16 AU JARDIN D`EDEN Gn 2,4b-3,24

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16 AU JARDIN D`EDEN Gn 2,4b-3,24
fr. Didier van HECKE, GB GSA, Le Pentateuque, 2014/2015.
16 AU JARDIN D'EDEN
Gn 2,4b-3,24
INTRODUCTION
La rupture entre les récits de Gn 1 et Gn 2-3 est évidente : visions inconciliables des débuts du monde
(de l'eau d'un côté et un désert de l'autre), chronologie différente de l'apparition des vivants (l'humain
est premier en Gn 2), images de Dieu divergentes (Dieu majestueux et Dieu jardinier et potier). Mais
on peut aussi s'interroger sur leur continuité. Le chapitre 1 nous laisse avec l'ordre donné à l'humain et
le retrait de Dieu. Que va donc faire l'humain ?
Le récit du paradis n'est pas à strictement parler un second récit de la création, mais une étude plus
ample de l'homme en tant que créature, de son origine et de ses relations fondamentales avec Dieu et
avec le monde.1
Entrons dans la lecture de ces chapitres 2 et 3 qui sont sans doute ceux qui ont le plus fortement
marqué et influencé toute la pensée et la réflexion religieuses de l’Église catholique.
1 LE RÉCIT DE LA CRÉATION (Gn 2,4b-25)
Le récit commence par un descriptif de l'état initial de la terre (vv. 2,4b-6). Puis il présente la création
de l'humain (vv. 7-9.15-17) puis de l'homme et de la femme (vv. 18-24). Le v. 25 conclue l'ensemble.
11 L’état initial de la terre (2,4b-6)
4b
Le jour où le SEIGNEUR Dieu fit la terre et le ciel, 5il n'y avait encore sur la terre aucun arbuste des
champs, et aucune herbe des champs n'avait encore germé, car le SEIGNEUR Dieu n'avait pas fait
pleuvoir sur la terre et il n'y avait pas d'homme pour cultiver le sol ; 6mais un flux montait de la terre
et irriguait toute la surface du sol.
Le récit de Gn 1 partait du chaos initial pour arriver au cosmos. Ici, le texte part d’un désert où rien n’a
encore poussé pour en faire une terre cultivable. Nous sommes dans un désert, mais dès le départ, il y a
de l’eau : un flux montait de la terre. Celle-ci va permettre à Dieu de modeler la glaise.
12 La création de l'humain (v. 7-9.10-15)
121 L'action de Dieu (v. 7) – traduction littérale
7
Et Adonaï Elohïm modela ha'âdâm (l'humain) 'aphar (poussière) hors de ha’adâmâh (l'humus)
et il souffla dans ses narines une haleine de vie, et l'humain (ha'âdâm) devint un être vivant.
Le texte du verset 7, très dense, décrit deux actions de Dieu (7a et 7b) : Dieu modèle et Dieu souffle.
> v. 7a : Dieu commence par modeler l’humain (pas l'homme). L'image suggère une proximité entre
l'humain et Dieu. Ce verbe modeler,
rAxDy
yatsar, est un véritable verbe de création qu’on
retrouve en 2,19 et dont le sens fait allusion à l’activité du potier.
Le texte précise ensuite son origine : il est modelé à partir de la poussière
rAfAa 'aphar. Dans l'AT,
ce mot 'aphar est fréquemment associé à l'idée de mort. Le narrateur suggère ici la destinée mortelle
de l'humain. Cette poussière vient du sol,
âdâm
hDmDdAa
’adâmâh et de celle-ci, Dieu produit un
MDdDa un humain, on pourrait dire un "poussiéreux" ou un "terreux" ! L’homme créé par
Dieu n’appartient pas au monde divin, son lieu normal est la terre d’où il est tiré. Il est donc mortel par
nature. La mort sous-entendue ici n'est pas présentée comme le salaire du péché mais comme le terme
naturel et normal de la vie humaine.
1
J.P. FOKKELMAN, Comment lire le récit biblique, Le livre et le rouleau 13, Lessius, Bruxelles, 2002, p. 134.
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On retrouve 23 fois ce mot “‘âdâm”, humain, dans notre texte. Il désigne l’être humain en général en
dehors de toute différenciation sexuée, et il n'est pas l'homme « masculin ».
> v. 7b : La seconde action divine complète le tableau pour mettre en relief une autre facette de
l’homme. Dieu lui insuffle l’haleine de vie.
Au départ, l’homme n’est qu’une forme sans vie ; il est modelé. Dieu lui communique la vie par un
souffle. Et il souffle une nishmah,
hAmv;In qui correspond à une haleine, à une respiration.
Jusqu'à présent le souffle de Dieu est ce qui le fait parler et l'humain va bientôt s'en trouver capable. Il
articulera les noms des animaux avec la respiration reçue de Dieu (2,20). Grâce au souffle reçu,
l'humain peut assumer l'activité spécifique de Dieu qui distingue et nomme, exerçant ainsi sa maîtrise
par la parole. Et qu'est-ce que nommer sinon reconnaître chacun dans sa différence et faire place à ce
qui le singularise.
Ainsi l'humain est relié à l'humus, à la terre par toutes les fibres de son être et il participe au divin par
la parole qui lui donne d'émerger de la nature avec sa capacité de maîtrise à l'image d'Elohîm.
En Gn 2,7, le souffle de Dieu fait d’Adam un nèphèsh hayyah, un être vivant, une personne vivante.
Ce mot nèphèsh revient 755 fois dans l’AT. On ne peut pas toujours le traduire par le mot âme. Il
prend différents sens : la gorge, le cou, le désir, l’âme, la vie, la personne. Nulle part la Bible ne dit
que l’homme a une âme, mais il est une âme vivante… c’est-à-dire une personne capable d’entrer en
relation avec Dieu.
122 L'humain dans le jardin (vv. 8-9 et 15-17)
8
Et Adonaï Elohim planta un jardin en Éden, à l'orient, et il y mit l'humain qu'il avait modelé.
Et Adonaï Elohim fit germer hors de l'humus tout arbre convoité pour la vue et bien pour le manger,
et l'arbre de la vie au milieu du jardin et l'arbre du connaître bien et mal.
9
* L’arbre de la vie :
Cet arbre est enraciné dans la pensée mythique où il représente la nourriture d’immortalité. Il garde ici
une signification symbolique. Il est localisé au centre du jardin comme à la place d’honneur. La
désobéissance à un ordre de Dieu fera chasser l'humain loin de cet arbre de vie et la mort en
conséquence de cette faute restera son destin.
Dans l’épopée de Gilgamesh, le héros part à la recherche de la plante de vie qui donne l’immortalité.
* L’arbre du connaître bien et mal:
En hébreu cet arbre :
oDrDw bOwf tAoA;dAh XéoVw
vehéts hadahat tov
varah signifie littéralement « arbre connaître bien et mal ». On pourrait aussi traduire « l’arbre du
tout ». En effet, tov varah est une expression hébraïque signifiant “tout”. Bien et mal sont les deux
termes de la dialectique de toute connaissance ; le oui et le non, le blanc et le noir, le positif et le
négatif, le bien et le mal.
Le récit se poursuit au v. 15, verset parallèle au v. 8 :
15
16
Et Adonaï Elohïm prit l'humain et le déposa dans le jardin d'Éden pour le travailler et le garder.
Et Adonaï Elohïm ordonna à l'humain en disant :
"De tous les arbres du jardin, manger tu mangeras,
17
mais de l'arbre du connaître bien et mal tu n'en mangeras pas
car, au jour où tu en mangeras, mourir, tu mourras."
On apprend que l'humain a une double fonction dans ce jardin : le cultiver et le garder. Disparaissent
ainsi toutes les fausses idées sur ce pays de Cocagne. On parle de jardin et non de paradis.
Le v. 16 affirme deux choses capitales. Il mentionne d’abord le don total de Dieu en faveur de
l'humain: « Tu pourras manger de tout arbre du jardin », y compris de l’arbre de vie ! On a là un
précepte positif qui enjoint à l'homme de manger de tous les arbres. Dieu commence donc par
recommander à l'humain la jouissance de ce qui est donné.
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Mais dans ce tout, Dieu met une limite : il ne faut pas manger du second arbre. La prescription donnée
par le Seigneur est donc un don assorti d’une limite.
Comment interpréter cette limite ? Pourquoi Dieu l'interdit-il ?
- Est-ce Dieu qui se réserve le privilège de la connaissance : il donne tout à l'humain, mais en gardant
pour lui ce qui fait sa supériorité de Dieu ! On a là l’image d’un Dieu jaloux de ses privilèges !
- Ou bien, Dieu demande à l'humain de ne pas TOUT prendre ! Si l’homme accapare tout pour lui,
jusqu’au don de Dieu, il restera seul et il mourra ! Pour vivre, il lui est nécessaire d’assumer ses limites
pour que l’autre ait une place et qu’une relation soit possible.
Dieu vient mettre à la jouissance du tout une limite, justifiée ensuite par la clausule où il est dit que son
refus conduit à la mort. En hébreu, plus que d'une menace de mort, il faut entendre l'expression
"mourir, tu mourras" comme un avertissement, une mise en garde ou un conseil insistant. Ainsi Dieu
cherche avant tout à avertir et à mettre en garde l'humain : refuser la limite reviendrait à s'exposer à un
danger mortel.
Ainsi rien dans ce que le narrateur dit de Dieu ne permet de supposer que celui-ci est mesquin et
jaloux. C'est à l'inverse la générosité qui le caractérise et la volonté de vie. L'ordre qu'il donne entre
dans le dispositif destiné à assurer à l'humain de quoi vivre et s'épanouir. Et l'expérience nous montre
qu'une limite soit mise à la jouissance du tout ne va pas contre la vie.
Vivre, c'est consentir à un "en-moins", faire le deuil de la totalité, acquiescer au manque. Sans cela,
c'est la mort de l'humain. Mais ce n'est pas la mort physique car celle-ci est inéluctable et naturelle car
l'humain est fait à partir de la poussière du sol. Non, il s'agit de la mort de l'humain comme être à la
fois de désir et de relation.
Elohïm invite donc implicitement l'humain à une maîtrise douce qui respecte la place et la vie des
autres. Et s'il en est ainsi, cet ordre d'Adonaï Elohïm est un signe discret de son amour envers l'être
humain. Mais pour percevoir cet amour, il faudra que l'humain fasse le deuil de la volonté de tout
saisir et de tout savoir. Il faudra qu'il prenne le risque de la confiance en celui qui parle, du lâcherprise, loin de toute certitude. Elohïm n'empêche pas l'humain de connaître bien et mal. Au contraire, il
lui en donne une certaine connaissance en l'instruisant d'un chemin qui conduit à la mort et au malheur
et en lui suggérant un chemin de vie et de bonheur.
13 L'humain en relation (vv. 18-24)
Le v. 17 limite les possibilités de l’homme et le place devant un interdit. Mais il est situé dans un
contexte de grande sollicitude divine à l’égard de l’homme qui se manifeste par la décision de Dieu du
v. 18.
131 Décision de Dieu (v. 18)
18
Le SEIGNEUR Dieu dit:
"Il n'est pas bon pour l'homme d'être seul. Je veux lui faire une aide qui lui soit accordée."
Voilà la traduction de la TOB, traduction classique. Voilà maintenant une traduction littérale :
18
Et Adonaï Elohïm ordonna :
Pas bien que l'humain soit à sa solitude. Je ferai pour lui un secours, comme son vis-à-vis.
Le constat di narrateur s'oppose à celui qu'il a fait à sept reprises au chapitre 1 : lo'-tov : pas bien est
l'exact opposé de kî-tov : que (c'est) bien.
Et ce qui n'est pas bien, c'est un humain isolé. Ce n'est pas un homme, un mâle isolé !!! Il s'agit bien de
ha'adam, l'humain, dont le narrateur a précisé en 1,27 qu'il est créé mâle et femelle !
Le mal dont souffre l'humain s’appelle solitude. Dans la pensée biblique, être seul n’est pas une bonne
chose. L'humain est fait pour une vie partagée et Dieu décide de donner à l'humain, non une aide mais
un
rRzéo
‘ézêr. Comment traduire ce mot “‘ézèr” ? La TOB le traduit par le mot féminin “aide”.
Or, en hébreu, il existe la forme féminine de “‘ézèr” qui est “ézra” mais qui n’est pas employée ici.
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De plus, le mot “aide” implique l’idée d’un adjuvant. C’est mieux que rien, mais en fin de compte, si
une aide est précieuse, on peut aussi s’en passer. “Aide” n’implique pas une égalité de puissance et de
dignité. Une aide est hiérarchiquement secondaire. Ainsi, s’agissant d’une femme, les meilleurs
traducteurs se sont laissé porter par tout le poids des sociétés dont il faisait partie : la femme ne pouvait
être qu’une aide !!! Et pourtant, ce n’est pas ce que dit le texte hébreu. En examinant les récurrences
du mot “‘ézèr” (21 fois dans l’AT) et de ses dérivés (110 fois au total), dans tous les cas, il s’agit de
partenaires d’une alliance qui remplissent leurs devoirs dans des situations difficiles. On peut donc le
traduire par partenaire, allié ou secours, des termes qui disent qu’il est son homologue. Le texte parle
donc d’un partenaire, d'un secours : qui lui soit en présence.
Le texte hébreux ajoute en effet :
« comme un miroir ». En effet,
Ow;dVgRnVk
dRgRn
ke-nêgedo « comme un vis à vis » ou
nêgêd est un adverbe signifiant : vis-à-vis, en présence,
contre, devant.
Ainsi, le prochain originel est un allié, c’est-à-dire un vis-à-vis, quelqu’un qui vous regarde dans les
yeux et qui vous parle, quelqu'un qui vous fait face.
Le verset 18 ouvre ainsi un moment décisif d’un récit où Dieu veut pour l'humain une relation
qui fonde une réciprocité, quelqu’un qui soit comme son vis à vis, à la fois semblable et à la fois
différent.
132 Création de l'homme et de la femme (vv. 21-22)
21
Adonaï Elohim fit tomber une torpeur sur l'humain, et il s'endormit,
et il prit un de ses côtés et ferma la chair à sa place.
22
Et Adonaï Elohim construisit le côté qu'il avait pris de l'humain en femme
et il la fit venir vers l'humain.
Le mot torpeur, taredéma
hDm;édVrA;t , désigne un sommeil non naturel, non habituel et
dans la plupart des cas provoqué par Dieu. Il indique que le travail de Dieu échappe à l’homme. Il se
fait dans le silence.
Au v. 21b, il faut traduire “il prit un de ses côtés” et au v. 22a “il construisit le côté qu’il avait pris”
comme le traduit Rabbi Chemouel Bar Nahmani2. Le mot çéla' ne désigne jamais la côte mais toujours
un côté : côté du temple (2 Sm 16,13), côté de l'Arche (Ex 26,20), côté d'une montagne (1 R 6,34) ! Il
n'y a donc pas l'ombre d'un os !!!
Avec Rachi, il faut donc penser qu'Adonaï coupe en deux un humain jusque là indifférencié. Ayant
ainsi séparé un côté de l'autre, il le construit en femme, laissant l'homme de l'autre côté.
Dans ce récit qui peut nous apparaître naïf, le narrateur affirme en fait que le surgissement du vis-à-vis
dans sa différence est rendu possible par un double manque. D'une part, du fait de la torpeur, aucun des
deux partenaires n'a accès ni à sa propre origine ni à celle de l'autre. D'autre part, puisqu'un côté est
pris, cela veut dire qu'il se produit un manque et que dès lors, ni l'un ni l'autre ne sera complet. Manque
du savoir et manque d'intégrité individuelle : l'image du sommeil nous dit que l'autre lui échappe
radicalement dans ce qui fonde son individualité. De plus, la présence de cet autre lui renvoie sa propre
image d'être manquant. Sa différence lui apprend qu'il ne sait pas tout et qu'il ne sait pas tout de l'autre.
La relation pourra se construire sur la base d'un consentement à cette double perte !
Vivre humainement, c'est connaître une perte, une limite, au niveau tant de l'être que du savoir.
Mais cette double perte à laquelle est soumis l'humain n'est pas tout. Dieu va présenter la femme à son
partenaire, faisant de la relation entre l'homme et la femme un don, un présent divin (v. 22). Ainsi, la
perte n'est pas vaine. Elle ouvre à un don sans commune mesure avec ce qui a été pris, un don capital
pour la vie car il permet de ne plus connaître d'isolement mortel.
2
B. MARUANI et A. COHEN traduc. de l’hébreu, Midrach Rabba tome I, Verdier, La Grasse, 1987, 201.
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133 Un émerveillement inadéquat !!!(v. 23)
23
Et l'humain (se) dit :
"Celle-ci, cette fois, est os de mes os et chair de ma chair.
À celle-ci, il sera crié femme ('ishshah)
car de homme ('ish), a été prise celle-ci."
"L'humain se dit" : mais quel est cet humain qui prend la parole ? Au contenu de la parole, on
comprend que c'est l'homme, mais pourquoi le narrateur l'appelle-t-il encore "humain" ?
Cette parole de l'humain devant la femme que lui donne Dieu semble aller de soi : émerveillement et
joie intense, il est comblé ! Mais en même temps ce cri de l'humain n'est-il pas étrange ?
Il n'interpelle pas celle qui lui est présentée. Au contraire, il n'en parle qu'à la troisième personne :
"celle-ci" par trois fois, bien qu'elle soit là, tout près de lui. A qui s'dresse-t-il donc ? Pas à elle en tout
cas. Ainsi si Adonaï avait pensé un vis-à-vis qui s'instaure dans la parole échangée, ce n'est pas sur
cette voie que l'homme s'engage. Il ne pose pas de question à la femme, il ne s'adresse pas à elle ! Il ne
se présente pas comme un JE s'adressant à un TU. Au contraire, par trois fois, il la désigne comme
étant "celle-ci" ! Ainsi, l'homme semble se parler à lui-même et la femme apparaît comme l'objet de
son discours ! Donc aucune question, aucun dialogue, seulement un émerveillement dont la femme est
l'objet et qui la réduit au silence.
Ainsi, le lecteur que nous sommes pourrait se contenter de cet émerveillement. Mais à travers cette
parole de l'homme, comment situe-t-il la femme ? Quelle compréhension a-t-il de sa relation à elle ?
On peut déjà voir que pour le narrateur, la femme a été prise de l'humain indifférencié alors que pour
l'homme elle a été tirée de l'homme (ish). Donc, il se trompe ! Il affirme son oubli complet d'Adonaï et
de ce qu'il a fait.
134 L’homme quittera son père et sa mère (v. 24)
24
Aussi l'homme laisse-t-il son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et ils deviennent une seule
chair.
Ce verset constitue un bref épilogue qui tire la conséquence de ce qui vient d’être raconté.
L’union conjugale est considérée comme un tout ; elle est voulue par Dieu puisqu’il en est l’origine,
elle est aussi normale que nécessaire. L’accent est mis sur la force du mouvement qui porte l’homme
et la femme l’un vers l’autre. Le mot “chair” ne doit pas faire illusion et ne vise pas seulement des
relations sexuelles car il désigne en hébreu la totalité de l’être humain : chair, créature, corps.
Dans le contexte conjugal de Gn 2, il vise par extension la totalité et l’unité du couple. Avec ce
verset 24, c’est bien la création de l’humanité qui s’achève.
14 Signification théologique du récit
Il s’agit d’abord de comprendre la relation existant entre théologie du salut et théologie de la création,
la seconde s’articulant sur la première. C’est bien la théologie du salut qui est première.
La conception de l’homme devant Dieu qu’offre Gn 2-3 porte à ses conséquences ultimes la
manifestation de Celui qui a sauvé et continue de sauver Israël. De même que Dieu a pris l’initiative
de sauver Israël et de le créer comme peuple, de même à l’origine Dieu a pris l’initiative de créer
l'humain et de lui donner un vis-à-vis. Parce que Dieu est le sauveur de son peuple et que par là il
manifeste sa puissance, il doit aussi être le Créateur.
C’est bien à partir de l’expérience croyante d’Israël que le texte de Gn 2-3 peut exister et
remonter l’origine3.
Il y a ainsi une correspondance qui est établie entre le temps présent et ce qui est projeté aux origines
et sensé être vécu au jardin d’Eden et entre ce qui est vécu originairement au jardin d’Eden et ce qui
sera vécu dans les temps futurs. Il y a donc correspondance entre les promesses faites pour la fin des
temps et ce qui est dit pour la création.
3
LD 127, Cerf, Paris, 138.
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Nous trouvons ici une manière qu’a l’Écriture de parler aux hommes. La pensée biblique transforme
facilement la logique en chronologie.
Ainsi ce qui est fondamental va être placé au début. Pour dire que Dieu a l’intention de donner la
vie à l’homme, la Bible situe ce bonheur dans la situation initiale. Si c’est placé au début, c’est parce
que c’est l’intention primordiale de Dieu.
L’homme est créé hors du jardin et il est placé ensuite à l’intérieur. C’est dire que l’homme est fait
pour ce bonheur. L’homme va être introduit dans l’espace jardin-bonheur. Il n’est pas d’emblée
dedans.
Ce récit de la création de l’homme et de la femme de Gn 2 n’a pas son sens en lui-même. Il faut le lire
en lien avec Gn 3 auquel il est étroitement lié.
2 L'ÉPREUVE DE LA LIBERTÉ ET LE DRAME DU CHOIX (Gn 2,25-3,24)
1 Introduction : 2,25.
2 Dialogue entre la femme et le serpent : vv. 1-5.
3 Transgression et rencontre du couple avec Dieu : vv. 6-13.
- Transgression de la femme et de l’homme : v. 6.
- Première conséquence (> 2,25) : v. 7.
- Rencontre du couple avec Dieu : vv. 8-13.
4 Conséquences tirées par Dieu : vv. 14-19.
- Pour le serpent : vv. 14-15.
- Pour la femme : v. 16.
- Pour l’homme : vv. 17-19.
5 Notes diverses : vv. 20-21.
6 Renvoi du couple du jardin : vv. 22-24.
21 Gn 3 et les textes babyloniens
Il faut bien d’abord reconnaître que le rédacteur ne cherche pas d’abord à décrire des faits et des
circonstances, mais il exprime sa théologie à travers un récit vivant mis en scène sous forme théâtrale.
C’est le chapitre 3 qui apparaît comme le cœur de son sujet. Le récit de la création est ici au service de
sa théologie sur le mal, sur la souffrance et sur la mort. En composant son récit, il utilise des éléments
mythiques. Mais il les réutilise librement. Il n’est pas le premier à se poser la question du mal.
Dans le poème mythique de l’Enouma, on apprend que l’homme a été créé à la suite de combats
entre dieux anciens et dieux plus jeunes sous la conduite de Mardouk. Kingou, le chef des armées des
monstres créé par Tiâmat pour venir à bout des jeunes dieux est enchaîné et mis à mort sur ordre de
Mardouk. C’est à partir de son sang que va être créée l’humanité qui aura pour charge d’assurer le
service des dieux :
« Ayant capturé Kingou, ils le tiennent en présence d’Ea ; ils lui imposèrent le châtiment et lui
tranchèrent le sang ; de son sang, il forma l’humanité ; il lui imposa la tâche des dieux et libéra les
dieux »4.
L’homme porte dans sa nature les signes de la déchéance du dieu Kingou et il hérite du service que
devait effectuer Kingou. D’emblée, l’homme est marqué par le mal. Dès le départ, par leur
existence, les hommes représentent le mal dont se sont séparés les dieux. Ainsi l’homme est mauvais
par essence et par nature. C’est dans ce contexte que le rédacteur réfléchit et parle. Il va se démarquer
nettement par rapport à cette théologie mythique.
Pour lui, l’homme est créé à partir de la terre et du souffle divin et l’homme naît bon. C’est seulement
après la création que le mal s’introduit dans le monde à la suite d’un péché, c’est-à-dire d’un acte où
l’homme engage sa liberté et sa responsabilité (problème de l’arbre). Le récit fait preuve d’une
grande finesse et d’une grande pénétration psychologique.
4
cf. Supplément CE 38, textes 6 et 7, pp. 20-24.
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22 Dialogue entre la femme et le serpent (vv. 1-5)
> Parole du serpent à la femme (v. 1) :
1
Or le serpent était la plus astucieuse de toutes les bêtes des champs que le SEIGNEUR Dieu avait
faites. Il dit à la femme : "Vraiment ! Dieu vous a dit : Vous ne mangerez pas de tout arbre du
jardin..."
En hébreu, le mot “serpent” nous plonge dans le mythologique et dans les pratiques qu’il génère. Le
serpent, en effet, le nahash, pour une oreille hébraïque, évoque immédiatement nahash, augure,
sortilège ou divination ainsi que le verbe nahèsh, pratiquer la divination. Il ne faut pas faire trop vite
du serpent la personnification du mal. Il reste un animal. L’attention n’est pas braquée sur lui. Le
rédacteur le crédite simplement d’une grande intelligence pour donner de la véracité à son récit. On
serait un peu comme dans un conte comme genre littéraire où les animaux parlent.
L’attention du rédacteur se concentre sur l’homme et sur la femme. C’est pour cela que le serpent n’a
pas le premier rôle. Il en fait l’instrument de la tentation mais non la personnification du mal extérieur
à l’être humain et antérieur à lui.
Dans l’épopée de Gilgamesh, le serpent est une figure mythique qui vient ravir la plante de vie à
Gilgamesh qui se délasse en se baignant après l’avoir trouvé. Dans l’épopée, le serpent vole la plante à
l’homme tandis que dans le récit biblique, le serpent n’intervient pas directement : c’est l’agir libre de
l’homme qui est directement concerné. Pour le rédacteur biblique, ce sont les paroles prononcées par le
serpent qui comptent plus que le serpent lui-même : sa question est pernicieuse et déforme la réalité en
ne retenant que l’interdit :
« Le SEIGNEUR Dieu prescrivit à l'homme: "Tu pourras manger de tout arbre du jardin, mais tu ne
mangeras pas de l'arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais car, du jour où tu en
mangeras, tu devras mourir » (2,16-17).
« Dieu vous a dit : Vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin... » (3,1).
> Réponse de la femme (vv. 2-3) :
2
La femme répondit au serpent: "Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin, 3mais du fruit de
l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n'en mangerez pas et vous n'y toucherez pas afin
de ne pas mourir.
A la réponse de la femme, on pressent que le serpent a partie gagnée ! Si elle reprend le serpent, elle
introduit des changements significatifs de sa défaite. Ainsi, pour elle, le don reçu est devenu un droit
acquis « nous pouvons manger ». Elle ne mentionne pas le don ni celui qui a donné : elle les a déjà
oublié. De Dieu, elle en parle mais seulement du point de vue de l’interdit en le renforçant par une
interdiction qui n’est pas de Dieu : « vous n’y toucherez pas » ! De plus, la femme ne dit plus “le
Seigneur Dieu”, mais seulement “Dieu” (Elohim).
En faisant oublier le don, signe d’un Dieu qui cherche le bonheur de l’homme, le serpent a instillé le
doute, la méfiance et la peur dans le cœur de la femme.
> La réplique du serpent (vv. 4-5) :
4
Le serpent dit à la femme: "Non, vous ne mourrez pas, 5mais Dieu sait que le jour où vous en
mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux possédant la connaissance de ce qui est
bon ou mauvais."
Le serpent déforme l’image de Dieu : il le ramène au rang des autres dieux jaloux de leurs
prérogatives. Il soumet au soupçon la bonté de Dieu : « Dieu vous a trompé, vous entrerez dans la
sphère des sages, vous aurez la connaissance. Vous connaîtrez le bien et le mal ! ». Avant d’avoir une
portée morale, cette expression biblique exprime une totalité : connaître le bien et le mal, c’est
connaître TOUT.
Le serpent laisse entendre à l’homme la possibilité de connaître tous les secrets et les mystères dont il
rêve. C’est un SUPPLÉMENT de vie que propose le serpent. C’est capital que le texte biblique situe le
péché de l’homme non pas du côté de la dégradation en une sous-humanité mais du côté du désir de
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l’exaltation du désir de connaissance et de puissance : ÊTRE COMME DES DIEUX. C’est la
mégalomanie de l’homme nietzschéen.
La question de fond posée, le serpent disparaît. L’homme reste suspendu à la promesse d’obéissance à
Dieu et d’un avenir prétendument meilleur. C’est à sa liberté de se déterminer. Le serpent place
l’homme devant sa liberté. Le texte biblique nous fait connaître les sentiments de la femme. Mais c’est
l’humanité qui est en cause. Il ne fait que se servir de la psychologie féminine.
23 Transgression de la femme et de l’homme et rencontre du couple avec Dieu (vv. 6-13)
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La femme vit que l'arbre était bon à manger, séduisant à regarder, précieux pour agir avec
clairvoyance. Elle en prit un fruit dont elle mangea, elle en donna aussi à son mari, qui était avec elle,
et il en mangea. 7Leurs yeux à tous deux s'ouvrirent et ils surent qu'ils étaient nus. Ayant cousu des
feuilles de figuier, ils s'en firent des pagnes. 8Or ils entendirent la voix du SEIGNEUR Dieu qui se
promenait dans le jardin au souffle du jour. L'homme et la femme se cachèrent devant le SEIGNEUR
Dieu au milieu des arbres du jardin. 9Le SEIGNEUR Dieu appela l'homme et lui dit : "Où es-tu?" 10Il
répondit: "J'ai entendu ta voix dans le jardin, j'ai pris peur car j'étais nu, et je me suis caché." - 11"Qui
t'a révélé, dit-il, que tu étais nu? Est-ce que tu as mangé de l'arbre dont je t'avais prescrit de ne pas
manger?" 12L'homme répondit: "La femme que tu as mise auprès de moi, c'est elle qui m'a donné du
fruit de l'arbre, et j'en ai mangé." 13Le SEIGNEUR Dieu dit à la femme: "Qu'as-tu fait là?" La femme
répondit: "Le serpent m'a trompée et j'ai mangé."
Quand la femme et l’homme prennent le fruit, ils croient le serpent sur parole ; ils se fient à lui plutôt
qu’à Dieu. Ils font du serpent leur dieu et ils le croient quand il leur dit que Dieu est un Dieu jaloux qui
ne veut pas leur bonheur mais dont le but est de se protéger d’eux en gardant ce qui fait sa supériorité.
L’homme et la femme découvrent la conséquence de leur geste qui entraîne une rupture de l’harmonie
initiale évoquée par :
- La nudité qui devient honteuse (la honte est la réaction élémentaire devant une faute) ; les rapports
humains sont dégradés (v. 7).
- La fuite devant Dieu (vv. 8-10). C’est une réaction cultuelle : on ne se présente pas nu devant Dieu.
La peur signifie la relation dégradée avec Dieu.
- La cascade de mensonges, de fuites devant la réalité (vv. 11-13). De plus, l’homme et la femme se
dénoncent mutuellement : la communion est brisée. Enfin, Dieu lui-même est accusé : c’est lui qui a
donné la femme.
Le péché commis ensemble n’a pas uni, mais isolé les humains en face de Dieu : l’homme dénonce et
trahit la femme qui s’efforce aussi de faire porter la responsabilité sur le serpent. Dieu lui-même en
vient à être accusé : “La femme que tu as mise auprès de moi”.
24 Conséquences( vv. 14-19)
Les sentences de Dieu, qui n’en sont pas, sont en fait les conséquences du choix que l’être humain
vient de faire :
- L’homme mettra à profit la séduction qu’il exerce sur la femme pour la dominer (v. 16b). En effet, si
les relations se vivent sur le mode de la convoitise et de la volonté d’accaparer, l’un cherchera à
dominer l’autre et utilisera ce qui est en son pouvoir pour le faire.
- Cela se vérifiera dans la relation mère-enfant. Si une mère ou un père cherche à accaparer ses enfants,
vivant dans la convoitise sa maternité ou sa paternité, il (et elle s’expose) aux souffrances d’un très
long enfantement ! L’arrachement n’est pas que celui de la naissance.
- Les relations de l’humain au sol n’échappent pas à la convoitise (vv. 18-19). Si l’homme développe
son rapport à la nature dans une perspective d’accaparement sans limite, il va s’aliéner celle-ci et il en
subira les conséquences.
- Plus radicalement, la fin du texte nous montre que cultiver en soi une mentalité d’accaparement et de
concurrence, c’est s’interdire de voir Dieu autrement que comme un Dieu jaloux qui voudra toujours
priver l’homme de quelque chose d’essentiel.
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- On comprend alors la sentence prononcée contre le serpent (vv. 14-15). C’est une sentence contre la
convoitise. Dieu déclare maudite, porteuse de mort en l’être humain cette convoitise qui est en lui
sournoise, rampante et qui se nourrit de la poussière et de la mort.
Mais Dieu, dans ce texte, laisse entendre que les humains auront le dessus : seul le serpent, en effet, est
atteint à un endroit vital, la tête !
Où le rédacteur biblique a-t-il pu trouver la source de sa théologie du péché ?
3 Gn 3 ET LA NOTION DE PÉCHÉ ORIGINEL
Il faut tout d’abord bien se dire que la notion de péché originel n’est pas biblique et que nous la devons
à St Augustin au début du Ve siècle. Il réfléchit à la condition humaine à partir de la lettre aux Romains
où Saint Paul se sert des chapitres 2 et 3 de la Genèse pour exposer comment il voit la nouveauté de ce
qui est apparu en Jésus (voir Rm 5-6).
Le catéchisme de l’Église catholique parle de péché originel (n° 396-421). La première remarque que
l’on peut faire c’est que le texte du catéchisme fait une lecture “fondamentaliste” de Gn 2-3. Pour lui,
le texte raconte quelque chose qui s’est passé ainsi. On ne retrouve aucune allusion au milieu porteur
de ce texte.
Pour lui également, à l’origine de l’humanité, il y avait un état de sainteté originelle qui a été perdu à
la suite de la faute d’Adam et Ève (n° 399).
Et c’est cette faute qui va affecter toute la nature humaine et qu’ils vont transmettre dans un état déchu
(n° 404).
Est-ce ce que le texte veut dire ?
31 Péché originel ou péché des origines ?
Le texte affirme que la solidarité humaine dans le péché remonte aux origines de l’humanité libre. Il
n’y a jamais eu un temps où l’homme, lorsqu’il est devenu capable d’option libre, n’ait été pécheur.
Il est évident qu’on ne peut dater ce début de l’humanité pécheresse et il est évident aussi que bien des
générations humaines ont dû passer avant que l’humanité ne devienne capable de commettre un acte
tel qu’il est décrit symboliquement en Gn 2-3.
Si ce péché de Gn 2-3 apparaît comme le proptotype de tout péché commis par l’humanité depuis ses
origines, le récit du premier péché nous révèle ce qui est fondamentalement notre péché comme
rupture de notre relation filiale et amicale avec Dieu.
Avec Grelot, on peut donc dire qu’il vaudrait mieux parler de “péché des origines” pour parler de la
faute d’Adam et Ève. À travers cette faute des origines, le rédacteur ne veut pas d’abord décrire ce qui
s’est passé. Il veut simplement expliquer la situation actuelle de l’humanité pécheresse en projetant
aux origines dans un seul couple cette situation actuelle.
La notion de péché originel renvoie, elle, à notre condition actuelle pécheresse. Elle veut dire que
naturellement, notre condition native ne comporte pas en elle-même la communion et l’amitié avec
Dieu. Il n’y a pas de paradis originel !!! Seule la grâce du Christ nous ouvrira le chemin vers la
communion avec Dieu.
Il faut bien comprendre que c’est notre péché originel qui vient éclairer le péché des origines d’Adam
et surtout pas l’inverse.
Sinon, le fait de mélanger les deux notions aboutit à un résultat aberrant : nous hériterions ainsi par
voie de génération de la faute accomplie par le premier homme.
Or, d'une part, la Bible nous enseigne que la culpabilité est strictement personnelle et que la culpabilité
ne se transmet pas, la génération ne transmet pas le péché (Ez 18,20).
Et d'autre part, ce qui est premier et qui est donné à l’homme dès l’origine, c’est bien la liberté,
pouvoir de choix devant Dieu et celle-ci ne pouvait que demeurer une épreuve redoutable. On devrait
donc parler de liberté originelle.
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32 Un péché de convoitise et d’autosuffisance
Que signifie ce fruit défendu de Gn 2,17 ? C’est bien évidemment une image et rien n’est plus stupide
de parler de la pomme. Le récit du péché d’Adam, péché de « l’humain », nous révèle ce qu’est le
péché de tout homme en ce qu’il a de plus fondamental : péché de convoitise et d’autosuffisance,
comme conséquence possible de la finitude de sa liberté créée.
Le péché d’Adam illustre bien la culpabilité idolâtrique d’une humanité qui à toute époque est tentée
au lieu de s’ouvrir à Dieu, de se refermer sur elle-même, recherchant ainsi en elle-même de façon
illusoire la satisfaction de son élan vers le divin.
La convoitise (manger du fruit défendu) apparaît à la racine du mal et de la violence. Son processus y
est décrit dans le texte avec minutie. La convoitise fixe le regard sur les limites et fait oublier que la
vie est un don merveilleux. Les limites, au lieu d’être vues comme un lieu possible de relations
épanouissantes avec autrui, apparaissent comme un mal, une frustration qui empêche de vivre et d’être
heureux. La vie en devient méchante, on appelle bien mal et mal bien et on accuse les autres de vouloir
son malheur parce qu’ils ont ce que je voudrais avoir et que je n’ai pas. De l’accusation, on peut
facilement passer à la violence et au meurtre.
Pouvoir démonter un tel processus, c’est d’une certaine manière avoir prise sur lui et peut être devenir
capable, comme Jésus, de l’enrayer et de le maîtriser.
4 RÉCIT DES ORIGINES ET SITUATION HISTORIQUE DU RÉDACTEUR
Derrière Gn 2-3, se retrouve la théologie de l’Alliance telle qu’elle a été élaborée au moment de l’exil.
Cet arrière-plan théologique fondé sur l’expérience d’Israël relue à travers le cadre de la grille de
l’Alliance éclaire ce récit. C’est seulement à partir de l’Alliance que tout le mal qui marque la vie
humaine peut être compris comme conséquence du péché et acte de la liberté humaine. C’est la vie
dans l’Alliance qui a appris à Israël de reconnaître cette théologie du mal.
Le rédacteur sacré constate que le peuple d’Israël est pêcheur, que cette réalité et cette expérience sont
vraies de toute l’histoire du peuple. Il en déduit qu’être pêcheur c’est le statut actuel de l’homme
devant Dieu. Dans sa mentalité, plutôt que de décrire la situation de chacun, il exprime ou il décrit
celle de l’homme originel dont tous sont censés être issus.
Pour lui, ce qui est premier, ce n’est pas le péché ou le mal. Ce qui est premier c’est le don de Dieu. Le
péché survient toujours secondairement comme une rupture d’alliance.
L’état originel décrit en Gn 2 ne vise pas d’abord à décrire ce qu’était la situation de l’homme et de la
femme avant le péché. Il vise d’abord à dire ce pour quoi l’homme est fait, à quoi il est appelé.
L’homme est pêcheur, mais il est fait pour le jardin, il est fait pour la communion avec Dieu.
Toute la réflexion du rédacteur de Gn 2-3 se fait dans un contexte d’Alliance :
1- Dieu a choisi Israël. Il l’a choisi comme peuple alors qu’il était hors de Canaan (Dt 7,7-8).
> L’homme est créé dans un désert, hors du jardin.
2- Dieu a conduit Israël en Canaan et il lui donne cette terre (Dt 5,31).
> L’homme est placé gratuitement par Dieu dans le jardin.
3- Dieu donne des commandements comme condition de l’Alliance (Dt 10,12-13).
> L’homme reçoit un commandement (ne pas manger de l’arbre).
4- La pratique des commandements donne la vie (Dt 30,15-18) et permet de rester sur la terre promise.
> Le respect du commandement lui permet de rester près de l’arbre de vie, dans le jardin.
5- Le non-respect des commandements entraîne la mort d’Israël comme peuple et la perte de la terre.
> Après sa transgression, l’homme est exclu du jardin, éloigné de l’arbre de vie.
On retrouve ainsi bien les 5 registres de la théologie de l’Alliance et du péché dans Gn 2-3.
Dans ce contexte de réflexion théologique, le rédacteur biblique explique le mal comme une
conséquence du péché : non-respect ; le péché apparaît comme une transgression.
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Dans l’Alliance, le péché est en effet une rupture qui est cause du malheur jusqu’à l’exil hors de la
terre.
Au contraire la fidélité à l’alliance entraîne la possibilité de vivre sur la terre, dans le pays où s’exerce
la bénédiction.
CONCLUSION
En opposition avec les couleurs capiteuses et intenses des mythes de création des autres peuples, les
récits de Gn 2-3 nous présentent l’histoire des origines de l’humanité avec réserve et sobriété. Le
narrateur ne donne aucune description directe et positive de l’existence paradisiaque. Il se borne à
rapporter les grands troubles de notre vie présente : honte, peur, désaccords dans la vie de l’homme et
de la femme et à les attribuer au péché humain.
Il y a là une théologie visant à décharger Dieu et sa création de tout le mal et de toute la souffrance qui
sont entrés dans le monde.
Le problème que l’auteur sacré veut sonder est celui de l’énigme de la vie humaine en face de laquelle
l’homme ne peut prendre une position claire, car il s’y trouve continuellement partagé par de
profondes contradictions :
- L’idée de la mort paralyse sa volonté de vivre...
- Le travail, bien que reconnu comme le sens de l’existence, devient tourment par la peine qu’il
provoque et les échecs qu’il subit...
- Le bonheur maternel, plénitude suprême de la nature féminine est assombri par les tourments et la
douleur...
- Le bonheur conjugal tant désiré se brise dans la domination qu’exerce l’homme sur la femme...
L’homme est finalement en porte-à-faux en face de sa vie. Tel est l’énigme que regarde le rédacteur
sacré et qu’il veut expliquer par le récit de Gn 2-3.
Pour lui, les multiples troubles profonds de la vie humaine ont leur origine dans l’unique trouble de la
relation entre l’homme et Dieu, ou, exprimé en peu de mots, Gn 3 prétend que tout le mal vient du
péché.
PLAN
INTRODUCTION ........................................................................................................................................... 128
1 LE RÉCIT DE LA CRÉATION (Gn 2,4b-25)......................................................................................... 128
11 L’état initial de la terre (2,4b-6) .................................................................................................................. 128
12 La création de l'humain (v. 7-9.10-15) ...................................................................................................... 128
121 L'action de Dieu (v. 7) – traduction littérale ....................................................................................................128
122 L'humain dans le jardin (vv. 8-9 et 15-17)........................................................................................................129
13 L'humain en relation (vv. 18-24) ................................................................................................................ 130
131 Décision de Dieu (v. 18) ............................................................................................................................................130
132 Création de l'homme et de la femme (vv. 21-22) ...........................................................................................131
133 Un émerveillement inadéquat !!!(v. 23) .............................................................................................................132
134 L’homme quittera son père et sa mère (v. 24) ................................................................................................132
14 Signification théologique du récit............................................................................................................... 132
2 L'ÉPREUVE DE LA LIBERTÉ ET LE DRAME DU CHOIX (Gn 2,25-3,24) ................................... 133
21 Gn 3 et les textes babyloniens ...................................................................................................................... 133
22 Dialogue entre la femme et le serpent (vv. 1-5) .................................................................................... 134
23 Transgression de la femme et de l’homme et rencontre du couple avec Dieu (vv. 6-13)....... 135
24 Conséquences( vv. 14-19) .............................................................................................................................. 135
3 Gn 3 ET LA NOTION DE PÉCHÉ ORIGINEL ....................................................................................... 136
31 Péché originel ou péché des origines ? ..................................................................................................... 136
32 Un péché de convoitise et d’autosuffisance............................................................................................. 137
4 RÉCIT DES ORIGINES ET SITUATION HISTORIQUE DU RÉDACTEUR ..................................... 137
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CONCLUSION ................................................................................................................................................. 138
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