CAFE D`HISTOIRE du 8 novembre 2011. Le siège de Strasbourg en

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CAFE D`HISTOIRE du 8 novembre 2011. Le siège de Strasbourg en
CAFE D’HISTOIRE du 8 novembre 2011.
Le siège de Strasbourg en 1870, d’après le journal d’Ernest Frantz.
Par Marie-Claire Vitoux, maître de conférences à l’Université de Haute Alsace et Aline
Bouche, archiviste.
M-C Vitoux : Ce livre Strasbourg 1870, difficile à trouver parce que l’éditeur (Place Stanislas) a fait
faillite, a été écrit avec 2 archivistes : Aline Bouche et David Bourgeois. C’est la publication du
journal d’un Strasbourgeois, qui oriente ou désoriente l’histoire de cette guerre qui fut la dernière de
l’Ancien Régime et la première des temps modernes.
L’Allemagne avait prévu, dès avant la guerre, d’installer le siège administratif de la province à
conquérir à Strasbourg. Dans ce contexte, elle organise la création de l’alsacianité comme concept
identitaire. Mais cette guerre conduit aussi à une nouvelle identification de l’Allemagne qui passe en
Alsace du statut de « cousin » à celui de barbare.
A. Bouche : L’auteur de ce journal est né à Strasbourg en 1840, de famille modeste, orphelin de
père à l’âge de 5 ans, chargé des écritures aux Hospices Civils. Il a une conscience politique de
républicain assez marquée. Il s’engage très tôt dans la garde nationale, ce qui le mettra aux premières
loges d’observateur. Il prendra des notes au quotidien du 15 juillet 1870 jusqu’à la reddition de
Strasbourg, le 28 septembre 1870 ; il vit difficilement cette reddition et quittera – tardivement, sans
bénéficier du statut d’optant – Strasbourg pour Besançon, où il terminera sa vie en 1930.
Il remet au propre son journal en 1872, l’illustre de photos. Ce journal se retrouvera en possession
d’un chanoine bibliophile et un héritier du chanoine le révélera comme un ouvrage manuscrit mais
bien relié (sans qu’on sache à quel moment il a été relié). L’auteur n’a visiblement pas pu le publier,
d’où l’idée de le faire paraître maintenant !
M-C Vitoux : C’est un vrai document historique. L’auteur est de bonne culture et a le sens de la
formule. Il s’insurge contre ceux qui sont restés au fond des caves pendant le siège de la ville ; il est
républicain, s’oppose au régime de l’empire napoléonien. Le patriotisme est une valeur républicaine
au 19ième siècle. Bien sûr il est partial, mais il a un vrai souci de la vérité : il vérifie les faits qu’il
relate, il ajoute toutes les photos de Charles Winter, à titre de preuves de ce qu’il rapporte.
Au siège de Strasbourg, on a continué à faire la guerre à l’ancienne, avec des fortifications, des
charges de cavalerie,…Mais il y a déjà une sorte de brouillon d’une nouvelle guerre : les obus ne
sont plus envoyés d’abord sur les fortifications, mais sciemment sur les quartiers peuplés ; on refuse
de laisser sortir femmes et enfants, qu’on utilise comme moyen de pression interne aux assiégés pour
obtenir la reddition. Bref, ce n’est plus une guerre de soldats, mais une attaque de populations civiles.
Et cela change l’image de l’Allemand aux yeux de la population : de voisin, garçon de café,
horticulteur,…avec beaucoup de liens familiaux, il devient un barbare, comparé aux Huns, qui utilise
des armes interdites (balles explosives), commet des massacres de civils dans les villages occupés,
procède à l’intégration de force de civils français pour effectuer des travaux militaires, jusqu’à les
utiliser comme boucliers humains… Notre chroniqueur relève les bombardements de lieux de culture
(la bibliothèque) ou de culte (la cathédrale)… Autant de marques prémonitoires de ce que sera la
guerre de 1914-1918.
On assiste à une mutation du sentiment national : Ernest Frantz est de culture germanique, mais
refuse une annexion brutale qui se ferait au nom du sentiment national germanique. Cette rupture
entre la culture germanique et la barbarie contemporaine allemande de 1970 est nette chez Ernest
Frantz. En écho il y a le travail de Renan sur l’identité nationale française, faite d’émotion tirée de la
souffrance partagée et d’adhésion quotidienne voulue. En Alsace, par contrecoup, la culture
germanique (refusée) devient sentiment d’alsacianité : Français ne puis, Allemand ne veux, Alsacien
je suis ! E. Frantz est le témoin, modeste mais vrai, de la magnitude de ce séisme.
QUESTIONS.
Parmi les troupes assiégeantes, les Badois occupent une part importante et E. Frantz ressent vivement
leur « trahison » de frères et de voisins.
La germanisation de l’Alsace de 1870 à 1911, avant une certaine autonomisation – qui aurait fait le
bonheur d’autres régions françaises ! – n’a rien à voir avec la nazification des années 1940.
Il y a une incompétence de l’Etat major français dans cette guerre ; un grand manque de mobilité des
troupes du côté français, plus qu’une infériorité technique. E. Frantz parle d’une impréparation
morale, un manque de patriotisme, imputable au régime impérial.
L’armée allemande a d’abord refusé toute évacuation de civils de Strasbourg assiégée, pour autoriser
15 jours avant la fin du siège la sortie de 3 fois 500 civils remis à la croix rouge et à la délégation
suisse : la croix rouge a été fondée vers 1850 (guerre de Crimée) ; et en 1870 on en est aux prémisses
de règles internationales sur la guerre.
Bismarck avait un grand mépris pour les conceptions « romantiques » de la germanitude ; pour lui
l’unité allemande se fait par un Etat fort, s’appuyant sur les princes ; mais dans la population ce
sentiment d’identité culturelle germanique progresse.
Notes R. Kriegel.