Multi Pluri Inter ou Trans - Inter

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Multi Pluri Inter ou Trans - Inter
Document de réflexion
Inter-Mondes Belgique Des différences entre Inter-, Multi-, Pluri- et Trans-...
culturel
Marc Totté, janvier 2015
1. Introduction
Face à la recrudescence de ces termes, et leur usage bien souvent équivalent
dans les discours, il semble utile de clarifier les différences entre ces notions. L’analyse de la
littérature témoigne de l’intérêt très récent pour ces concepts. Jusqu’il y a peu, ils étaient
étonnamment absents des dictionnaires même spécialisés1. Je partirai des notions de Multi- et Pluriappliquées respectivement à la « culture » et à « l’acteur » - parce qu’elles sont les plus couramment
utilisées, souvent de manière équivalente, mais dans des sens variables selon que l’on évoque la
«culture» ou l’ « acteur ». Ce qui complique l’interprétation est que « ces termes renvoient à des
concepts qui ont été développés dans différents champs disciplinaires, dans des acceptions qui ne
renvoient pas nécessairement au sens premier du préfixe qui, cela dit, est lui-même rarement
univoque"2. Je traiterai ensuite de l’interculturel et du transculturel, notions apparemment plus
consensuelles.
L’enjeu est surtout de discuter à travers ces notions du rapport à l’altérité. Cela nous amènera à
parler également de conception de la culture et du changement (bien que de manière très sommaire
ici). Il va de soi que ces questions mériteraient un voire plusieurs ouvrages. Cette note n’a donc pas
d’autres prétentions que de fournir un peu de matière pour inciter la curiosité du lecteur et lui
faciliter un travail d’investigation plus profond.
Dernière remarque importante : s’il faut savoir que ces concepts – multi-, pluri-, inter-, trans-,
dialogue interculturel, traduisent des choix politiques et des approches différentes, il apparait tout
aussi important de ne pas se laisser enfermer dans l’un ou l’autre concept, mais de les mobiliser de
manière à mieux questionner sa pratique. La prétention de cette note n’est certainement pas de
convaincre d’adopter une approche au détriment des autres. Par contre, elle va plutôt dans le sens
de montrer qu’il y a bien une hiérarchie dans les manières de prendre en compte l’altérité, de
positiver les différences, afin de construire un ou des « communs », un ciment, au-delà des
différences. Il n’est pas anodin à cet égard de constater que c’est du Canada que viennent la plupart
des références les plus précises sur ces questions, alors que chez nous (France, Belgique) les
concepts ont du mal à être investis, confirmant un certain « déni des cultures » cher à Hugues
Lagrange.
1
Voir Jacques Demorgon sur la question (points 15 à 17) Les premières mentions de multi, inter et transculturel apparaissent en 1989 dans le petite Larousse Grand format ; en 1993 dans le dictionnaire hachette illustré et en 1996 dans le Petit Robert. Il apparait (sous une forme ou une autre) fin des années ’90 dans les dictionnaires spécialisés de sociologie, de psychologie ou de pédagogie. http://questionsdecommunication.revues.org/4538#tocto1n1 2
Lemaire E., 2012, « Approches inter, trans, pluri, multiculturelles en didactique des langues et des cultures ». International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes, n° 45-­‐46, p. 205-­‐ 218. 1 Document de réflexion
Inter-Mondes Belgique 2. Multiculturel ou pluriculturel ?
Le Multi-culturel est sans doute la notion la mieux définie : elle relève du simple constat de la coexistence de plusieurs cultures dans une société ( Kollwelter 2008 ; voir aussi Camilleri ; Demorgon
2003, Anderson 20053). Martucelli (1996, p. 684) par exemple considère que « le multiculturalisme,
à la suite du processus d’individualisation moderne, exprime l’exigence de la différence dans le
domaine public ». Vermès (2002, p.16) y voit « ... une représentation fixiste des différences
culturelles », qui « représente plus un danger qu’une réponse satisfaisante ». Le multiculturalisme
en d’autres termes est la simple reconnaissance des différences, mais sans tenter de trouver à les
faire se rencontrer de quelque manière que ce soit. Le modèle socio-politique bien souvent évoqué
pour l’illustrer est le modèle Nord-américain, qui fait coexister les cultures dans des ghettos et des
réserves, au demeurant en encensant les identités culturelles, mais sans faciliter leur rencontre
dialogique.
La notion de pluriculturel est généralement associée au multiculturel de manière quasi
équivalente. Certains auteurs font cependant une différence, en ce sens que le pluriculturel –
plusieurs cultures dans une même société, un même pays – contient l’idée d’une convergence : «
qui s’inspire de plusieurs cultures » informent plusieurs dictionnaires (dont le Centre National de
Ressources Textuelles et Lexicales). La diversité est là pour « inspirer » quelque chose qui est
appellée à former une nouvelle cohérence, un nouveau tout. Il semble y avoir consensus pour
trouver une motivation autre que le travail sur les cultures elles-mêmes, en ce sens que la notion
est orientée vers une finalité extérieure au fait culturel. C’est notamment le cas dans le domaine de
la recherche ou la notion de pluridisciplinarité suppose, au contraire de la «multidisciplinairité»
(des recherches menées en parallèle) le fait de faire converger les différentes disciplines dans un
programme commun de recherche, sur un même objet d’étude5. La « rencontre » des disciplines
est limitée aux objectifs de l’étude. Il n’y a pas recherche de modification de chacune des approches
disciplinaires du fait de ces échanges. C’est le résultat qui est visé plus que le processus de mise en
dialogue des disciplines à des fins d’évolution. Les interactions sont faibles et limitées comme en
témoigne cet extrait :
Une équipe fonctionnant sous une approche multidisciplinaire se caractérise par la présence de
disciplines, la juxtaposition de celles-ci de façon parallèle et sans rapport apparent entre elles. Quant
aux membres d'une équipe évoluant selon un mode pluridisciplinaire, seulement quelques disciplines
sont présentes et en interaction. Il s'agit davantage d'une coexistence de plusieurs disciplines, où l'on
retrouve peu d'interactions entre les différentes disciplines professionnelles.
(Source) Expérience de l'Institut de réadaptation en déficience physique de Québec (IRDPQ)
La notion est utilisée en psychologie de l’individu, où elle est à l’origine d’une école qui conçoit
tout individu comme pluriculturel, forgé par différents registres de valeurs et de normes. Ici
également on peut comprendre que « pluriculturel » représente plus que la somme des parties, mais
3
Anderson, P., 2005, « Le Multiculturalisme ». Tisser le lien social. Ed. Alain Supiot. Paris : Maison des
sciences de l’homme,. 105-117.
4
MARTUCELLI D., 1996, L’ethnicisation dans les sciences sociales, Paris, PUF, Que sais-je ? 5
Il s'agit ainsi de faire coexister (que ce soit consciemment ou non) le travail de plusieurs disciplines à un
même objet / sujet d'étude. L'objectif de la pluridisciplinarité est ainsi d'utiliser la complémentarité intrinsèque
des disciplines pour la résolution d'un problème. http://fr.wikipedia.org/wiki/Pluridisciplinarit%C3%A9 2 Document de réflexion
Inter-Mondes Belgique que son intérêt est moins dans la recherche d’une interaction entre cultures que dans « l’inspiration
» de celles-ci à produire un sujet particulier. Il n’est donc pas nécessaire de savoir précisément de
quelles cultures il s’agit ni comment l’alchimie se produit entre elles. Le résultat est largement
inconscient, ou plus précisément, n’est pas travaillé de façon à savoir ce qui produit quoi et
pourquoi ? C’est le résultat qui est porté par la notion de « pluri- », moins le processus lui-même.
Cette caractéristique est encore plus manifeste dans la notion de Pluri-acteur. De plus en plus
utilisée dans le monde du développement, elle suppose la prise en compte de diverses catégories
d’acteurs en vue d’améliorer la définition, la mise en œuvre et l’appropriation collective d’un
programme, d’une politique. On lui prête ainsi la potentialité d’obtenir plus d’impact, plus de
pérennité6. La finalité ici, se trouve être le programme ou la politique de développement. Le Pluriacteur devient l’art de mettre différentes catégories autour d’un même enjeu, par exemple
l’Education. Ce n’est pas tant la confrontation entre différentes conceptions qui est recherchée ici
que l’orientation de chacune des conceptions autour d’objectifs communs.
On comprend bien que pour ces programmes, ce soit moins la diversité de pensées et de
représentations qui soit travaillée, que la diversité catégorielle. La logique est de favoriser une
participation large (avec ce que cela peut avoir de consensuel voire de purement quantitatif en
pratique) plutôt qu’une réelle comparaison (voire confrontation) de points de vue différents.
On peut donc retenir que le Multi- est essentiellement la reconnaissance de la diversité mais
sans recherche d’articulation, comme simple juxtaposition ; alors que le Pluri- concerne la
résultante de cette diversité, mais dans la perspective d’une orientation générale commune et
sans influence sur chacune de ces cultures.
3. Interculturel et transculturel
L’interculturel concerne unanimement les interactions, les contacts, le dialogue entre les cultures.
Contrairement aux deux notions précédentes, l’interculturel qualifie un processus, une dynamique,
plutôt que des « états ». Il n’est pas a priori associé à une finalité particulière sinon celle de mieux
faire dialoguer les cultures, sans autre objectif prédéfini que celui-là. L’enjeu n’est pas sans
difficulté :
« Dans sa Critique de l’interculturel, Demorgon se distancie cependant d’un « interculturel
volontariste » (2-3), qui de manière idéaliste entend faciliter les contacts entre cultures, dans une
conception peu dynamique et peu évolutive des cultures, où les caractéristiques culturelles sont
envisagées comme stables. Ce dont se distancie Demorgon est en fait un positionnement qui entend
combler, avec de bonnes intentions, « l’intervalle » (cf. sens étymologique d’« inter ») entre deux
cultures posées comme des entités fixes et distinctes. Le sociologue défend un « interculturel factuel
», en tant que réalité indissociable de l’activité humaine. Dans la même veine que Camilleri (et al.),
qui conçoit l’acculturation comme l’altération nécessaire et réciproque des uns et des autres,
individus ou groupes, en situation de contact, Demorgon envisage l’interculturalité comme un fait et
6
F3E Inter-Mondes 2014. Agir en pluri-acteurs pour une Education de Qualité. 2 tomes. Paris F3E
3 Document de réflexion
Inter-Mondes Belgique la culture comme un processus adaptatif, entre ouverture, fermeture et recherche de stabilité, et non
comme des entités. Dans le Guide de l’interculturel en formation, qu’il codirige avec Lipiansky, on
peut ainsi lire que l’approche interculturelle a pour but de faire passer « de la culture dictée par le
groupe, imposée comme une transcendance à celle conçue comme un dialogue avec les autres, c’està-dire de la culture-produit à la culture-procès » (Demorgon 2011). Elle vise également à faire
émerger les raisons des relations à l’altérité et à les expliquer. » (Lemaire 20127)
A la différence du pluriculturel qui lui aussi envisage le dialogue et l’interaction mais en creux
(presque par hasard), l’interculturel promeut la perspective que la rencontre dynamique des
différences aboutissent à des constructions, éventuellement fragmentaires et fragiles mais marquant
cependant une véritable différence avec les fractions culturelles de la rencontre desquels il est issu.
Les interactions sont donc productives en ce sens qu’elle créent de l’inédit, du moins à l’échelle de
chaque culture prise séparément.
Le transculturel suppose d’avoir dépassé la mise en dialogue et se situe dès lors au-delà. Comme
le suggère le préfixe trans-, l'approche transculturelle se situe au-delà des cultures : elle permet
d'accéder à un métaniveau, propice à une plus-value interculturelle. On retrouve l’idée de finalité,
de résultat, mais avec la perspective de transformation d’une partie de chacune des cultures, de
manière à disposer de valeurs et normes communes, mieux assumées par tous et chacun :
Selon Edgard Morin, il existe de multiples courants transculturels, qui irriguent les cultures tout en
les dépassant, et qui constituent une quasi-culture planétaire. Métissages, hybridations, personnalités
biculturelles (Rushdie, Arjun Appadura) ou cosmopolites enrichissent sans cesse cette vie
transculturelle. Au cours du XXe siècle, les médias ont produit, diffusé et brassé un folklore mondial
à partir de thèmes originaux issus de cultures différentes, tantôt ressourcés, tantôt syncrétisés.
Le transculturel va donc plus loin que le pluriculturel en ce sens précis qu’il envisage les effets de
l’interaction, au sein de chacune des cultures et non plus seulement à leur carrefour. La question
que pose ces deux termes est bien de savoir si ce métissage, cette hybridation est maitrisable ou en
tout cas peut être accompagnée. La transculturalité apparait, dans les définitions, plus subie que
l’interculturalité où il y a, comme le montre Demorgon, une volonté consciente, délibérée, même
si celle-ci peut être idéalisée. Entre ces deux termes se joue en fait une question importante, celle
de la conception de la culture et derrière elle, celle de la conception du changement : conception
comme produit ou comme procès ? Soit on considère le changement (et la culture) comme un
produit et donc c’est la transculturalité qui est mise à l’honneur, soit on le considère comme un
processus (le passage d’un état à un autre, éventuellement avec inversions et rétroactions) et alors
c’est plutôt l’interculturel qui sera à l’honneur. Avant de discuter de cette question importante, on
peut retenir quelques enseignements.
7
Lemaire E 2012 Approches inter, trans, pluri, multiculturelles en didactique des langues et des cultures »
http://id.erudit.org/iderudit/1009903ar
4 Document de réflexion
Inter-Mondes Belgique 4. Synthèse et discussion
Synthèse
Multiculturel = chacun chez soi dans sa différence (les particularités pouvant être encensées) (USA)
Pluriculturel = la valorisation d’une pluralité vers une voie commune (France laïque et républicaine)
Interculturel = démarche, processus volontaire, de mise en dialogue des différences culturelles.
Transculturel = transcendance et transformation des particularismes.
Sur base de ces rapides analyses il est possible de proposer deux « modèles » de représentations
schématiques pour fixer les idées :
- l’un, plutôt de nature « systémique », pensé en termes de fonctionnement, de « procès » entre 3
pôles. A la base on peut voir que le multi- s’oppose au pluri- mais reste bien sur un même plan. Un
plan où il n’y a pratiquement pas de travail sur les interactions possibles entre cultures. L’inter- est
bien le processus particulier qui, au milieu, fait de la culture l’objet central de son travail de mise
en dialogue et en «interpellation » réciproque. Le trans- étant placé au sommet, comme la résultante
recherchée (et non plus aléatoire et hasardeuse), donc plus ou moins déterminée, de l’interaction
entre cultures. La représentation triangulaire exprime que tout cela peut se passer dans un même
organisme, une même société, un « système », à un moment particulier. C’est donc la tension entre
simple coexistence (multi) et, de l’autre côté du plan, volonté de tout mettre dans le même (pluri-,
ou l’UN-pluriel) qui crée certaines possibilités de faire dialoguer et interagir consciemment (inter) les différences, avec au-dessus, la perspective de faire quelque chose de plus de ce travail qui
transcende tout en transformant les différences, selon un cycle jamais achevé. Ce n’est pas la simple
somme des différences qui produit aléatoirement un tout comme dans le « pluri-», mais
l’articulation organisée, pensée, qui transforme les parties en un nouveau tout.
- l’autre représentation conçoit les rapports en termes plus « évolutionniste » ou en tout cas
historique, selon une flèche de temps, une histoire : chacune des cultures étant dans un premier
temps isolées l’une par rapport à l’autre (Multi), la coexistence débouchant sur une identité plurielle
différente de ce que chaque partie offre séparément (Pluri). Puis les inévitables interactions
deviennent l’objet d’une attention particulière (Inter), et permettront de construire une nouvelle
société articulant mieux les différences en les valorisant.
5 Document de réflexion
Inter-Mondes Belgique Discussion
L’intérêt de ces représentations est de prendre conscience que ces notions, différentes et non
interchangeables, sont bien plus en interaction qu’en opposition. Avec quelques nuances selon les
modèles.
Le modèle «historico-évolutionniste» conçoit plus les choses en termes de tendance inscrite
quelque part (à l’instar d’un principe anthropique ?). Avec l’idée que les tendances multiculturelles
et différentialistes (Afrique, USA) seraient paradoxalement anciennes, et que les tendances
universalistes et pluriculturelles seraient plus récentes (Europe, Moyen-Orient8). Mais, selon ce
modèle on pourrait dire qu’il n’y a pas encore de pays qui ont fait de l’interculturel ou du
transculturel un projet de société. Dans cette représentation c’est le résultat, la finalité qui compte,
et on peut la poser comme encore loin d’être établie. Le modèle « systémique » considère plus les
choses comme étant en procès permanent. Chacune des sociétés fonctionneraient autour de ces 3
pôles avec une tendance, selon les époques ou les cycles, à soit plus de différentialisme (chacun
dans son ghetto ou sa réserve dans une société multiculturelle), soit plus d’orientations vers une
seule identité générale (comme dans le pluri) où soit encore sur une voie transcendante qui laisse
place aux différences tout en les transformant en permanence.
On peut relier le premier modèle à une conception plus figée de la culture, surtout produite par une
histoire et à une conception du changement par les issues (voilà ce qu’il faut changer, voilà ce
qu’on veut atteindre). Le second modèle laisse plus de place à la possibilité qu’il existe des
dynamiques, au sein des sociétés, permettant des interactions culturelles, et du changement, des
transformations par l’activité en cours, sans orientations déterminées9.
8
9
Foyer des religions monothéistes, universalisantes ? A l’image des langues-dialectes qui selon les époques se perdent dans une langue ou reprennent vigueur 6 

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