On a tué Jaurès ! - Les Archives du Pas-de

Transcription

On a tué Jaurès ! - Les Archives du Pas-de
Pas-de-Calais le Département
Les Archives du Pas-de-Calais (Pas-de-Calais le Département) - Archives > Activités culturelles > Chroniques de la Grande Guerre > Sous la plume de Jean
Jaurès > On a tué Jaurès ! - Le 22 février 2017 - 20h48
Les informations contenues dans cette page ne sont valables avec certitude que jusqu'à cette date et heure.
On a tué Jaurès !
Publié le 31 juillet 2014
La réunion à Bruxelles du Bureau socialiste international le 29 juillet 1914, ainsi que le meeting au Cirque royal qui s’ensuit, permettent à Jean
Jaurès de garder espoir en la paix : les acclamations de milliers de Bruxellois de toutes classes, le manifeste publié le lendemain par le BSI, mais
aussi l’annonce de l’organisation du congrès de la IInde (seconde) Internationale à Paris dès le 9 août, renforcent sa confiance. Celle-ci s’exprime
dans "L’oscillation au bord de l’abîme", un article paru dans La Dépêche du 30 : les forces de paix et de civilisation grandiront dans l’épreuve ()
, qu’elles réussissent ou qu’elles échouent à éviter la guerre, car les hommes auront le sentiment qu’ils ne peuvent échapper à la destruction
totale qu’en assurant la vie des peuples sur des bases nouvelles, sur la démocratie, la justice, la concorde et l’arbitrage () .
À son retour à Paris, le 30 en fin d’après-midi, Jaurès se rend avec une délégation du parti auprès du président du Conseil René Viviani, qui se
veut rassurant ; il obtient du secrétaire général de la CGT, Léon Jouhaux, le report au 9 août d’une manifestation contre la guerre prévue le 2,
puis écrit l’éditorial de L’Humanité, prônant à nouveau un sang-froid nécessaire () contre la menace de guerre : Le péril est grand, mais il n’est
pas invincible si nous gardons la clarté de l’esprit, la fermeté du vouloir, si nous savons avoir à la fois l’héroïsme de la patience et l’héroïsme
de l’action. La vue nette du devoir nous donnera la force de le remplir. ()
Le 31, toutefois, à la Chambre comme au Quai d’Orsay, où il est reçu avec quelques députés SFIO par le sous-secrétaire d’État Abel Ferry,
Jaurès se rend compte de la faiblesse du gouvernement, qui n’a rien fait pour arrêter la Russie, puis apprend que les socialistes allemands ont
accepté la mobilisation générale. Il décide en conséquence d’en appeler à l’opinion publique, par le biais d’un "article décisif" qui dénoncerait
les causes réelles de la crise. Il espère encore dans la médiation britannique, voire dans une intervention du président des États-Unis. Mais il est
aussi conscient que la paix et les valeurs qui la rendent possible doivent être défendues, y compris par la guerre.
(
http://www.archivespasdecalais.fr/var/satellites/storage/images/mediatheque/archives/images/chroniques-de-la-guerre/jaures/14-07-31_raoul_villain/752658-1-fre-FR/14-07-31_raoul_
)
Le climat de haine, entretenu contre lui depuis de longues années par les polémiques des nationalistes, ne va pas lui permettre d’agir sur les
événements. À 21 heures 40, alors qu’il dîne au café du Croissant avec quelques collaborateurs, assis dos à une fenêtre entrouverte, il est tué de
1/4
Pas-de-Calais le Département
deux balles de revolver tirées depuis la rue par Raoul Villain, le fils d’un greffier au tribunal de Reims, convaincu que Jaurès a trahi son pays en
menant sa campagne contre la loi de trois ans () .
La nouvelle se diffuse dans le Pas-de-Calais en même temps que l’ordre de mobilisation générale, voire après lui.
Samedi, 1er (premier) août.
[…]
Midi. Le drapeau est mis en berne à la mairie à cause de la mort de Jaurès. Les femmes assemblées ont
cru que c’était l’annonce de la déclaration de guerre ; des larmes ont commencé à couler. Non, ce n’est
pas encore la guerre ; mais je n’ose plus espérer devant les événements qui se précipitent, si rapidement,
si brutalement.
Quatre heures. Mobilisation générale décrétée.
()
Madeleine Bracq, En Artois juillet-octobre 1914, Tours, s.d., p. 9.
À de rares exceptions près, les militants et dirigeants socialistes mais aussi de la CGT renoncent dès lors aux manifestations (ainsi, à Harnes, le 2
août) comme à la grève générale, permettant au gouvernement de ne faire appliquer que de manière exceptionnelle les mesures liées au carnet B.
Les deux articles, publiés en page 3 de L’Éclaireur socialiste-républicain du 2 août par Georges Barthélemy (sans aucun doute parce que rédigés
tardivement, en fonction des événements), témoignent de cette évolution : un hommage à Jean Jaurès, l’admirable apôtre de la paix, le chef
éminent, aimé et respecté du prolétariat français () ; un appel adressé aux camarades de toutes les corporations () à garder leur calme et leur
confiance dans la diplomatie, mais aussi, si nécessaire, à faire leur devoir pour la Patrie () et la sauvegarde du territoire () .
()
Jaurès est mort
Un épouvantable crime vient de plonger la France républicaine et socialiste dans une poignante douleur.
Jaurès, l’admirable apôtre de la paix, le chef éminent, aimé et respecté du prolétariat français est tombé,
hier, en pleine rue, frappé par le revolver d’un fanatique.
Nous nous refusons devant la tristesse qui nous accable à commenter aujourd’hui l’ignominieux attentat
qui ravit à la vaillante famille ouvrière son défenseur le plus éminent.
Jaurès n’est plus.
Une des plus grandes figures du Parlement français et de l’Internationale ouvrière disparaît.
2/4
Pas-de-Calais le Département
Le grand tribun dort de son dernier sommeil et sa fin brutale sera ressentie douloureusement dans le
cœur de tous ceux qui savaient apprécier l’admirable talent, la générosité, l’ardente foi, qui
personnifiaient Jaurès.
Sa mort tragique ajoute l’auréole du martyr à cinquante-quatre années d’un labeur inlassable, d’une
activité incroyable, uniquement consacrés au magnifique idéal que se faisait Jaurès d’une République
meilleure épanouie jusqu’au socialisme.
Le Parti socialiste français et l’Internationale ouvrière ont perdu le 31 juillet 1914 leur représentant le
plus éminent.
À l’heure tragique où l’affreuse nouvelle de son assassinat est connue de l’Europe en armes, nous nous
inclinons douloureusement devant la dépouille mortelle du citoyen Jaurès et nous nous associons au
prolétariat français tout entier pour pleurer celui qui n’est plus.
Georges BARTHÉLEMY
()
()
Pour la patrie
Il serait puéril de se le cacher : nous vivons depuis trois jours dans l’attente d’une guerre rendue
presque inévitable à l’heure même où nous écrivons ces lignes.
Comme le dit le citoyen Briquet en première page, le calme et la confiance dont la France socialiste a
fait preuve au cours des journées tragiques que nous venons de subir a beaucoup aidé à retarder
l’épouvantable conflit que nous redoutons. Nous sentons bien maintenant que les hostilités qui se sont
ouvertes sur les bords de la Save et du Danube, que la mobilisation partielle de la Russie, de
l’Allemagne, de l’Angleterre et de la France pourront demain mettre l’Europe à feu et à sang.
Nous désirons encore ardemment que la diplomatie parvienne à fermer la bouche des canons. Une
conflagration générale serait tellement épouvantable que ceux qui en assumeraient la responsabilité
pourraient être considérés comme les plus monstrueux malfaiteurs.
Quoi qu’il arrive, la France fidèle à ses amitiés et à ses alliances, confiante en sa force et en l’union de
tous ses enfants, fera respecter sa dignité et sera à hauteur du rôle que lui assigneront les événements,
quels qu’ils soient. En attendant, et plus que jamais, conservons notre calme et notre confiance.
Tous les Français sont prêts à faire leur devoir. Dans les circonstances tragiques que nous traversons
nos camarades de toutes les corporations sauront prouver à nos adversaires que dans les cœurs français
un même sentiment l’emporte sur tous les autres : la sauvegarde du territoire.
Georges BARTHÉLEMY
()
3/4
Pas-de-Calais le Département
L’Éclaireur socialiste-républicain, 2 août 1914. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 29.
De fait, comme le rappellera L’Humanité du lendemain, le 4 août voit à la fois les obsèques parisiennes de Jean Jaurès, à l’angle de la rue
Henri-Martin et de la rue de la Pompe, et le vote des lois et des crédits nécessaires à la défense nationale.
Evénements relatifs
Le 4 août 1914 : obsèques de Jean Jaurès
Obsèques de Monsieur Jaurès Les obsèques de M. Jean Jaurès ont été célébrées, hier matin, devant...
Le 4 août 2014 Lire la suite
Articles relatifs
De l’utilisation du carnet B
La révélation du "gâchis militaire" (Publié le 13 juillet 2014)
Sources
Jean Jaurès, "Sang-froid nécessaire", L’Humanité, 31 juillet 1914.
"Jaurès assassiné", L’Humanité, 1er août 1914.
"Les obsèques de Jaurès", L’Humanité, 5 août 1914.
Bibliographie
Gilles CANDAR et Vincent DUCLERT, Jean Jaurès, Paris, Fayard, 2014.
Romain DUCOULOMBIER, "L’assassinat de Jaurès", dans Jaurès. Une vie pour l’humanité, éd. Beaux-Arts, 2014.
Denis LEFEBVRE, "Ce jour-là. 31 juillet 1914. Jean Jaurès est assassiné",dans Historia, juillet 2014, p. 46-50.
Madeleine REBÉRIOUX et Georges HAUPT, "Le Congrès manqué. L'Internationale à la veille de la première guerre mondiale. Étude et
documents", dans Bibliothèque socialiste. Annales, n° 6, 1967.
4/4