algie vasculaire de la face
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Neuro 47 - 12-16 Clinique 8/04/03 16:22 Page 12 CLINIQUE ALGIE VASCULAIRE DE LA FACE Du diagnostic à la prise en charge Encore méconnue, l’algie vasculaire de la face est une céphalée invalidante pour le patient, pendant mais aussi entre les crises. Virginie Dousset* algie vasculaire de la face (AVF) est une des céphalées primitives les plus sévères, et c’est pourtant une céphalée primitive dont la prise en charge est mal codifiée. L’appellation officielle anglosaxonne cluster headache ne date que de 1952 (Kunkle). et pourtant bien moins connue. D’autres travaux réalisés dans des centres de consultations spécialisées (consultations céphalées) rapportent une fréquence de 6 % (3) à 8 % des consultations sur un an (4, 5). UNE PATHOLOGIE FRÉQUENTE On retrouve les critères IHS classiques, c’est-à-dire au moins 5 crises répondant aux critères suivants : • douleurs unilatérales sévères orbitaires, supra-orbitaires et/ou temporales, ayant une durée de 15 à 180 minutes ; • associées à au moins un signe vasomoteur homolatéral, les plus fréquents étant le larmoiement et l’injection conjonctivale ; • une à 8 crises par jour ; • l’interrogatoire, l’examen clinique, et/ou les examens complémentaires ont éliminé toute autre pathologie lésionnelle. L’ Le diagnostic est avant tout basé sur l’anamnèse. L’AVF est encore sous-diagnostiquée, vraisemblablement aussi en raison des fréquentes confusions avec la maladie migraineuse. En effet, on peut rencontrer d’authentiques signes migraineux au cours des crises d’AVF (photo-phonophobie, auras migraineuses). De plus, beaucoup d’études réalisées en population consultante indiquent que moins de 50 % des patients ont consulté pour ce motif, ce qui accentue encore le sous-diagnostic de l’affection. Les données de la littérature, représentées pour la plupart par des études réalisées en population consultante, ne sont donc que partiellement représentatives de l’ensemble de la population souffrant d’AVF. Deux études réalisées en population générale indiquent une prévalence de l’ordre de 1 pour 1 000 (2, 3). Cette prévalence en fait une affection aussi fréquente que la sclérose en plaques… * Unité de traitement de la douleur chronique, Hôpital Pellegrin, Bordeaux Neurologies - Janvier 2003 - Vol. 6 QUELLES CARACTÉRISTIQUES CLINIQUES ? FAUT-IL FAIRE DES EXAMENS COMPLÉMENTAIRES ? Il n’existe pas, dans la littérature, de guideline officielle concernant la réalisation d’une imagerie encéphalique chez un patient atteint d’AVF. Dans ce domaine, persistent beaucoup d’interrogations. Voici les réponses que nous proposons : • dans les formes épisodiques typiques, de début récent, répondant bien aux traitements de crise et de fond : non ; • dans les formes chroniques : oui ; • devant une ou des atypies cliniques : oui. La justification de cet examen repose sur l’existence d’authentiques pathologies lésionnelles (adénome hypophysaire, méningiome de l’aile du sphénoïde…) révélées par ce qui semblait être une AVF typique. Il est intéressant TABLEAU 1 - CE QUI CARACTÉRISE L'ALGIE VASCULAIRE DE LA FACE. 4 éléments cliniques constants • Unilatéralité • Sévérité • Localisation orbitaire ou orbito-temporale • Durée inférieure à 4 heures 4 éléments cliniques plus variables • Irradiations (mâchoire, oreille, hémicrâne, région cervicale, épaule) • Intensité • Forme (existence de formes intermédiaires dans 10 % des AVF) • Durée, qui peut varier de 15 minutes à moins de 4 heures 12 Neuro 47 - 12-16 Clinique 8/04/03 16:22 Page 14 CLINIQUE de noter que, dans le cas de l’adénome hypophysaire, l’AVF pourrait être améliorée par le traitement de l’adénome (inhibiteurs de la GH, inhibiteurs de la prolactine) (6). DES FORMES FAMILIALES de façon formelle, tant les études prospectives sont peu nombreuses. Il existe cependant peu de formes actives au-delà de 75 ans. Manzoni (4) cite certains facteurs pronostiques péjoratifs : la survenue tardive de l’affection, des formes épisodiques qui évoluent depuis plus de 20 ans, le sexe féminin. Il est important d’interroger le patient sur ses antécédents familiaux. En effet, depuis plusieurs années, les connaissances sur la génétique de l’AVF proLes formes épisogressent et indidiques sont les plus quent que les f r é q u e n te s , p u i s formes familiales Les facteurs qu’elles représentent sont probablepronostiques 80 % des cas d’AVF. ment plus fréElles correspondent quentes qu’on ne péjoratifs : la survenue aux critères cités préle pensait. Il existe tardive de l’affection, cédemment, mais il dans la littérature faut observer au moins 7 paires de des formes 2 périodes (de 7 jours jumeaux monoépisodiques qui à un an), séparées par zygotes. Deux des rémissions d’au publications évoluent depuis plus de moins 14 jours. récentes souli20 ans, le sexe féminin. gnent la fréquence La forme chronique, des formes famiquant à elle, repréliales : El Amrani sente les 20 % restants. Là encore, tous (7) trouve des antécédents familiaux les critères sont réunis, mais il n’existe d’AVF chez 10 % des patients, Leone (8) aucune période de rémission pendant chez 20 % des patients. De plus, Leone un an, ou bien les phases de rémisa calculé que le risque d’être atteint d’une sion durent moins de 14 jours. AVF est multiplié par 39 pour un apparenté du premier degré, et par 8 pour Dans 50 % des cas, il est vraisemblable un apparenté du deuxième degré. que les formes épisodiques le resteCependant, malgré ces études, on ne ront, et que les formes chroniques resconnaît pas le mode de transmission tent chroniques. Cependant on sait de l’affection. que, pour 10 % des patients, il y a passage d’une forme à l’autre. De plus, il QUELLE ÉVOLUTION ? existe aussi des formes intermédiaires Le patient interroge souvent le médecombinées, avec des périodes actives cin sur la durée d’évolution de sa malaplus courtes, ou plus longues. die, mais il est difficile de lui répondre TABLEAU 2 - LES MÉDECINS ET LA PRISE EN CHARGE DE L’AVF (10). • Délai diagnostique moyen : plus de 6 ans • Dans 75 % des cas le patient a eu un scanner ou une IRM • 5 à 20 % des patients ont eu une chirurgie • Le diagnostic est fait par un neurologue dans plus de 50 % des cas • Le diagnostic est basé sur l’anamnèse Neurologies - Janvier 2003 - Vol. 6 14 QUELLES SONT LES CAUSES DE L’AVF ? Il est toujours difficile de répondre à cette question. La physiopathologie de l’AVF est vraisemblablement multifactorielle, impliquant plusieurs sites anatomiques et plusieurs neurotransmetteurs : • le système trigémino-vasculaire ; • les afférences céphaliques du système nerveux autonome (en effet, il existe des connexions entre le parasympathique et le système trigémino-vasculaire) ; • l’hypothalamus postérieur (9) ; • le modèle neurovasculaire ; • la sérotonine ; • le NO ; • des anomalies de l’oxydation mitochondriale ; • des anomalies de la transduction cellulaire. ■ Rôle du tabagisme Outre ces hypothèses physiopathologiques fondamentales (11), plusieurs études ont montré qu’il existe une association significative entre AVF et tabagisme. Cette association semble encore plus nette pour les AVF chroniques. Il ressort de ces études que l’intoxication précède la maladie d’au moins une dizaine d’années. En revanche, la nature du lien entre AVF et tabac n’est pas encore précise : le tabac est-il une cause de l’AVF ? Tabagisme et AVF sontils la conséquence d’un même processus (gène de susceptibilité aux deux problématiques) ? Cette dernière question fait référence à des publications indiquant que certaines anomalies, notamment psychopathologiques, rendraient les patients plus susceptibles de développer à la fois un tabagisme et une AVF. On peut également penser que, sur un terrain génétique prédisposant, le tabagisme joue le rôle d’un facteur précipitant dans le développement de l’affection. 7 % des patients incriminent le tabagisme comme facteur déclenchant possible de l’affection. Cependant, lors des crises, 50 % des patients ne modifient pas leur Neuro 47 - 12-16 Clinique 8/04/03 16:22 Page 15 CLINIQUE de sumatriptan. Dans la mesure où il peut y avoir jusqu’à 8 crises par jour, se pose le problème de l’utilisation d’un nombre d’injections supérieur à la posologie quotidienne maximale légale (pas plus de 2 injections par Il semble qu’une seule étude se soit jour). penchée sur l’intérêt de l’arrêt du Chez les gros fumeurs, il faut également tabac. Il s’agit d’une enquête effectuée s’assurer qu’il n’existe pas d’épisode sur un site Internet. Même si la méthod’angine de poitrine. Chez ces patients, dologie est discutable, l’intérêt de avant de prescrire le sumatriptan, il est cette étude réside dans la taille de raisonnable de demander aussi un avis l’échantillon (789 patients atteints cardiologique, tout en expliquant au d’AVF ont répondu au questionnaire). patient qu’on s’assure ainsi de l’abCette enquête rétrospective portait sence d’une coronaropathie soussur l’influence de l’arrêt du tabac sur jacente, pouvant constituer une contrel’évolution de l’AVF. D’après les réponses indication à cette prescription. des correspondants, seulement 3 % des Il est aussi nécespatients ont noté saire d’informer le une amélioration de On peut penser que, sur patient de la posl’affection après sibilité de survearrêt du tabac (12). un terrain génétique nue d’un effet prédisposant, secondaire potenD’autres travaux tiellement angoissuggèrent que le le tabagisme joue le rôle sant pour le patient: tabac n’est pas le d’un facteur précipitant une douleur ou seul facteur de gêne thoracique, risque, la respondans le développement sans rapport avec sabilité de l’alcool a de l’affection. un spasme coroété aussi évoquée. narien. Les données sont cependant moins nettes que pour le tabac. ■ L’oxygène L’oxygène est la deuxième alternative pour le traitement de la crise. COMMENT TRAITER LES Une étude versus air inhalé a prouvé CRISES ? son efficacité dans 80 % des crises (14). De façon pragmatique, il est possible ■ Le sumatriptan SC de le proposer au patient lors d’une Actuellement, le sumatriptan injechospitalisation brève, ou lors d’une table (Imiject®) est le traitement de la consultation s’il se produit une crise crise à proposer en première intention à ce moment là. Pour les formes épichez les patients atteints d’AVF, en l’absodiques inférieures à 3 mois, il est sence de contre-indication avérée ou possible de prescrire le traitement potentielle. Ce traitement est efficace sur une ordonnance normale. En durant les 15 premières minutes qui suirevanche, pour les formes chroniques, vent l’injection sous-cutanée de 6 mg au-delà de 3 mois, il faudra faire une de sumatriptan et ce, pour 74 % des crises demande d’entente préalable. Le trai(13). Ceci est probablement lié à l’obtention tement est intégralement remboursé d’un pic plasmatique à la 14e minute après par la sécurité sociale. cette injection unique. En première intention, et en l’absence de contre-indication, on propose donc ■ L’abus de sumatriptan à ces patients l’injection sous-cutanée Cependant, certains patients ayant 6 à consommation tabagique. 1/4 des patients augmente sa consommation pendant une période douloureuse et 1/4 des patients la diminue. 15 8 crises par jour et pour lesquels l’oxygène est inefficace, vont utiliser, malgré les recommandations, plus de 2 ampoules de sumatriptan par jour. Certains patients ont signalé que l’utilisation régulière de sumatriptan rend les crises plus fréquentes, ou bien que les crises deviennent plus résistantes au traitement. Il existe une seule publication dans la littérature sur ce sujet (15) Nous avons réalisé nous-même une étude prospective chez 88 patients (10 femmes et 78 hommes) chez lesquels nous avons recherché et quantifié la notion subjective de surconsommation de sumatriptan injectable. Sur 67 questionnaires complets, nous avons dénombré 47 patients utilisateurs réguliers de sumatriptan injectable, qui n’utilisaient que ce produit comme traitement de crise. Un nombre important de patients a respecté les prescriptions légales, mais pour un nombre non négligeable de patients, le nombre maximal d’injections quotidiennes déjà utilisé au cours d’une crise était très supérieur aux recommandations légales (3 à 8 injections par jour), voire très au-delà (10 à 13 injections par jour). Sur les 47 utilisateurs exclusifs de sumatriptan, 4 étaient toxicomanes. Ce sont effectivement eux qui utilisaient les plus grandes quantités de ce médicament. Le sumatriptan injectable reste un traitement remarquable de la crise d’AVF. Mais il est vraisemblable que, chez certains patients, son utilisation régulière pourrait modifier le mode évolutif d’une période douloureuse. Plusieurs hypothèses peuvent être soulevées : comportement addictif, trouble anxieux, facteurs pharmacologiques (saturation, down regulation des récepteurs). D’autres études sont nécessaires. ■ En pratique Quand le patient a plus de deux crises par jour de façon régulière, il peut associer en alternance sumatriptan et oxygène. Neurologies - Janvier 2003 - Vol. 6 Neuro 47 - 12-16 Clinique 8/04/03 16:22 Page 16 CLINIQUE QUEL TRAITEMENT DE FOND ? ■ Le vérapamil Le plus utilisé reste le vérapamil (Isoptine®) (16). Dans la littérature, les posologies quotidiennes sont très variables : de 120 à 720 mg/jour pour les formes épisodiques et de 120 à 1 200 mg/jour pour les formes chroniques. De plus, lors de discussions avec les spécialistes, nous constatons que chacun a des pratiques extrêmement différentes, tant du point de vue de la posologie finale à atteindre, que du mode d’instauration du traitement. Il n’existe en effet aucune publication définissant de façon précise les modalités de prescription du vérapamil. Son efficacité apparaît généralement dès la première semaine de traitement. La contre-indication principale au traitement est le bloc auriculo-ventriculaire et les principaux effets secondaires sont l’asthénie, la bradycardie, la constipation, l’œdème des membres inférieurs et, quelquefois, l’impuissance. ■ Les autres traitements D’autres traitements de fond ont été cités dans la littérature, mais de façon plus anecdotique (uniquement des études ouvertes) : le lithium (Teralithe®), le valproate de sodium (Dépakine®), la gabapentine (Neurontin®), le topiramate (Epitomax®), les corticoïdes. Ces derniers sont cités car assez fréquemment utilisés, bien qu’aucune étude n’ait encore prouvé leur efficacité dans l’AVF. ■ Sur quelle durée traiter ? Se pose aussi la question de la durée du traitement de fond. A l’heure actuelle, nous n’avons pas de données précises dans la littérature concernant la durée du traitement de fond, que ce soit pour les formes épisodiques ou les formes chroniques. Si nous restons pragmatiques, il faut demander au patient s’il connaît la durée habituelle de sa période douloureuse. Ainsi, il est possible avec Neurologies - Janvier 2003 - Vol. 6 le traitement de fond de couvrir, puis de dépasser un peu cette période douloureuse. Avec l’habitude, le patient pourra reconnaître les signes annonciateurs de la période douloureuse, et pourra alors recourir au traitement de fond avant l’apparition des premières crises ou dès l’apparition des premières crises. EN CONCLUSION Pour une meilleure prise en charge de l’AVF, il est nécessaire que d’autres études prospectives soit réalisées. Il faut renforcer les connaissances sur la variabilité clinique de l’affection, ce qui peut permettre de mieux connaître sa physiopathologie. Il serait également souhaitable de réaliser des essais thérapeutiques contrôlés. ■ MOTS-CLÉS CÉPHALÉES, ALGIE VASCULAIRE DE LA FACE, THÉRAPEUTIQUE, Une communication sur ce thème a été présentée par l’auteur aux 4e Rencontres de Neurologies. SUMATRIPTAN SOUS-CUTANÉ, VÉRAPAMIL BIBLIOGRAPHIE 1. Kunkle EC, Pfeiffer JB, Viloit WM. Recurrent brief headache in cluster pattern. Trans Am Neurol Assoc 1952; 77: 240-43. 2.D’Alessandro R, Gamberini G, Bessani G. Cluster headche in the Republic of San Marino. Cephalalgia 1986; 6: 189-92. 3. Tonon C, Guttman S, Volpini M et al. Prevalence and incidence of CH in the Republic of San Marino. Neurology 2002; 58: 1407-9. 4. Manzoni GC, Micieli G, Granelle F. Cluster headache, course over 10 years in 189 patients. Cephalalgia 1991; 11: 169-74. 5. Valade D. 2ème journées d’enseignement supérieur de la société Française d’études des migraines et céphalées. 6.Endo M et al. 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