Plus de finissants, moins de choix!

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Plus de finissants, moins de choix!
Plus de finissants, moins de choix!
Par Fabienne Papin le 16 octobre 2015
Dr John Viet Nguyen, R5 en anesthésie à l’Université de Montréal
Vendredi 2 octobre, quelque 850 résidents se sont donné rendez-vous à Montréal
pour la Journée Carrière Québec organisée par la Fédération des médecins
résidents du Québec (FMRQ).
Le ministre de la Santé et des Services sociaux a profité de l’occasion pour annoncer les
PREM en médecine de famille. En revanche, en raison de la toute nouvelle Loi 10 et de ses
impacts sur la restructuration du réseau, les résidents en spécialités devront, quant à eux,
attendre pour en savoir plus sur les postes disponibles. Les établissements de santé
devraient connaître en décembre prochain les PREM qui leur seront accordés en spécialités
pour les années 2016 à 2020.
Certains résidents se demandent cependant s’il n’y aura pas encore des reports: «Les
PREM étaient supposés sortir en novembre. Ils ont été repoussés à décembre, et on ne sait
pas si cela le sera encore, donc il y a beaucoup d’incertitude», explique le Dr John Viet
Nguyen, R5 en anesthésie à l’Université de Montréal.
Il constate d’ailleurs, comme ses collègues, que c’est de plus en plus difficile de se faire
une place au soleil dans sa spécialité. À Montréal, sur huit résidents en anesthésie,
seulement deux ont trouvé un poste, et ce, parce qu’ils ont accepté de faire deux années
de formation supplémentaires à l’étranger et aller chercher ainsi un fellowship qui leur a
ouvert les portes des milieux universitaires.
Ses six autres collègues de l’Université de Montréal «n’ont aucune idée de l’endroit où ils
vont s’en aller à la fin de l’année au mois de juillet», comme les quatre finissants en
anesthésie de l’Université de Sherbrooke.
Une recherche anxiogène
Après leurs douze années de formation, tous doivent vivre avec une autre incertitude.
«Plus les postes sont rares, plus les milieux se permettent de demander des formations
additionnelles aux candidats», explique le Dr Nguyen.
«Ce qui devient plus inquiétant pour les résidents, c’est que certains milieux périphériques,
affiliés à des milieux universitaires, se mettent à exiger des fellowship parce qu’ils
reçoivent des résidents ou des étudiants en médecine», précise le Dr Christopher Lemieux,
R3 en médecine interne.
Et si certains milieux demande des fellowship dans les disciplines où ils reçoivent des
résidents et des externes, d’autres en font une condition pour tous leurs postes de
spécialité.
«À Lévis, par exemple, ils en demandent pour tous les postes, ce qu’ils ne faisaient pas
avant», souligne le Dr Lemieux, qui se destine à une carrière en hémato-oncologie.
Le Dr Christopher Lemieux, R3 en médecine interne veut aller en hémato-oncologie
Cela dit, le résident n’est pas inquiet pour autant; «l’hémato-oncologie est quand même
une spécialité moins anxiogène que d’autres pour trouver un poste». Il ne ressent pas non
plus de pression entre lui et ses collègues. «Peut-être qu’il y en aura un peu plus en
dernière année, car souvent les personnes veulent rester en milieu universitaire, et c’est
de plus en plus difficile d’accès.» En attendant, il regarde ce qui pourrait l’intéresser, car
présentement tous les postes sont complets dans sa spécialité en Gaspésie, d’où il est
originaire et où il voudrait revenir.
Le Dr Paul Bégin, pneumologue et directeur adjoint des services professionnels de l'hôpital
de Chicoutimi
Le Dr Nguyen s’est, quant à lui, déjà fait une raison. «Je ne cherche plus la pratique que je
voulais initialement. Je voulais faire un grand centre avec plusieurs types de chirurgies,
mais là, je cherche juste du remplacement ou quelque chose à proximité pour couvrir le
temps nécessaire à ma conjointe pour finir.» Également résidente, sa conjointe a choisi
elle aussi une spécialité où les places sont convoitées. Le couple devra donc essayer de
trouver des PREM compatibles en anesthésie et en ophtalmologie, ce qui complique la
donne.
Même si l’incertitude plane sur le nombre de PREM qui seront accordés en spécialités, les
milieux ont répondu présents comme chaque année, et sont venus faire les yeux doux aux
résidents. Le Dr Paul Bégin, pneumologue et directeur adjoint des services professionnels
de l’hôpital de Chicoutimi vantait par exemple les mérites du CIUSSS Saguenay–Lac-SaintJean. «On a des besoins en pneumologie et on a déjà identifié deux candidats, mais on est
en attente pour savoir si nos PREM seront acceptés», a-t-il raconté à ProfessionSanté.ca.
Cette année, contrairement aux précédentes, les DPS sont en effet obligés de différer leur
réponse aux résidents intéressés par leur milieu, ce qui change bien sûr un peu les enjeux.
Cela dit, cela ne les a pas empêchés d’identifier leurs besoins et d’en discuter avec des
candidats potentiels. D’autant qu’à Chicoutimi, le recrutement est plus facile qu’il ne l’a
déjà été. Non seulement le bassin de candidats est plus élevé que par le passé, mais le fait
d’avoir élargi la formation donnée sur place change les choses.
«On a plus de demandes depuis deux ou trois ans, car on fait de la formation médicale
prégraduée et nos premiers prégradués ont déjà gradué en spécialité, donc on voit revenir
beaucoup de visages que l’on connaît», souligne le Dr Bégin.
Dre Annie Trépanier, R5 psychiatrie et présidente de la FMRQ
Un milieu encore privilégié
Le ministre a assuré à tous ces jeunes que chacun aurait un poste, mais il a n’a pas caché
que cela ne serait peut-être pas celui dont ils avaient rêvé.
Présidente de la FMRQ, la Dre Annie Trépanier, R5 en psychiatrie ne s’inquiète pas trop
pour sa situation. Elle a déjà dans sa ligne de mire certains milieux. Il faut dire que c’est
une habituée de la Journée Carrière Québec. Elle a participé à toutes les éditions depuis
qu’elle est en résidence. «Je venais pour rencontrer des gens, voir ce qui est offert dans
les différentes régions et faire du réseautage», dit-elle. Si les résidents en médecine de
famille n’ont que deux ans pour se trouver le milieu de pratique idéal, les autres
spécialistes ont évidemment plus de temps devant eux «pour sonder le marché du travail»
et voir avec qui ils aimeraient travailler, quels types de clientèle et quelles équipes.
Elle admet cependant que si sa spécialité est encore en demande, certaines autres arrivent
à saturation. Il est ainsi plus difficile de trouver un poste en anesthésiologie, orthopédie,
neurologie, obstétrique et gynécologie, radiologie diagnostique, radio-oncologie et même
en chirurgie générale.
Une pénurie de poste causée, selon elle, «en grande partie en raison du manque de
plateaux techniques, dont les blocs opératoires, pour permettre aux médecins dans ces
spécialités d’exercer à temps plein, mais aussi du manque de personnel pour compléter les
équipes de soins».
La médecine de famille en pleine mutation?
Les médecins de famille ont eu aussi quelques surprises avec les PREM annoncés. «Sur
toute l’île de Montréal, les besoins sont dans la prise en charge, un peu dans
l’hébergement et le soutien à domicile, et c’est donc seulement là que sont les postes»,
souligne la Dre Diane Poirier, directrice des Services professionnels et des Affaires
médicales du CIUSSS Montréal-Est. Une situation qui pourrait générer certaines
frustrations chez les étudiants. Ceux qu’elle a rencontrés lors de la journée avaient
néanmoins «aussi» un intérêt dans la prise en charge. Reste que ce n’est pas évident pour
eux de s’ajuster aux nouveaux cadres de gestion des GMF et des besoins des régions en
AMP.
La Dre Diane Poirier et le Dr Jean-Philippe Michel, R2 en médecine de famille
«Cela n’empêche pas les gens de faire autre chose en donnant, par exemple, un peu de
temps à l’hospitalisation, mais ils doivent faire de la prise en charge», explique-t-elle.
Un profil de pratique qui convient à ce que cherche le Dr Jean-Philippe Michel: «Je veux
faire une pratique majoritairement de prise en charge avec du sans rendez-vous aux
heures défavorables et peut-être compléter avec de l’hospitalisation, donc une pratique
mixte», confie le futur médecin de famille. Ce qui ne l’empêche pas de trouver que tout le
processus est encore «un peu nébuleux», même s’il doit décider la semaine prochaine où il
proposera sa candidature. «Les cliniques ont de la place pour embaucher, mais les PREM
limitent nos possibilités d’appliquer, donc on risque de se retrouver à plusieurs candidats
sur un seul PREM», précise-t-il. Une situation qui entraîne de l’inquiétude chez la plupart
de ses collègues. Même chose chez les R1 en médecine de famille qui sont bien obligés de
constater que la flexibilité tant vantée de cette spécialité n’est plus vraie partout.
La Dre Geneviève Bois qui avait interrompu ses études de médecine pendant un an pour
accepter le poste de porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac est
maintenant R1 en médecine de famille, et elle trouve la situation «très anxiogène».
«Les choses bougent tellement vite ces derniers temps que même si vous cherchez à vous
faire un plan de carrière, en six mois tout peut changer», explique-t-elle. Il faut dire
qu’elle compte travailler à Montréal, un milieu qu’elle connaît bien et où elle sait qu’elle
sera efficace, mais où elle juge les PREM «de moins en moins corrélés avec les besoins.
Montréal théoriquement a un plus haut taux de patients sans médecin de famille que
beaucoup de régions, mais les PREM y sont une denrée rare», explique-t-elle.
Et avec la réforme Barrette, les postes ne sont plus seulement ciblés géographiquement,
mais également en fonction du type de pratique. Elle se demande donc si la médecine de
famille dont elle a rêvé existera encore. «On s’est fait vendre que l’on pourrait faire de
tout, de l’urgence, du dépannage, de l’obstétrique, de la prise en charge, qu’il y avait de
l’emploi partout et que ce serait toujours facile. Mais après cinq ans de médecine, on nous
dit maintenant que ça n’existera plus le dépannage, l’urgence ou l’hospitalisation, et que
nous ne devrons faire que de la prise en charge», souligne la Dre Bois.
Et, même dans ce domaine, les PREM sont rares, ce qui risque, selon elle, d’entraîner un
esprit de compétition entre les étudiants: «Les PREM en établissement en lien avec les
unités de médecine familiale et avec les hôpitaux communautaires sont encore plus rares,
et on est beaucoup parfois à vouloir rester dans nos propres UMF.»
Bref, si la médecine de famille avait été épargnée jusqu’à présent, et que les résidents
pouvaient encore avoir un minimum de flexibilité «sans être obligés d’aller vers une chose
à un endroit», c’est maintenant fini.
Une situation que ressent aussi le Dr Éric Sauvageau, médecin de famille au CSSS PierreDe-Saurel et représentant du Département régional de médecine générale. «Il commence
à y avoir beaucoup de gens qui terminent leurs études, donc cela se bouscule un peu plus
aux portes pour se trouver un emploi», précise-t-il avant d’ajouter: «Le vent a tourné, et
ce ne sont plus les résidents qui ont le gros bout du bâton.»
Les Drs Danielle Gilet, Éric Sauvageau et Nathalie Chevalier de Sorel-Tracy
Son analyse est en revanche un peu différente sur la situation de Montréal. «Je prêche
pour ma paroisse, mais on sent que Montréal tire encore trop la couverture. En
Montérégie-Est, on va avoir 11 PREM pour trois sites, c’est encore limite et c’est sûr qu’on
aimerait en avoir plus, mais il faut partager les ressources.»
Pour lui, il est indispensable de recruter en médecine familiale pour améliorer l’accessibilité
en première ligne, mais les besoins se font aussi sentir en spécialité et la qualité des soins
que recevra la population passe aussi par l’accès à des spécialistes.
Peut-être que les milieux ont moins à sortir le tapis rouge pour attirer de nouveaux
médecins, reste qu’au-delà d’une région, pour le Dr Sauvageau, c’est surtout un type de
pratique que recherchent les résidents.
«Les jeunes veulent vraiment travailler en interdisciplinarité et c’est sûr qu’ils sont plus
attirés par le travail d’équipe. Ils ont conscience qu’ils n’arriveront pas à bien soigner leurs
patients tout seul», explique-t-il.
Un point de vue qui rejoint celui du Dr David San Miguel, R2 en médecine de famille.
Même à quelques mois de commencer sa pratique, il ne ressent pas vraiment d’urgence à
se trouver un poste. Et il est prêt à faire une année supplémentaire ou du dépannage pour
se donner le temps de choisir le bon endroit pour lui. «Je suis ouvert et je recherche plus
une bonne cohésion avec mes valeurs», explique-t-il.
La présidente de la FMRQ n’a pas encore rencontré de médecins de famille très inquiets,
sauf peut-être ceux en couple avec d’autres médecins, mais elle voit bien que le vent
tourne, «notamment parce que les résidents ont l’impression qu’ils ne pourront pas avoir
accès à la médecine de famille polyvalente qu’on leur avait “vendue” au début de leurs
études».
Elle a bien entendu, elle aussi, le souhait du ministère de faire en sorte que la médecine de
famille offre un service à la population, notamment en matière de prise en charge. Il est
donc clair pour elle que les prochaines promotions de médecins de famille devront donc
faire des choix dans des cadres plus rigides que ceux qui régissaient la pratique de leurs
aînés. «Cela risque d’être plus compliqué et donc de faire des déçus», admet-elle, mais
selon elle il est encore trop tôt pour mesurer l’impact que les dernières réformes auront
sur les pratiques.