Le premier moderne », édition des Amours jaunes

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Le premier moderne », édition des Amours jaunes
PRESSE
Serge Safran, « Le premier moderne », édition des Amours jaunes, Tristan Corbière, coll.
Orphée, La Différence, 1989
TRISTAN CORBIÈRE (1845-1875) : auteur d’un livre unique à tous les titres, les Amours
jaunes. Verlaine le place très haut parmi ses « poètes maudits ». Serge Safran éclaire avec une
passion lucide le destin et l’œuvre de cet homme mal connu.
Mon amour, à moi, n’aime pas qu’on l’aime ;
Mendiant, il a peur d’être écouté…
C’est un lazzarone enfin, un bohême,
Déjeunant de jeune et de liberté.
PAGES ET LIVRES, MAI 1989
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Tristan CORBIERE
Les amours jaunes
Présenté par Serge Safran
Editions de la Différence
Tristan Corbière est-il seulement le poète maudit que Verlaine a arraché de l’oubli ? Cet abord
de la réalité de Corbière renvoie sans doute à une lecture par trop réductrice qui aujourd’hui
tient à la fois du cliché et… du pléonasme. (Quel poète n’est pas « maudit » ?). Cette mise à
l’écart pourtant, du siècle, de la littérature, est le fait de Corbière lui-même qui sans cesse
semble en rajouter dans une dévalorisation constante.
Sans doute séduits par les itinéraires exemplaires, fulgurants, de certains poètes dont la vie
tout entière apparaît à présent dans une unité créatrice parfaite, porte-t-on sur Corbière, ficelé
dans un parcours cahotant, le regard distant qu’appelle sa complexité fuyante. Mais c’est là
qu’il se trouve justement :
« Bonsoir – ce crapaud-là
c’est moi. »
Dérision sans cesse masquant l’angoisse permanente de la perte des mots, du vide et du
silence…
C’est dans l’informe que se cache le sens nous répète Corbière tout au long de l’exercice de
son écriture, périlleuse, dont la démarche peut apparaître hésitante comme l’est la progression
des funambules sur leur fil.
On ne dira sans doute pas assez l’importance de ces deux livres dans cette redécouverte
jamais acquise de l’orgueilleuse humilité de celui qui reste notre très contemporain…
«…, c’est naïvement une impudente pose ;
C’est ou ce n’est pas ça : rien ou quelque chose…
– un chef-d’œuvre ? – il se peut : je n’en ai jamais fait. »
Xavier Houssin, NERVURE, Journal de Psychiatrie, n° 7, Tome II, octobre 1989
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Dans les bras
d’Orphée
Une réédition attendue
« Les Amours jaunes »
de Tristan Corbière
Encore un curieux destin littéraire, celui du poète Tristan Corbière (1845-1875). Il est en en
effet l’auteur d’un livre unique, « Les Amours jaunes ». Unique en quantité et unique en son
genre. Ce recueil, publié à compte d’auteur en 1873, soit un an et demi seulement avant la
mort du poète, fut sauvé de l’oubli par Paul Verlaine qui le plaçait très haut dans ses « poètes
maudits ». La dernière réédition (la septième avant celle-ci) était parue en 1973 dans la
collection de poche Poésie/Gallimard, avec une préface de notre poète vosgien Henri Thomas.
La réédition actuelle paraît avec une préface de Serge Safran aux éditions « La Différence »,
dans une collection de poche elle aussi, « Orphée », dirigée par Claude Michel Cluny.
Risquons un jeu de mots : « les amours jaunes safran »… En effet, le présentateur annonce
d’emblée la couleur : « Tout d’abord en finir avec l’image mythique du poète maudit. Il
estime que l’on n’a réussi jusqu’ici à « brosser de Tristan Corbière qu’un portrait stéréotypé à
la fois paradoxal et outré. » Si le recueil à ses débuts était en effet perçu comme original, donc
marginal, donc défavorablement, le temps depuis a fait son œuvre et montré que la poésie de
Corbière avait été « réputée à tort mystificatrice ou hermétique ». De même, ce n’est pas
parce que l’auteur était né près de Morlaix qu’il faut le ranger dans la case réductrice du
folklore « breton bretonnant »… Toute l’analyse de Safran mérite une lecture attentive tant
elle est fine et pertinente.
Certes les poèmes de Corbière sont des cris parfois accusateurs, grinçants, moqueurs et
provocants, mais quel vrai poète n’est-il pas peu ou prou un écorché vif ? Certes il écrit sur
son « Amor » et sur les « Gens de mer », mais dans ce qu’ils ont d’universel. Ainsi dans cette
petite « Nature morte » :
Des coucous l’Angélus funèbre
A fait sursauter, à ténèbre,
Le coucou, pendule du vieux,
Et le chat-huant, sentinelle,
Dans sa carcasse à la chandelle
Qui flamboie à travers ses yeux.
– Écoute se taire la chouette…
– Un cri de bois : C’est « la brouette
De la Mort, le long du chemin…
Et, d’un vol joyeux, la corneille
Fait le tour du toit où l’on veille
Le défunt qui s’en va demain.
Pas de folklore ici. Rien qu’un petit moment d’émotion et de beauté pure. Lisez ces « Amours
» très riches d’où le rire (même acide, même jaune) n’est pas absent.
« Les Amours jaunes », de Tristan Corbière (Editions La Différence), 192 pages, 39 F.
François Jodin, La Liberté de l’est, 9 mai 1989
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Ceci pour signaler une nouvelle édition de poche des Amours jaunes (Orphée/ La Diférence,
1989, 191p.), digne d’être mentionnée en raison de la présentation remarquable d’intelligence
de Serge Safran.
Pierre Popovic, Spirale
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Corbière, poète de la
dérision jaune
Les Amours jaunes, Tristan Corbière.
Présenté par Serge Safran. Ed. La
Différence, 39F.
Tristan Corbière, La paresse et le génie,
André Le Millinaire. Ed. Champ Vallon,
98F.
Placé en tête de l’étude consacrée par Verlaine aux poètes maudits, où se côtoient Rimbaud et
Mallarmé, Tristan Corbière (1845-1875) n’a guère provoqué depuis de bouillonnement
critique, excepté qu’il apparaît dans l’Anthologie de l’Humour noir d’André Breton et que
Michel Dansel, Jean Rousselot et Henri Thomas se sont employés, en brillants prosélytes, à
nous le faire connaître au travers de monographies.
Les poèmes autobiographiques des Amours jaunes (1873), forment, d’après Serge Safran, «
un miroir dans lequel le poète eût aimé se voir mourir ». Cette étrange maïeutique, étrange
parce qu’inversée, dont l’opération est souvent annoncée, trouve dans Les Rondels pour après
qui ferment le recueil une claire ou ténébreuse formulation, selon que l’on possède ou non un
esprit rationnel, qui suggère à André Le Millinaire l’idée que Corbière refusait de fixer une
borne-limite à la vie. Or, si l’on songe que les matins voyaient en lui An Ankou, le spectre de
la Mort qui voyage entre le monde des vivants et celui des trépassés, la perspective d’une
lecture celtique de l’œuvre de Corbière nous semble inéluctable. Ce n’est pas – hélas ! et nous
en sommes frustrés – la voie empruntée par André Le Millinaire qui tire l’œuvre par le fil
psychanalytique et la compare, avec systématique, à celle de Beckett où l’on sait d’ailleurs la
même place du dérisoire. Néanmoins l’approche ne manque pas de stimuler grâce à une mise
à jour du tracé biographique excellemment restitué. Mais l’on se tournera ensuite vers
l’édition des Amours jaunes présentée par Serge Safran, qui nous engage dans la part la plus
moderne de l’œuvre de Corbière en montrant comment ce poète de la dérision jaune fut « l’un
des premiers à dire non à « littérature » ».
Guy Darol, Magazine littéraire, juillet / août 1989
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Poésie - Réalité
Tristan Corbière :
Les amours jaunes,
éd. La Différence (3)
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En décembre 1874, Tristan Corbière, depuis l’hôpital Dubois à Paris, écrit à sa mère «
Je suis à Dubois dont on fait des cercueils… » Il meurt trois mois plus tard. L’essentiel a
été dit. – Régalons-nous maintenant, vivons les pieds plantés dans la vie, dans le
quotidien et refusons, poètes et lecteurs « les violons de l’âme ». Emballons notre
tristesse, tout en restant triste comme peut l’être un franc-Breton : allons, La Cayenne
est au bout. Marginal, bourgeois tournant le dos à la Bourgeoisie, provocateur, tonique,
émouvant et moqueur, de constitution fragile et tendre, le poète
ne croyant à rien, croyant tout.
– Son goût était dans le dégoût
nous enveloppe par surprise dans son linceul de toute beauté. Ni philosophe, ni
moraliste, encore moins maître, il transfigure le sordide quotidien (S. Safran) et agace
du bout de sa botte, sa jument et le monde. Maudit, cent fois maudit, mille fois maudit il
n’oublie personne à bord de son cotre. Ni les matelots, ni les naufragés, ni les douaniers,
ni les petites femmes du Bois de Boulogne, ni les pauvresses de Notre-Dame-de-Lorette,
ni les «Hidalgo » : … fiers ceux-là !… comme poux sur la gale ! Ni nos amis les jésuites :
Tu ne veux pas de ma peau :
Venimeux comme un jésuite,
Prends garde !… je suis ensuite
Jésuite comme un crapaud
Bien dit, d’une manière concise, précise et elliptique. Dit en toute franchise, avec un peu
de canaillerie, un peu de cynisme, le rire jaune entre les dents.
Ma pensée est un souffle aride :
C’est l’air. L’air est à moi partout.
Et ma parole est l’écho vide
Qui ne dit rien – et c’est tout.
Jouez pile ou face avec le livre de Corbière. Peu importe. Vous serez toujours gagnant…
(3) Présenté par Serge Safran. – Aux mêmes éditions, à des prix « poche », Segalen, Hölderlin, Rimbaud,
Lorca, Wagner, Hejda…
Gaspard Hons, Espace de libertés n° 175, Novembre 1989
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