Informatique et création littéraire Jacopo BABONI
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Informatique et création littéraire Jacopo BABONI
Informatique et création littéraire Jacopo BABONI-SCHILLINGI Jean-Pierre BALPE Littérature est synonyme de subjectivité, de génie. Qualités considérées comme la quintessence de l’humain, à l’opposé de l’informatique, mathématique, incapable d’invention. Pourtant, bien avant que la micro-informatique ne pénètre la vie quotidienne, des écrivains se sont souciés de voir ce qu’elle pouvait leur apporter. Considérant l’ordinateur comme un nouveau média, ils y ont trouvé de nouvelles possibilités d’expression. Leur question n’est pas “comment l’ordinateur peut-il se substituer à l’écrivain ?” mais “en quoi l’ordinateur ouvre-t-il de nouvelles perspectives à la littérature ?” Les réponses sont diverses. Certains voient dans l’ordinateur un moyen d’affichage dynamique permettant de pousser les recherches exploitant les possibilités typographiques des textes — membres du groupe LAIRE. D’autres s’en emparent pour augmenter l’implication du lecteur en la confrontant à des choix constants — scénarios interactifs… Littérature informatisée… D’autres veulent que l’écrivain n’intervienne plus au niveau des mots mais parte d’un “modèle” conceptuel de l’écriture, pour que l’ordinateur produise lui-même les textes. Cette dernière approche caractérise la littérature générée par ordinateur. La première tentative, celle de l’allemand Théo Lutz date de 1959. Page 1. Le langage fonctionne autant sur du non-dit que du dit. Le dit ne sert dans l’expérience du lecteur que de point d’ancrage du textuel. La génération automatique de textes littéraires s’appuie sur cet aspect fondamental du fonctionnement linguistique. Dans la fiction le réel n’est qu’un alibi d’accréditation, son rôle est de permettre le fonctionnement de la lecture. La cohérence linguistique de la fiction suffit à crédibiliser ses propres affirmations. Tout récit obéit au même principe “syntaxique” général : une part des décisions relève des contraintes locales; d’autres de contraintes plus générales — antécédences du récit; d’autres enfin de l’aléatoire. Elles donnent au générateur sa créativité. Un générateur littéraire fonctionne sur une “syntaxe” : relations d’ordre entre classes à l’intérieur desquelles peuvent s’effectuer des choix. Un roman policier peut être décrit par une règle très générale [ENIGME] [ENQUETE] [SOLUTION], un roman sentimental par [RENCONTRE] [EPREUVES] [AMOUR]. L’aspect non stéréotypé des récits engendrés par ce type de grammaire dépend de la variété des descriptions abstraites, de la souplesse de leurs possibilités de combinaison, de la richesse des classes de choix, de celle des dictionnaires définis dans le programme. La puissance du générateur est proportionnelle à la richesse des informations décrites, donc à celle du monde défini par l’auteur et des choix possibles. La génération automatique de littérature vise peut être avant tout une mise en scène de l’activité de littérature. Loin de tendre à une prétendue “destruction” de la littérature, elle en recherche le renouvellement profond par l’ouverture de perspectives créatrices inédites. La génération automatique de textes littéraires Page 2. n’implique ainsi en rien une prétendue “disparition de l’auteur”. Bien au contraire… Elle déplace simplement son rôle. Une page générée par “Un roman inachevé” de Jean-Pierre BALPE Béatrice se souvient. Son souvenir est essentiellement linguistique… elle ne se souvient ainsi que de peu de choses : elle n'est plus tout à fait sûre d'avoir vécu. Divers mondes se mêlent dans son esprit créant des confusions de plans et d'espaces : elle a le cerveau plein d'indignations et de fureurs. Elle doit faire la part des choses, il lui semble que sa tête est pleine de confusion, de bruits, que le trouble absolu des événements qui l’entoure perturbe sa faculté de penser normalement. Ici et ailleurs lui sont la plupart du temps indistincts tant, dans leur banalité quotidienne, les événements du monde, sont interchangeables. D’autres se roulent dans le passé comme dans une fange lourde et infecte; elle fouille en vain son souvenir. Passé et présent lui composent un présent unique, trouble, voilé. Quelque chose lui revient soudain en mémoire : c'était une fin de matinée…Une scène plus précise que les autres : dans une pièce blanche, peutêtre en avril, un personnage au jean déchiré… Il lui semble l'avoir déjà vu — elle ne parvient plus à se souvenir où — pourtant ce personnage lui paraît constituer une menace. Comment savoir ce que chacun trouve au fond des yeux de l'autre ? Un système génératif est un ensemble d'algorithmes pouvant gérer des variables qui, à partir d'un état donné, produisent un nombre infini d'applications. Ainsi un système génératif peut accueillir un nombre indéfini de variables auquelles il impose un certain processus. Le résultat de ce processus est ce qu'un terme plus classique définit comme « prolifération du matériau compositionnel musical ». Le fonctionnement d'un générateur en musique est divisé en trois parties principales : un corps d'entrée dans lequel les variables sont définies ; un corps central dans lequel les variables sont élaborées et enfin un corps de sortie qui convertit le processus d'élaboration en notations musicales. Page 3. input corps central : traitement des données output Les données du corps d'entrée appartiennent à plusieurs catégories qui, entre elles, obéissent à des dimensions qui ne sont ni isomorphes, ni isotropes. Une note musicale est constituée d'une hauteur, d'une durée, d'une position dans le temps, d'une position dans l'espace, d'une intensité et d'un timbre. Donc, un système génératif en musique considère à chaque instant la génération des classes différentes des paramètres. Prenons un exemple. Imaginons une matrice de trois notes : do, ré, mi, comme variables de départ. Une première phase de la génération pourrait consister à calculer toutes les combinaisons possibles des trois notes do, ré, mi. Dans cet exemple, on peut voir que le système obéit à une seule loi : obtenir toutes les combinaisons d'une matrice donnée. Mais, puisque un système génératif est capable de gérer plusieures règles ou lois en même temps, imaginons à présent que, comme deuxième phase de la génération, on ne veut obtenir que les permutations qui ont la note ré pour première note. Page 4. Un système génératif produit donc un résultat dépendant de règles, le nombre de ces règles pouvant être infini. S'il n'existe aucune règle, le générateur ne produit aucun résultat. Prenons un deuxième exemple qui agisse à un niveau plus profond et considère plus de variables à la fois. Soit une séquence de notes. Imaginons à présent que ce thème, ou « entité musicale », soit la variable du système génératif et observons sa représentation graphique sous forme de profil géométrique. Page 5. Supposons maintenant que, dans le corps central du système génératif, la règle de prolifération consiste à appliquer une fonction de perturbation dynamique telle que, en ayant le profil géométrique suivant. La séquence originaire de notes subit un nombre défini (dans ce cas, dix) de modifications. Dans cet exemple, perturber le profil du départ en fonction du deuxième profil consiste à additionner les deux profils selon un indice variable d'incidence du deuxième profil sur le premier. L'interpolation entre un thème A et un thème B pourrait être un autre exemple d'application des systèmes génératifs en musique. Observons dans le prochain graphique comment plusieurs lois sont appliquées successivement. D'abord le thème A est constitué de treize notes avec un rythme constant dans la tonalité de ré mineur. Le thème B est constitué de trente et une notes en do majeur. Page 6. thème A thème B Deuxièmement, le profil géométrique de est morphologiquement très distinct du profil géométrique du thème B. Donc le processus d'interpolation constitue (dans cet exemple en douze pas consécutifs) un changement progressif du premier thème vers le deuxième. La représentation géométrique du processus entier est la suivante : Au point de vue du moteur de génération, le système constitue en premier lieu une interpolation entre les deux thèmes selon la courbe suivante : Page 7. thèmes thème B thème A temps Deuxièmement, le système attribue à chaque pas de l'interpolation un champ harmonique spécifique défini sous forme de règles harmoniques. champs harmoniques Enfin, le système agit à un niveau local et considère pour chaque pas de l'interpolation les changements rythmiques, la structure morphologique, les éventuelles répétitions locale, les « patterns » éventuels… Page 8. Les échanges de données entre le générateur de texte et le générateur de musique agit à différents niveaux. Il y a échange de thèmes, de structures morphologiques, de longueur et de durée de chaque génération… Dans le contexte de la soirée « Trois mythologies Page 9. et un poète aveugle », les deux générateurs communiquent constamment en échangeant un flux continu de données. Ainsi le corps d'entrée de chaque générateur accueille à la fois des variables propres à son système, et des variables qui proviennent du corps de sortie de l'autre générateur. Page 10.