fugue indienne au rajasthan
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fugue indienne au rajasthan
É V A S I O N FUGUE INDIENNE AU RAJASTHAN Les teintes safranées du lac Pichola à Udaipur, le sanctuaire jaïn d’Adinatha, les remparts de Jaisalmer ou les courbes sensuelles des dunes du désert de Sam : le Rajasthan, « terre des seigneurs », a beaucoup à offrir. Un voyage d’exception où l’on ne négligera aucun moyen de transport. PAR CLARA DUFOUR (TEXTE) ET THOMAS GOISQUE POUR LE FIGARO MAGAZINE (PHOTOS) 68 • LE FIGARO MAGAZINE - 9 JANVIER 2010 Le Lake Palace, érigé en 1754 pour abriter les courtisanes d’un maharadjah. Ce joyau architectural du Rajasthan flotte sur les eaux miroitantes d’Udaipur tel un vaisseau de marbre irréel. 9 JANVIER 2010 - LE FIGARO MAGAZINE • 69 É V A S I O N L’élégance des femmes (à gauche) chamarre les paysages dans un étourdissant défilé de saris dont les couleurs sont un véritable langage. Devi Garh (ci-contre), ancien fort rajput du XVIIIe siècle, surplombe Deogarh aux confins des vénérables monts Aravalli. Transformé en hôtel, il aura fallu dix ans pour qu’il retrouve son faste. Le temple d’Adinatha, érigé au XVe siècle (ci-dessous), est le plus vaste parmi les sanctuaires jaïns de Ranakpur. Ses 1 400 piliers en dentelle de marbre lui confèrent une magnificence absolue. POUR NE RIEN RATER DE LA « TERRE DES SEIGNEURS », IL FAUT VISITER LES PERLES PRIN CIÈRES EN EMPRUNTANT LES PETITES ROUTES DE CAMPAGNE Dans le désert de Thar, les silhouettes d’une méharée se découpent dans le ciel enflammé. Sur le lac d’Udaipur, croisière romantique au couchant, à bord d’une « sikhara ». U daipur « la blanche » se pare de teintes safranées en cette chaude fin d’après-midi. Les derniers rayons de soleil caressent le lac Pichola, surplombé par le tentaculaire étagement de palais et de terrasses du City Palace où réside encore la famille du maharadjah actuel, Sriji Arvind Singh Mewar. Trois siècles ont été nécessaires à l’édification de cet ensemble, le plus grand de la région. Aussi vaste que les 70 • LE FIGARO MAGAZINE - 9 JANVIER 2010 deux tiers de la France, la province du Rajasthan est surnommée la « terre des seigneurs », en référence à ces guerriers rajputs bâtisseurs de forts imprenables et de palais au faste démesuré. Pour ne rien en rater, il faut cultiver le contraste, visiter les perles princières en empruntant les petites routes de campagne. En découvrir le raffinement comme l’extrême simplicité. Toute la magie des lieux réside dans cette délicate alchimie. A mesure que le soleil décline, la quiétude s’empare d’Udaipur. Les moteurs des bateaux-touristes ne pétaradent plus. Seule notre sikhara – embarcation de bois – fend les eaux miroitantes du lac au milieu duquel flotte un vaisseau de marbre : le Lake Palace, construit en 1754 par un maharadjah pour y recevoir ses courtisanes. A tout moment, on s’attend à voir James Bond surgir des eaux, scène immortalisée par le film Octopussy. Mais les touristes ont succédé aux forces du mal dans ce palais devenu l’un des hôtels les plus mythiques du monde... et 007 lui préfère désormais les casinos. Qu’importe ! Ici, les princes – charmants ou non – existent bel et bien. Celui d’Udaipur célèbre ce soir en grand apparat Diwali, le Nouvel An indien, dans un tonnerre de pétards et de feux d’artifice. Comme le veut la tradition, les habitants allument pour cette « fête des lumières » une kyrielle de lampes à huile et de guirlandes lumineuses à l’extérieur de leurs maisons. L’ombre de l’année passée est ainsi chassée, pour laisser place à la joie et à la prospérité. Cap à l’ouest, vers la forteresse de Kumbhalgarh. Au détour d’un virage, ses imposantes murailles grises du XVe siècle apparaissent soudain au sommet d’une colline peuplée de loups, de singes et de tigres. Une fois ses sept portes fortifiées franchies, sa réputation de fort imprenable prend tout son sens : ses remparts cou- ronnent les monts Aravalli sur presque 36 kilomètres, formant la deuxième plus longue muraille au monde. L’endroit est essentiellement visité par des familles indiennes dans un étourdissant défilé de saris colorés. Jupes ondoyantes, voiles gonflés par le vent dans une cascade de couleurs, bras ornés de bijoux... L’élégante beauté des femmes chamarre le paysage. « La couleur des saris est un langage à décrypter, explique Chandra, l’une des visiteuses. Une couleur terne signale un décès ou un malheur. Mais les tons lumineux comme le rose fuchsia, le magenta, le citron, le vert ou l’orange signifient que tout va bien. » ••• 9 JANVIER 2010 - LE FIGARO MAGAZINE • 71 É V A S I O N Le luxueux camp éphémère d’Horizons Nouveaux permet d’assister au lever du soleil sur le fort de Kumbhalgarh. PARTOUT, LES ÉTALS DE PACOTILLE CHATOYANTE ET D’ÉPICES ODORANTES SATURENT LES SENS ••• Un spectacle que l’on quitterait à regret si l’aventure ne se poursuivait sur une Royal Enfield, moto de collection au vrombissement enivrant. Découvrir l’Inde au guidon de cet engin permet d’emprunter des chemins de traverse, loin des routes périlleuses du pays où le klaxon et une bonne dose d’inconscience sont vos seuls alliés. Un autre visage du Rajasthan se révèle, plus bucolique et paisible. « Tata tata tata ! » (« Coucou ! »), hurlent en riant les enfants des villages au passage des motos. Au gré des humeurs, l’équipée s’arrête pour admirer le paysage verdoyant ou boire un chaï – thé au lait parfumé. Les scènes de la vie quotidienne campagnarde défilent sous les yeux : ici, des grappes d’enfants puisant l’eau du puits ; là, une femme portant un ballot d’herbe en équilibre sur sa tête. Chacune progresse à son rythme vers les temples de Ranakpur. Celui d’Adinatha est le plus vaste sanctuaire jaïn, une merveille architecturale du XVe siècle tout en dentelles taillées dans le marbre. Le temple repose sur 1 400 piliers, tous uniques et à la verticalité absolue... sauf un, que les architectes ont construit de biais pour rappeler que la main de l’homme n’est pas celle de Dieu. Le périple se poursuit toujours plus à l’ouest, vers Jodhpur « la bleue ». La forteresse de Mehrangarh veille sur la ville fortifiée. Les étals de pacotille chatoyante et d’épices odorantes saturent les sens. La chaussée est bondée de passants, de rickshaws, de motos, de taxis qui, tous, essayent 72 • LE FIGARO MAGAZINE - 9 JANVIER 2010 de se frayer un chemin en forçant le passage. A moins d’être une vache – donc sacrée –, se mouvoir n’est pas aisé. Aucune règle de circulation n’existe, hormis la loi du plus fort, il faut donc slalomer de concert. Non loin de cette agitation étourdissante, la petite ville de Rohet et sa campagne aride offrent une escale reposante. Le prince local s’est reconverti dans le tourisme de luxe. Mais si le règne des maharadjahs et des princes a pris fin avec l’indépendance de l’Inde en 1947, Siddharth Singh n’en garde pas moins toute son autorité et son prestige. Les villageois et les tribus locales viennent toujours le consulter pour arbitrer des conflits. La paix se scelle encore avec la cérémonie de l’opium, une des plus anciennes et secrètes coutumes de la région. A l’origine, elle avait lieu pour galvaniser les guerriers avant les batailles, la drogue leur faisant oublier la peur et la douleur. Aujourd’hui, la cérémonie est symbole d’union et de réconciliation. Comme le veut la coutume, l’opium dilué dans de l’eau est bu dans le creux de la paume, d’un homme à un autre. Distinction suprême : boire dans la main même du prince ! Mais point de vertige addictif à attendre : le nectar actuel est composé d’eau sucrée à plus de 95 %. Le voyage s’achève aux portes du Pakistan dans la touffeur du désert de Thar. Seule la vision des troupeaux de chèvres et leurs petites gardiennes espiègles rompt la monotonie de cette route du bout de l’Inde. Ecrasée de soleil, Jaisalmer apparaît enfin. Une forteresse de grès ocre dressée comme un mirage au milieu de la steppe rocailleuse. La ville princière était l’étape obligée des caravaniers qui transitaient entre le Moyen-Orient et l’Asie dès le XIIe siècle. Il faut se perdre dans les ruelles de la ville pour découvrir ses merveilles, vieux palais et havelis – maisons de marchands – aux charmes décatis. A quelques kilomètres de là, les dunes du désert de Sam offrent leurs courbes féminines aux derniers rayons du soleil. Tandis que l’on sirote un drink dans la plus pure tradition britannique en admirant le spectacle, les propos de Rudyard Kipling résonnent avec justesse : « Il n’y a que deux sortes d’hommes en ce monde : ceux à qui les Indes font peur et ceux qui rêvent d’y retourner. » A cet instant, le doute n’est plus permis. ■ CLARA DUFOUR A Jodhpur « la bleue », le maharadjah propose aux voyageurs des promenades à bord de ses voitures de collection décapotables. É V A S I O N TA KIS PA C A R N E T D E VOYAG E Un visa est nécessaire pour entrer en Inde. Il est délivré par l’organisme VFS au 42, rue de Paradis, Paris Xe, ou via le site www.vfs-in-fr.com. Prévoir un montant de 50 ¤ par visa. Le délai d’obtention est d’environ 3 jours. Quand partir ? D’octobre à fin mars, c’est la meilleure période. Il y fait doux et le ciel est clair. Les températures varient entre 18 et 30 °C la journée, et 0/15 °C la nuit. C’est aussi la saison la plus touristique et les hôtels affichent parfois complet : faire ses réservations à l’avance. De mai à août, l’été est caniculaire avec des précipitations parfois abondantes pendant la mousson de juillet à août. Comment y aller ? Air France propose un vol direct quotidien Paris/New Delhi (36.54 ; www.airfrance.fr). La compagnie Etihad Airways (prix de la meilleure classe Affaires au monde en 2009 par Skytrax) Jaisalmer, tout en sortant des sentiers battus à la rencontre de Deogarh, un village aux confins des monts Aravalli, ou de la forteresse de Kumbhalgarh. Tarif par personne en hébergement double : à partir de 4 540 ¤. Ce tarif inclut les vols (supplément possible pendant la haute saison ; ne comprend pas les taxes d’aéroport) et les nuitées dans des établissements de luxe, petits déjeuners compris. 74 • LE FIGARO MAGAZINE - 9 JANVIER 2010 IS TA L’Aman Delhi (00.91.11.4363.3333 ; www.amanresorts.com) vient d’ouvrir ses portes dans la capitale. Havre de quiétude et de raffinement, préservé de la fureur de la ville, l’hôtel surprend par son architecture moderne et minimaliste qui fusionne à merveille avec l’art traditionnel indien. Toutes les 31 chambres et 8 suites jouissent d’une piscine privée et d’une décoration contemporaine, au luxe cosy et feutré, à partir de 527 ¤ par personne. A quelques kilomètres d’Udaipur, Devi Garh (00.91.29.53.289.211 ; www.deviresorts.com) allie l’architecture guerrière des forts rajputs au design contemporain. Il aura fallu dix ans pour redonner vie à ce bâtiment impressionnant du XVIIIe siècle, doté aujourd’hui d’une piscine et d’un jardin luxuriant. Le résultat est bluffant. Les 39 chambres, toutes en marbre blanc, combinent raffinement et dépouillement à partir de 502 ¤ New Delhi Jaipur RAJASTHAN NÉPAL CHINE N INDE Océan Indien Désert de Thar rt e és m Jaisalmer D e Sa d Sam RAJASTHAN Jaipur Jodhpur Forteresse de Kumbhalgarh s t i onvall Udaipur Ma Temples Ar de Ranakpur Hébergement The Serai, un havre raffiné au cœur du désert de Thar, à une heure de Jaisalmer. assure elle aussi la liaison quotidienne Paris/New Delhi (01.47.42.2000 ; www.etihadairways.com). Tour-opérateur Spécialiste de l’Inde, le touropérateur Horizons Nouveaux (0.800.200.238 ; www.horizonsnouveaux.com) propose des voyages sur mesure adaptés aux rêves de chacun. Son catalogue dispose aussi de plusieurs circuits thématiques, mariant l’insolite et l’exclusif. Il est possible de sillonner le Rajasthan « au guidon d’une Royal Enfield » ou de mener la « vie de château ». Ce dernier circuit (16 jours à dormir dans des palais de rêve) combine la visite des hauts lieux touristiques comme Udaipur, Jodhpur et K PA OLIVIER CAILLEAU Utile N 100 km par personne. A une heure de Jodhpur, vient d’émerger Mihirgarh (00.91.291.2431.161 ; www.mihirgarh.com), un fort tout droit sorti d’un conte. Ce nouvel établissement tout en pisé propose 9 suites disposant chacune de sa piscine ou de son jacuzzi privé, à partir de 217 ¤ par personne, tous repas compris. L’équipe se charge d’organiser des randonnées à cheval, un safari ou une visite des villages environnants. The Serai (00.91.2374.3194 ; www.the-serai.com) se trouve à une heure de Jaisalmer, non loin des dunes de Sam. Ce camp fixe dispose de 21 tentes très confortables et joliment meublées au chic british irréprochable, à partir de 373 ¤ pour deux. Tous les matins, les hôtes admirent le paysage en sirotant une tasse de thé ou de café sur leur terrasse privative. Une belle piscine à débordement les accueille à leur retour d’excursion. Le camp est saisonnier, de septembre à mars. Notre coup de cœur C’est à l’aurore que le fort de Kumbhalgarh s’admire avec le plus d’intensité, du haut de la colline voisine où le camp éphémère imaginé par Horizons Nouveaux s’est établi. De belles tentes confortables ont été acheminées à dos de chameau dans cet endroit perdu et isolé, où le luxe suprême est de pouvoir prendre de la hauteur, rêver sous les étoiles, méditer loin du tumulte du monde. L’instant magique Voir s’éveiller la plaine de Rohet en survolant la campagne en montgolfière. Les ombres des arbres et des fermettes se profilent dans la lumière rasante du soleil levant, créant une géographie mouvante et émouvante. (www.skywaltz.com). Le bémol Les échoppes de souvenirs et de vêtements, tendance baba-cool bas de gamme, qui pullulent dans le fort de Jaisalmer et en dénaturent la beauté. Le lieu perd de sa superbe face à cette invasion de magasins qui ont tout l’air des puces de Saint-Ouen. Lire Le guide Rajasthan, Delhi et Agra, Editions Michelin, allie les bonnes informations pratiques et culturelles. Très bien documenté lui aussi, le guide Rajasthan, Editions Gallimard, collection « Encyclopédies du Voyage ». ■ C. D. Depuis le palais des Nuages du fort de Kumbhalgarh, le panorama est somptueux.