Institutrice ou maman

Transcription

Institutrice ou maman
L’amour au programme
Institutrice ou maman
Le directeur de Highbridge Manor
Une famille pour Marissa
CARA COLTER
Institutrice ou maman
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise
sous le titre :
MISS MAPLE AND THE PLAYBOY
Traduction française de
CHARLOTTE LUCAS
Ce roman a déjà été publié en août 2010
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ISBN 978-2-2803-5230-7
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— Ta vie, elle est trop nulle.
Ben Anderson ouvrit la bouche avec l’intention de protester,
puis la referma sans un mot. L’affirmation, bien que péremptoire, n’était pas si loin de la vérité. Surtout depuis qu’il était
le tuteur de son neveu Kyle, onze ans, qui venait justement de
lui asséner ces mots.
Cela faisait à peine dix jours qu’il l’avait accueilli chez lui,
mais ils avaient été les pires de sa vie, et pourtant lorsqu’il était
marine, il avait passé huit mois en Irak, au pays du sable, du
sang et des larmes.
Au moins, là-bas, songea Ben, il y avait des règles, le cadre
des opérations était clair. En comparaison, devenir le tuteur de
Kyle, c’était comme être parachuté en territoire ennemi sans
renfort ni carte, en sachant à peine parler la langue du coin.
Par exemple, était-il censé dire à Kyle qu’il en avait assez
d’entendre que sa vie était « trop nulle », ou bien devait-il
laisser filer ?
Tout en envisageant les différentes possibilités, Ben étudia
l’enveloppe qui se trouvait devant lui. Elle était adressée à
M. Ben Anderson, « Tuteur de Kyle ». L’écriture était appliquée, guindée, et sans doute révélatrice de la personnalité de
son auteur, miss Maple.
Kyle avait déjà beaucoup parlé à Ben de son institutrice, dans
sa nouvelle école. Elle était vieille. Et méchante. Sans oublier
extrêmement laide. « Mochissime », avait dit Kyle.
Elle était également injuste, plus cruelle que Gengis Khan
et dotée d’une voix stridente.
Kyle était étonnamment calé sur Gengis Khan. Lui qui était
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loin d’être bavard, il avait longuement expliqué à Ben qu’un
quart de la population mondiale descendait du célèbre empereur
mongol. Il semblait espérer en faire partie, mais Ben en doutait,
vu ses taches de son et sa tignasse rousse.
Ben retourna l’enveloppe à la recherche d’indices.
— Qu’est-ce qu’elle me veut, miss Maple ? demanda-t‑il à
Kyle sans ouvrir la lettre.
— Elle veut te voir, répondit Kyle, avant de répéter : ta vie,
elle est trop nulle.
Puis il sortit de la cuisine comme s’il n’avait rien à voir
avec le fait que sa vieille institutrice méchante et laide veuille
voir son oncle.
Ben se dit qu’il devrait le rappeler pour avoir une petite
discussion au sujet de son vocabulaire. Mais la responsabilité
d’un autre être humain était encore très nouvelle pour lui et il
hésitait sur la décision à prendre. Sous ses dehors de rebelle
endurci par la rue, Kyle n’était encore qu’un enfant fragile et
Ben doutait que la manière forte fonctionne avec lui.
Une chose était sûre, il ne voulait pas risquer de le faire
souffrir davantage. Car s’il y avait quelqu’un dont la vie était
« trop nulle », c’était bien Kyle.
Ben avait dix-sept ans et sa sœur Carly, la future mère de
Kyle, quatorze, quand leurs parents étaient morts dans un
accident de voiture. Trop âgé pour être pris en charge par une
institution, Ben était entré chez les marines tandis que sa sœur
avait été placée dans une famille d’accueil. Finalement, il s’en
était mieux sorti qu’elle.
A quinze ans, Carly était une écorchée vive, à seize ans elle
entrait en rébellion et à dix-sept elle tombait enceinte, sans
que cela mette un terme ni à son mal-être ni à son sentiment
de révolte.
Elle avait traîné Kyle à sa suite dans une succession de
relations bancales, passant de squat en squat dans des quartiers
toujours plus délabrés. A une époque où Ben était en mission à
l’étranger, Kyle et elle avaient même été sans domicile pendant
un moment. A son retour, Ben avait tenté de les aider, mais en
vain. Carly avait eu le sentiment que Ben l’avait abandonnée en
s’engageant dans l’armée, et elle ne le lui avait jamais pardonné.
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Aujourd’hui, à seulement vingt-huit ans, après une vie de
chagrin et d’errances, Carly était sur le point de mourir.
Ben s’était trouvé confronté à un dilemme. Il avait enfin une
vie équilibrée qui comblait toutes ses aspirations : il avait trouvé
un créneau porteur et monté une entreprise, Graine de Jardin,
qui marchait très bien. Il construisait des pièces d’extérieur ou
des abris de jardins pour les résidents des banlieues chic de la
petite ville de Morehaven dans l’Etat de New York.
L’année précédente, il avait acheté une maison neuve dans
le joli quartier de Cranberry Corners, où résidaient également
beaucoup de ses clients. Il se trouvait à seulement trente minutes
du centre-ville défavorisé où vivaient Kyle et Carly, mais c’était
un tout autre univers.
Ben était spécialisé en construction pour jardins, c’està-dire la conception et l’édification de terrasses de bois, de
patios, cheminées et autres cuisines d’été qui agrémentaient
les jardins des plus aisés de ses concitoyens. Le travail était
très physique, ce qui lui convenait parfaitement puisqu’il avait
de l’énergie à revendre. L’entreprise avait décollé au-delà de
ses espérances. Ben avait aussi un bon réseau de copains, dont
certains qu’il connaissait depuis le lycée, et qui appréciaient
le célibat autant que lui.
Devait-il abandonner tout cela pour s’occuper de Kyle, avec
sa susceptibilité à fleur de peau, ou bien pouvait-il le confier à
ces mêmes institutions qui avaient fait des ravages sur Carly ?
Ben s’était toujours considéré comme un mec macho, égoïste,
insensible, superficiel et fier de l’être, mais en l’occurrence, il
n’avait pas hésité une seconde. Estimant que la vie ne nous
donnait pas toujours le choix, il avait recueilli son neveu.
Certes, ni Kyle ni Carly ne lui avaient témoigné de reconnaissance, mais peu lui importait, il n’avait pas agi dans ce but.
Ben ouvrit finalement la lettre de miss Maple. Elle disait
que le comportement de Kyle perturbait sa classe et qu’elle
avait besoin de le rencontrer au plus vite.
Si miss Maple avait des suggestions pour faire face au
comportement de Kyle, il était partant. Il ne s’était pas résolu
à employer la manière forte, mais l’attitude rebelle, maussade
et agressive de son neveu le laissait démuni.
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Malheureusement, d’après la lettre, le rendez-vous avec la
redoutée miss Maple était déjà passé depuis quinze bonnes
minutes.
— Kyle ? appela-t‑il dans le couloir sans obtenir de réponse.
Se dirigeant vers sa chambre, il resta un instant sur le seuil.
Cette pièce était auparavant sa salle de gym, avec écran plat et
système stéréo dernier cri. A présent, son équipement sportif
était au sous-sol, mais il avait laissé la télé et la stéréo pour Kyle.
Celui-ci était vautré sur son lit défait. Il s’était moqué des
draps à motifs de cow-boys que Ben avait achetés en même
temps que le lit sous prétexte que c’était « pour les gosses ».
Pour le moment, il écoutait une musique agressive en feuilletant un livre.
— Quand ta maîtresse t’a-t‑elle donné cette lettre pour moi ?
Kyle haussa les épaules avec indifférence.
— Pas aujourd’hui j’imagine ?
— Non, pas aujourd’hui.
Ben consulta sa montre en soupirant.
— Allez, on y va, dit-il. On est en retard.
— Miss Maple déteste les retardataires ! fit Kyle en imitant
la voix aiguë de son institutrice.
Il ne semblait pas mécontent d’avoir mis son oncle dans une
position difficile avant même la première rencontre.
Poussant la porte de l’école élémentaire de Cranberry Corners,
Ben se sentit aussi mal à l’aise qu’un soldat pénétrant en territoire inconnu. Il suivit Kyle le long d’un couloir au sol brillant.
Fallait-il s’attendre à un affrontement ou à des pourparlers ?
S’arrêtant sur le seuil de la classe indiquée par Kyle, il
fronça les sourcils. Une femme était assise à son bureau face
aux pupitres vides et le soleil de septembre se déversait sur
ses minces épaules.
— Ça ne peut pas être miss Maple.
— Mais si, lui assura Kyle.
Ben était complètement pris au dépourvu. Kyle lui avait menti,
en tout cas pour le côté « vieille et mochissime ». Restaient
éventuellement la cruauté et la voix stridente.
La salle de classe avait également quelque chose de désarmant : un immense arbre en papier mâché s’élançait dans un
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coin et ses branches couraient au plafond, couvertes de feuilles
colorées qui portaient les noms des élèves. Les murs étaient
décorés de dessins d’enfants, d’étoiles et de reproductions
d’œuvres célèbres. C’était la salle de quelqu’un qui aimait son
métier. D’après ce que lui en avait dit Kyle, Ben s’était imaginé
une enseignante bien plus austère.
En fait, elle ne devait pas avoir plus de vingt-cinq ans, et
les traits de son visage, concentrés sur son travail, étaient fins
et réguliers. Sa peau était magnifique, légèrement hâlée, sans
aucune ride. Ses cheveux, relevés en queue-de-cheval, étaient
exactement de la même nuance que le miel mille-fleurs que
Ben gardait sur le bar de la cuisine.
Bien sûr, peut-être était-elle méchante. Ben avait connu de
nombreuses femmes superbes et odieuses. Cela se lisait dans
leur regard de silex.
Mais lorsque miss Maple releva les yeux, il fut frappé par
leur douceur et leur couleur, un incroyable mélange de jade,
de turquoise et de cuivre.
Pas une once de méchanceté dans ces yeux-là, songea-t‑il
en s’armant de son sourire le plus charmeur.
Elle fronça brusquement les sourcils et il comprit pourquoi
un enfant de onze ans pouvait la trouver intimidante.
— Bonjour, dit-elle, vous devez vous être perdus.
Sa voix n’avait rien de désagréable. Elle était aussi cristalline
que les cloches d’une église par une belle matinée d’hiver. Elle
se cala dans sa chaise et croisa les bras sur sa poitrine comme
pour se protéger.
Habituellement les femmes n’avaient pas peur de lui, mais
peut-être était-elle seule dans le bâtiment. D’ailleurs, elle
avait dû y passer d’interminables heures à construire l’arbre.
Il l’imaginait, cloîtrée dans sa classe tout l’été, dévouée à un
métier en dehors duquel elle n’avait pas de vie.
Ce qui était dommage, songea Ben en observant la rondeur
délicate de sa poitrine. Un peu honteux, il se demanda s’il
était convenable de remarquer ce genre de choses chez une
institutrice de CM2.
Elle était pourtant vêtue de façon austère. Sans être expert
en la matière, Ben songea qu’elle s’habillait exactement comme
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une bonne sœur : un chemisier blanc impeccable à col montant
et un pull beige mal coupé.
Il aurait aimé avoir un aperçu de ses jambes, mais le bureau
l’en empêchait.
Il s’avança et lui tendit la main.
— Je suis Ben Anderson, l’oncle de Kyle, dit-il avec un
grand sourire, tout en regrettant de n’avoir pas eu le temps de
se changer.
Il portait toujours ses vêtements de travail, un jean déchiré au
genou et un T-shirt au nom de son entreprise Graine de Jardin.
Miss Maple lui serra brièvement la main, sans sourire.
— Vous êtes très en retard, dit-elle. J’allais partir.
Ben fut étonné de se sentir comme un écolier penaud
malgré son mètre quatre-vingt-cinq. Du coin de l’œil, il vit
Kyle se glisser dans la pièce, les épaules voûtées comme s’il
s’attendait à prendre un coup. Il n’eut pas le cœur de rejeter la
faute sur son neveu.
— Oh, vous savez, fit-il, enjôleur, les aléas de l’existence…
Elle sembla imperméable à son numéro de charme.
— Kyle, tu veux descendre à la bibliothèque ? J’ai demandé
à Mme Miller de commander L’Histoire de Gengis Khan pour
toi. Elle m’a dit qu’elle le laisserait sur son bureau.
— Pour moi ? articula Kyle d’une voix étranglée, comme
s’il allait pleurer.
Ben constata une fois de plus que ce rebelle n’était encore
qu’un enfant à qui on avait témoigné trop peu de gentillesse.
Son enseignante le regarda s’éloigner, l’air à la fois troublée
et attendrie, puis, nettement plus froide, elle revint à Ben.
— Asseyez-vous, M. Anderson.
Miss Maple sembla se rendre compte en même temps que
Ben qu’il n’y avait aucun endroit dans la pièce où il aurait pu
s’asseoir. Les pupitres étaient trop petits et elle avait la seule
chaise de taille adulte.
Il vit ses joues se colorer de rose et en fut enchanté. Il décida
de lui sourire de nouveau. Peut-être faisait-elle partie des femmes
qui aimaient le look viril, tout en muscles et sueur. Il contracta
légèrement son avant-bras pour voir comment elle réagissait.
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Elle rougit plus encore et s’affaira soudain sur son bureau.
Elle semblait avoir oublié qu’elle l’avait invité à s’asseoir.
— Votre neveu me pose problème, M. Anderson, dit-elle
rapidement en classant frénétiquement des papiers pour ne pas
avoir à regarder ses muscles.
— Appelez-moi Ben, je vous en prie, dit-il doucement en
espérant qu’elle lui révélerait son prénom.
Mais non. Elle pinça les lèvres avec fermeté, le regard grave.
La sévérité de son expression fut toutefois adoucie par le geste
charmant qu’elle eut pour remettre une mèche de cheveux
couleur miel derrière son oreille.
Ben eut une envie soudaine et irraisonnée de l’embrasser.
Il se demandait bien pourquoi, car elle n’était pas son type et
il était à peu près sûr que c’était réciproque.
Si elle acceptait l’invitation d’un homme, elle n’était certainement pas du genre à conclure la première soirée par un bain
de minuit dans son jacuzzi !
D’ailleurs il était peu probable que miss Maple ait un jacuzzi
dans son jardin songea Ben, essayant de deviner quels étaient
ses loisirs. Le tricot, peut-être, l’ornithologie, sans doute. La
lecture, certainement.
Non, elle n’était vraiment pas pour lui.
Ce qui expliquait sans doute pourquoi elle l’intriguait.
Les femmes qui étaient « son type », il en avait par-dessus la
tête, de la jeune fille de bonne famille ultra-sophistiquée à la
fêtarde invétérée, en passant par les divorcées chevronnées et
les ambitieuses obsédées par leur carrière. Plus aucune d’entre
elles ne l’intriguait depuis quelque temps. Au début, ses copains
n’avaient pas remarqué qu’il rentrait de plus en plus souvent
seul chez lui à la fin d’une soirée, mais dernièrement ils avaient
décidé de le guérir de cette étrange maladie avant qu’elle ne
devienne contagieuse.
Cette sage maîtresse d’école redonnait à Ben le goût de ce
que ses copains et lui appelaient pour rire « la chasse », goût
qu’il avait perdu depuis des mois. Ou peut-être cherchait-il tout
simplement un dérivatif à sa vie « trop nulle ».
Quoi qu’il en soit, il avait beaucoup de mal à se concentrer
sur ce qu’elle disait.
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Un contrat à faire signer par Kyle. Des objectifs, des défis
et des récompenses.
— M. Anderson, dit-elle, rejetant son invitation à l’appeler
par son prénom, votre neveu a déjà redoublé une fois et les
résultats de ses évaluations sont catastrophiques. Il ne fait pas
ses devoirs et refuse de participer à l’oral. Mais il lit, sans aucun
problème de compréhension, des textes de niveau universitaire.
Miss Maple marqua une pause pour lui laisser le temps
de saisir l’importance de ce qu’elle lui disait, puis poursuivit,
toujours aussi sérieuse.
— Si je définis une stratégie pour lui venir en aide, et que je
la mets en œuvre, cela va me demander énormément de travail
et un véritable engagement personnel. J’ai besoin de savoir que
vous me soutiendrez à la maison et que vous êtes également
prêt à donner de votre temps et de votre énergie.
Ben savait qu’il aurait dû se méfier d’une femme qui prononçait
le mot « engagement » avec autant de facilité, mais il n’écouta
pas la voix de la raison.
— Si on en discutait autour d’un dîner ? demanda-t‑il.
Miss Maple semblait complètement insensible à son charme.
Elle eut même l’air agacée.
Quant à lui, il était vexé. En général, les femmes qu’il invitait
à dîner étaient ravies ou intriguées, mais pas agacées.
Elle voulait sans doute se montrer professionnelle, et faire
oublier qu’elle avait rougi quand il avait joué de ses muscles.
Elle n’était pas aussi insensible qu’elle voulait le lui faire croire.
— Je regrette, mais je ne dîne jamais avec les parents,
dit-elle sèchement.
Malgré son étonnement devant la rebuffade, Ben prit l’air
le plus innocent possible.
— Miss Maple, la taquina-t‑il, je ne suis pas le père de
Kyle, je ne suis que son oncle.
Elle rougit encore, mais cette fois Ben eut l’impression que
c’était sous le coup de l’irritation.
— Je n’accepte pas de rendez-vous avec les membres de la
famille de mes élèves, précisa-t‑elle avec fermeté.
— Qui parle de rendez-vous ? fit Ben en fronçant les sourcils.
Vous m’avez mal compris.
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Et maintenant, voilà qu’elle avait l’air vexée !
Le problème avec les femmes comme miss Maple, songea
Ben, c’était qu’elles étaient sans doute bien plus compliquées
que ses conquêtes habituelles. Il aurait dû renoncer.
Mais bien sûr, il n’en fit rien.
— Je pensais que nous pourrions discuter plus en détail
de votre stratégie, fit Ben en regardant sa montre. Kyle n’a pas
encore dîné et j’essaie de lui faire prendre ses repas à heure fixe.
Au moins, ce n’était pas un mensonge. Son neveu était terriblement petit et maigre pour son âge, sans doute à cause de la
vie que lui avait fait mener Carly. Au début, il avait résisté aux
efforts de Ben pour lui faire ingurgiter de la nourriture saine
à intervalles réguliers, mais au cours des derniers jours, Ben
avait cru remarquer que son neveu prenait certaines habitudes
et commençait même peut-être à les apprécier.
Il en fit part à miss Maple qui eut la gentillesse de paraître
impressionnée.
— Il n’a pas eu une vie facile, n’est-ce pas ? chuchota-t‑elle.
Ben vit s’adoucir la sévérité de son expression. Cela la rendait
craquante. Il était temps de passer à l’attaque. S’il réitérait son
invitation à dîner maintenant, elle accepterait.
A sa grande surprise, Ben n’y parvint pas. Une boule s’était
formée dans sa gorge. Il n’arrivait même pas à lui dire à quel
point la vie de Kyle n’avait pas été « facile ».
Bien qu’il se sût capable d’employer mille ruses pour séduire,
Ben se refusait à utiliser l’existence tragique de Kyle pour
parvenir à ses fins.
Ses fins étant en l’occurrence un rendez-vous avec miss Maple,
juste pour voir où cela les mènerait. Toutefois, il remettrait cela
à plus tard : il voyait bien que Kyle comptait pour elle, et c’était
bien plus important qu’un banal dîner.
Il fallait se montrer prudent.
Mais la prudence avait ses limites et il ne put s’empêcher
de lui donner son numéro de téléphone portable, au cas où elle
aurait eu besoin de le joindre pendant la journée. Ainsi, il la
laissait prendre l’initiative.
Elle nota le numéro avec une certaine réticence, comme si
elle sentait qu’il avait une idée derrière la tête.
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Kyle revint de la bibliothèque, serrant le livre contre sa poitrine.
— Combien de temps je peux le garder ? demanda-t‑il
avec brusquerie.
— Il est à toi, répondit gentiment miss Maple. Je l’ai
commandé pour toi.
Kyle la foudroya du regard.
— Je l’ai déjà lu. Il est débile. J’en veux pas.
Ben faillit réprimander sèchement son neveu pour son
ingratitude mais il vit que miss Maple, au-delà des paroles de
l’adolescent en colère, s’intéressait à la manière dont il serrait
le livre contre lui.
Elle répondit sans s’énerver.
— Garde-le, au cas où. Peut-être que cela intéressera ton
oncle.
Après un silence, Ben reprit :
— J’aime bien l’arbre.
— Merci, dit-elle. C’est notre projet de classe de l’an dernier.
Elle dut lire sur son visage qu’il trouvait que c’était une
activité un peu frivole pour les heures de classe car elle précisa
vivement :
— Nous nous en servons comme point de départ pour de
multiples activités en science, en maths et en français. Aristote
a dit : ce que l’on apprend avec plaisir, on ne l’oublie jamais.
En sortant de l’école, Ben emmena Kyle manger un hamburger.
— Ton institutrice ne m’a pas semblé si vieille que ça, dit-il.
Kyle ne leva même pas les yeux vers lui, trop captivé par
son nouveau livre.
— C’est parce que tu n’as plus onze ans.
« Laisse tomber », se dit-il. Il y avait sans doute d’autres
sujets de conversation. Pourquoi s’enticher d’une femme qui
citait Aristote à la première occasion ?
— Elle ne m’a pas semblé si moche non plus.
Les burgers étaient servis et Kyle faisait tellement attention
à ne pas tacher son livre neuf qu’il ne voulait pas toucher à la
nourriture.
— Ouais, tu devrais voir sa tête quand je ne fais pas mes
devoirs…
— Ce serait bien si tu décidais de les faire, dit Ben en pensant
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à la chance que Kyle avait d’être tombé sur une institutrice aussi
enthousiaste et motivée.
Il se souvint de la « stratégie ».
— Si tu fais tes devoirs pendant un mois d’affilée, je prendrai
des billets pour un match des Giants !
Kyle ne daigna même pas lever le regard.
Au retour, ils s’arrêtèrent à l’hôpital pour voir Carly, mais elle
dormait, l’air épuisée et fragile, perdue dans son lit d’hôpital.
Comment son fils aurait-il pu s’intéresser à un match de football
américain ? Ben ne savait pas par quel moyen réconforter son
neveu. Il se sentit terriblement impuissant lorsque Kyle, de
retour à la maison, s’enferma dans sa chambre en claquant la
porte, sans dire bonsoir. Quelques instants plus tard, le bruit
assourdissant d’un groupe de musique dont le chanteur hurlait
des paroles incompréhensibles lui parvint.
Il se sentit soudain épuisé. Ses pensées se tournèrent vers
miss Maple ; il n’avait décidément plus rien d’un chasseur.
Il était seulement un homme solitaire et effrayé qui avait
perçu, dans la clarté d’un regard, un je ne sais quoi qui lui
donnait envie de déposer les armes et de cesser de se battre.
Journal top-secret de Kyle O. Anderson
Un jour, quand j’étais petit, ma mère m’a dit que mon
oncle Ben était un bourreau des cœurs.
Ça veut dire que toutes les femmes l’aiment. Maintenant
que j’habite avec lui, je vois que c’est vrai. Partout où
on va, par exemple au restaurant hier soir, les femmes
le regardent comme si elles voulaient le dévorer. Elles
ont cet air attendri, comme si elles étaient déjà à moitié
amoureuses avant de lui avoir parlé.
J’ai déjà vu ma mère comme ça, et chaque fois, ça
nous a menés droit au désastre. L’amour et ma mère ne
vont pas ensemble. C’est probablement un truc de famille.
Ma mère va mourir. Elle pèse à peu près quarantecinq kilos maintenant, moins que moi, et je vois les os et
les veines qui ressortent sur ses mains. Dans ses yeux,
c’est comme si elle me disait au revoir, même si elle
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continue à faire la fière, et à me dire qu’elle va guérir et
revenir à la maison. Je sais bien que ça n’est pas vrai.
J’ai un secret : même si j’ai peur qu’elle meure, j’ai
peur aussi qu’elle guérisse. Je ne veux pas que mon oncle
le sache mais j’aime bien être chez lui. Tout est propre et
il a toujours à manger, même si c’est des trucs pas cool
comme des fruits et pas souvent de gâteaux et de chips.
Je me sens bien ici, il n’y a pas de fêtes au milieu de
la nuit avec les gens qui commencent à hurler et à casser
des bouteilles jusqu’à ce qu’on entende les sirènes des
voitures de police.
Qu’est-ce qui va se passer si mon oncle ne m’aime
pas ? J’ai mal au ventre tellement j’ai peur qu’il ne me
garde pas, et pourtant je suis méchant avec lui. Ma
mère était pareille ; quand il nous apportait à manger,
elle criait et lui claquait la porte au nez et ensuite elle
pleurait une semaine en se demandant pourquoi il ne
lui disait pas qu’il l’aimait.
Il m’a acheté plein de trucs super cool pour ma
nouvelle chambre, mais j’ai fait style que c’était nul.
Il ne faut pas que je m’habitue à cette maison, ni à ma
super nouvelle école.
Avec miss Maple, c’est un peu pareil, comme si elle
était trop belle pour être vraie. Elle fait des trucs gentils
pour moi, comme le livre qu’elle m’a commandé, mais ça
me donne envie d’être tout petit et de pouvoir m’asseoir
sur ses genoux et pleurer. Pfff, je peux pas être un bébé.
J’ai fait exprès de dire à mon oncle qu’elle était
vieille et moche et méchante parce que ça aurait été
plus simple. Qu’est-ce qui va arriver si jamais il fait
son truc de bourreau des cœurs avec elle ?
Je pourrais peut-être les décourager.
Je me demande si elle se mettrait à crier si je mettais
une grenouille dans son bureau.
J’en ai vu une vraiment grosse à Migg’s Pond, l’étang
qui est derrière l’école et où on a fait une sortie d’observation de la nature. On ne faisait pas de sorties dans
mon ancienne école.
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Je préfère penser à ça plutôt qu’à ma mère seule dans
son lit d’hôpital, ou que de me demander si mon oncle
va me garder ou pas, s’il va continuer de faire les yeux
doux à miss Maple. Ça apaise mon mal au ventre. Je
vais réussir à m’endormir.
Mais seulement si je laisse la lumière allumée.
19
hors
série
L’amour au
programme
Institutrice ou maman, Cara Colter
Play-boy invétéré, Ben n’était certes pas préparé à devenir
le tuteur de Kyle, son neveu difficile. Mais les choses se
compliquent encore quand il est convoqué par Beth Maple,
l’institutrice de l’enfant. Alors que Ben pensait devoir s’expliquer
devant une vieille dame austère, il est désarçonné par le regard
turquoise – et courroucé – d’une jeune femme absolument
superbe…
Le directeur de Highbrigde Manor, Susanne James
En consacrant toute son énergie à ses élèves de Highbridge
Manor, Lia espère oublier les événements douloureux
qu’elle a vécus. Mais le séduisant Jasper Trent, le directeur
de l’établissement, fait très vite naître en elle de troublants
sentiments qui la déstabilisent…
Une famille pour Marissa, Margaret Way
Marissa a tout quitté pour offrir à son petit frère Riley un
environnement sain. Et, maintenant qu’elle est arrivée dans
l’Outback australien, elle doit absolument trouver un travail.
Aussi est-elle soulagée quand Holt McMaster, un rancher, lui
offre un poste de préceptrice auprès de sa fille. Mais, très vite,
Marissa se demande si elle a eu raison d’accepter ce poste ; car
elle est terriblement attirée par son nouveau patron...
1er septembre 2016
2016.09.50.2725.6
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