Cas D`après une version US par Michael H. Moffett Si Karl Marx

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Cas D`après une version US par Michael H. Moffett Si Karl Marx
Cas
D'après une version US par Michael H. Moffett
Si Karl Marx pouvait voir ce que le marché des changes fait aux capitaine
d'industrie, cela le ferait sûrement rire.
Non seulement ils ont à régler des questions liées à la main-d'œuvre, à la
concurrence, à la déréglementation et aux changements rapides de technologie –
non, cela ne suffit pas ! Ajoutez la volatilité observée pour le cours des devises
ces dernières années à cette liste. Et qu'il est regrettable qu'un talentueux
dirigeant d'entreprise d'une des compagnies aériennes les plus prestigieuse au
monde mette en place une spéculation de plusieurs millions de dollars sur le
marché des changes, gagne et soit toujours fustigé par ses détracteurs. C'est bien
assez pour faire pleurer un capitaliste.
-Intermarket 1985
En Janvier 1985, la compagnie aérienne allemande, Lufthansa, sous la présidence de M. Heinz
Ruhnau, décida d'acheter vingt Boeing 737. Le prix convenu était alors de 500,000,000 de dollars
américains, payables à la livraison des avions, soit un an
après la commande en Janvier 1986.
Le dollar américain était alors en forte et constante (depuis
1980) augmentation : il cotait environ DM3.2 / $ en
Janvier 1985. Si le dollar devait poursuivre son
appréciation par rapport au DM, le coût des avions acquis
par Lufthansa augmenterait sensiblement lorsque le
paiement serait dû.
M. Ruhnau avait une opinion arrêtée en ce qui concernait
l'évolution du taux de change : comme beaucoup d'autres à l'époque, il croyait que le dollar avait
probablement atteint son niveau le plus haut par rapport au deutschemark, et qu'il aurait dû reculer
d'ici à la date de livraison des appareils, en janvier 1986. Toutefois, les montants considérables en
jeu ainsi que la responsabilité qui était la sienne vis à vis de la compagnie le conduisirent à adopter
une position de compromis. Sa décision fut la suivante : vendre la moitié de son exposition ($
250,000,000) à un taux de DM3.2 / $, et laisser l'autre moitié ($ 250,000,000) fluctuer sans
couverture.
Alternatives de couverture : une évaluation.
M. Ruhnau et Lufthansa faisaient alors face aux alternatives suivantes :
1. Rester exposés aux fluctuations du taux de change.
2. Couvrir la totalité de l'exposition avec des contrats à terme, et fixer ainsi le prix de DM afin
de lever toute incertitude sur le taux de change.
3. Couvrir une partie de l'exposition, en laissant le solde non couvert faisait également partie
des possibilités.
4. Couvrir l'exposition avec des options de vente de devises.
5. Emprunter les DM et acheter des dollars américains spot, les investir pendant un an, jusqu'à
ce que le paiement soit dû.
Bien que le coût final de chaque option ne puisse être connu par avance, le résultat de chaque
décision pouvait être simulé en retenant des scénarios variés pour l'évolution des taux de change. La
Figure 1 illustre le coût net final des quatre possibilités mentionnées précédemment selon des
hypothèses
différentes
de
taux
de
change
au
comptant
à
l'échéance.
Figure 1: Coût net pour Lufthansa par choix de couverture
Une autre méthode de couverture, fréquemment utilisée par les entreprises internationales et qui ne
fait intervenir aucun contrat dérivé sur taux de change, correspond à matcher les cash-flows en
devises.
Lufthansa à ce titre pouvait compter sur des entrées régulières en dollars américains engendrées par
les ventes de billets aux Etats-Unis.
Bien que M. Ruhnau ait songé à cette possibilité, il décida rapidement de l'écarter vu l'évidente
disparité entre les montants en jeu. Lufhansa ne recevait pas des entrées libellées en US dollars
comparables au décaissement prévu de 500 millions de dollars, même en les cumulant sur plusieurs
années !
1. Rester exposé au risque de change.
Rester exposé est la solution qui présente le risque le plus élevé. On peut donc en attendre à la fois
les bénéfices les plus élevés (si le dollar faiblit contre le deutschemark), tout comme le coût
potentiel le plus sévère (si le dollar continue de se renforcer par rapport au deutschemark).
Si le taux de change était tombé à DM2.2 / $ en Janvier 1986, l'achat des Boeing 737 eût coûté alors
DM1.1 milliards de deutschemark. Bien sûr, si le dollar avait continué à s'apprécier, pour atteindre
par exemple DM4.0 / $ en janvier 1986, le coût total eût alors été de 2.0 milliards de DM. Dans la
Figure 1, le risque de la position non couverte est donc représenté par la droite qui a la plus grande
pente (celle qui présente la distance verticale plus grande).
Cette solution présente évidemment un niveau de risque considérable pour n'importe quelle
entreprise, si bien que la plupart d'entre elles considère que laisser une telle position découverte
correspond simplement à de la spéculation monétaire… ce qui n'est pas leur métier !
2. Couvrir complètement la position avec des contrats à terme.
Si Lufthansa était très averse au risque, et souhaitait éliminer tout risque lié à son exposition au taux
de change, une solution consisterait à acheter des contrats à terme pour l'achat de 500 millions de
dollars américains. Cette décision aurait alors déterminé le taux de change auquel les avions eussent
été acheté, soit DM3.2 / $. Ainsi, le coût final eût été connu (DM1.6 milliards). Les conséquences
de cette option sont représentées par la droite horizontale dans la Figure 1; le coût total des Boeing
737 n'a plus aucun lien alors au taux de change au comptant tel qu'il serait observé en fin de période
(janvier 1986).
La plupart des dirigeant d'entreprises estiment légitime de supporter le risque d'activité (industriel,
pour dire les choses rapidement), mais pas celui lié aux variations des taux de change. Ainsi, une
couverture à 100% de ce risque est-elle souvent choisie par principe, et leur calcul de bénéfice par
rapport à leur activité découle de ce choix.
3. Couverture à terme partielle.
Cette décision consisterait à couvrir seulement une partie de l'exposition totale en conservant une
exposition résiduelle à découvert. Les anticipations de M. Ruhnau étaient la chute du dollar par
rapport au DM ce qui aurait permis à Lufthansa de bénéficier de la position à découvert (comme
dans la variante n ° 1 ci-dessus). Cette stratégie est toutefois quelque peu arbitraire en ce qu'elle ne
repose sur aucune quantification objective de la fraction non-couverte de la position (20/80, 40/60,
50/50, etc.).
Le tableau 1 illustre le coût total de fin de cette alternative pour une couverture partielle de 50/50; $
250,000,000 couverts par des contrats à terme au taux forward de DM3.2 / $, et 250 millions de
dollars achetés au cours au comptant de fin de période. La pente de cette droite est simplement deux
fois moindre que celle de la position 100 % découverte. Toute autre stratégie de couverture partielle
conduirait à situer la droite entre celle montrant le résultat de la stratégie non couverte et 100%
couverte.
Deux points principaux peuvent être relevés en ce qui concerne les stratégies de couverture à terme
partielles de ce genre.
• Tout d'abord, l'exposition potentielle totale de Mr. Ruhnau est illimitée, malgré la couverture
partielle. La possibilité que le dollar grimpe à des niveaux astronomiques existe, et 250
millions de dollars pourraient avoir pour contrepartie une quantité infinie de Deutschemarks.
• Le deuxième point consiste à reconnaître que cette possibilité est très faible. Par conséquent,
pour la gammes des taux de change potentiels immédiatement au-dessus ou au-dessous de
DM3.2 / $,
M. Ruhnau a bel et bien réduit le risque (voir la distance verticale dans la figure 1) .
Figure 2: Ce que Mr Ruhnau pourrait observer : la croissance du taux de change
4. Options en devises.
L'option de change présente des avantages particuliers parmi les alternatives de couverture
possibles qui apparaissent dans le profil brisé de la ligne la représentant. Si M. Ruhnau avait acheté
une option de vente à DM3.2 / $, il aurait pu obtenir ce que beaucoup appelleraient « le meilleur des
deux mondes ». Si le dollar avait continué à s'apprécier au-delà de DM3.2 / $, le coût total pour
l'obtention des $ 500 000 000 se serait alors établi à DM1.6 milliards plus le coût de la prime des
options, (ce qui correspond à la partie plate de la stratégie « options » de la figure 1). Si, toutefois,
le dollar s'était déprécié comme M. Ruhnau l'avait prévu, Lufthansa aurait abandonné l'option et
aurait acheté les dollars au cours spot. Cette hypothèse est représentée par la ligne de chute à la
gauche du taux de change de référence de DM3.2 / $.
La pente de la droite pour la couverture optionnelle est la même que celle de la stratégie où la
position reste non couverte, avec un translation vers le haut du fait du coût additionnel occasionné
par l'acquisition des options.
Dans ce cas, M. Ruhnau aurait dû acheter des options de vente pour 1.6 milliards de DM pour un pri
d'exercice (strike price) de DM3.2 / $. En Janvier 1985, lorsque M. Heinz Ruhnau analysait ces
possibilités, la prime des puts sur Deutschemark s'élève à environ 6%, soit 96,000,000 de DM ou
$ 30,000,000. Le coût total de l'achat des appareils dans le cas où l'option de vente aurait été
exercée eût été de DM1,696,000,000 (prix d'exercice + prime).
Il est important de comprendre ce que M. Ruhnau aurait anticipé s'il avait acheté ces options : une
dépréciation du dollar (le taux de change à la maturité s'établissant à la gauche de
DM3.2 / $ dans la Figure 1), c'est à dire une option « out of the money » à l'expiration. Dépenser
DM96,000,000 est tout de même un investissement colossal pour un opérateur croyant sincèrement
que l'option sera in-fine inutile !
5. Acheter Dollars maintenant.
La cinquième alternative est une couverture directe sur le marché monétaire spot: obtenir la somme
de $500 000 000 maintenant et investir ces fonds dans un compte ou sur un actif sans risque portant
intérêt jusqu'à ce que le paiement ait lieu. Bien que cela élimine effectivement le risque de change,
il aurait fallu que Lufthansa dispose de cette somme à l'instant « t ». Or l'achat des Boeing avait été
fait en liaison avec les plans de financement de Lufthansa, et ceux-ci ne prévoyaient pas un tel
capital disponible avant Janvier 1986. Une autre contrainte devait par ailleurs être prise en compte,
ce qui écarta d'emblée cette cinquième option : Lufthansa avait plusieurs engagements relativement
stricts avec ses financiers qui limitaient de facto l'inscription au bilan de types de dettes, de
montants et les devises dans lesquelles elles devaient être libellées.
La décision de M. Ruhnau
Bien que M. Ruhnau anticipait vraiment que le dollar s'affaiblisse au cours de l'année suivante, il
considérait qu'une exposition au taux de change pour 100 % des 500 000 000 était trop risqué pour
Lufthansa. Peu de personnes l'auraient alors suivi, vu la tendance d'évolution du taux de change à
l'époque (voir Figure 2). Le dollar avait connu une tendance haussière par rapport au deutschemark
quasi ininterrompue sur trois ans et cette tendance semblait s'accélérer sur la période la plus récente.
Parce que sa conviction personnelle était celle d'un affaiblissement du dollar, Herr Ruhnau choisit la
solution d'une couverture à 50% de l'exposition (250 M $) par des contrats à terme (fixant le taux de
change à un an à DM3.2 / $) et de laisser les 50% restants (250 M $) à découvert. Parce que les
options sur taux de change étaient alors des produits relativement nouveaux, méconnus de
nombreuses entreprises, mais aussi en raison du montant très significatif de la prime qu'il aurait
fallu débourser alors, il ne choisit pas la couverture via l'option de change.
Le temps fut l'arbitre quant à la sagesse de sa décision.
Figure 3 : Ce que Mr Ruhnau ne pouvait pas voir : la chute du dollars
La fin de l'histoire
M. Ruhnau avait également raison et tort.
• Ses anticipations étaient exactes. Si le dollar s'apprécia pendant un mois, l'année suivant la
commande des Boeing fut marquée par un fort recul de la devise US contre le DM. Plus
qu'un recul, il s'agit alors d'une vraie chute. En Janvier 1986, lorsque le paiement fut dû à
Boeing, le taux au comptant était tombé à DM2.3 / $ par rapport aux DM3.2 /$ l'année
précédente (voir Figure 3). Cette évolution du taux de change était donc de nature à
favoriser clairement Lufthansa.
• La mauvaise nouvelle fut en revanche que la couverture du taux de change sur les
250,000,000 de dollar US impliquait un décaissement de DM1.375 milliards, soit
DM225,000,000 en de ce qui aurait été décaissé en l'absence de toute couverture! C'est
également DM129,000,000 de plus que ce que l'option de couverture de change aurait coûté
en définitive. Le coût total pour l'obtention des 500 millions de dollars pour chacune des
alternatives en retenant le taux de change spot à la maturité de DM2.3 / $ aurait été:
Alternative
Taux de change de référence
Coût total en
milliards de DM
1 : Absence de
couverture
DM 2,3 / $
1,15
2 : Couverture totale
DM 3,2 / $
1,6
1/2 (DM2.3) + 2 (DM3.2)
1,375
DM 3,2 / $
1,246
3 : Couverture
partielle (50%)
4 :Put sur le DM
Les rivaux politiques de Mr Runhnau, à l'intérieur comme à l'extérieur de Lufthansa, firent part de
leur mécontentement. Ruhnau fut accusé de négligence et de spéculer avec l'argent de Lufthansa.
Paradoxalement, l'accusation de spéculation reposait sur la couverture par les contrat à terme et non
sur la fraction du contrat laissée sans aucune couverture pendant une année.
Questions :
M. Ruhnau a été accusé d'avoir commis les quatre erreurs suivantes:
1. Acheter des Boeing au mauvais moment. Le dollar américain avait atteint un record en
terme de taux de change à l'époque de l'achat (janvier 1985).
2. Choisir de couvrir la moitié de l'exposition alors qu'il s'attendait à une chute du dollar. Si il
avait son intuition ou ses anticipations, il aurait laissé la totalité du montant sans couverture
(que certains critiques ont appelé l'argument de «jusqu'au-boutisme»).
3. Choisir d'utiliser des contrats à terme comme outil de couverture plutôt que des options.
L'achat d'options de vente aurait permis à Herr Ruhnau de se protéger contre les
mouvements de taux de change défavorable tout en préservant la possibilité d'échanger des
DM contre des dollars spot en cas de dépréciation de l devise US.
4. Purement et simplement d'avoir acheté des Boeing ! L' Allemagne, ainsi que d'autre grand
pays européens avait (et a toujours) un intérêt direct dans le conglomérat Airbus. Or le
principal rival d'Airbus pour la fabrication de long-courriers civils est clairement identifié :
il s'agit de Boeing.
Compte tenu de ces critiques,le Conseil d'Administration de Lufthansa devait-il conserver
Herr Heinz Ruhnau comme président? Comment Mr. Ruhnau pouvait-il justifier ses actions
et ainsi justifier son maintien ?