Aimé à l`étranger et controversé en Israël, Shimon Peres

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Aimé à l`étranger et controversé en Israël, Shimon Peres
Aimé à l’étranger et controversé en
Israël, Shimon Peres était un
combattant de la paix
« De bien des manières », a écrit au sujet de Peres l’historien et
analyste Azriel Bermant en 2012, « il a réellement agi comme le successeur
de Ben Gurion, combinant pragmatisme à long terme et bellicisme pendant
toute sa carrière, même si Peres est souvent vu comme un pacifiste
idéaliste et irréaliste. »
Shimon Peres, l’un des plus grands hommes politiques d’Israël et dernier des
fondateurs de l’Etat à être encore en vie, est mort tôt mercredi matin à Tel
Aviv, deux semaines après un accident vasculaire cérébral massif. Il avait 93
ans.
Quand il a terminé son mandat de président en 2014, Peres était le chef
d’Etat le plus âgé du monde, et la seule personne à avoir été Premier
ministre et président d’Israël. Bien que sa carrière, longue et illustre, ait
été remplie de rivalités et de déceptions professionnelles, dont une manœuvre
politique qui est entrée dans l’histoire sous le nom de « coup puant », dans
ses dernières décennies, Peres était devenu le plus vieil homme d’Etat
d’Israël, respecté et admiré des dirigeants du monde entier.
Peres, qui n’a jamais gagné une élection populaire (l’élection présidentielle
se fait par un vote à bulletin secret des députés), a été l’un des hommes
politiques les plus victorieux, rusés et finalement aimés.
Homme aux multiples facettes, travailliste de longue date qui a préféré le
centre du marché libre du parti Kadima, lauréat du Nobel de la Paix qui,
selon des sources étrangères, a donné à un état effrayé et menacé l’arme
dissuasive ultime, et signataire des accords d’Oslo qui, des années
auparavant, en tant que ministre de la Défense, avait aidé à poser les
premières pierres du mouvement des implantations, il était considéré comme
beaucoup comme l’un des meilleurs atouts d’Israël, homme politique érudit qui
n’avait pas été touché par la corruption.
Sur la scène internationale, il était respecté pour ses positions
conciliantes et sa quête sans fin pour la paix ; dans la droite idéologique
d’Israël, son nom a pendant des années était synonyme de naïveté, et bien
pire.
« Les Palestiniens sont nos plus proches voisins, a-t-il souvent déclaré. Je
suis certain qu’ils peuvent devenir nos plus proches amis. »
Il a été le huitième Premier ministre du pays, entre septembre 1984 et
octobre 1986, puis à nouveau entre novembre 1995 et juin 1996. En 2007, il
est devenu le neuvième président d’Israël.
Peres a siégé à la Knesset pendant presque un demi-siècle, entre 1959 et
2007, et a été nommé à presque tous les postes ministériels importants au fil
des ans. En 1994, il a reçu le Prix Nobel de la Paix, avec le dirigeant
palestinien Yasser Arafat et son collègue et éternel rival Yitzhak Rabin.
Shimon Peres, alors Premier ministre, pendant une cérémonie de commémoration de la mort de
l’ancien Premier ministre Yitzhak Rabin, le 23 octobre 2007. (Crédit : Orel Cohen/Flash90)
Né en 1923 sous le nom de Shimon Perski, il a grandi dans la ville polonaise
de Wołożyn (aujourd’hui Valozhyn, en Biélorussie), qui a été décimée par les
nazis pendant l’Holocauste. Peres a souvent raconté ses souvenirs de son
grand-père, le rabbin Zvi Meltzer, qui l’avait une fois emmené voir Chofetz
Chaïm, l’un des géants de la communauté juive avant la guerre, pour qu’il le
bénisse.
Peres a été élevé par son grand-père, qui l’a vu pour la dernière fois quand
il est parti pour la Palestine à 11 ans. « Je me souviens des derniers mots
et de l’ordre que j’ai entendu de sa bouche : ‘Mon garçon, reste toujours un
juif !’ », avait raconté Peres. Les nazis ont ensuite enfermé le grand-père
de Peres dans la synagogue de la ville, et l’ont brûlé vif.
« De bien des manières, Peres a réellement agi comme le successeur de Ben
Gurion, combinant pragmatisme à long terme et bellicisme pendant toute sa
carrière »
Azriel Bermant, historien
Peres est allé à l’école à Tel Aviv et Ben Shemen, puis a cofondé le kibboutz
Alumot, où il a été fermier et berger.
En 1945, Peres a épousé Sonya Gelman, qui est morte en 2011. Deux ans après
leur mariage, Peres a rejoint la Haganah, l’organisation clandestine juive
militante dirigée par David Ben Gurion. Le Premier ministre fondateur
d’Israël a été le mentor politique de Peres et est resté son modèle jusqu’à
la fin de sa carrière. « Ben Gurion était le plus grand de tous les hommes
d’Etat, il avait une vision prophétique », avait déclaré Peres.
« De bien des manières », a écrit au sujet de Peres l’historien et analyste
Azriel Bermant en 2012, « il a réellement agi comme le successeur de Ben
Gurion, combinant pragmatisme à long terme et bellicisme pendant toute sa
carrière, même si Peres est souvent vu comme un pacifiste idéaliste et
irréaliste. »
Mais bien sûr, il y avait des différences importantes entre les deux
dirigeants, a souligné Bermant dans une critique du livre de Peres sur Ben
Gurion publié en 2012. « Peres est le diplomate accompli qui a toujours
semblé se soucier des opinions internationales et israéliennes. On peut se
demander ce que Peres aurait pu réussir pendant qu’il s’efforçait de faire la
paix, s’il avait présenté un peu plus de la fermeté de Ben Gurion envers ses
rivaux nationaux. »
Shimon Peres et le pape François à Tel Aviv, septembre 2014 (Crédit : AFP)
Ces dernières années, Peres a joui du rôle d’homme d’Etat le plus âgé
d’Israël, au-delà des querelles partisanes, mais les premiers jours de sa
carrière en étaient très différents.
Dans la Haganah, Peres était responsable des ressources humaines et des
armes, puis a dirigé la Marine israélienne. Après la guerre d’Indépendance,
il a dirigé la délégation du ministère de la Défense aux Etats-Unis. En 1953,
Peres, qui avait alors 29 ans, est devenu le plus jeune directeur général
d’un ministère de l’histoire. A ce poste, il a participé à la formation
d’alliances stratégiques qui se montreraient cruciales pour la survie
d’Israël, et a mis en place le programme nucléaire du pays à Dimona.
En 1959, Peres est entré à la Knesset comme représentant du Mapaï, le
prédécesseur du parti travailliste, et a été nommé vice-ministre de la
Défense, un poste qu’il a gardé jusqu’en 1965. En 1974, Yitzhak Rabin, alors
Premier ministre, et rival éternel de Peres, a fait de lui son ministre de la
Défense.
Trois ans plus tard, Rabin a été mêlé à un scandale de devises étrangères et
a dû laisser Peres prendre la tête du Parti travailliste et agir comme
Premier ministre non officiel. Sous la direction de Peres, la gauche
israélienne a perdu le pouvoir pour la première fois de l’histoire du pays.
Menachem Begin, du Likud, est devenu Premier ministre, et Peres a dirigé
l’opposition. En 1981, le Parti travailliste a à nouveau perdu les élections.
Trois ans après, le parti a remporté le plus des sièges mais n’a pas pu
former une coalition de gauche. Peres et Yitzhak Samir, du Likud, se sont mis
d’accord un accord de rotation, dans lequel les deux dirigeants seraient
Premier ministre et ministre des Affaires étrangères l’un après l’autre. Il
est devenu Premier ministre pour la première fois le 13 septembre 1986.
Shimon Peres, à droite, et Golda Meir. (Crédit: GPO)
En 1988, le Parti travailliste a, à nouveau, perdu contre le Likud de Shamir,
bien que de peu, et Peres a été vice-Premier ministre et ministre des
Finances dans un gouvernement d’unité nationale. Mais cette alliance
improbable s’est déchirée en 1990 en raison d’un désaccord sur un projet
américain de négociations de paix avec les Palestiniens.
Peres a ensuite tenté de prendre le pouvoir en organisant une manœuvre
politique connue sous le nom de « coup puant ».
Avec l’aide du parti ultra-orthodoxe Shas, le bloc de gauche de Peres a
réussi à faire passer une motion de défiance en mars 1990, marquant la
première fois, et pour l’instant l’unique, où un gouvernement en place a été
renversé par une telle mesure. Il a été demandé à Peres de former un
gouvernement, mais il n’a pas pu le faire en raison de l’opposition de Degel
HaTorah, un parti ultra-orthodoxe. Le rabbin dirigeant de l’époque, Eliezer
Menachem Schach, avait interdit à ses partisans d’entrer dans une coalition
avec la gauche « mangeuse de porc », et un Peres humilié s’est retrouvé sans
majorité.
Rabin, qui avait essayé sans succès de déloger Peres de la tête du parti,
avait déclaré que « ce bluff et cette corruptibilité qui sont entrés dans la
vie politique israélienne dans une tentative de former un gouvernement étroit
ont échoué non seulement en termes tactiques, mais aussi en tant que concept.
»
Shimon Peres et le dirigeant palestinien Yasser Arafat à Ramallah, le 14 mai1997. (Crédit :
Flash90)
Deux ans après, Peres a perdu la primaire travailliste contre Rabin, qui est
ensuite devenu Premier ministre et a fait de Peres son ministre des Affaires
étrangères.
En 1993, le gouvernement Rabin a signé les accords d’Oslo avec l’Organisation
de libération de la Palestine (OLP), ce qui a valu à Rabin, Peres et Yasser
Arafat, dirigeant de l’OLP, le Prix Nobel de la Paix 1994 pour « leurs
efforts pour créer la paix au Moyen Orient. »
« Nous laissons derrière nous l’époque du bellicisme et nous dirigeons
ensemble vers la paix », avait déclaré Peres dans son discours de remise du
prix.
L’amère rivalité entre Peres et Rabin a duré près d’un demi-siècle. Elle ne
s’est pas terminée avec le succès d’Oslo ou d’un autre traité de paix
historique, signé par Israël avec la Jordanie en 1994. En effet, Peres n’a
pas apprécié que Rabin marginalise son rôle dans l’accord de paix avec Aman,
ayant le sentiment qu’il méritait la plupart du crédit pour ses nombreuses
années de tractations secrètes avec le royaume.
Shimon Peres allume la cigarette de Yitzhak Rabin, le 16 septembre 1986. (Crédit : Moshe
Shai/Flash90)
« Cette tension est totalement inutile », avait déclaré Moshe Shahal,
ministre du Travail, après l’approbation par le cabinet de l’accord de paix
avec la Jordanie. « Il y a assez de place pour eux deux dans l’histoire pour
ce qu’ils ont fait et ce qu’ils ont réussi. »
Les réussites diplomatiques d’Israël à l’époque ont été attribuées aux deux
dirigeants travaillistes travaillant ensemble, malgré leur inimitié
personnelle.
« C’est un miracle que cette combinaison existe », avait déclaré à l’époque
Matti Gola, écrivain israélien qui avait raconté la relation entre Peres et
Rabin. « Mais il est certain que sans Ravin, [les initiatives de paix]
n’auraient pas existé, et il est certain que sans Peres, elles auraient aussi
été impossibles. »
Après l’assassinat de Rabin en novembre 1995, Peres est devenu Premier
ministre par intérim, promettant de continuer le chemin de la paix. Il avait
appelé à de nouvelles élections, mais une série d’attentats terroristes
violents contre les civils israéliens juste avant l’élection avait entraîné
le peuple à choisir la sécurité sur la réconciliation, et à porter au pouvoir
le belliqueux Benjamin Netanyahu, du Likud.
Dans le gouvernement travailliste suivant, dirigé par Ehud Barak, Peres avait
été ministre de la Coopération régionale, un poste mineur. Après l’échec du
gouvernement en 2000, Peres avait concouru pour la présidentielle, mais avait
perdu contre Moshe Katsav. Il avait ensuite mis en scène son retour
politique, devenant ministre des Affaires étrangères dans un gouvernement de
coalition dirigé par Ariel Sharon, député du Likud tenant d’une ligne dure.
En 2005, il avait suivi Sharon vers le nouveau parti centriste, Kadima, où il
était resté jusqu’à sa démission de la Knesset après son élection comme
président en 2007.
Comme le veut la coutume pour ce poste essentiellement honorifique, Peres
avait abandonné la politique partisane et avait alors concentré ses discours
sur le besoin de parvenir à la paix au Moyen Orient, les dangers d’un Iran
nucléaire, et le miracle du succès des high-tech israélienne. Après une
carrière tempétueuse en politique, Peres n’a pas été moins vigoureux à son
nouveau poste apolitique, ayant un emploi du temps chargé qui comprenait des
rencontres dans tout Israël et dans le monde entier.
« Je ne sais pas d’où il tire son énergie », avait déclaré l’une des membres
de l’équipe de Peres il y a quelques années, quand son chef s’était adressé à
des dirigeants communautaires américains à 8h00 du matin, avant de se rendre
à son prochain rendez-vous. « Croyez-moi, avait-elle continué, il a plus de
80 ans et j’ai une trentaine d’années, mais il a plus d’énergie que nous
tous. »
En effet, même octogénaire, Peres, qui a reçu une distinction honorifique de
la reine d’Angleterre et une médaille présidentielle de la Liberté de Barack
Obama, était littéralement infatigable.
Au milieu des années 1990, il a été le premier Premier ministre israélien à
avoir un site internet et, vingt ans après, il était toujours à la pointe de
la technologie. En 2012, il avait publié une vidéo très tendance le montrant
en train de serrer les mains des dirigeants mondiaux et des stars d’Hollywood
et du sport, jouer sur son iPad, tout en implorant le spectateur d’être « mon
ami pour la paix. »
« Nous étions le peuple du Livre. A présent, nous sommes devenus le peuple de
Facebook, encore mieux ! », déclare Peres dans la vidéo. Pour la bande son,
Peres avait engagé Noy Alooshe, journaliste et musicien israélien devenu
célèbre pour son imitation « Zenga Zenga » se moquant de Mouammar Kadhafi.
Même le jour de son accident vasculaire cérébral, intubé et anesthésié par
ses médecins à l’hôpital Tel Hashomer, Peres avait publié une vidéo sur
Facebook appelant les Israéliens à acheter des produits fabriqués en Israël.
Shimon Peres – septembre 2014 (Crédit : Flash90)
A l’été 2012, quand le Premier ministre Netanyahu avait publiquement réfléchi
à attaquer les installations nucléaires de l’Iran malgré l’opposition de
Washington, Peres était entré dans l’arène politique une dernière fois.
Jérusalem ne peut pas « y aller seule » pour des frappes préventives, avaitil déclaré, déclenchant une forte controverse. Les dirigeants du Likud
avaient déclaré que les remarques de Peres étaient « une attaque grossière
contre la politique officielle du gouvernement élu », et un député était allé
jusqu’à suggérer de destituer Peres.
Mais Yitzhak Navon, le cinquième président d’Israël (1978 – 1983), avait
défendu Peres, qui avait été son rival pour la direction du Parti
travailliste. « Un homme comme Shimon Peres ne peut pas ne pas donner son
avis quand il sent la fatalité du moment et pense de tout son cœur qu’il
s’agit de son obligation d’exercer son influence », avait-il déclaré.
Avant les élections de 2013, politiques et experts israéliens avaient fait
pression pour que l’homme de 89 ans quitte la présidence et se lance encore
une fois dans la course pour devenir Premier ministre, mais Peres avait
refusé, disant qu’il s’était engagé à terminer son mandat présidentiel de
sept ans. Le 27 juillet 2014, il a été remplacé par Reuven Rivlin, qu’il
avait battu sept ans plus tôt. Mais même après six décennies de postes
politiques, Shimon Peres n’avait pas pris sa retraite, continuant
infatigablement son combat pour la paix et la réputation d’Israël dans le
monde.
« Nous avons un partenaire. Mais nous devons décider si nous voulons un
partenaire pour la paix, ou un partenaire pour la guerre. Je parle avec Abu
Mazen [Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne]. Il parle de
paix, il s’exprime contre le terrorisme. Il ne parle pas la langue sioniste,
mais nous n’attendons pas cela de sa part », avait-il déclaré récemment.
En décembre 2015, des rumeurs sur son décès s’étaient répandues sur les
réseaux sociaux que Peres, fidèle à lui-même, avait dissipé sur sa page
Facebook. « Je continue mes affaires quotidiennes comme d’habitude pour faire
ce que je peux pour aider l’Etat d’Israël et ses citoyens », avait-il écrit.
Source : Aimé à l’étranger et controversé en Israël, Shimon Peres était un
combattant de la paix | The Times of Israël

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