurs actes et s’en glorifient.
Atrée n’a qu’un regret : ne pas avoir fait pire que ce qu’il a fait et il rêve encore sur ce
qu’il promet.
Clytemnestre a une attitude de défi envers le Chœur.
Nihad, qui qualifie son procès d’ « ennuyeux », reconnaît ses crimes comme s’ils étaient
sans importance et va jusqu’à « remercier ses victimes » parce qu’elles lui ont permis
d’accomplir son œuvre artistique.
© NRP HS lycée, n°18 , janvier 2012
Carole Guidicelli
II) De fait, le théâtre semble pouvoir se changer en tribunal
1/ Le criminel ne reconnaît pas les valeurs de la société ; il les défie et lui oppose
son propre système de valeurs en légitimant son crime.
Nihad met au-dessus de tout la recherche esthétique, Atrée et Clytemnestre la
vengeance. En lui donnant la parole, le théâtre interroge le système de valeurs sur lequel
repose la société.
2/ Le théâtre est un espace du débat public. Le fait de mettre sur scène des
criminels hors norme permet le débat sur la faute, la loi…
Dans Agamemnon d’Eschyle, Clytemnestre est interrogée par les citoyens d’Argos
constitués en chœur qui lui demandent de s’expliquer, de justifier son geste : elle dispose
donc d’un espace de parole libre. La forme du procès est directement employée dans Les
Euménides d’Eschyle : Oreste fuit, poursuivi par les Érynnies (les déesses infernales
chargées de punir les assassins d’un membre de leur famille), est protégé d’Apollon, qui
l’incite à se réfugier dans le Temple d’Athéna. Là le procès d’Oreste a lieu pour savoir si la
punition qu’il a déjà subie suffit ou s’il doit être torturé à vie par les déesses. Les arguments
sont donnés, un vote a lieu et Athéna juge l’affaire et acquitte Oreste.
Le théâtre est un tribunal où l’on ne juge pas seulement un personnage, mais où on
réfléchit sur la légitimité ou non de la violence, sur les justifications, les circonstances
atténuantes ou aggravantes et sur le châtiment.
3/ Le théâtre met en perspective le criminel par des dispositifs dramaturgiques et
scéniques. Le regard que l’on porte sur eux est donc différent.
Koltès nous fait entrer dans la logique du tueur en série qui reporte sur les autres sa
pulsion meurtrière. Cette logique est d’ordre paranoïaque : sa phobie de la foule se
concentre sur le regard. Par exemple, il n’a pas supporté que l’enfant le regarde dans les
yeux, et comme celui-ci n’a pas baissé son regard, il l’a tué. Par ailleurs, la pièce Roberto
Zucco porte une dimension initiatique puisqu’elle est construite comme un drame à
stations (Staziondrama) et qu’elle repose sur les idées d’élévation et de chute. Donc la mise
en perspective du personnage pour le spectateur est d’un autre ordre : c’est le seul
personnage à être doté d’un nom et d’un prénom, qui traverse les murs et dont
l’apparition sur toits de la prison rappelle le spectre d’Hamlet. Ce personnage de criminel,
beaucoup plus complexe, interroge les limites de la société mais aussi celles de la
représentation théâtrale.
III) La mise en scène des criminels au théâtre permet d’instaurer d’autres rapports du
spectateur à la représentation : identification / fascination ? Repoussoir ?
Réaffirmation de l’exigence de justice ?
1/ Le théâtre met au jour la sophistique du criminel et montre la fascination qu’il
exerce tant par la parole que par les actes.
Atrée, Nihad et même Clytemnestre font l’apologie de leur crime. Ils trouvent des
arguments pour le légitimer et posent leurs propres lois. En ce sens, ce sont des Antigone
perverses, en quelque sorte. Leur discours, très maîtrisé et très efficace, est doté d’une
force de persuasion indéniable (images fortes, structures grammaticales et rythmiques
saisissantes). Quand ce n’est leur discours qui peut nous faire adopter leur parti, c’est leur
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comportement, comme en témoigne la fascination ressentie par la dame à l’égard de
Zucco qui pourtant vient d’abattre son jeune fils sous ses yeux.
L’une des fonctions du théâtre à ce moment-là est peut-être de nous montrer que
comprendre les motivations d’un criminel risque de nous entraîner sur un chemin glissant
en nous incitant à accepter que le crime puisse être légitimé.
2/ Le théâtre nous présente ces criminels comme repoussoir.
Première hypothèse : l’horreur des spectateurs pour le crime associée à la pitié pour les
victimes serait la réaction recherchée par l’auteur et le metteur en scène d’une pièce.
Seconde hypothèse : ces figures nous apprennent peut-être comment, dans des
circonstances analogues, nous agirions de la même manière ou pas ; selon un point de vue
humaniste, comprenant le point de vue et les motivations d’un criminel, on peut
pardonner.
3/ Le théâtre peut parfois aussi convoquer criminels et victimes par souci de
justice.
Dans Incendies, on ressent une confiance en la justice et en son pouvoir de réparation :
Nawal parle au procès au nom de toutes celles qui n’ont pas survécu et attend que l’ancien
bourreau reconnaisse enfin ses crimes.
Le Groupov, collectif belge d’artistes, a élaboré un spectacle consacré au génocide du
Rwanda. Rwanda 94 se veut « une tentative de réparation symbolique envers les morts à
l'usage des vivants » ; il s’ouvre sur le témoignage authentique d’une rescapée (qu’elle
prononce en direct tous les soirs) et la représentation qui s’enchaîne essaie d’établir les
faits et les responsabilités, rend compte des crimes et remplit un certain nombre de
fonctions qui se rapprochent de celles d’un procès.
© NRP HS lycée, n°18 , janvier 2012