de tout - Shelter

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de tout - Shelter
REGARD
Faire
La Haute-Savoie, la nature,
la montagne, les lacs et les forêts
inspirent les cinq membres
du collectif Shelter. Ici, quelques
montures de la collection réalisées
dans du poirier, du noyer ou
de l’érable, arbres morts souvent
récupérés chez des particuliers.
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lunettes
de tout
bois
Un scieur, un ébéniste, une pro du commerce et un créatif…
le collectif Shelter s’est naturellement tourné vers le bois pour
imaginer des lunettes de soleil qui cartonnent. Une success
story éco-responsable, 100 % made in Haute-Savoie.
PAR ANNE-LAURE BISTON – PHOTOS DAVID MACHET.
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REGARD
REGARD
Ci-contre : Le collectif au complet avec de gauche
à droite, François Regat, Emeline Barat, Florent Chouzy
et Julien Lamotte.
En haut : Choix de placages parmi
les différentes essences sciées durant l’hiver.
Ci-dessus : François Regat dans l’atelier
des Contamines-sur-Arve ; stockage et mise
en séchage naturel des placages de bois
sciés préalablement.
Ci-contre : Georges Regat, élaborant
les fichiers d’usinage des lunettes.
En haut, milieu : Prototypes de faces
de lunettes en noyer et érable, avec intérieur
grenat reprenant les teintes naturelles du vin
vieilli dans le fût de chêne.
Q
uarante-cinq jours ont suffi aux quatre amis
d’enfance pour collecter, via la plate-forme de
financement participatif KissKissBankBank, la
somme de 18 000 euros. Juste incroyable quand
on sait que ces jeunes anneciens n’ont pas le
premier sou en poche lorsqu’ils décident, en juillet 2013, de se lancer
dans la création de lunettes en bois 100 % écolo. Tailler une paire de
lunettes à partir d’arbres locaux recyclés… l’idée déchaîne les internautes et la mise en ligne d’un prototype déclenche la première
commande : 150 paires à débiter en deux mois. Marre des produits
fabriqués en masse !
Émeline, Julien, Florent et François, quatuor interdisciplinaire,
conceptualise très vite le projet, sans attendre pour faire ronfler la scie.
Des nuits à découper, poncer, polir dans le garage de Julien, aidé de
Georges, scieur et père de François, à qui la première collection est
dédiée. La “Georges” en a dans les branches, et c’est avec elle que le
collectif honore sa première commande et remporte, en septembre
2014, le talent “glamour” du magazine éponyme. Le collectif Shelter,
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Ci-dessous : Les lunettes Shelter sur le présentoir
en bûche fait maison, à partir de rayons de vélos
recyclés. Comptez entre 160 € et 190 € la paire,
selon l’essence.
clin d’œil au Gimme Shelter des Rolling Stones, vient de poser les
fondations d’une identité visuelle forte : bienvenue dans leur univers
preppy rock’n’roll.
Une vision écolo décalée
C’est un vent d’air frais boisé, plein de bonne humeur et d’innovation qui
souffle sur le quatuor. Émeline, touche féminine du groupe, raconte que
l’idée est née d’une discussion autour d’un verre. “Chiche de tailler une paire
de lunettes dans une bille de bois ?”, lance Julien Lamotte à François Regat.
Amateur de matière brute à la curiosité tentaculaire, Julien a repéré, du côté
de Berlin, un phénomène en pleine explosion. Des lunettes en bois : green,
totalement green ! Les deux ébénistes de la bande sont comme frappés par
une révélation. Une vision écolo décalée, qui pourrait bien faire une success
story à la française, se disent-ils. La concurrence étant asiatique, les deux
copains pressentent là un bon moyen de valoriser le Made in Annecy. “Nous
voulions fabriquer un produit reflétant nos valeurs et nos savoir-faire.”
La synergie du collectif, un féroce appétit pour l’expérimentation, la puissance du réseau Internet et… un premier référencement chez un opticien
annecien leur donnent de sérieuses raisons d’y croire. Mais avec plus de
200 paires à produire en un mois, il faut s’organiser. C’est avec un fameux
artisan lunettier du Jura que le courant passe. En se déchargeant d’une
partie de la fabrication, le collectif accroît son volume de production,
monte en gamme, tout en conservant la main sur le cœur de l’activité.
Finesse, précision, technicité… les montures s’affinent, tandis que le réseau
de revendeurs grimpe en flèche.
Shelter lance même fin 2014 une série exclusive réalisée à partir d’une
barrique de vin en chêne centenaire. Né de la collaboration entre Shelter et
un jeune vigneron, un coffret est édité en une centaine d’exemplaires. À
l’intérieur, une cuvée spéciale, assortie d’une paire de lunettes taillée dans
les douelles d’un tonneau, aux délicates nuances du tanin, et un étui en cuir
fabriqué par un artisan maroquinier. Puis, aux côtés de la Georges, s’installent dans un grand respect du passé, la Dean, la Duke, la Liberty, et tout
récemment, la Shadow. Des modèles unisexes inspirés de regards mythiques
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REGARD
T. Shu
Après la partie “showroom”, visite
de l’atelier avec le ponçage d’une face
de lunettes en machine par Julien Lamotte.
Mise de la monture dans son étui en coton
et denim fabriqué en collaboration avec
une entreprise de Poitiers.
que le collectif revisite dans une vision contemporaine. Essences de noyer et
d’érable pour la gamme classique, puis poirier, érable et ébène de Macassar
pour la gamme sélection. Vingt grammes de pur design… Du poids plume !
Un millefeuille éco-certifié
Noyer, frêne, merisier, poirier… Le collectif fait feu de tout bois. Qu’ils
proviennent de scieries locales ou de jardins de particuliers, les arbres morts
sont collectés, séchés durant six mois, puis découpés en bandes de 1 à
3 millimètres d’épaisseur dans une scierie de Contamine-sur-Arve. Ces
lames sont ensuite recalibrées à l’atelier à l’aide d’une scie à ruban, puis
séchées quelques minutes à 25 degrés pour optimiser le collage des huit
couches nécessaires à la fabrication de la face. “Dans la succession de tâches,
la partie la plus chronophage est le ponçage”, souligne Émeline.
Dans l’atelier, où les senteurs de bois et de colle se mêlent, chacun met la
main à l’ouvrage. Pour ôter les taches de colle, casser les angles, fermer tous
les pores et aboutir à une surface veloutée et uniforme, le secret, c’est le
papier de verre. La face et les branches sont ensuite trempées dans un bain
d’huile d’agrumes naturelle éco-certifiée. Puis, après une nuit de séchage,
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le polissage donne un fini velouté à la monture. “Notre collaboration avec
l’artisan lunettier a permis d’intégrer à nos lunettes des charnières flexibles.
Un petit luxe qui nous autorise à les adapter à différentes morphologies”,
détaille Julien. Le lunettier du Jura fixe les charnières, assemble les branches
sur la face, puis monte des verres haut de gamme en polycarbonate
(indice 3, 100 % UVA UVB). Pour la touche finale et le contrôle qualité,
c’est retour à l’atelier de Cran-Gevrier. La monture, estampillée Shelter, est
glissée dans son étui, fabriqué par un artisan textile, tout comme les
3 000 paires qui sortiront de l’atelier d’ici fin 2015.
Les quatre amis travaillent désormais à imposer leur lifestyle à la lunette de
prescription et portent leur regard au-delà des frontières hexagonales. Pas
question de s’endormir : les créateurs anneciens, qui ont déjà investi les
belles stations de sports d’hiver, n’ont pas froid aux yeux. Ils pourraient
bien sortir du bois à la recherche d’autres matériaux recyclables à interpréter. Et, une fois encore, nous en mettre plein la vue.
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