Processus sectaire de victimisation
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Processus sectaire de victimisation
CONFÉRENCE Processus sectaire de victimisation MICHEL GIROUX PSYCHOLOGUE ET AUTEUR Québec 418.529.5041 www.michelgiroux.net Michel Giroux, Les valeurs religieuses en psychothérapie, Quebecor, 2008 Les sectes séduisent puis détruisent leurs adeptes en leur promettant un monde parfait1 Toutes les sectes manipulent par le religieux.2 INTRODUCTION L’erreur serait de caricaturer les sectes. Si ces mouvements ne donnaient pas à l’homme un sens, une compréhension globale du monde, si leurs méthodes « révolutionnaires » (même non prouvées scientifiquement) ne touchaient pas à des points subtils de l’affectivité, si les adeptes ne ressentaient pas des sensations nouvelles, s’ils n’obtenaient pas des réponses apaisantes à leurs angoisses, s’ils ne voyaient pas grandir en eux un espoir immense, ils ne survivraient pas, arrêteraient de croître et de se multiplier.3 Finissons-en avec une autre idée selon laquelle une personne « rentrerait dans une secte ». On ne rentre pas dans une secte, mais on est happé par un mouvement aux structures manipulatrices soigneusement préparées: «[...] vous rencontrez les gens les plus amicaux que vous avez jamais connus, qui vous amènent dans le groupe le plus chaleureux que vous avez jamais rencontré [...], vous trouvez le leader être la personne la plus inspirée, la plus attentionnée, la plus pleine de compassion et de compréhension [...] vous apprenez que l’objectif du groupe est quelque chose que vous n’auriez jamais osé espérer voir et tout cela vous semble trop beau pour être vrai, écrit Jeannie Mills, ex-membre du Temps du peuple de (Guyana).4 Et Jeannie Mills, retrouvée plus tard assassinée, de conclure : « C’est probablement aussi trop beau pour être vrai ! » Ce n’est qu’une fois sorti de la secte, ayant pris conscience d’avoir été escroqué sur les plans financier, spirituel et intellectuel, que l’adepte se rend compte qu’il était dans une secte.5 Fillaire, B. Les sectes. p. 74. Fillaire, B. Les sectes. p. 32. 3 Fillaire, B. Les sectes. p. 16. 4 Fillaire, B. Les sectes. P. 17. 5 Fillaire, B. Les sectes. p. 17. 1 2 MICHEL GIROUX PSYCHOLOGUE 19-11-2008 © 1. ÉTAPE 1 : LA SÉDUCTION 1.1. LE GOUROU Séduit, le futur adepte se retrouve en face de la secte. Comme il est fatigué de porter son sac de doutes, un homme lui dit gentiment : « Posez-le devant la porte et entrez ! »6 Le gourou de secte est un trafiquant de sacré, de mythes.7 Ce fin psychologue détecte chez le nouvel adepte son point de fragilité et lui en fait prendre conscience, ce qui est une première libération. Ensuite, il lui promet le bonheur, lui laissant entendre qu’il trouvera bientôt en lui-même les réponses à toutes ses questions.8 1.2. LE GROUPE : LE MYTHE DES ÉLUS Le gourou sait panser les blessures narcissiques de l’adepte.9 2. ÉTAPE 2 : LA DESTRUCTION Pour que la secte survive et que les prophéties du gourou se réalisent, l’adepte doit être à la fois contrôlé par son groupe, fanatique de la doctrine de la secte et désormais incapable de retourner dans le monde.10 2.1. UNE HYGIÈNE CARENCÉE Premier point ; surmener l’adepte. Il ne faut plus qu’il ait de projets d’avenir. Il doit gérer l’immédiat. Une fatigue extrême, un manque de sommeil chronique mettront son cerveau en « pilote automatique ».11 À Écolovie, on ne dort pas plus de trois ou quatre heures; chez les dévots de Krishna, la durée moyenne de sommeil d’un adulte est de cinq heures et de six heures pour les dixquinze ans ; ailleurs, l’adepte se couche à 21 heures et se lève entre 1 et 2 heures du matin.12 Les sectes peuvent mettre en garde contre les professionnels de la santé. Pas question qu’un élément étranger s’immisce dans la secte : non seulement il prendrait sur l’adepte un pouvoir conféré au gourou, mais il risquerait de dévoiler des carences ou des mauvais traitements. 13 Fillaire, B. Les sectes. p. 33. Fillaire, B. Les sectes. p. 34. 8 Fillaire, B. Les sectes. p. 34. 9 Fillaire, B. Les sectes. p. 34. 10Fillaire, B. Les sectes. p. 41. 11Fillaire, B. Les sectes. p. 41. 12Fillaire, B. Les sectes. p. 43. 13Fillaire, B. Les sectes. p. 44. 6 7 MICHEL GIROUX PSYCHOLOGUE 19-11-2008 © 2.2. RÉGRESSION 2.2.1. L’effet de groupe L’effet de groupe : Document romain du 19 mai 1986. « [...] un processus subtil d’introduction du converti et une découverte progressive de ses véritables interlocuteurs ainsi que l’approche générale basée sur la tromperie et l’affection [...] »14 L’effet de groupe est capital pour endormir les résistances15. Tout est affectif. Les centres, propres et parfumés, résonnent de rires et d’airs sifflotés, de sourires complices, d’attentions délicates, de flatteries. Tous les manuels de prosélytisme ou de dissémination de l’information insistent sur le « matraquage de l’amour ».16 L’effet de la séduction opérant, l’adepte va de stage en stage. Il ne voit plus rien d’autre. Jamais il ne s’est senti aussi rassuré, autant aimé. Il sort de lui-même. Il fait passer l’intérêt du groupe avant son intérêt particulier.17 La plupart des sectes s’attachent, dans un premier temps, à ce que la propagande offre au nouvel adepte une image accueillante, ne dérangeant en soin son confort intellectuel et affectif, et à ne pas laisser transparaître qu’il sera conduit « à changer sa vie ». Les vrais objectifs de la secte, il les découvrira plus tard, et progressivement.18 La propagande joue son rôle séducteur et sécurisant. Pas une interrogation, pas un doute n’entachent la pensée sectaire. Les assertions sont toujours « scientifiquement prouvées », et les messages sont « révélés ».19 L’adepte ne doit prendre aucune décision et, comme un petit enfant sans cesse chercher à se faire aimer de son gourou. « Obéissance, obéissance, obéissance. Obéissance en intensité, intense union avec ma volonté et intense résolution de me plaire chaque jour, à chaque moment selon ma propre manière ». Sri Chinmoy dans une conférence20. 2.2.2. Les relations sexuelles Les moyens d’obtenir la régression sont divers. Tout d’abord une forte répression des appétits sexuels.21 La revue Psychologues et Psychologies décrit ainsi les relations sexuelles d’une communauté thérapeutique sectaire : « [Elles] sont fortement interdites et les amitiés ordinaires découragées, soit par des réprimandes et des coups, soit par le transfert répété des usagers de centre en centre. [...] Le seul lien affectif toléré (et Fillaire, B. Les sectes. p. 35. Fillaire, B. Les sectes. p. 36. 16 Fillaire, B. Les sectes. p. 36. 17 Fillaire, B. Les sectes. p. 36. 18 Fillaire, B. Les sectes. p. 37. 19 Fillaire, B. Les sectes. p. 37. 20 Fillaire, B. Les sectes. p. 44. 21 Fillaire, B. Les sectes. p. 45. 14 15 MICHEL GIROUX PSYCHOLOGUE 19-11-2008 © encouragé) est un amour et une connaissance asexués, illimités, sans bornes, archaïques donc, pour l’institution nourricière ».22 Rien ne doit entacher ni diminuer l’amour exclusif des adeptes pour leur gourou. L’amour conjugal, parce qu’il représente une intimité, doit être combattu. En conséquence, les gourous s’autorisent à marier et séparer leurs adeptes au gré de leur politique ou jalousie.23 2.3. COUPURE AVEC LE MONDE : MYTHE DU DANGER L’adepte doit aimer le terre entière, mais seulement lorsqu’elle sera purifiée du mal ou que Satan aura été chassé. Pour l’instant, il lui faut se couper du monde extérieur « insignifiant, criminel et hypocrite ». Il doit se retrancher de ses influences, arracher par la racine son ancienne personnalité.24 Ainsi les angoisses paranoïaques de l’adepte sont-elles alimentées. Toute personne n’étant pas de la secte devient un persécuteur possible. Les médecins, les journalistes, les écrivains, les Églises instituées, les associations de défense contre les sectes, (les psychologues, psychiatres...) et autres sont à éliminer. Toute critique est déclarée suspecte. 25 L’adepte doit toujours considérer la secte comme sa vraie famille, au détriment de sa famille biologique.26 Comme pour la régression forcée, les techniques conduisant l’adepte à rompre avec son entourage et sa culture sont innombrables. L’association X interdit à ses adeptes de se mêler au monde, de faire un don à une organisation caritative, de participer à un vote, de suivre des études supérieures. 27 Le Mal est refoulé à l’extérieur de la secte. Le monde extérieur devient la cause de tous les maux. Le monde appartient dès lors au Malin. 2.4. CONTRÔLE INTERNE La secte pointe, vérifie continuellement, obsessionnellement, que ne se manifeste aucun signe de déviance... Le « système » ne peut être défaillant. En exerçant une critique envers sa hiérarchie, un adepte commet obligatoirement des fautes envers elle. Il doit donc refouler toute pensée personnelle s’il ne veut être considéré comme satanisé, traître ou « lié à une personne ou à un groupe anti-social ». La culpabilisation est la clef qui le verrouille le plus sûrement. L’adepte est toujours responsable de ses propres défaillances : manque de foi, avarice à l’égard de la secte, ou, enfin, connexion à un anti-social. Fillaire, B. Les sectes. p. 45. Fillaire, B. Les sectes. p. 45. 24 Fillaire, B. Les sectes. p. 48. 25 Fillaire, B. Les sectes. p. 48. 26 Fillaire, B. Les sectes. p. 74. 27 Fillaire, B. Les sectes. p. 51. 22 23 MICHEL GIROUX PSYCHOLOGUE 19-11-2008 © Pour soulager sa conscience, il est conduit à se confesser, à s’autoanalyser en permanence, à noter scrupuleusement ses émotions. Selon une technique sectaire éprouvée qui ressemble à un viol psychique et qui est un puissant mode de contrôle.28 La délation est une autre façon de se déculpabiliser. Dans ce groupe extrêmement hiérarchisé et pyramidal, tout ce qui se dit et se fait remonte jusqu’au gourou qui connaît ainsi la vie de l’adepte dans ses moindres détails.29 3. ÉTAPE 3 : RECONSTRUCTION OU L’IMPOSSIBLE RETOUR Face au vide qui l’assaille intérieurement, ayant perdu tous ses repères, l’adepte d’une secte est abandonné de son propre moi.30 SYMPTÔMES POST-SECTAIRES Mais, surtout, l’ancien adepte ressent les « symptômes post-sectaires » : anxiété, culpabilité, honte et peur. Il vit sa liberté retrouvée d’une façon atroce.31 Un ancien adepte n’a rien perdu des phobies de la secte. Certains craignent réellement que le gourou ne pratique de la magie noire sur l’une de leurs photographies oubliées.32 C’est une chose de sortir de la secte, et une autre de faire sortir la secte de soi-même. L’ex-adepte doit se réhabituer à penser par soi-même, à exprimer ses sentiments, à écouter les bruits souvent discordants du monde.33 La secte a programmé son comportement hors les murs.34 Il lui fait faire le deuil de la toute-puissance, du rêve d’un monde sans manque, sans faille, le deuil de ce « Nouvel Âge » que promettait la secte et surtout, s’il peut témoigner de cet enfer.35 4. TRAITS PSYCHOPATHOLOGIQUES DES GROUPES SECTAIRES 4.1. PERVERSE SADO-MASOCHISTE ET NARCISSIQUE Psychopathologie perverse sado-masochiste, exprimée à travers des relations basée sur le mensonge, la domination et les mépris de l’altérité, l’abus de l’autre. On met en évidence des traits d’organisation narcissique niant l’existence de l’autre comme quelqu’un de différencié méritant le respect, la communication et l’échange. Fillaire, B. Les sectes. p. 54. Fillaire, B. Les sectes. p. 54. 30 Fillaire, B. Les sectes. p. 67. 31 Fillaire, B. Les sectes. p. 70. 32 Fillaire, B. Les sectes. p. 70. 33 Fillaire, B. Les sectes. p. 70. 34 Fillaire, B. Les sectes. p. 72. 35 Fillaire, B. Les sectes. p. 72. 28 29 MICHEL GIROUX PSYCHOLOGUE 19-11-2008 © Ceci s’exprime aussi par les conduites d’exploitation physique au travail, sexuel, affectif et intellectuel. Dans ce type de relation, il existe deux rôles, ceux qui dominent et les dominés. Les « intelligents » et les « imbéciles » !36 4.2. PARANOÏDE Exprimée à travers l’endoctrinement qui induit à croire que ce qui appartient au groupe est la seule chose de bonne et ce qui lui est extérieur est mauvais. Le mécanisme de scission prédomine : entre le bon et le mauvais, il n’y a ni transition ni intégration. Et le mécanisme de projection abonde aussi : l’autre, ce qui est extérieur au groupe est dépositaire de tout ce qui est mauvais ; par contre, le groupe est le dépositaire de tout ce qu’il y a de bon. Le respect n’est pas pour ceux qui agissent de façon distincte.37 4.3. OBSESSIONNELLE Elle se manifeste à travers les éléments de contrôle, tant dans les aspects personnels que dans ceux du groupe : restriction d’information, contrôle des comportements personnels, imposition de certains rituels, etc., et aussi de la rigidité à appliquer les normes38. Quatre éléments dominants se dégagent: A) Intensité affective maniaque: ⇒ Excitation, exaltation, domination de l’autre... B) Intensité affective dépressive: ⇒ Abattement, passivité, soumission craintive... C) Affectivité (et cognition) indifférenciée et confuse: ⇒ Indifférenciation entre le bon et le mauvais D) Affectivité scindée (dissociée): ⇒ Différenciation excessive entre le bon et le mauvais qui s’exprime à travers des représentations mentales du sujet et de sa conduite affectivo-cognitive ⇒ Polarisation et séparation totale du bon et du mauvais dans un fonctionnement paranoïde. AIEMPR, XIIè Congrès, Etre autre? fanatisme, intégrisme, altérité, narcissisme. Fanatisme (intégrisme, narcissisme) et Sectarisme (traits sectaires), p 1. 37 AIEMPR, XIIè Congrès, Etre autre? fanatisme, intégrisme, altérité, narcissisme. Fanatisme (intégrisme, narcissisme) et Sectarisme (traits sectaires), p 2. 38 AIEMPR, XIIè Congrès, Etre autre? fanatisme, intégrisme, altérité, narcissisme. Fanatisme (intégrisme, narcissisme) et Sectarisme (traits sectaires), p 6. 36 MICHEL GIROUX PSYCHOLOGUE 19-11-2008 © 4.4. Relations pathologiques A) Paranoïde-maniaque: Exprimée dans un fonctionnement sadique-pervers, en plus d’obsessionnel où se produit une forte dissociation entre le bon et le mauvais, vécue dans un climat d’excitation maniaque. B) Paranoïde-dépressive: Ce type de fonctionnement s’exprime surtout à travers une psychopathologie dépressive, dépendante, masochiste. Il existe un binôme sado-masochiste où le versant sadique est assumé par les dirigeants qui dominent et exploitent leurs fidèles dévots qui constitueraient le versant masochiste avec des comportements soumis et dépendants. Dans l’ensemble du tableau, le fonctionnement des groupes sectaires et spécialement leur composant de fanatisme se situe fondamentalement sur le versant paranoïde de tableau où se produit une forte dissociation. Les dirigeants se trouveraient dans la zone maniaque et les adeptes dans la zone dépressive. 1. 2. DYNAMIQUE RESPONSABLE-SUBALTERNE RESPONSABLES: Affectivité maniaco-paranoïde. SUBALTERNES: Affectivité dépressivo-paranoïde. ÉLÉMENTS POTENTIELLEMENT DESTRUCTIFS POUR LA PERSONNALITÉ 1. Endoctrinement. Contrôle des relations de l’individu avec le monde extérieur au groupe : ⇒ Moyens de communication, lectures etc. ⇒ Avec des personnes extérieures au groupe : rupture de relations, etc. 2. Contrôle de la conduite : ⇒ Déplacement ⇒ Rendre compte de ce que l’on fait ⇒ Habillement ⇒ Langage 3. Contrôle physiologique : ⇒ Sommeil ⇒ Habitudes alimentaires ⇒ Comportement sexuel ⇒ Exercices physiques MICHEL GIROUX PSYCHOLOGUE 19-11-2008 © 4. Organisation totalitaire du groupe : ⇒ Hiérarchie stricte ⇒ Culte de la personne du leader ⇒ Caractère aléatoire de la récompense ou de la punition ⇒ Techniques trompeuses graduelles ⇒ Châtiments physiques et psychologiques ⇒ Exploitation au travail 5. Discrimination dans le groupe : ⇒ Race ⇒ Sexe ⇒ Statut matrimonial 6. Facteurs à risque : ⇒ Durée de la présence dans le groupe ⇒ Situation de crise personnelle ⇒ Structure psychopathologie préalable ⇒ Âge de la personne BIBLIOGRAPHIE Fillaire, B. Les sectes. Un essai pour comprendre et pour réfléchir. Section 1 Atteinte à la sûreté de l’esprit, Dominos, Flammarion, 1994, 1 à 73 pp. Gélinas, J. Morissette, P. L’enfant et le phénomène des sectes: comment prévenir les abus? Psychologie préventive, no 10, 1986. Hirigoyen, M.-F., Le harcèlement moral: la violence au quotidien, Paris, Syros, 1998, 212p. AIEMPR CONGRÈS, Les miroirs du fanatisme - intégrisme, fanatisme et altérité, Labor/Fides, 1996, 200p. Jonhson, D., Van Vonderen, J., Le pouvoir subtil de l’abus spirituel. Comment reconnaître la manipulation et la fausse autorité spirituelle dans l’Église et comment y échapper. Éditons Jaspe, 1998, 289p. MICHEL GIROUX PSYCHOLOGUE 19-11-2008 ©