Marion Aubert a tout d`une grande

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Marion Aubert a tout d`une grande
Marion Aubert a tout d’une grande
La jeune auteure montpelliéraine Marion Aubert(e) (elle féminise son patronyme dans
sa pièce, pour lui faire plaisir, nous la suivons dans cette coquetterie) n’en finit pas de
nous éblouir. Sa comédie hystérique et familiale « Orgueil poursuite et décapitation » lui
fait franchir un nouvel échelon dans la hiérarchie. Là voici capable de se mesurer à
Fabrice Melquiot ou à Rémi De Vos. Des comédiens reconnus jouent avec elle sous la
direction de Marion Guerrero dans ce qui est à ce jour la meilleure création régionale de
la saison.
arion Aubert annonce la couleur dès le prologue, sa pièce est un labyrinthe dans
lequel sont invités à se perdre les membres de sa tribu : ses voisins, ses amis, sa famille, un
directeur de théâtre, Julien le copain devenu écailler, un morveux, le poète Christophe, Rémi
De Vos, la Sétoise, une ménagère, un autre morveux et elle, bien sûr. Elle au centre de la
pièce, elle son sujet principal. Elle l’auteure, omniprésente sur scène. Elle qui commente
l’action, la fait évoluer, elle le deus ex machina. Elle, non par égocentrisme démesuré, mais
elle qui enfante cette histoire à dormir debout peuplée de « chonchons ». Ces créatures
imaginaires protéiformes peuvent être aussi bien des poux que des gens comme vous et moi.
Marion Aubert voulait écrire une comédie animalière, mais elle s’est rendu compte qu’elle
n’aimait pas vraiment les bêtes, voilà pourquoi elle s’est rabattue sur les chonchons.
Avec sa langue unique, incisive et crue, elle écrit des dialogues pleins de tendresse sous la
grossièreté. Une langue sans concession où l’on appelle une chatte une chatte, un con un con
et une femme aimée une sale pute ! La langue des scènes de la vie quotidienne, de la vie
conjugale ou professionnelle nous est servie ici sans fard. Il n’y a que le chonchon isolé et le
poète sur la plage qui emploient des mots plus policés et la journaliste qui ne pose que des
questions conventionnellement indiscrètes. Sous la plume de Marion Aubert surgissent les
personnages de ce tableau sans pitié des rapports de pouvoir, au premier rang desquels celui
de l’homme et de la femme. Il est traité à tous les niveaux : père-fille, mari-femme, employéeemployeur. Il serait pourtant très réducteur de ne voir que du féminisme dans la pièce de
Marion Aubert. Son propos est plus universel, il pointe la folie ordinaire du monde en une
dizaine de chapitres qui sont comme autant de morceaux de bravoure, dont l’exceptionnel
portrait au vitriol de la belle-mère.
Marion Guerrero met en scène la pièce de sa copine. Elle fait évoluer les comédiens dans un
labyrinthe de cloisons à roulettes, que les personnages tournent, reculent, bougent en tous
sens, faisant apparaître la bibliothèque de l’auteure, la cuisine du couple, la salle à manger des
beaux-parents… Ce dispositif colle parfaitement au tourbillon de scènes imaginées par
Marion Aubert. Autre astuce de Marion Guerrero, faire jouer les mêmes personnages par
plusieurs comédiens, portant des costumes identiques. C’est une idée particulièrement
piquante s’agissant des deux enfants interprétés tour à tour par Thomas Blanchard et Olivier
Martin-Salvan, qui se ressemblent comme Laurel ressemble à Hardy.
Adama Diop joue le prologue. Il s’en tire bien et place la barre très haut. Marion Aubert, dans
son propre rôle d’auteure, se balade avec sa décontraction et son aisance habituelles. Élisabeth
Mazev passe de la belle-mère ignoble à la femme soumise avec une maîtrise absolue,
l’apanage des très grandes comédiennes. Capucine Ducastelle, une sorte de double de Marion
Aubert, se coule dans ses différents personnages avec la jubilation un rien hystérique qu’on
lui connaît. Sabine Moindrot, dans le rôle ingrat de la ménagère soumise, nous séduit. Il fallait
tout le talent de Dominique Parent pour incarner les méchants – le directeur obsédé sexuel et
le mari amoureusement ordurier – sans tomber dans la vulgarité. Un grand bravo à lui. Olivier
Martin–Salvan se montre truculent dans la scène de l’écailler. Quant à Thomas Blanchard, il
campe un Christophe, copain poète, tout simplement sublime, dans un tableau prémonitoire,
en rupture avec le reste de la pièce, mais qui en dit long sur les capacités de l’auteure à nous
cueillir par surprise. La petite Marion (par la taille) a tout d’un grand écrivain.
Marie-Christine Harant
Les Trois Coups
www.lestroiscoups.com