Jacques Le Bohec, Sociologie du phénomène Le Pen, Edition La

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Jacques Le Bohec, Sociologie du phénomène Le Pen, Edition La
 Jacques Le Bohec, Sociologie du phénomène Le Pen,
Edition La Découverte, coll. Repères, 2005
Introduction
Des évidences à éviter
Avant 2002 et l'accès au second tour des élections présidentielles, Jean-Marie Le Pen est décrit par les
commentateurs comme un candidat folklorique, obsolète et inoffensif. Aujourd'hui encore la
sociodémographie de l'électorat du Front National reste inconnu, on ne sait pas qui sont les personnes
qui votent FN.
Un objet à dépassionner
La faible distance émotionnelle entraine des difficultés pour aborder le phénomène Le Pen de façon
normative. On sait pourtant qu'attacher une trop grande importance au phénomène lui donne une plus
grande force.
Pourquoi « Phénomène Le Pen »
L'emploi du terme phénomène se justifie par :
- L'incrédulité face aux résultats électoraux.
- La centralité du personnage de J-M Le Pen dans l'organisation du FN.
Le mot phénomène ne signifie pas ici extraordinaire mais il permet d'intégrer à l'explication les
journalistes, les politiciens, les sondeurs, les historiens qui concourent à la construction symbolique du
phénomène.
On a également parlé d' « effet Le Pen » ou de « symptôme Le Pen ». Selon cette dernière expression
les votes en faveur du FN seraient la conséquence des crises et des maux variés de la société Française.
Le sens subjectif des votes est ainsi négligé.
Renforcer la grille explicative
On considère habituellement les électeurs comme politisés, rationnels, disposant d'une infirmation
parfaite, choisissant en fonction de leur libre-arbitre. Or ce modèle ne tient pas compte des
déterminants sociaux. On peut le qualifier d'ethnocentré puisqu'il correspond aux spécialistes mais pas
à la majorité de la population.
De plus il existe un grand nombre de prénotions sur l'analyse de l'électorat de Le Pen :
- L'électorat disposerait d'une consistance qui se consolide.
- Le vote serait lié à la personnalité charismatique de J-M Le Pen.
- L'électorat du FN serait constitué par les anciens électeurs communistes.
- Le vote en faveur du FN serait centré sur l'immigration, le racisme et la xénophobie.
On remarque que cette approche déductiviste n'est pas conforme à la réalité. On sait en effet qu'il
existe différentes tendances au sein du FN et que par conséquent il est difficile de savoir ce qui plait
réellement aux électeurs.
I - L'entrée d'un parti marginalisé
La conjoncture économique favorable de 1982-1983
Le Front National est créé le 5 octobre 1972. Il obtient alors des scores faibles aux élections
La conjoncture du printemps 1982
En juin 1982 J-M Le Pen est interviewé dans le Journal Télévisé de 23 heures sur TF1 suite au
discours du Président de la République F. Mitterrand en faveur d'un plus grand pluralisme à la
télévision. En effet cette intervention de J-M Le Pen lui permet de « faire diversion » face à une baisse
de popularité causée par de trop nombreuses promesses électorales non tenues.
L 'enclenchement du processus
L'ascension médiatique de J-M Le Pen a précédé son ascension politique. Entre fin 1982 et 1983 Le
Pen multiplie les apparitions dans les médias (France-Inter, Journal Télévisé de 13 heures de TF1). Le
FN compte alors seulement une centaine d'adhérents et reste peu structuré. Son seul atout est alors le
travail de terrain important pour mobiliser les électeurs (porte-à-porte, distribution de tracts). Le parti
s'appuie alors sur deux thèmes importants, les effets négatifs de l'immigration et l'anticommunisme.
Ces thèmes sont d'abord un choix stratégique, ils constituent un moyen de placer le FN au centre des
débats.
Trois élections partielles
En 1883 Jean-Pierre Stirbois (FN) devient conseiller municipal puis une figure de la vie politique
nationale. La stratégie du FN est alors de faire un maximum d'efforts dans un minimum de
circonscriptions, l'objectif étant se susciter l'intérêt des medias et l'inquiétude des autres candidats. La
droite refuse alors de s'allier avec le FN par peur qu'une partie des militants ne se tournent alors vers la
gauche. Quant à la gauche elle espère une hausse des votes en faveur du FN au détriment de la droite.
J-M Le Pen : « un prophète en son pays »
En 1983 Le Pen obtient 12% des suffrages aux élections législatives. On peut proposer plusieurs
explications :
- Cette élection peut avoir valeur de test national.
- La couverture médiatique.
- Le risque quasiment nul d'une victoire de la gauche.
- Quelque soit le résultat il n'aura pas d'influence sur la majorité à l'Assemblé Nationale.
- Le marketing politique actif qui suscite la curiosité du public.
- Le suppléant de J-M Le Pen a une crédibilité locale importante puisqu'il s'agit d'un ancien champion
de moto.
- Depuis 1975 les secteurs de la pêche et de l'ostréiculture sont en crise. Le vote pourrait alors être un
moyen de manifester son sentiment de désarrois et de déclassement. Ils ne soutiennent pas toutes les
thèses du FN mais sont attirés par sa visibilité.
Le scrutin européen de 1984
Apres 1983 le FN intègre l'offre politique effective. Il est alors apprécié car il réactive la croyance
dans le volontarisme politique. On se pose alors des questions quant à la pérennisation du phénomène.
Le FN peut-il s'intégrer durablement dans le paysage politique, ou bien s'agit-il seulement d'un « feu
de paille »?
Le renforcement grâce au ralliement
La dynamique sociale encourage le phénomène Le Pen. Il apparait comme porteur d'espoir. Ainsi les
Communautés-Chrétienté-Solidarité se rallient au FN et lui apportent des ressources humaines et un
stock de candidats potentiels qui lui faisait jusqu'a lors défaut. Mais ces technocrates, professeurs ou
aristocrates se servent souvent du FN comme outil de promotion personnelle. Cependant ils apportent
un gain de crédibilité. La composition du FN est alors de plus en plus hétéroclite mais le parti ne peut
pas se permettre de faire un « tri ». J-M Le Pen a besoin des élus locaux pour recueillir le nombre de
signatures nécessaires afin de se présenter aux élections.
Des médias intéressés
Au début de l'année 1984 Le Pen multiplie les apparitions médiatiques. De plus il créé des événements
pour les journalistes : meetings, fête du parti, déclarations provocatrices. Il est alors perçu comme un «
bon client » par les médias. Ainsi en 2002 Le Pen déclare : « Peu importe qu'on parle du FN en bien
ou en mal, le plus important c'est qu'on en parle ». Il est désormais pris en compte dans les sondages.
La campagne de juin 1984
La campagne se cristallise autour de la présence du FN qui divise les partis. D'un coté ceux qui
pensent qu'il n'y a pas d'ennemis à droite puisque c'est la gauche qui est au pouvoir. De l'autre ceux
pour qui combattre le FN est un impératif.
Le FN obtient finalement 11% des suffrages et arrive en 4eme position.
Ce score élevé peut s'expliquer par la présence de seulement deux listes de droite, le FN apparait alors
comme la seule alternative. De plus une partie des catholiques s'opposent à Simonne Veil en raison de
son origine juive et de son rôle dans la légalisation de l'avortement.
Les répercussions du scrutin européen
Le FN obtient 6 députés. On assiste alors à une restructuration de l'offre politique nationale. Ainsi il se
développe un mouvement de lutte contre « l'extrême droite ». C'est dans ce contexte qu'est créé SOS
Racisme sous l'impulsion des cadres du Parti Socialiste.
I I - L a trajectoire sociale de J-M L e Pen
Aujourd'hui J-M Le Pen bénéficie d'une légitimité charismatique. Ainsi il est presque le seul porteparole de son parti ce qui facilite un mécanisme d'identification. Ce phénomène est tel que son nom a
été décliné en nom commun, on parle par exemple de lepénisme ou de lepénisation.
L'illusion biographique
La biographie de J-M Le Pen est en même temps une ressource importante et un outil de lutte. Elle
peut permettre de montrer une image positive ou négative du « vrai Le Pen ».
Un risque lorsque l'on étudie la biographie d'un tel personnage est la téléologie, c'est-à-dire que l'on
explique le passé par le présent, l'explication variant au cours des événements. On risque dans ce cas
de ne retenir qu'un sens politique à son parcours.
Pour certain le nom « Le Pen » serait même une prédestination. En effet « le pen » signifie la tête, le
chef en breton.
Instrumentalisation croisées
Le Pen fait lui-même de sa biographie un atout politique. Il misérabilise ses origines pour se présenter
comme d'autant plus méritant au regard du chemin parcouru.
A l'inverse, ses opposants rédigent des portraits à charges en insistant sur son appartenance à une liste
poujadiste, les soupçons de tortures en Algérie, l'édition de chants nazis. Il est également l'objet de
moqueries à propos de la perte d'un °LO le fait qu'il est été trompé par sa femme, ses origines
bretonnes. En rappelant le caractère controversé du personnage ses opposants espèrent ainsi apeurer
les électeurs. Mais cette focalisation peut aussi être perçue comme une sorte d'hommage.
Des points de coordinations entre adversaires
Le Pen a souvent recours aux tribunaux pour interdire certaines publications. Il existe ici une
contradiction puisqu'il revendique une liberté totale d'expression mais qu'il tente de restreindre celle de
ses opposants. On peu penser que Le Pen est extrêmement procédurier pour trouver des terrains
d'affrontement alternatifs à la politique sur lequel in ne parvient pas à s'imposer.
Une approche sociobiographique
Cette approche permet de retracer les structures sociales et les structures mentales (habitus) qui
expliquent comment Le Pen est devenu une figure politique de premier plan.
Apprentissage prim aire (1928-1942)
Le Pen est né le 20 juin 1928 à la Trinité-sur-Mer. Son père est patron pêcheur, président de
l'association des anciens combattants et conseiller municipal. Sa mère est originaire d'une famille
paysanne et ne travaille pas. La famille Le Pen appartient à la classe moyenne.
Son père a subit un échec professionnel à Paris et est retourné en Bretagne. Il reporte alors sa
déception sur son fils qui va être chargé de venger cet échec. Le fait que la famille Le Pen n'est qu'un
seul enfant, ce qui est rare dans la tradition catholique et lorsque la mortalité infantile est forte, montre
que l'on mise tout sur ce dernier.
J-M Le Pen reçoit alors une éducation de type urbain où il est incité à la réussite scolaire et à la
privation ascétique pour un accomplissement différé. On lui inculque le principe selon lequel tout est
possible si on le veut vraiment.
En 1942 son père meurt dans un accident en mer. Il ne pourra par conséquent jamais lui dire s'il a
atteint l'objectif qui lui était assigné. Ceci créé alors chez J-M Le Pen une ambition démesuré et
insatiable.
Expériences (para)scolaire (1942-1953)
Après la mort de son père J-M Le Pen et sa mère vivent des travaux de coutures de cette dernière et de
l'aide des pêcheurs. Ils subissent un déclassement social important. Le Pen devient indiscipliné à
l'école ce qui est pour lui un moyen d'exprimer sa douleur. Il apprend l'usage de la rhétorique chez les
jésuites. En 1947 il obtient son baccalauréat ce qui est peu fréquent à l'époque pour sa catégorie
sociodémographique et qui va par conséquent alimenter son ego. Il s'inscrit à la faculté de droit de
Paris, lieu de l'échec de son père et où ses ambitions doivent se réaliser. En effet c'est à Paris que ce
concentrent les élites, retourner à la Trinité-sur-Mer serait synonyme d'échec.
Il ne parvient pas à devenir avocat à cause de difficultés financières. Il s'investit donc dans la vie para
universitaire ou il constitue des collectifs d'étudiants. Il acquiert ainsi des connaissances importantes
en matière de militantisme. Il est alors confronté à la fermeture des classes supérieures qu'il ne
parvient pas à intégrer.
Quête éperdue d'une issue
A 25 ans il doit entrer dans la vie professionnelle, il s'engage alors dans l'armée et part en Indochine. Il
revient à Paris où il devient le porte-parole de nombreux groupes étudiants. P. Poujade (il lutte alors
contre la fiscalité excessive et la concurrence des grandes surfaces pour les commerçants) va faire
appel à lui, il cherche des candidats pour constituer une liste et se présenter aux élections. Le
mouvement poujadiste obtient 53 sièges mais P. Poujade refuse de siéger à cause de son
antiparlementarisme, c'est donc Le Pen qui va siéger. Finalement il quitte le mouvement qu'il juge trop
indiscipliné, il s'engage de nouveau dans l'armée et part pour Alger. Puis il revient en France et
s'investit dans sa carrière de député. En 1958 il est élu député dans le quartier latin à Paris où se
regroupent les étudiants. Seulement il ne progresse pas dans la hiérarchie politique. De plus
l'indépendance de l'Algérie entraine son déclassement car il soutenait l'Algérie française.
Marginalité politique (1962-1983)
En 1962 il est battu aux élections. Il créé alors une entreprise d'édition de disques et de relations
publiques ce qui est un échec partiel.
En 1965 il est directeur de campagne du candidat à la présidentielle Louis Tixier-Vignacour qui
obtient 5,27% des voix.
Entre 1965 et 1972 il connait un passage à vide étant trop marginalisé par la domination de la gauche.
En 1970 il est nommé à la tête d'un nouveau parti, le Front National pour l'Unité Française. Mais ce
parti enchaine les échecs aux différentes élections notamment à cause de tensions internes.
Le Pen va alors s'intégrer à l'élite. En effet il devient ami avec l'héritier des Ciments Lambet et hérite
d'une partie de sa fortune à lors de son décès. Il est alors millionnaire mais la reconnaissance sociale
n'est pas totale. En effet selon l'analyse de Pinçon et Pinçon-Charlot l'intégration la haute bourgeoisie
se fait sur au moins une génération.
L'habitus clivé de J-M Le Pen
L'habitus de J-M Le Pen peut se résumer par 10 inclinaisons conscientes ou inconscientes. On
remarque qu'il existe une connexion entre l'habitus primaire (enfance) et l'habitus secondaire (école et
travail). On constate également une rupture entre son origine sociale et sa situation actuelle.
1) Ambition : l'ambition de J-M Le Pen est fondée sur la réussite scolaire pour venger son père, puis
elle se focalise sur sa carrière politique, être millionnaire ne lui suffit pas.
2) Anticonformisme : il provient du mélange entre son passé d'étudiant et son passé militaire. Il
organise toujours ses coups en marge de l'ordre social imposé.
3) Bagou : il possède une éloquence fondée sur des « trucs » éprouvés maintes fois. Il répond du tacau-tac, il mélange style populaire, retenue et ironie.
4) Esprit gaulois : il possède l'image d'un bon vivant.
5) Hexis corporelle : il joue sur sa corpulence face aux journalistes. Il pratique de nombreux sports et
n'hésite pas à prouver son courage physique (armée).
6) Révolte : il s'insurge contre tout ce qui ne cadre pas avec son action politique personnelle.
7) Provocation : par ce moyen il oblige les autres à tenir compte de sa présence. Il veut susciter des
réactions.
8) Sens de la différence de classe : grâce à ses origines il voit les différences de classes et en joue
politiquement. Il incarne un idéal d'enrichissement rapide.
9) Sens du spectacle : il est un « bon client » pour les médias, il prépare des mises en scène pour les
journalistes.
10) Vantardise : il lui arrive de prétendre avoir fait des choses qu'il n'a pas faites et contribue ainsi à la
fabrication d'une image négative de lui-même.
Le discours de J-M Le Pen dépend donc de son parcours personnel mais aussi d'un souci stratégique.
I I I - L es explications proposées
Il existe de multiples tentatives d'explications face à la progression du vote en faveur du FN. Elles
peuvent se révéler contradictoires.
Les explications classiques
Typologie
1) Résurgence : il existe une résurgence cyclique dont Le Pen serait l'incarnation.
2) Racisme : il existe un racisme chez les électeurs dû à la levée des tabous par le FN.
3) Balancier : l'extrême droite est forte quand la gauche est pouvoir et inversement.
4) Charisme : les exploits de J-M Le Pen (armée, médias) ainsi que son talent oratoire expliquent les
votes en faveurs du FN.
5) Diversion, division : F. Mitterrand s'est servit de J-M Le Pen pour diviser la coalition à droite.
6) Médiatisation : le phénomène Le Pen est une création des médias.
7) Symptôme : les votes FN sont l'expression des maux de la société.
8) Gaucho-lepénisme : les électeurs de gauche déçus par les mouvements socialistes votent désormais
FN.
9) Lepénisation des esprits : les électeurs ont fini par adopter les thèses du FN.
10) (National)-populisme : les personnes sensibles à la démagogie et peu éduquées ne se rendent pas
compte de la porté de leur action.
Apports
1) Résurgence : concerne la mouvance d'extrême droite. On parle alors de vote idéologique.
2) Racisme : Certaines personnes se reconnaissent dans la haine envers divers groupes même si il ne
faut pas confondre provocation et conviction. On parle alors de vote intolérant.
3) Balancier : les échecs des gouvernements de gauche et de droite ont ouvert une opportunité pour
une alternative. On parle alors de vote mécanique.
4) Charisme : la trajectoire sociale et l'habitus de J-M Le Pen ne sont pas étrangers à sont succès mais
il n'y a rien de mystérieux ou de magique. On parle alors de vote admiratif.
5) Diversion, division : pour la gauche le FN prend les suffrages de la droite. On parle alors de vote
naïf.
6) Médiatisation : les journalistes ont participés à la légitimation et à la visibilité de J-M Le Pen. On
parle alors de vote influencé.
7) Symptôme : les électeurs votent en fonction de leur situation socioéconomique. Il ne faut pas croire
que se phénomène concerne uniquement les déclassés sociaux. On parle alors de vote anomique.
8) Gaucho-lepénisme : les électeurs votent pour le FN plus par dépit que par conviction. On parle alors
de vote archaïque.
9) Lepénisation des esprits : ce phénomène se constate surtout parmi les élites. On parle alors de vote
programmatique.
10) (National)-populisme : Dans ce cas on utilise le terme de vote désinvestit.
Il existe donc des raisons très diverses et parfois non politiques permettant d'expliquer le vote en
faveur du FN. Il faut cependant tenir compte du contexte dans lequel ces explications sont énoncées.
Lim ites
1) Résurgence : cette explication masque l'obsolescence des schémas antérieurs à 1983 qui n'incluaient
pas le FN dans leur analyse. De plus elle suppose un rapport politique et idéologique au vote et
n'envisage pas l'originalité du phénomène.
2) Racisme : tout les racistes ne votent pas FN. De plus toutes les déclarations de Le Pen ne sont pas à
prendre au premier degré, il peut s'agir de défis verbaux ironiques et provocateurs.
3) Balancier : les votes pour le FN n'ont pas diminué quand la droite est revenue au pouvoir.
4) Charisme : ici ce ne sont pas les qualités du leader du FN qui comptent mais le fait de croire qu'il
les possède effectivement. Ces électeurs ont besoin de croire en un Homme providentiel à la suite d'un
échec.
5) Diversion, division : Le PS peut ici être comparé à un pompier-pyromane seulement il ne parvient
pas à maitriser le feu qu'il a allumé.
6) Médiatisation : le boycott du FN par les journalistes ne fonctionne pas, d'autant plus qu'il peut être
interprété par les électeurs comme une forme de censure.
7) Symptôme : on ne constate pas de corrélation entre le nombre d'immigrés sur un territoire donné et
les votes FN.
8) Gaucho-lepénisme : cette explication surestime le degré de politisation des classes populaires.
9) Lepénisation des esprits : les électeurs ne connaissent pas souvent la totalité du programme du FN.
Il est donc difficile de déterminer quelles sont les idées auxquelles ils s'adhèrent. De plus le FN est
divisé par des courants internes.
10) (National)-populisme : cette théorie porte un jugement négatif envers les classes populaires et ne
tient pas compte des classes moyennes et supérieures.
Des explications intégrées aux phénomènes
Les explications concourent également à la construction du phénomène. En effet il faut tenir compte
des représentations que l'on se fait du FN.
Une réflexivité rare
La réflexivité consiste à savoir ce que le chercheur apporte à l'objet étudié en l'étudiant, le risque étant
de tomber dans l'objectivisme et d'ignorer ses propres limites.
On peut ainsi distinguer trois tendances à risque :
- L'importation de postulats erronés, comme par exemple la croyance que le déterminant des votes se
situe dans le parti qui en bénéficie.
- La délimitation disciplinaire de l'objet.
- L'oubli du chercheur en train d'objectiver, c'est-à-dire le risque pour le chercheur de se croire
extérieur.
L'engagement émotionnel reste fort. Il convient ainsi de se demander quelles sont les raisons pour
lesquelles on étudie cet objet. De plus il est difficile d'avoir une autonomie compte tenu des impératifs
médiatiques. On sait aussi que l'interdépendance entre les membres du milieu scientifique conduit
souvent à une retenu de la part des chercheurs.
Conditions propices
Les chercheurs doivent se limiter à des explications acceptables. A la suite d'explications souvent
approximatives tout le monde pense désormais être en mesure de donner sa propre analyse du
phénomène.
Angles disciplinaires
Le travail d'explication dépend des disciplines auxquelles ont se réfère. Chaque facteur explicatif est
survalorisé lorsqu'il est détaché des autres. Par exemple la comparaison historique exclue le fait que le
phénomène puisse être unique.
Fétichisme du sol
La posture géographiste consiste à attribuer à l'espace un effet propre sur le comportement électoral.
Ainsi plus la zone étudiée est vaste plus le risque d'homogénéisation du sens des votes est élevé.
L'explication est alors approximative. De plus cette approche est aujourd'hui remise en cause par une
mobilité de plus en plus importante.
Obsession textuelle
Le discours de Le Pen est souvent analysé. Ainsi les électeurs votent par conviction spontanée
(adhésion) ou forcée (propagande). Il ne faut pas isoler le texte de ses conditions de production et de
réception. Cette analyse répond à l'idée selon laquelle il faut dévoiler une idéologie sous-jacente pour
dissuader les électeurs.
L 'étiquetage
Beaucoup de mots sont utilisés pour qualifier le phénomène Le Pen : racisme, fascisme, extrême
droite. Ces catégories sont souvent ancrées dans une époque donnée mais elles sont aujourd'hui
décontextualisées.
Concours involontaire
Les explications participent aussi à la construction du phénomène. Pour les dirigeants du FN il vaut
mieux qu'on parle d'eux, même de manière négative plutôt que de rester dans la marginalité.
L'expertise du phénomène permet de lui donner une dignité, et de le faire exister. Le FN va alors
pouvoir exploiter les lacunes de ses adversaires.
I V - L'enquête auprès des électeurs
En sociologie les hypothèses doivent être étayées par des données empiriques. On a souvent
l'impression que l'électorat du FN n'existe que par rapport à J-M Le Pen et donc qu'il concentre tout les
problèmes. Le parti est alors considéré comme un symptôme. Pour le sens commun les électeurs du
FN sont : racistes, ignorants, pauvres, autoritaires. Il est assez difficile de rencontrer ces électeurs car
ils ont peur d'être stigmatisés ou exclus. De plus il existe un tabou dû au secret du vote.
Méthode quantitative
Intentions de vote
Les intentions de vote FN sont souvent sous-estimées.
Pour constituer une estimation on peut avoir recours à différentes méthodes. Il est possible de
distribuer des questionnaires soit à l'ensemble d'une population, soit à un échantillon représentatif ou
tiré au sort.
Le nivaux de diplôme et les croyances religieuses sont souvent omises alors que ces caractéristiques se
sont des déterminants importants lors des votes. On applique donc un coefficient de correction en
fonction de données brutes car peu d'électeurs indiquent leur intention de voter en faveur du FN. Les
individus peuvent également refuser de répondre ou mentir ce qui fausse les sondages. Dans ces
conditions l'augmentation du nombre d'enquêtés ne permet pas de limiter la différence entre
l'estimation et le vote effectif. Enfin il existe des différences sociales fortes entre les électeurs
affirmant clairement leur intention de vote et ceux cachant leur opinion. Ce dernier cas de figure
concerne surtout les femmes ce qui donne l'impression d'une sous-féminisation du FN.
Agrégats improbables
La diversité du sens que l'on peut donner au vote encourage à ne pas parler d'un électorat mais plutôt
d'électorats.
On sait qu'il suffit de changer la formulation d'une question pour obtenir des réponses différentes. De
même certaines questions peuvent contenir un racisme latent. On demande donc aux individus d'être
parfaitement transparents pour eux-mêmes et d'être informé de l'actualité politique.
Approche dite « écologique»
Il est possible de comparé les votes FN bureau par bureau selon la composition de la population. On
parle d'écologie car cette approche s'intéresse à l'environnement des électeurs. Par exemple on ne
constate pas de corrélation entre la présence d'immigrés et les votes FN. De même on ne remarque pas
un vote populaire. En effet pour cette classe sociale l'immigration et l'insécurité ne sont par
nécessairement les questionnements principaux. La condition ouvrière ne porte donc pas plus qu'une
autre à voter en faveur du FN.
Méthode qualitative
Infiltration
L'enquête peut se faire « incognito », c'est le choix qui a été effectué par Anne Tristan, Günther
Walraff, Albert Londres, ou à découvert tel Askolovitch.
Cette pratique participe d'une part à la croyance selon laquelle les succès électoraux du FN se situent à
l'intérieur de l'organisation. D'autre part elle postule que la vérité est cachée et qu'il faut mettre en
°XYUH des stratagèmes pour la découvrir.
Cette approche soulève également deux problèmes. L'enquêteur si il est identifié doit faire la
différence entre les scènes et les propos authentiques. Il participe aussi à la production des situations
qu'il van ensuite analyser.
Ainsi A. Tristan décrit le FN comme une microsociété qui crée un entre-soi chaleureux. D. Bizeul
analyse les propos racistes des membres comme un détournement du stigmate. P. Duret quant à lui a
voulut confronter les discours du FN avec les pratiques des membres dans leur vie quotidienne.
C. Duplan souhaite empêcher les électeurs de voter FN en préférant le dialogue à la diabolisation.
Les difficultés apparaissent souvent au niveau de l'enquêteur. Il existe des conséquences
psychologiques. Ainsi l'enquêteur peut éprouver un sentiment de trahison vis à vis de ceux qui se sont
confiés. De même certains amis risquent de se détourner au regard des nouvelles fréquentations.
Ces enquêteurs constatent ainsi que le FN est moins fermé qu'on ne le croit. Cela peut provient de la
volonté de montrer qu'ils n'ont rien à cacher.
Reportage
Les reportages sur les électeurs sont plutôt rares alors que les investigations sont nombreuses mais
restent ponctuelles. De plus une enquête auprès des électeurs est moins valorisante que la
fréquentation des cadres du parti. Les enquêtes sont d'autant plus limitées que les journalistes sont
confrontés au problème des aveux rares par peur du « flicage » ou d'être catalogué. De plus les
reporters cherchent également du racisme et de la politique, ils sont alors désappointés face à des récits
de vie, voter Le Pen apparaissant comme un acte trop grave pour que les conditions
sociodémographiques puissent l'expliquer. Les portraits sociaux des enquêtés sont par conséquent trop
rapides et n'aident pas pour l'explication du sens des votes.
Entretien
Comme tout n'est pas quantifiable il est nécessaire de s'intéresser aux individus dans leur singularité et
pas seulement en tant que représentant d'une catégorie sociale.
Les entretiens semi-directifs fournissent donc des éléments objectifs et subjectifs. Ils permettent de
recueillir des informations différentes de celle obtenues par les sondages. La difficulté étant de trouver
des personnes prêtent à témoigner. La dynamique de l'entretient dépend ensuite des différents types de
capitaux (économique, social, culturel) que possèdent les individus. Ils font ainsi preuve de plus ou
moins de retenu et maitrisent différemment leur discours. Les entretiens offrent également la
possibilité pour les électeurs de s'exprimer sur leur perception de J-M Le Pen.
Restituer la complexité
Sens et usage du racisme
On sait que l'explication du succès électoral du FN par le racisme est erronée.
Les propos racistes du FN ne doivent pas toujours être pris au premier degré. Ils comportent souvent
une dimension provocatrice. Aujourd'hui les membres du FN utilisent le racisme comme un moyen de
reconnaissance.
Le racisme peut s'expliquer par la recherche d'un bouc émissaire face à la concurrence sur le marché
du travail. Il est un moyen de se détourner d'agents économiques pourtant porches socialement.
Fréquenter ces personnes souvent en difficulté est alors assimilé à un échec social. Les opinions
racistes peuvent donc être un moyen de réagir face à une relégation sociale.
Il s'est également développé d'autres formes de racismes qui ne sont pas liées à une origine ethnique,
on parle alors de racisme de classes, jacobin (contestation de la supériorité de la capital) ou encore
antiélitiste.
Sens et usage varié du vote
Pour certaines personnes le vote s'assimile à la formulation d'une demande implicite. L'usage du vote
est alors instrumental, sans aucune dimension politique. Les éléments sociobiographiques sont donc
indispensables pour comprendre les raisons du vote des enquêtés. Ainsi le vote peut aussi
correspondre à une projection en politique de valeurs sportives, à un anticonformisme, une volonté de
s'émanciper du cadre familiale.
Trajectoires socio-biographiques
C. Duplan présente des exemples de personnes dont le parcours les a conduits vers le vote FN.
Ce vote peut être le résultat d'une reconversion professionnelle forcée et mal préparé; ou bien le
sentiment de mener une vie décalée par rapport à la marche du monde. Ce phénomène n'est pas
étranger aux classes aisées. Duplan reprend le témoignage d'un bourgeois déçus par F. Mitterrand qui
n'a pas réussi a enrayé la baisse du trafic maritime. Enfin il donne l'exemple d'un étudiant dont le père
a vu sa situation se précariser, si bien qu'il est aujourd'hui inquiet face à l'avenir.
Ces témoignages apportent de nouvelles explications sur le phénomène Le Pen :
- La comparaison avec les générations antérieures
- Les ruptures socioprofessionnelles
- La situation de l'individu au sein de son groupe social
- Le rapport à la politique
On constate également une certaine homologie (concept utilisé par P. Bourdieu) c'est-à-dire que l'on
choisit d'autant plus un candidat si l'on a une trajectoire personnelle similaire à la sienne.
E pilogue
Six traits majeurs
1) C'est l'anticipation d'un danger pour la démocratie qui a concourue à faire advenir le phénomène
Le Pen en suscitant des prises de positons variées. Urgence d'agir face à cette menace a alors empêché
un regard distancié.
2) Le phénomène Le Pen est le produit d'une multiplicité d'acteurs dont certains sont extérieurs au
champ politique.
3) Face à ce phénomène on remarque une récurrence de la dénonciation morale.
4) Le phénomène Le Pen résulte d'un travail de construction symbolique. Puisque les représentations
de la réalité font partie intégrante de cette réalité, la reconnaissance du FN sur la scène politique l'a
légitimé.
5) Enfin on peut parler d'un effet d'offre en se référant à la loi des débouchés de Say selon laquelle
l'offre créée sa propre demande. Ainsi la place du FN dans la structure politique a précédé les
électeurs. Un travail important de mobilisation a été effectué, il n'a alors plus été possible de faire
comme si le FN n'existait pas.
6) Le vote FN recouvre un usage varié et l'adhésion à l'idéologie n'est pas nécessaire, d'où la
complexité de mettre en évidence des régularités. Il faut aussi éviter le réductionnisme de certains
sondeurs ou journalistes.
Deux questions difficiles
1) Quel est l'avenir du FN ?
Cette question soulève également la question de savoir si le FN perdurera après la mort de
J-M Le Pen et quelle sera la trajectoire que donnera Marine Le Pen au parti. Actuellement le nombre
de scénarios envisageable ne permet pas de faire des prédictions.
2) Que peut-on mettre en °XYUH pour remarginaliser le FN ?
Le mécanisme qui entretient le phénomène échappe à tout contrôle et aucune stratégie (diabolisation,
boycott médiatique, lutte intellectuelle, actions politiques) ne semble efficace.

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