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31 janvier 2013 page 1/2 sur abonnement Éditions
Vie, mort et résurrection
d’El Pana
L
e dimanche 6 janvier, Día de los Reyes, El Coloso de Colima,
un volcan, s’est remis à rugir et à 182 km de là, à Arandas,
dans l’état de Jalisco, Mexique, Rodolfo Rodriguez “El Pana”,
59 ans, aussi. On lui a donné la fève, à savoir les oreilles et
la queue de Don Nico, un novillo et, on le lui souhaite, la galette qui va
avec. L’affiche de la corrida entrevoyait l’épiphanie : « le Jour des Rois le
Roi Mage du toreo t’invite ». Les billets étaient à la vente au « café de la
Veuve », c’était gratuit pour les enfants et à Arandas, capitale du tequila,
les fêtes de la Virgen de Guadalupe venaient de commencer. Cela dit, le
tequila et l’alcool, pour l’ancien alcoolique “El Pana”, c’est fini. De nombreuses cures de désintoxication ont eu raison d’une addiction qu’il n’a
jamais caché et qui lui a fait perdre des courses. Il y arrivait plus noir
qu’une banderille noire ou plus noir que « el señor de negro », le toro,
comme il le surnomme. “El Pana” qui parle de lui à la troisième personne
le confessait en novembre 2011 à Jésus Quintero de la télé andalouse.
Question : « d’où vient “El Pana” » ? Réponse : « “El Pana” vient de la
merde. Il vient de l’alcoolisme qui est un enfer ». Maintenant, il est
convaincu que « boire un verre serait cracher à la figure de Dieu » et il
croit en Dieu, que sa sœur Estela doit considérer comme le Lexomil
suprême : « mon frère a rencontré Dieu et il ne boit plus ». Tout le
Mexique connait son problème. Le 13 juin 2009 chez lui, à Apizaco, il
coupe 2 oreilles. Pendant sa vuelta un couillon ou un pervers lui jette une
gourde de vin. “El Pana” fait semblant de dévisser le bouchon, le public
proteste et l’en empêche. « Non ! Non !» Son foie est une cause mexicaine.
Ce jour là le président lui avait refusé une queue réclamée par le public.
Alors “El Pana” s’était allongé par terre. Il avait agrippé le rabo du toro
mort et s’était fait arrastrer avec lui. À l’arrivée, de son propre chef, il
avait coupé la queue et fait la vuelta. Voilà “El Pana”, torero extravagant
bohème, histrionique, inspiré parfois, en déroute souvent et d’une lucidité statistique : « ma carrière c’est 80 % d’échecs et 20 % de triomphes ».
La vie de ce grand admirateur d’Honoré de Balzac est un roman picaresque. Ancien fossoyeur, ex boulanger, panadero, il a, comme maletilla
reçu des coups de fusil, sauté plusieurs fois en piste comme espontaneo,
du fuir le Portugal pour avoir estoqué un toro, pris vingt cornades et
connu sept fois la prison dont justement une fois à Arandas. Et une autre
fois à Mexico. À cause de Chirac. En 95, lorsque Chirac avait repris les
essais nucléaires à Mururoa, il avait fait le paseo dans la Monumental
avec une pancarte : « Chirac, enfant de salaud, arrête les essais
nucléaires », l’ambassadeur de France l’avait mal pris. Nuit au poste.
Comme nuit, il a connu pire. En mai 2012, après avoir toréé le 4 avec
Castella et Silveti à Aguascalientes, “El Pana”, le lendemain soir, chez lui
à Apizco se sent très mal. Il pense qu’il est en train de mourir. Il évoquera
une « nuit d’agonie ». L’intervention du gouverneur de la région de
Tlaxcala lui permet d’être envoyé aux urgences de l’hôpital régional. Où,
d’après l’interview qu’il a donnée à l’émission radio Formula Taurina, il
reste plusieurs jours assis dans un fauteuil. Jusqu'à ce que, en échange de
la promesse d’une photo dédicacée pour son grand père aficionado, un
soignant le fasse intégrer dans une chambre. On l’opère du foie. Il est
© Alex Rargel
hospitalisé deux mois. Jeûne absolu de 20 jours. Il descend jusqu'à
40 kilos. « Je me suis regardé dans une glace, je me suis mis à pleurer en
voyant le déchet que j’étais devenu ». En mars 2011 il avait déjà entrevu
la Flaca, la Maigre, la Mort, dans le bleu glacial du gyrophare qui l’amenait à toute pompe à l’hôpital Durango à Mexico : péritonite aiguë, la
vésicule explosée, 3 heures d’opération. « El Pana, état critique » annonçait la presse mexicaine. On le sauve « par miracle ». Ensuite il se remet au
toreo. Que faire d’autres quand la vie est une fièvre. “El Pana” : « fatigué
d’être un médiocre prudent je me suis déclaré comme fou génial ». C’est
pourquoi Rodolfo Rodriguez s’est inventé dès 1978 ce personnage de
fondu attachant ou horripilant, de torero baroquissime, polémique, qui
pouvait à ses débuts remplir la Monumental de Mexico en restaurant, à
la cape, aux banderilles, avec la muleta, la vieille dinguerie de la tauromachie indigène. Dont le critique mexicain Pepe Malasombra a écrit que,
comme le catch dans son pays « elle était un spectacle qui privilégie la
théâtralité par delà le danger ». Jusqu’à ce que ses clowneries n’agacent
les cadors qui faisaient, dans le business taurin, la pluie et le beau temps
et le boycotte. Longtemps il aura du mal à trouver un matador pour lui
donner l’alternative. Les cadors ? Eloy Cavazos, qu’il traitera un jour de
« fils de Blanche Neige » et Manolo Martinez que, dans une déclaration
publique, il a jadis roulé dans la farine : « Manolo Martinez n’a même pas
la catégorie pour me donner un abrazo ». Donc mise à l’écart et, de temps
en temps, un éclat, une résurrection, mot qui lui va comme la levure, une
fermentation alcoolique, dans la pâte à pain. Le 7 janvier 2007, en habit
rose pilule LSD et argent il pense faire sa dernière corrida à Mexico et
pour sa dernière saison. Il offre son dernier combat aux putes qui, sous le
magnifique recensement lexical du brindis « damitas, damiselas, zurrapas,
vagas, salinas, buñis, vulpejas etc., » l’ont « accueilli entre leurs cuisses,
ont étanché ma soif, rassasié ma faim et accompagné ma solitude ». Pour
lui, les putes, qui devraient être canonisées, et les toreros sont comme cul
et chemise : « si tu triomphes elles viennent de ton côté ; si tu fracasses
c’est toi qui va les voir ». Mais le 7 janvier 2007 ce qui doit être son dernier toro renverse la table. Il est bravo il est très noble et il a le bon goût
évangélique de se nommer Rey Mago. Roi Mage. Il lui apporte la myrrhe,
l’encens et les pesos. À la suite d’une faena griffée qui fait s’égosiller
d’enthousiasme professionnel les commentateurs radio pour « el sabor
taurino » de ses formes et le « sentimiento » de son inspiration, “El Pana”
lui coupe les deux oreilles et la queue ; après avoir déposé sur le sol de la
Mexico qui est debout et hurle son nom un trincherazo entré dans la
légende de lui-même par lui-même via l’effet de manche qu’il lui en a
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donné : une sorte de post-scriptum tauromachique ou un équivalent du
silence dans une partition musicale. À la fin du trincherazo, “El Pana”
comme foudroyé par l’alcool de son art a, en effet, laissé tomber sa
muleta et, en lui tournant le dos, s’est lentement séparé de Rey Mago
comme on s’éloigne d’un chef d’œuvre pour mieux le déguster ou l’offrir
ostensiblement à l’admiration des mortels. Maintenant, une grosse
sculpture du trincherazo orne l’entrée des arènes d’Apizaco et il passe en
boucle sur You Tube. À la fin de cette mémorable course qui l’a, un temps,
relancé, il recevra même un coup de téléphone de félicitations de Felipe
Calderon président de la république du Mexique. Qui s’excusera de
n’avoir pas pu venir. Ensuite il a repris sa clignotante carrière. Fracasos,
succès. Promis juré, 2013 devrait être sa dernière saison. Les épiphanies,
à la longue, c’est pas du gâteau. Le 7 février il va toréer avec Morante à
Autlan de la Grana et il est annoncé dans les corridas montées pour les
carnavals dans l’état de Jalisco. Il se produira peut-être à Guadalajara et
rêve de confirmer son alternative à Madrid, ce qui pourrait être carnavalesque. Pour l’avenir il se voit bien faire de la politique en profitant d’une
réputation dont, par ailleurs, il se méfie : « la réputation, c’est beau, mais
il ne faut pas qu’elle soit trop ostentatoire. Ça peut-être embêtant. Par
exemple, tu vas au restaurant, on te fait signer des autographes et ton
plat tu le manges froid ». Comme la vengeance.
© DR
Diego Bardon, el patafisico
Dimanche 3, a la cinco de la tarde, au
Cabinet d’amateur, 12 rue de la Forge
Royale à Paris, le torero Diego Bardon
sera décoré par Fernando Arrabal de
l’ordre de la « Grande Gidouille ».
Donc, vu qu’il a un cerveau d’au
moins 30 grammes et plus de 300 cheveux, il deviendra membre du Collège
de Pataphysique, « créé en 1948 de
l’ère vulgaire ». Pour mémoire, Picasso avait reçu la décoration de Boris
Vian et Arrabal, précédemment, l’avait remise à Louise Bourgeois à New
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York et à Oscar Niemeyer à Copacabana. Morts depuis. Par contre Milan
Kundera et Michel Houellebecq qu’il avait proposé en tant que
« Promoteur Insigne de l’ordre » ont été refusés par les membres du
Collège et sont toujours vivants. Raison : ils n’avaient pas une œuvre ou
une vie pataphysique. Le torero Diego Bardon oui. À son actif, mot suspect pour un pataphysicien, il a un jour dans les années 70 toréé un
novillo à Vista Alegre avec deux muletas. Et une autre fois, plutôt que
d’enfoncer une épée entre les omoplates d’un autre novillo il lui a donné
à manger une salade. Le public en avait été si saisi qu’il avait demandé et
obtenu la grâce du toro. Cette grâce potagère et angiosperme étant arrivée aux oreilles d’une société anglaise et enthousiaste de protection des
animaux, Diego Bardon, « torero-panique » avait été invité à donner une
conférence à Londres. Où en début de son intervention il a tordu le cou
à un poulet vivant et, en même temps, à la conférence. On lui doit
d’autres éminentes interventions. Une fois, toujours dans les années
1970, il s’est infligé une « auto-cornade » assez forte dans une galerie
parisienne et a barbouillé de son sang Topor et Arrabal. Toujours dans les
années 1970 il s’est, un soir de noël au Palace, à Paris, publiquement
auto-circoncis. Aujourd’hui à 70 ans il parcourt le monde pour courir des
marathons le plus souvent en marche arrière, fait du journalisme en
Estrémadure, et comme viande ne mange que de la viande de toro
« le seul animal qui meurt dignement » et de toro combattu seulement par
Morante de la Puebla. Diego Bardon n’a jamais pu prendre l’alternative
en Espagne parce qu’il était communiste et au Mexique parce qu’il était
trostkiste. C’est un homme maigre, singulier, à l’esprit pointu qui met
deux cravates plutôt qu’une et va à la messe bien que ne croyant pas en
Dieu. Il a en tête un projet mirifique. Il s’est aperçu qu’il existait des
maisons de vieux, des asiles pour les fous et rien pour les idiots. Il veut
donc, chez lui en Estrémadure, créer « una casa de tontos ». Question :
qu’est ce qu’un vrai pataphysicien ? Pour Luc Etienne, « Régent de
Contrepet » du Collège, « le vrai pataphysicien ne prend rien au sérieux
sauf la pataphysique qui consiste à ne rien prendre au sérieux ». On
notera donc avec profit la coïncidence. Le 3 février, c’est la saint-Blaise
que l’on invoque pour les arêtes plantées dans la gorge.
Blancanieves. Sortie en salle mercredi 23 du splendide film muet
Mardi 14. El Juli s’est fracturé le radius du bras
2 oreilles. MANIZALES (Colombie) le 7 David Mora
2 oreilles. Le 10, Bolívar 2 oreilles. Le 12 El Juli,
3 oreilles, gracie le toro Contratista de Ernesto
Gutiérrez et remporte le trophée de la Féria du Café.
Le banderillero Monaguillo de Colombia y a fait ses
adieux. Il était ami d’enfance de Rincón et sa première
vocation était d’être prêtre. Mais le curé de sa
paroisse, aficionado, l’inscrit à l’école taurine de
Manizales ou le futur Monaguillo de Colombia a hérité
du surnom : « El niño del burladero » ; parce qu’il ne
voulait jamais sortir en piste jusqu’a ce qu’on l’y
pousse. Il deviendra un fameux banderillero dans la
cuadrilla de Rincón.
MOROLÉON (Mexique), le 17, Talavante 2 oreilles.
LÉON (Mexique), le 19, Adame 1 et 1 oreille ; Saldívar
2 oreilles et la queue. Le 2O, Juan Pablo Sánchez
3 oreilles. Dimanche 20, MEXICO, El Juli 2 oreilles.
MEDELLÍN (Colombie), le novillero Santiago Sánchez
Mejía laisse rentrer son premier toro vivant au toril et
fait gracier son second, Madrileño, de l’élevage
Achury Viejo. Vendredi 26 SAN CRISTOBAL
(Venezuela), Fandiño 2 oreilles. Samedi, MEDELLÍN,
Alberto Aguilar 1 et 1 oreille. LÉON (Mexique),
Macias, 2 oreilles et la queue. Dimanche, Juan Pablo
Sánchez 2 oreilles. SAN CRISTOBAL, El Fandi
2 oreilles, Leonardo Benítez 1 et 1. MEXICO,
Talavante 2 oreilles.
et en noir et blanc de Pablo Berger Blancanieves, dont l’action se situe en
Andalousie et dans l’Espagne taurine des années 1920. Pablo Berger : « je
voulais une Blanche Neige populaire, pas fille d’un roi. Et, les rois dans
l’Espagne des années 1920 c’étaient les toreros, Joselito, Belmonte. Ils
étaient millionnaires et pouvaient réunir 20.000 personnes. Et le cortijo
comme château ça m’a paru fascinant ». L’acteur Giménez-Cacho qui
joue le père torero de Blancanieves a été conseillé par le matador retiré
Seseña. Il a vu sa première corrida à 11 ans et, jeune, voulait devenir
torero. Maribel Verdú qui interprète le rôle de la marâtre S.M. a, elle,
joué dans Toreros le film d’Éric
Barbier sorti en 1998. Pour
Almodovar, Blancanieves, record
de nominations (18) aux Goyas
(les Cesars espagnols), est « le
meilleur film de l’année ».
gauche dans un accident d’automobile survenu près
de Badajoz. Il a été opéré. Il sera « out » pour au moins
deux mois.
© DR
Amériques. MEXICO 6 janvier : Fermin Rivera
Mot. Le mot dontancredismo a
fait son entrée dans le dictionnaire
de l’Académie royale espagnole.
Définition : « attitude imperturbable
de celui qui semble ne pas se rendre
compte de la menace d’un grand
danger ». On rappelle que, au début
du XXe siècle, don Tancredo faisait
l’homme statue devant les toros.
Le Petit Vingtième n°27 du jeudi 2 juillet 1931. © Hergé-Moulinsart.
Collection Henriette et Claude Viallat.
editions.atelierbaie.fr Bruno Doan
© DR
Manzanares a tourné un clip avec Britney
Spears. On le voit aussi dans un clip illustrant la
chanson O tu o nada dédiée à l’actrice d’origine tchèque
puis mexicaine Miroslava
(en photo) qui s’était
suicidée à 29 ans en mars
1955 en apprenant le
mariage de Luis Miguel
Dominguín avec l’actrice
italienne Lucia Bosé.
Miroslava, accusée d’être
une espionne par le
gouvernement de Franco, avait pu tourner en Espagne
grâce à Dominguín qui, par parenthèse, a donné
l’alternative à Manzanares père. José Mari Manzanares
fils, qui va toréer six toros dont un Victorino à Séville
est aussi avec Kate Moss une des images de la
campagne 2013 de la marque Givenchy. Il représente
aussi la marque de montres suisses IWC.
Interdiction. Par décision
du ministère de
l’intérieur les manifestations anti-taurines en France
sont désormais interdites dans la proximité des arènes.

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