La Transcarpates, dernier né des Sentiers de Grande Randonnée

Transcription

La Transcarpates, dernier né des Sentiers de Grande Randonnée
30 Promenade | Montagne
La Transcarpates, dernier né des Sentiers de Grande Randonnée
La Corse possède son célébrissime GR20. Les Pyrénées la HRP (Haute Route Pyrénéenne), extensible aux Cantabriques
jusqu'à Compostelle. Les Alpes ont la Via Alpina, entourée de sa pléiade de variantes. D'autres à l’étranger partagent une
popularité identique, comme le West Highland Way en Ecosse, ou les innombrables chemins de Saint Jacques à travers toute
l'Europe.
Schengen aidant, l'un des plus grands sentiers de grande randonnée Européen, est en passe de redevenir à la mode : la
Transcarpates. Redevenir, car elle le fut, il y a un siècle, à l'époque où cette chaine de montagne consituait la quasi-totalité des
frontières d'empire Hongrois. Partagé au Nord, sur une distance non négligeable, avec la Pologne de jadis.
n quelques mots, la
Transcarpates se résume
à ceci: 2500 km, cinq
pays, et trois entités principles:
Carpates
Septentrionales,
Orientales, et Méridionales.
Voire plus, suivant le point de
vue: Selon la définition
hydrographique, elles naissent
et meurent au pied du Danube,
du chateau de Devin à
Bratislava aux "Portes de Fer",
sud de la Roumanie. Mais,
géologiques, elles incluent
également 200 km de ce que
les Serbes appellent également
les Carpates, jusq'au bassin de
la ville médiévale de Niš, où
elles se fondent dans les
Balkans. Plus anecdotiquement, le mont
Hundsheimer, rive Autrichienne du Danube,
se réclame également Carpathien. Un
véritable casse-tête !
La Transcarpates, une spécialité Française ?
Le cru 2011 en tout cas l'aura été: deux
randonneurs, Martine Bedoc et Simon
Dubuis, l'ont achevée. La première l'a
effectué en deux fois, Roumanie en 2007 et
pays Slaves celle-ci. Simon lui, a tout
effectué d'une traite dans le sens opposé, en
voyant large: parti de Vienne début Juin, il a
atteint Niš fin Septembre. Une prouesse
sportive !
E
Déclinaisons par pays
En quoi consiste concrètement la
Transcarpates ? Elle n'est ni une Via-Alpina,
exemplairement balisée sur le terrain, ni une
HRP, totalement abstraite et décrite
uniquement dans des publications. Plutôt
quelque chose entre les deux, s'appuyant sur
les balisages déjà existants des pays
respectifs, mais n'existant concrètement à
l'heure actuelle du moins, dans aucun
ouvrage ni projet, faute de coopération entre
les pays. Cependant, chacun possède son
morceau propre au niveau de sa fédération
de marche pédestre. La Slovaquie possède le
Sentier des Résistants (Cesta Hrdinov) qui,
dans sa partie occidentale, mène de
Les Echos de Pologne
Bratislava aux Mala Fatra, via les Beskides
et un cour détour possible par la république
Tchèque, dont elles partagent la frontière.
Cela nous dépose au pied des Tatras, si
petites à l'échelle de la traversée, si
importantes leur taille. Elles monopolisent
facilement deux semaines pour qui veut les
traverser de part en part au plus près des
cimes, avec une incursion temporaire
versant "Zakopanois" et un passage obligé
par Rysy. Une véritable épreuve physique
qui à elle seule rivalise avec le GR20 Corse
en termes de "rugosité"...
S'ensuivent les Pieniny, autre passage
obligé, qui ramènent en douceur en Pologne.
Le sentier balisé de rouge bordant le Sud du
pays mène ensuite aisiblement à travers
Beskides Sądecki, Niski, et Bieszczady, au
gré des spas (Krynica, Muszyna, Piwnica) et
des églises en bois gréco-orthodoxes.
Arrivent les Bieszczady, porte d'entrée des
Carpates Orientales, et début des soucis
administratifs: l'Ukraine ne fait pas partie de
l'espace Schengen. Il faut faire un long
détour par le poste frontière de Przemyśl,
ou, plus raisonnablement, Ubla à la frontière
Slovaco-Ukrainienne ! Un projet d'ouverture
entre Wołosate et Łubnia fait actuellement
l'objet d'un débat houleux: les écologistes
Polonais ne veulent pas de files de poidslourds en plein coeur du parc national des
Bieszczady. A l’approche de l’Euro 2012,
un point de passage touristique
est
évoqué,
mais
la
contrebande est un sujet qui
fâche aussi les douaniers.
Le sentier le long des Carpates
Ukrainiennes fait l'objet d'une
entreprise
de
restauration
(balisage,
construction
de
refuges) activement menée par
« Karpatski
Stezhky »,
fédération locale, dont l'objectif
est, à terme, de rendre à
l’itinéraire son faste d'antan,
lorsqu'il était fréquenté par les
montagnards Polonais. Les
efforts sont essentiellements
concentrés sur les Bieszczady
Ukrainiennes,
extrêmenent
sauvages, car plus au Sud, les
massifs plus élevés des Gorgany et Czarna
Góra jouissent d'une popularité de longue
date.
Un nouveau problème administratif survient
lors du passage de l'Ukraine à la Roumanie:
cela n'est possible qu'à Sighet, ou au mieux
Valea Vişeului, mais uniquement en train...
à vapeur. Cela gêne surtout côté Ukrainien,
car randonner le long de la frontière est un
bon moyen d’effectuer un détour au poste de
police. Côté Roumain, au contraire, c'est une
excellente opportunité de visiter la région
des Maramures, dont les traditions hautes en
couleur et le savoir faire menuisier (églises
et portiques) rivalisent en splendeur avec le
patrimoine architectural de Zakopane. Nous
sommes ici aux confins de la pointe Sud-Est
de la Pologne d'avant-guerre. Les
similitudes du "Pays Hutsule", tel qu'on le
nomme, avec le folklore Lemko and Bojko
de l'Est de la Pologne contemporaine, sont
palpables.
La Roumanie possède elle aussi son fil
conducteur, balisé de rouge à travers chaque
massif et constituant la colonne vertébrale
des Carpates, mais la qualité du balisage est
très inégale suivant les massifs. Toute la
région dite "orientale", descendant à la
verticale vers le Sud, est extrêmement
sauvage. Peu d'infrastructures existent, un
sens de l'orientation éprouvé et une
30 Promenade | Montagne
logistique parfaite
indispensables.
sont
les
prérequis
La fédération Roumaine Salvamont travaille
activement à sa restauration, mais ces
montagnes peu élevées et boisées sont
généralement boudées par les Roumains
eux-mêmes. Nul n’est besoin de mentionner
qu’elles abritent également la population
d'ours brun la plus importante d'Europe.
Mais, plus que ces craintifs plantigrades, les
chiens de troupeaux, censés les éloigner et
souvent très agressifs, représentent un
véritable danger pour le randonneur.
Les Carpates méridionales, également
nommées « Alpes de Transylvanie »,
redeviennent touristiques, à mesure que l’on
entre dans le giron des villes touristiques de
Brasov, Sibiu, et Sighisoara, ville du
chateau de Dracula. Le grand massif des
Făgăraş, à l'étendue et l'altitude comparables
aux Tatras, ainsi que Piatra Craiuli, joyau
dolomitique, constituent les perles de la
région. Les Carpates Roumaines bifurquent
à nouveau au Sud, decrescendo, jusqu'aux
"Portes de Fer", gorges à travers lesquelles
les eaux du Danube s’engouffrent, face à la
Serbie. Cocorico ! Jean-Marie Gauthier et
Murielle Ghestem, deux jeunes Français, ont
remporté en 2006 le prix Lonely Planet du
Voyageur pour avoir défriché et documenté
l'itinéraire en entier, sous l'égide d'OVR,
l'association
"Opération
Villages
Roumains", bien connue au plan culturel
local. Le fruit de leur travail est consultable
sur le site www.transcarpates.org.
L'isolement de la Serbie combiné à
l'alphabet cyrillique, rend la recherche sur
les Carpates Serbes difficile. Pourtant,
celles-ci abritent des parcs nationaux de
renom comme le Đerdap. Durant l'ère
socialiste, la randonnée était très polulaire et
chaque massif possédait sa traversée,
appellée "transversala", y compris les
Carpates. Le "rond de Knafelc", rouge et
Simon Dubuis sur les sentiers des Carpates polonaises
blanc, nommé d'après son créateur Slovène,
constitue encore de nos jours la norme de
balisage dans toute l'ex-Yougoslavie. Les
Carpates Serbes, peu élevées et au caractère
résolument méditerranéen, offrent un
dernier point d'orgue ensoleillé.
Cela a-t-il un sens ?
Plusieurs arguments plaident pourtant en
faveur d'une traversée dans le sens opposé,
vers le Nord, à commencer par la position
du soleil dans le dos.
Météorologiquement parlant, il est plus
avisé de traverser les Tatras durant les
conditions souvent anticycloniques de l’été
indien, à l’instar de Martine, que durant les
humeurs de Juin, dont Simon Dubuis fit la
difficile expérience, bravant la neige … Les
hauts massifs de Transylvanie présentent
également un caractère alpin, mais
bénéficient d’un climant plus clément à la
même époque.
Comme Martine le constata également, plus
l’on progresse vers l’Ouest, moins
l’autonomie
est
requise.
Grâce
à
l’abondance des structures touristiques,
tente et duvet deviennent obsolètes dès que
l’on entre en Pologne par l’Est : on peut
alors alléger son sac à dos…
Mais lorsqu’il s’agit du « sens figuré »,
pour Simon comme pour Martine, traverser
les Carpates aura été plus qu’une simple
marche. Ces dernières ne rivaliseront jamais
avec les Alpes, en termes de grandeur : on y
vient pour autre chose. Plus que les mollets,
une grande capacité d’adaptation est
indispensable. L’improvisation est présente
partout où il n’y a ni supérette, hôtel ou
refuge : on va au gré des rencontres, on se
fait comprendre à l’aide de gestes et, bien
souvent, on repart comblés par l’hospitalité
des gens. Ne pas comprendre la langue des
pays traversés nivelle les impressions,
témoigne Martine, qui dit avoir parfois eu
du mal à se souvenir si elle était en
Slovaquie ou en Pologne, en certains
endroits ! Mais « Le langage universel du
coeur, des gestes, des yeux, m'a fait
rencontrer des personnes formidables, où
que je me trouve. », ajoute-t-elle.
Simon, lui, se souviendra longtemps de
l’acceuil fait par des moines dans les monts
Bistritei !
« Une telle randonnée vous change : une
découverte ses habitants et de moi-même »,
résume-t-il. Et lorsqu’on lui demande ses
impressions durant son passage en Pologne,
qui suivit l’épisode cauchemardesque des
Tatras : « La Pologne, pays de Jean-Paul II.
Les montagnes religieuses ! Des
magnifiques églises en bois aux sommets
Saints sur un itinéraire simple et ensoleillé.
Je retrouve la foi de la marche. Le rêve
redevient réalité... »
ERIC VISENTIN
Le château de Dracula dans les Carpates Roumaines
n°125 - novembre 2011