texte de la création de Jean-Christophe Marti donnée le 9 juillet à 16h

Transcription

texte de la création de Jean-Christophe Marti donnée le 9 juillet à 16h
C’’est un chemin inattendu qui m’a conduit, alors que je réfléchissais à la forme poétique
du Transfige dulcissime Jesu mis en musique par Charpentier, au poète soufi Yunus Emré.
Très célèbre en Turquie, Yunus Emré (v. 1270 - v. 1330) est un quasi contemporain de
Saint Bonaventure, auteur de la prière du Transfige, qui créa une tradition d’adoration
mystique se poursuivant jusqu’au 17ème siècle.
Dans le contexte de l’islam, Yunus Emré exprime lui aussi une recherche spirituelle toute
de Désir mystique, de transfiguration de la douleur existentielle en espoir, de fusion
avec le divin. Sa spiritualité englobe et invoque en outre Jésus et des figures de la Bible
hébraïque. Derviche (c’est-à-dire moine) et poète errant, Yunus Emré est aussi
important en Turquie car il choisit d’écrire en turc vernaculaire, la langue du peuple que
les élites dédaignaient alors au profit du persan et de l’arabe.
J’ai découvert des poèmes d’une grande beauté, conçus à l’origine pour être rythmés par
un tambûr ou un daf, et colportés oralement. Ardents, intenses, ils peuvent être placés
en regard du Transfige dans un jeu de miroir réciproque qui me paraît d’une grande
richesse expressive.
Ce rapprochement avec le soufisme pourra inspirer l’écriture vocale aussi bien
qu’instrumentale, si l’on songe par exemple à la parenté du théorbe avec le oud.
Il s’agira de rejoindre l’atemporalité, la modernité des poèmes de Yunus Emré, ici
traduits et adaptés par le poète français Yves Régnier.
Jean-Christophe Marti, juin 2014
Extraits de Poèmes de Yunus Emré
adaptés par Yves Régnier (GLM, Paris, 1949) :
I.
Ceux qui sont ainsi venus
Qui sont passés par ce monde irréel
Ne parlent plus la bouche close.
Ceux qui nourrissent l’herbe
La bouche close ne parlent plus.
La folle avoine est sur leur tête
La ligne des cyprès droits.
O cette bravoure cette innocence
La beauté de certains
Qui bouche close ne parlent plus.
Cette chair fondue dans la terre
Ces belles voix qui parfois même
Ne s’exprimèrent.
Ne les oubliez pas dans vos prières
Ceux qui la bouche close ne parlent plus.
Yunus dit : vraiment regarde l’œuvre du destin.
Plus n’ont cils ni sourcils
Plus que ce marbre sur leur tête
Comme une syllabe close et qui ne parle pas.
X.
Pour mon Bien-Aimé je n’aurai
Plus d’âme mais seulement mon amour
Plus de raison plus d’âme
Mais l’ivresse de mon seul amour.
Je dois
Dans mon voyage traverser l’univers
Et franchir l’espace.
Je ne suis qu’un atome
Mais un atome échappé au Trésor…
IX.
(…) Je souhaite de T’appeler
Comme appelle l’amoureux qui délire.
Je désire T’appeler dans les cieux
Avec Jésus le doux
Avec Moïse sur le Mont Sinaï
Avec le misérable Job
Avec Jacob pleurant
Avec Mahomet Ton ami…