Cantoni, l`art du crochet au service du grand Béziers
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Cantoni, l`art du crochet au service du grand Béziers
S P O RTS 11 Jeudi 14 juin 2007 TE11- Cantoni, l’art du crochet devenus ? au service du grand Béziers Que sont-ils RUGBY A XV J ’AIME... - La franchise - Le tarot et la belote - La chasse - Tous les sports - La pêche à la main, mais c’est interdit - La mer... l’hiver. J ’AIME PAS ➜ Quand on parle du "grand Béziers", ce n’est pas forcément le premier nom qui vient à l’esprit. Mais quand on l’évoque, impossible, pour tout amateur de ce sport, de ne voir resurgir les exploits du funambule arrière héraultais. Ah, Cantoni et ses crochets ! Combien d’adversaires ont eu leurs nuits hantées par les imprévisibles trajectoires d’un joueur hors du commun. Trente ans plus tard, "Canto" est toujours biterrois, fidèle à sa ville et au jeu plus qu’au stade. Avec un caractère trempé. Il a conservé la moustache fré- missante et l’art des contre-pieds qui caractérisait l’imprévisible arrière. Vous le lancez ici, il relance là. Vous le cadrez là, il accélère ailleurs. Vous le questionnez ailleurs, il vous prend à contre-pied plus loin. Insaisissable, Jack Cantoni l’est sans doute un peu resté. Insaisissable, rebelle. Et dur au mal, comme les autres membres de la troupe Raoul Barrière, les Alain Paco, Michel Palmié, Alain Estève, Olivier Saisset, le regretté Armand Vaquerin… tous ceux qui ont gravé dans le marbre le plus beau parcours d’un club de l’histoire du rugby français. Avec un pack hors normes, incroyablement puissant, voire méchant. Et des lignes arrière sachant exploiter ce travail d’orfèvre. Une épopée dont on parle encore dans tous les fiefs d’Ovalie, aux heures où l’on aime à jouer les anciens combattants. Digest Né le 11 mai 1948 à Carmaux (Tarn). Marié. Trois enfants. Ailier, puis arrière. 1,75 m pour 75 kg. Fait l’essentiel de sa carrière à Béziers après des débuts au Stade Toulousain (1967). Palmarès : - 17 sélections en France A - Vainqueur des Tournois des V Nations 1970 et 1973 - Huit titres de champion de France avec l’AS Béziers : sept en tant que joueur (1971, 1972, 1974, 1975, 1977, 1978, 1980), un en tant que co-entraîneur (1981). - Meilleur marqueur du championnat de France en 1970 - Trois challenges Yves du Manoir (1972, 1975, 1977) - Champion de France cadet, junior B, junior A, militaire - International junior, militaire et France B. - Les gens qui sourient par devant et poignardent par derrière - Les sports de glisse - Le concombre - Me faire marcher sur les pieds. TÉMOIGNAGE Raoul BARRIÈRE Entraîneur du "Grand Béziers" de 1968 à 1978 Au stade de Sauclières, sur la pelouse de ses exploits. « Ici, pendant des années, les équipes sont venues pour ne pas prendre cinquante points. » Une épopée que n’aurait pourtant pas dû connaître "Canto" malgré un papa, un oncle et deux cousins rugbymen. Footballeur, puis un temps dégoûté de l’ovale, il n’aurait jamais accédé à la gloire si un commissaire de police toulousain n’était pas passé un jour au bistrot de son père. « Il lui a dit qu’il cherchait un bon ailier. Mon père lui a répondu "Hop, t’en as un là". Tout est parti de là. » Un supplément ne suffirait pas à relater tout ce qui suivit, dans les années soixante-dix. En foulant à nouveau la pelouse du mythique stade Sauclières, Jack Cantoni se remémore quelques moments croustillants. « Ce match contre Montchanin où on avait perdu chez eux en ayant pris des marrons dans la gueule… Au retour, on les attendait dès la descente du bus. On les a accompagnés jusqu’aux vestiaires. Ils ont pris 100 à 0. Raoul Barrière nous avait demandé d’arrêter à cent ! » Ou celui-ci, encore, chez l’" ennemi" audois : « C’était un match de challenge Cadenat, à Narbonne. Il y avait eu une énorme "générale" avec les joueurs et le public. Maso et Spanghero nous avaient aidés à regagner les vestiaires. On en est sorti deux heures après, sous escorte policière. Notre bus a été caillassé. C’était dantesque… » Tant d’autres images qui resurgiraient. Surtout ici, à Sauclières, « où pendant des an- 48 mètres en coin qu’il plante à Durban, en 1991, lors d’un nul qui restera dans les annales chez les Blacks… Aujourd’hui, ses déplacements au stade de la Méditerranée sont aussi rares que les plaquages manqués de Serge Betsen. « Le jour où j’ai arrê- « Le jour où j’ai arrêté, en 1981, je n’ai gardé que les médailles » Jack CANTONI nées, les équipes sont venues pour ne pas prendre cinquante points ». La page est tournée. Le Biterrois s’est débarrassé des shorts, maillots, articles et photos d’époque. « J’ai tout brûlé ! ». Mais il n’a rien purgé dans sa tête et n’oubliera ni les titres, ni les sélections en équipes de France, ni la réception par le président Pompidou à l’Élysée, « en mai 1970 », ni le drop des té, en 1981, je n’ai gardé que les médailles. Je n’aime pas vivre avec les souvenirs. Certains ont sombré dans la mélancolie. Pas moi. J’ai retrouvé ma famille et les enfants qui ne m’avaient pas trop vu. » Puis "Canto" a touché un peu à tout : courtier en cuirs et peaux, responsable de la buvette du stade, conseiller municipal en charge des sports… Aujourd’hui, clin d’œil de l’his- toire, il travaille pour le groupe de nettoyage Alter Service, un concurrent de Nicollin, sponsor de l’AS Béziers Hérault. Et consacre pas mal d’heures, comme beaucoup d’hommes du pays, à chasser le perdreau et partir à la pêche au gros. L’actualité du rugby ? Il la suit de près. Davantage qu’il ne l’avoue, sans doute. Présent dans les tribunes de Twickenham pour le dernier Angleterre-France où il « s’est fait chier », le Biterrois ne tombe pas en extase devant le rugby professionnel. « Il y a beaucoup d’étrangers et peu de joueurs du cru pour défendre le maillot d’un club et les couleurs d’une ville. C’est comme ça. » Mais s’il n’est pas nostalgique des remontées sur les allées Paul-Riquet, au lendemain des titres, il ne crache pas sur une invitation pour fêter le centenaire de l’équipe de France. « J’ai cru à un gag ! » Canto pris à contre-pied ? Comme les temps changent… ● Textes, Patrice ESPINASSE Photo Olivier GOT 1971, olé "Canto" ! C’est un fait d’armes que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître mais que les anciens ne peuvent méconnaître. Il a façonné la réputation de "Canto". Nous voilà en 1971, sous la pluie, à Bordeaux. La finale du championnat de France oppose les jeunes Biterrois d’Astre et Cabrol au Toulon des frères Herrero. Un duel âpre, à dix, à l’ancienne, de touches en mêlées et de mêlées en touches. « On n’arrivait pas à les tor- dre », se souvient "Canto". La fin du match était toute proche. Le RCT menait 9-6 et ça sentait le roussi pour l’ASB. Puis il y eut ce coup de pied à suivre du Varois Irastorzi dans les 22 m biterrois. En 1971, les relances à la Blanco relevaient du fantasme. Mais ce jour-là, un arrière nommé Cantoni eut une illumination. Il jeta la prudence aux orties et osa l’invraisemblable pour l’époque : une contre-attaque de sa ligne de but. « J’ai vu les gars arriver en quinconce. J’avais un peu de champ et j’ai relancé. » Le funambule biterrois entama alors un slalom vertigineux qui embrasa le stade. Il élimina trois avants de ses crochets diaboliques et sa course folle l’amena aux 50 m. Cravaté en faisant la passe, "Canto" ne vit pas son ailier Séguy parachever le chef-d’œuvre et marquer l’essai. Il venait de changer le sort du match. ● « Un très grand joueur » Quels souvenirs avez-vous de Jack Cantoni ? Physiquement, Cantoni cumulait les qualités de vitesse et d’improvisation. Mais il avait une carence en résistance physique : ce n’était pas un fou de l’entraînement… Techniquement, il était d’une adresse prodigieuse, avec un joli coup d’œil et une grande connaissance du jeu - son père l’avait bien guidé. Au début, je pensais qu’il serait ouvreur mais il avait ce côté désinvolte : il appelait parfois d’un côté pour partir de l’autre ! Et puis il a fait un bon arrière, courageux, très bon plaqueur. Enfin, il savait se fondre dans un groupe et apportait beaucoup malgré un caractère difficile. Y a-t-il un détail que vous retiendriez ? Oui, même deux. C’est le seul joueur que j’ai vu capable de défendre à un contre trois. Il avait sa façon de faire. Mais je l’ai vu de mes yeux vu ! Et puis son père m’a dit qu’il lui arrivait de casser les crampons à leur base, quand il faisait un crochet. Je l’ai vérifié là aussi ! Il n’a pas fait carrière en équipe de France… Cantoni a été un très grand joueur. Il n’a pas eu en équipe de France la récompense qu’il méritait d’avoir et que d’autres ont eu, comme Richard Astre par exemple. On n’a pas utilisé ses compétences physiques, techniques et morales et c’est regrettable. Prochain portrait : Bordeaux, 1971 : un grand cru ! Roger Pingeon, vainqueur du Tour de France 1967, avec le témoignage de Raymond Poulidor.