Dien-Bien-Phu - Petit village
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Dien-Bien-Phu - Petit village
A propos du site de ….. DIEN BIEN PHU P endant toute la période au cours de laquelle le monde a eu les yeux fixés sur Dien Bien Phu(1), j'ai toujours été très surpris de ne voir nulle part, dans aucun journal ni dans aucune revue, la moindre allusion au passé légendaire de cette localité, simplement désignée comme "un petit village de la haute-région tonkinoise", ou comme "un petit coin perdu au milieu de la jungle du pays thaï". Personne ne semble s'être douté que Dien Bien Phu n'est autre chose que le nom vietnamien de Muong Thêng, qui est considéré par la tradition laotienne comme le berceau et le centre de dispersion des populations thaïs. C'est sur le site de Muong Thêng qu'à l'aube des temps historiques Praya Thên, le roi du ciel, fit descendre sur la terre son fils Khun Borom. Le pays était alors un désert, une liane reliait le ciel et la terre, le feuillage d'un énorme figuier obscurcissait la région, et plusieurs courges de dimension colossale étaient suspendues à ses branches. A la demande de Khun Borom, des divinités descendirent pour abattre l'arbre et couper la liane après avoir percé les courges d'où sortirent une multitude d'hommes, d'animaux et de graines végétales. ture faite au fer rouge ne suffisait pas à leur livrer passage ; ce que voyant le Khun prît un ciseau et pratiqua de nouvelles sorties. Telle est l'origine des deux races qui peuplent le Laos ; les Khas sont ceux qui sont sortis par les entailles du ciseau. Les Khas sont noirs et portent les cheveux en chignon ; les Thaïs ont le teint clair et les cheveux courts(2) !" Cette légende, qui est une des plus populaires au Laos, comporte de nombreuses variantes. Les différentes versions s'accordent pour dire que Khun Borom, ayant eu sept fils des deux épouses qu'il avait amenées sur terre, assigna à chacun d'eux un des sept pays que voici : le pays du million d'éléphants (Luang-Prabang) ; le pays Poueun (Chieng Khuang et le Tranninh); le pays Ho (Sip Song Pan Na en Chine méridionale) ; les Sip Song Chau Thaï (HautTonkin et vallée de la Rivière Noire) ; le pays Youn (Chieng Mai) ; le pays d'Ayuthya (Siam) ; le Pégou ou Basse-Birmanie. Muong Thêng — Dien Bien Phu est un site privilégié, destiné par sa situation géographique à jouer un rôle important dans les mouvements de population venant du Nord en direction du Sud, du Sud-Ouest et du Sud-Est ; il commande les communications entre le Tonkîn et le Laos. "Les hommes étaient si nombreux que l'ouver---------(1) La substance de cette note a été communiquée à l'Académie des Sciences Coloniales dans sa séance du 7 mai 1954, le jour même où parvenait à Paris, la nouvelle de la chute de Dien Bien Phu. (2) L. Finot, Recherches sur la littérature laotienne, "Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient", XVII, 5, 1917, page 160. © FNAOM-ACTDM / CNT-TDM 1 C'est ce que Deovan-Trï expliquait dès 1890 à Auguste Pavie, dans le journal de qui l'on peut lire(1) : "23 avril — Nous voici enfin réunis à Thêng. L'utile présence de Deo-vanTri a fait instructive la course accomplie une troisième fois. Il connaissait bien l'entière région depuis le delta, jusqu'à Yunnan-Fou et Luang Prabang. Il nous répétait ce qu'on m'avait dit partout au Laos, ce que je savais par expérience, que la rivière Noire, le chemin par monts de Lai(2) jusqu'à Thêng, le torrent Nam Ngoua, le cours d'eau Nam Hou formaient dans l'état d'utilisation simple de la nature, la voie la meilleure d'Hanoï au Mékong." Ce n'est donc pas par hasard si, après avoir subi le passage des bandes chinoises, avoir été occupé par les Siamois et ravagé par les Méos Dans une rue de Dien Bien Phu en1872, Muong Thêng — Dien Bien Phu, au cours des événements de 1887 dont Auguste Pavie fut à la fois le témoin et l'acteur, changea encore deux fois de mains, et fut occupé successivement par les Thaïs de Deo-van-Tri au cours de leur marche dévastatrice sur Luang Prabang et finalement par les troupes françaises du colonel Pernot. C'est à Muong Thêng enfin, gu'en décembre 1888, le général siamois Phya Surisak remit à Auguste Pavie l'administration des cantons thaïs reconnus désormais français par la cour de Bangkok. Ce n'est pas davantage un hasard si le haut commandement français en Indochine à la recherche d'un bastion destiné à interdire l'accès du Sud au gros de l'armée vietminh, a choisi le site légendaire où jadis un pont aérien reliait le ciel et la terre, et d'où les hommes issus des courges miraculeuses essaimèrent vers les vallées méridionales. Une femme Méo regarde descendre du ciel les parachutistes du général Gilles Le "Figaro", a publié en son temps un intéressant article du général Gilles, commandant les parachutistes en Indochine, qui tel Khun Borom descendit du ciel à Muong Thêng le 21 novembre 1953 pour exécuter cette opération "Castor" ayant ---------(1) A la conquête des cœurs, Haris, 1947, page 363. (2) Lai Chau. © FNAOM-ACTDM / CNT-TDM 2 pour objectif d'établir le camp retranché de Dien Bien Phu, sur les arrières des divisions vietminh en marche vers le Laos. On lit dans cet article, que Dien Bien Phu est mieux placé stratégiquement que Lai Chau et que la mise en place d'un groupement important à Dien Bien Phu permettait d'intercepter les communications vietminh en direction de la Nam Ou et de Luang Prabang ; elle couvrait ainsi le Laos... Il est curieux de constater, ajoute le général Gilles, qu'une toute récente déclaration du commandant en chef vietminh Giap à un journal étranger confirme l'importance donnée à Dien Bien Phu par le commandement français. Le chef vietminh y indique en effet que Dien Bien Phu est à ses yeux la base la mieux placée pour le contrôle de l'Asie du Sud-Est, et c'est pour cela qu'il l'a attaquée". Si, au lieu d'être réduites à se laisser enfermer dans une cuvette, nos troupes avaient été assez nombreuses pour pouvoir tenir les crêtes environnantes, il est permis de se demander si la campagne d'Indochine n'aurait pas connu un sort différent. Il m'a en tout cas semblé intéressant de rappeler que Dien Bien Phu, dont le nom s'est inscrit en lettres de sang et de feu dans le livre d'or de nos gloires militaires, possédait déjà, sous le nom de Muong Thêng, un passé remontant aux temps légendaires de l'histoire laotienne. Ce passé, qui semble avoir été complètement oublié, le prédestinait à être choisi pour verrouiller l'accès du Laos par le Nord et à jouer une fois de plus le rôle que la géographie lui a toujours assigné. G. COEDES. Paru dans la revue "Tropiques" n° 370 - février 1 955 © FNAOM-ACTDM / CNT-TDM 3