Les artistes contemporains jouent sur les faux
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Les artistes contemporains jouent sur les faux
DOSSIER LE FAUX Les artistes contemporains jouent sur les faux De la copie considbr6e comme l'un des beaux-arts ou quand pastiches, appropriations, fac-simil6s ou simple rumeur effacent I'auteur au profit d'un double dont les artistes contemporains aiment a exploiter les ambiguft6s. par Judicaýl Lavrador E embft6: iA6tait plus que temps de livrer n 1997, Maurizio? Cattelan trouva bien son exposition la galeriese Emmanuel Perrotin. Pas d'id6es, trop la flemme, l'artiste italien n'avait en tout cas rien en stock. Malin comme un singe, il eut la g6niale id6e de copier sur son voisin Carsten H61uer, dont l'exposition ouvrait en mrme temps, dans la mime rue, ý la galerie Air de Paris. Les mrmes sculptures, m&me accrochage: d'un artiste l'autre, impossible at final de distinguer L'original de sa copie. Lntitul6e «<Moi-mEme - Soi-m&me»> le projet en miroir de Cattelan &ait hant6 bien stir par le theme du double et de la vision sp6culaire dont l'oeuvre de Carsten Hbller r6sonne d6jii en soi fortement. Mais c'6tait aussi une mani6re de rememre en question le dogme de l'authenticit6 de l'oeuvre d'art et celle de son originalit6, en en passant par ce poncif romantique: 60 Beaux Aits le cr6ateur puise en lui-m&me les racines de son ceuvre, i condition d'y travailler d'arrachepied. Rien de tout cela chez Cattelan, mauvais 6lve tricheur, qui finit pourtant toujours premier de sa classe. chandise. Mais la copie telle que la pratiquent de nombreux artistes contemporains, sur un mode conceptuel, n'est pas non plus tout ý fait un leurre, bien plut6t une maniTre de brouiller les cartes et de tuer l'auteur. L'Am&icaine Elaine Sturtevant a ainsi fait toute Exercices de style son ceuvre en comptant sur celle des autres, r6aLes copieurs sont agagants. Parce qu'on se lisant entre autres de tr&s beaux Jasper Johns, dit que copier, cela revient ii refuser d'inno- des Vija Celmins plus vrais que nature... mais ver. Longtemps la copie, version pastiche, fut toutes ces r6alisations, bien siir, 6taient diknent pourtant un passage oblig6 des apprentis artis- sign6es de son propre nom. De m&me, Gavin tes. En litt6rature, fl est monnaie courante de se Turk fait plus que s'inspirer des travaux d'un faire la main en pastichant les classiques. Rim- Yves Klein, d'un Warhol ou d'un Magritte baud et Proust ont pratiqu6 ce genre. L'expo- quand il fait ceuvre sous forme de fac-similes de sition <<Picasso et les maitres»> d6montrait avec leur signature, agrandie ii la taille d'un mur. El brio comment le jeune Pablo mettait ses pas tente par Ii de se d6doubler. Magritte, c'est alors trms fidlement dans ceux du Greco, de Degas lui et pas l'autre. Et Klein aussi, c'est lui. Poker on Manet. Le pastiche n'est pas un leurre. I1 menteur. Et que dire d'Olivier Mosset qui, au n'entend pas tromper son monde sur la mar- d6but des annýes 1970, alors que lFharmonie Page de gauche MAURIZIO CATTELAN ceMoi-m6me Soi-m§me- Vue de 1'exposition, 1997. Lartiste se joue de I'art 4 en un cache-cache qui ecornifle le diktat de l'originalite de I'ceuvre. La, pas question de revoir sa copie, Maurizio Cattelan a tout duplique sur son voisin d'expo Carsten H61ler: memes sculptures, meme accrochage. 4 Ci-contre DANIEL BUREN Photosouvenir- Peintures aux formes ind6finies 1966, acrylique sur toile, 189,5 x 190,5 cm. Repetabilite et imrnutabilit6: quand l'identique fonde le travail de I'artiste, la reproduction devient le concept fondateur de I'muvre. Interdit a quiconque de copier! chez les B!MPT (Buren, Mosset, Parmentier, Toroni) bat d6ja de l'aile, abandonne temporairement ses tableaux au cercle noir pour se lancer dans les rayures... Des Daniel Buren donc, mais sign6s Olivier Mosset. Lequel s'6tait cru autoris6 'aaccomplir cc geste: le credo de BMPT n'6tait-il pas l'abandon de l'authorshipet de la touche personnelle au profit d'une peinture toujours identique ii elle-meme et appartenant 'atous? Buren l'aurait mal pris. Mosset lui a laiss6 les bandes. Mais Buren sait aussi aujourd'hui revenir a ses premiers jeux <vrai ou faux», et surtout sait comment en user 'ason profit. Certaines de ses pi&ces r6alis6es dans l'espace public sont en effet accompagn6es d'un contrat selon lequel une ceuvre non entretenue ou vandalisee devient un faux. Elle ne ressemble plus acc qu'elle 6tait censee ftre. Donc elle n'est plus sign6e, pour le coup. L'art de la contrefaqon fut port: 5 son comble par l'illustre Pierre M6nard, personnage aussi r6el que possible, n6 sous la plume de Borges. L'oeuvre unique de l'6crivain franýais des annies 1930, Pierre M6nard donc, est titr6e Don Quichotte et consiste en la r6icriture du premier livre du chef-d'ceuvre de Cervant&s. Ce tour de force malicieux s'accompagne de sa justification th6orique visant a d6montrer qu'6crire un roman picaresque des si'cles aprns l'av&nement du genre ne signifie plus la mrme chose. Rumeur ou fiction ? Mike Bidlo, dans les ann6es 1980, singeant Jackson Pollock, pourrait bien 6tre le MWnard de l'art, r6alisant des r6pliques de drippings et rejouant le r6le du peintre tel que celui-ci apparait dans le film de Hans Namuth: Pollock, chaman inspir6, travaillant dans son studio. De plus en plus le faux affecte des projets dont on a entendu parler, mais dont, bizarrement, l'existence m&me peut ftre mise en doute. En 2006, l'image du Devils Tower Satellite de Loris Gr6aud s'envolant dans le ciel de Paris circulait par e-mails. Cette forme noire, copi6e sur celle qui obs&de tous les personnages du film Rencontre du troisirme type, avait 6t6 montr6e auparavant lors de son exposition du palais de Tokyo et son decollage avait en effet 6t6 annonc6. Or, on ne s'envole pas si facilement ni sans autorisation dans le ciel de Paris. L'Uouvre ici est forte de ce qu'elle laisse entendre, de la rumeur qu'elle v6hicule, du degr6 de fiction qu'elle injecte jusque dans la r6afit:6. Le faux ne s'incarne plus dans un objet, bien r6el et authentique, mais dans ce que l'artiste lui prete comme pouvoir et comme destin. Eart apr&s tout est fond& sur la croyance. m Beaux Arts 61 Page de gauche MAURIZIO CATTELAN ceMoi-m6me Soi-m§me- Vue de 1'exposition, 1997. Lartiste se joue de I'art 4 en un cache-cache qui ecornifle le diktat de l'originalite de I'ceuvre. La, pas question de revoir sa copie, Maurizio Cattelan a tout duplique sur son voisin d'expo Carsten H61ler: memes sculptures, meme accrochage. 4 Ci-contre DANIEL BUREN Photosouvenir- Peintures aux formes ind6finies 1966, acrylique sur toile, 189,5 x 190,5 cm. Repetabilite et imrnutabilit6: quand l'identique fonde le travail de I'artiste, la reproduction devient le concept fondateur de I'muvre. Interdit a quiconque de copier! chez les B!MPT (Buren, Mosset, Parmentier, Toroni) bat d6ja de l'aile, abandonne temporairement ses tableaux au cercle noir pour se lancer dans les rayures... Des Daniel Buren donc, mais sign6s Olivier Mosset. Lequel s'6tait cru autoris6 'aaccomplir cc geste: le credo de BMPT n'6tait-il pas l'abandon de l'authorshipet de la touche personnelle au profit d'une peinture toujours identique ii elle-meme et appartenant 'atous? Buren l'aurait mal pris. Mosset lui a laiss6 les bandes. Mais Buren sait aussi aujourd'hui revenir a ses premiers jeux <vrai ou faux», et surtout sait comment en user 'ason profit. Certaines de ses pi&ces r6alis6es dans l'espace public sont en effet accompagn6es d'un contrat selon lequel une ceuvre non entretenue ou vandalisee devient un faux. Elle ne ressemble plus acc qu'elle 6tait censee ftre. Donc elle n'est plus sign6e, pour le coup. L'art de la contrefaqon fut port: 5 son comble par l'illustre Pierre M6nard, personnage aussi r6el que possible, n6 sous la plume de Borges. L'oeuvre unique de l'6crivain franýais des annies 1930, Pierre M6nard donc, est titr6e Don Quichotte et consiste en la r6icriture du premier livre du chef-d'ceuvre de Cervant&s. Ce tour de force malicieux s'accompagne de sa justification th6orique visant a d6montrer qu'6crire un roman picaresque des si'cles aprns l'av&nement du genre ne signifie plus la mrme chose. Rumeur ou fiction ? Mike Bidlo, dans les ann6es 1980, singeant Jackson Pollock, pourrait bien 6tre le MWnard de l'art, r6alisant des r6pliques de drippings et rejouant le r6le du peintre tel que celui-ci apparait dans le film de Hans Namuth: Pollock, chaman inspir6, travaillant dans son studio. De plus en plus le faux affecte des projets dont on a entendu parler, mais dont, bizarrement, l'existence m&me peut ftre mise en doute. En 2006, l'image du Devils Tower Satellite de Loris Gr6aud s'envolant dans le ciel de Paris circulait par e-mails. Cette forme noire, copi6e sur celle qui obs&de tous les personnages du film Rencontre du troisirme type, avait 6t6 montr6e auparavant lors de son exposition du palais de Tokyo et son decollage avait en effet 6t6 annonc6. Or, on ne s'envole pas si facilement ni sans autorisation dans le ciel de Paris. L'Uouvre ici est forte de ce qu'elle laisse entendre, de la rumeur qu'elle v6hicule, du degr6 de fiction qu'elle injecte jusque dans la r6afit:6. Le faux ne s'incarne plus dans un objet, bien r6el et authentique, mais dans ce que l'artiste lui prete comme pouvoir et comme destin. Eart apr&s tout est fond& sur la croyance. m Beaux Arts 61