fugue indienne au rajasthan

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fugue indienne au rajasthan
É V A S I O N
FUGUE INDIENNE AU RAJASTHAN
Les teintes safranées du lac Pichola à Udaipur, le sanctuaire jaïn
d’Adinatha, les remparts de Jaisalmer ou les courbes sensuelles des
dunes du désert de Sam : le Rajasthan, « terre des seigneurs »,
a beaucoup à offrir. Un voyage d’exception où l’on ne négligera aucun
moyen de transport.
PAR CLARA DUFOUR (TEXTE) ET THOMAS GOISQUE POUR LE FIGARO MAGAZINE (PHOTOS)
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Le Lake Palace, érigé en 1754
pour abriter les courtisanes
d’un maharadjah. Ce joyau
architectural du Rajasthan flotte
sur les eaux miroitantes d’Udaipur
tel un vaisseau de marbre irréel.
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L’élégance des
femmes (à gauche)
chamarre les
paysages dans un
étourdissant défilé
de saris dont
les couleurs sont un
véritable langage.
Devi Garh (ci-contre),
ancien fort rajput
du XVIIIe siècle,
surplombe Deogarh
aux confins des
vénérables monts
Aravalli. Transformé
en hôtel, il aura fallu
dix ans pour qu’il
retrouve son faste.
Le temple d’Adinatha,
érigé au XVe siècle
(ci-dessous), est
le plus vaste parmi
les sanctuaires
jaïns de Ranakpur.
Ses 1 400 piliers en
dentelle de marbre
lui confèrent une
magnificence absolue.
POUR NE RIEN RATER DE LA « TERRE DES SEIGNEURS », IL FAUT VISITER LES PERLES PRIN CIÈRES EN EMPRUNTANT LES PETITES ROUTES DE CAMPAGNE
Dans le désert de Thar, les silhouettes
d’une méharée se découpent dans le ciel enflammé.
Sur le lac d’Udaipur,
croisière romantique
au couchant, à bord
d’une « sikhara ».
U
daipur « la blanche » se pare de
teintes safranées
en cette chaude
fin d’après-midi.
Les
derniers
rayons de soleil
caressent le lac
Pichola, surplombé par le tentaculaire
étagement de palais et de terrasses du
City Palace où réside encore la famille
du maharadjah actuel, Sriji Arvind Singh
Mewar. Trois siècles ont été nécessaires
à l’édification de cet ensemble, le plus
grand de la région. Aussi vaste que les
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deux tiers de la France, la province du
Rajasthan est surnommée la « terre des
seigneurs », en référence à ces guerriers
rajputs bâtisseurs de forts imprenables et
de palais au faste démesuré. Pour ne rien
en rater, il faut cultiver le contraste, visiter les perles princières en empruntant les
petites routes de campagne. En découvrir le raffinement comme l’extrême simplicité. Toute la magie des lieux réside
dans cette délicate alchimie.
A mesure que le soleil décline, la quiétude s’empare d’Udaipur. Les moteurs des
bateaux-touristes ne pétaradent plus. Seule
notre sikhara – embarcation de bois – fend
les eaux miroitantes du lac au milieu duquel flotte un vaisseau de marbre : le Lake
Palace, construit en 1754 par un maharadjah pour y recevoir ses courtisanes. A tout
moment, on s’attend à voir James Bond
surgir des eaux, scène immortalisée par le
film Octopussy. Mais les touristes ont succédé aux forces du mal dans ce palais devenu l’un des hôtels les plus mythiques du
monde... et 007 lui préfère désormais les
casinos. Qu’importe ! Ici, les princes – charmants ou non – existent bel et bien. Celui
d’Udaipur célèbre ce soir en grand apparat
Diwali, le Nouvel An indien, dans un
tonnerre de pétards et de feux d’artifice.
Comme le veut la tradition, les habitants
allument pour cette « fête des lumières »
une kyrielle de lampes à huile et de guirlandes lumineuses à l’extérieur de leurs
maisons. L’ombre de l’année passée est
ainsi chassée, pour laisser place à la joie
et à la prospérité.
Cap à l’ouest, vers la forteresse de Kumbhalgarh. Au détour d’un virage, ses imposantes murailles grises du XVe siècle apparaissent soudain au sommet d’une colline
peuplée de loups, de singes et de tigres.
Une fois ses sept portes fortifiées franchies, sa réputation de fort imprenable
prend tout son sens : ses remparts cou-
ronnent les monts Aravalli sur presque
36 kilomètres, formant la deuxième plus
longue muraille au monde. L’endroit est
essentiellement visité par des familles indiennes dans un étourdissant défilé de
saris colorés. Jupes ondoyantes, voiles gonflés par le vent dans une cascade de couleurs, bras ornés de bijoux... L’élégante
beauté des femmes chamarre le paysage.
« La couleur des saris est un langage à
décrypter, explique Chandra, l’une des
visiteuses. Une couleur terne signale un décès
ou un malheur. Mais les tons lumineux comme
le rose fuchsia, le magenta, le citron, le vert
ou l’orange signifient que tout va bien. » •••
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Le luxueux camp éphémère
d’Horizons Nouveaux permet
d’assister au lever du soleil sur
le fort de Kumbhalgarh.
PARTOUT, LES ÉTALS DE PACOTILLE CHATOYANTE
ET D’ÉPICES ODORANTES SATURENT LES SENS
••• Un spectacle que l’on quitterait à regret si
l’aventure ne se poursuivait sur une Royal
Enfield, moto de collection au vrombissement enivrant.
Découvrir l’Inde au guidon de cet engin
permet d’emprunter des chemins de traverse, loin des routes périlleuses du pays
où le klaxon et une bonne dose d’inconscience sont vos seuls alliés. Un autre visage
du Rajasthan se révèle, plus bucolique et
paisible. « Tata tata tata ! » (« Coucou ! »),
hurlent en riant les enfants des villages
au passage des motos. Au gré des humeurs, l’équipée s’arrête pour admirer le
paysage verdoyant ou boire un chaï – thé
au lait parfumé. Les scènes de la vie quotidienne campagnarde défilent sous les
yeux : ici, des grappes d’enfants puisant
l’eau du puits ; là, une femme portant un
ballot d’herbe en équilibre sur sa tête.
Chacune progresse à son rythme vers les
temples de Ranakpur. Celui d’Adinatha
est le plus vaste sanctuaire jaïn, une merveille architecturale du XVe siècle tout en
dentelles taillées dans le marbre. Le temple
repose sur 1 400 piliers, tous uniques et à
la verticalité absolue... sauf un, que les
architectes ont construit de biais pour
rappeler que la main de l’homme n’est pas
celle de Dieu.
Le périple se poursuit toujours plus à
l’ouest, vers Jodhpur « la bleue ». La forteresse de Mehrangarh veille sur la ville fortifiée. Les étals de pacotille chatoyante et
d’épices odorantes saturent les sens. La
chaussée est bondée de passants, de rickshaws, de motos, de taxis qui, tous, essayent
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de se frayer un chemin en forçant le passage. A moins d’être une vache – donc sacrée –, se mouvoir n’est pas aisé. Aucune
règle de circulation n’existe, hormis la loi du
plus fort, il faut donc slalomer de concert.
Non loin de cette agitation étourdissante,
la petite ville de Rohet et sa campagne aride
offrent une escale reposante. Le prince
local s’est reconverti dans le tourisme de
luxe. Mais si le règne des maharadjahs et
des princes a pris fin avec l’indépendance
de l’Inde en 1947, Siddharth Singh n’en
garde pas moins toute son autorité et son
prestige. Les villageois et les tribus locales
viennent toujours le consulter pour arbitrer
des conflits. La paix se scelle encore avec la
cérémonie de l’opium, une des plus anciennes et secrètes coutumes de la région.
A l’origine, elle avait lieu pour galvaniser les
guerriers avant les batailles, la drogue leur
faisant oublier la peur et la douleur.
Aujourd’hui, la cérémonie est symbole
d’union et de réconciliation. Comme le
veut la coutume, l’opium dilué dans de
l’eau est bu dans le creux de la paume,
d’un homme à un autre. Distinction suprême : boire dans la main même du
prince ! Mais point de vertige addictif à
attendre : le nectar actuel est composé
d’eau sucrée à plus de 95 %.
Le voyage s’achève aux portes du Pakistan dans la touffeur du désert de Thar.
Seule la vision des troupeaux de chèvres et
leurs petites gardiennes espiègles rompt
la monotonie de cette route du bout de
l’Inde. Ecrasée de soleil, Jaisalmer apparaît
enfin. Une forteresse de grès ocre dressée
comme un mirage au milieu de la steppe rocailleuse. La ville princière était l’étape
obligée des caravaniers qui transitaient
entre le Moyen-Orient et l’Asie dès le
XIIe siècle. Il faut se perdre dans les ruelles
de la ville pour découvrir ses merveilles,
vieux palais et havelis – maisons de marchands – aux charmes décatis. A quelques
kilomètres de là, les dunes du désert de
Sam offrent leurs courbes féminines aux
derniers rayons du soleil. Tandis que l’on
sirote un drink dans la plus pure tradition
britannique en admirant le spectacle, les
propos de Rudyard Kipling résonnent avec
justesse : « Il n’y a que deux sortes d’hommes
en ce monde : ceux à qui les Indes font peur
et ceux qui rêvent d’y retourner. » A cet instant, le doute n’est plus permis.
■ CLARA DUFOUR
A Jodhpur « la bleue », le maharadjah
propose aux voyageurs des promenades à bord
de ses voitures de collection décapotables.
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TA
KIS
PA
C A R N E T D E VOYAG E
Un visa est nécessaire pour
entrer en Inde. Il est délivré par
l’organisme VFS au 42, rue
de Paradis, Paris Xe, ou via le site
www.vfs-in-fr.com. Prévoir un
montant de 50 ¤ par visa. Le délai
d’obtention est d’environ 3 jours.
Quand partir ?
D’octobre à fin mars, c’est la
meilleure période. Il y fait doux et
le ciel est clair. Les températures
varient entre 18 et 30 °C la journée,
et 0/15 °C la nuit. C’est aussi la
saison la plus touristique et les
hôtels affichent parfois complet :
faire ses réservations à l’avance.
De mai à août, l’été est caniculaire
avec des précipitations parfois
abondantes pendant la mousson
de juillet à août.
Comment y aller ?
Air France propose un vol direct
quotidien Paris/New Delhi (36.54 ;
www.airfrance.fr).
La compagnie Etihad Airways
(prix de la meilleure classe Affaires
au monde en 2009 par Skytrax)
Jaisalmer, tout en sortant des
sentiers battus à la rencontre
de Deogarh, un village aux confins
des monts Aravalli, ou de la
forteresse de Kumbhalgarh. Tarif
par personne en hébergement
double : à partir de 4 540 ¤.
Ce tarif inclut les vols (supplément
possible pendant la haute saison ;
ne comprend pas les taxes
d’aéroport) et les nuitées
dans des établissements de luxe,
petits déjeuners compris.
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IS
TA
L’Aman Delhi (00.91.11.4363.3333 ;
www.amanresorts.com) vient
d’ouvrir ses portes dans la capitale.
Havre de quiétude et de
raffinement, préservé de la fureur
de la ville, l’hôtel surprend par
son architecture moderne
et minimaliste qui fusionne à
merveille avec l’art traditionnel
indien. Toutes les 31 chambres
et 8 suites jouissent d’une piscine
privée et d’une décoration
contemporaine, au luxe cosy et
feutré, à partir de 527 ¤ par
personne. A quelques kilomètres
d’Udaipur, Devi Garh
(00.91.29.53.289.211 ;
www.deviresorts.com) allie
l’architecture guerrière des forts
rajputs au design contemporain.
Il aura fallu dix ans pour redonner
vie à ce bâtiment impressionnant
du XVIIIe siècle, doté aujourd’hui
d’une piscine et d’un jardin
luxuriant. Le résultat est bluffant.
Les 39 chambres, toutes en marbre
blanc, combinent raffinement
et dépouillement à partir de 502 ¤
New Delhi
Jaipur
RAJASTHAN
NÉPAL
CHINE
N
INDE
Océan
Indien
Désert de Thar
rt
e
és m
Jaisalmer
D e Sa
d
Sam
RAJASTHAN
Jaipur
Jodhpur
Forteresse de
Kumbhalgarh
s
t i
onvall Udaipur
Ma
Temples
Ar
de Ranakpur
Hébergement
The Serai, un havre raffiné au cœur du désert de Thar, à une heure de Jaisalmer.
assure elle aussi la liaison
quotidienne Paris/New Delhi
(01.47.42.2000 ;
www.etihadairways.com).
Tour-opérateur
Spécialiste de l’Inde, le touropérateur Horizons Nouveaux
(0.800.200.238 ;
www.horizonsnouveaux.com)
propose des voyages sur mesure
adaptés aux rêves de chacun.
Son catalogue dispose aussi
de plusieurs circuits thématiques,
mariant l’insolite et l’exclusif. Il est
possible de sillonner le Rajasthan
« au guidon d’une Royal Enfield »
ou de mener la « vie de château ».
Ce dernier circuit (16 jours à dormir
dans des palais de rêve) combine
la visite des hauts lieux touristiques
comme Udaipur, Jodhpur et
K
PA
OLIVIER CAILLEAU
Utile
N
100 km
par personne. A une heure de
Jodhpur, vient d’émerger
Mihirgarh (00.91.291.2431.161 ;
www.mihirgarh.com), un fort tout
droit sorti d’un conte. Ce nouvel
établissement tout en pisé propose
9 suites disposant chacune de sa
piscine ou de son jacuzzi privé,
à partir de 217 ¤ par personne, tous
repas compris. L’équipe se charge
d’organiser des randonnées à
cheval, un safari ou une visite des
villages environnants.
The Serai (00.91.2374.3194 ;
www.the-serai.com) se trouve
à une heure de Jaisalmer, non loin
des dunes de Sam. Ce camp fixe
dispose de 21 tentes très
confortables et joliment meublées
au chic british irréprochable,
à partir de 373 ¤ pour deux.
Tous les matins, les hôtes admirent
le paysage en sirotant une tasse
de thé ou de café sur leur terrasse
privative. Une belle piscine à
débordement les accueille à leur
retour d’excursion. Le camp est
saisonnier, de septembre à mars.
Notre coup de cœur
C’est à l’aurore que le fort de
Kumbhalgarh s’admire avec le plus
d’intensité, du haut de la colline
voisine où le camp éphémère
imaginé par Horizons Nouveaux
s’est établi. De belles tentes
confortables ont été acheminées à
dos de chameau dans cet endroit
perdu et isolé, où le luxe suprême
est de pouvoir prendre de la
hauteur, rêver sous les étoiles,
méditer loin du tumulte du monde.
L’instant magique
Voir s’éveiller la plaine de Rohet
en survolant la campagne en
montgolfière. Les ombres des
arbres et des fermettes se profilent
dans la lumière rasante du soleil
levant, créant une géographie
mouvante et émouvante.
(www.skywaltz.com).
Le bémol
Les échoppes de souvenirs et
de vêtements, tendance baba-cool
bas de gamme, qui pullulent dans
le fort de Jaisalmer et en
dénaturent la beauté. Le lieu perd
de sa superbe face à cette invasion
de magasins qui ont tout l’air des
puces de Saint-Ouen.
Lire
Le guide Rajasthan, Delhi et Agra,
Editions Michelin, allie les bonnes
informations pratiques et
culturelles. Très bien documenté
lui aussi, le guide Rajasthan,
Editions Gallimard, collection
« Encyclopédies du Voyage ».
■ C. D.
Depuis le palais
des Nuages
du fort de
Kumbhalgarh,
le panorama
est somptueux.

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