Prix Inserm - Histoire de l`Inserm

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Prix Inserm - Histoire de l`Inserm
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Prix Innovation
Gestion
de la recherche
YARA BARREIRA
Ingénieur de recherche Inserm, enseignante à l’université Paul-Sabatier et à l’École nationale vétérinaire de Toulouse, Yara Barreira dirige le Service de zootechnie de l’IFR31 Louis
Bugnard, basé à l’Hôpital Rangueil. Elle nous reçoit parmi les milliers de pensionnaires
qu’elle élève au service de la recherche.
L’Hôpital de Rangueil est installé sur les contreforts méridionaux de Toulouse. Il domine la
plaine au sud de la Ville Rose, où des zones industrielles sont en passe d’être remplacées par
des secteurs d’activité tertiaire, notamment un campus de 200 hectares dédié au futur
cancéropôle. L’hôpital de Rangueil est situé non loin de l’usine AZF, qui avait explosé
quelques années plus tôt, et plusieurs arbres en portent encore les stigmates. « Nos locaux
sont assez protégés et nous n’avions subi aucun dommage à l’époque », se souvient Yara
Barreira. Une chance qu’ils aient été épargnés : ils abritent quelques milliers de pensionnaires
impliqués dans de nombreux travaux de recherche. Des souris, des rats, des porcs : nous
sommes ici au Service de zootechnie de l’IFR 31.
Les serviteurs oubliés de la recherche
La biologie et la médecine auraient-elles accompli les immenses progrès des cent cinquante
dernières années sans la drosophile, la souris, la grenouille, le lapin, le porc et bien d’autres ?
Certainement pas. Il nous manque peut-être un La Fontaine pour écrire la fable de ces animaux de laboratoire qui ont accompagné chacun des progrès décisifs de l’homme dans le
domaine de la vie et de la santé. Le Service de zootechnie dirigée par Yara Barreira a pour
responsabilité la gestion des protocoles expérimentaux impliquant des animaux pour les
laboratoires de recherche du site de Rangueil. Créé à la fin de l’année 1997, le service travaille
pour de nombreux partenaires : Inserm, CNRS, faculté de médecine de Toulouse-Rangueil,
université Paul-Sabatier et hôpital de Rangueil. Autant dire que l’animalerie ne désemplit
pas : elle accueille désormais plus de 5 000 pensionnaires par an, les rongeurs formant le gros
de la troupe.
Pour visiter le site, il faut commencer par enjamber un parapet de métal. Est-ce pour entretenir quotidiennement la souplesse de la petite dizaine de techniciens qui travaillent ici ? Non
et Yara Barreira nous donne la bonne explication : « C’est une barrière de sécurité au cas,
improbable, où un rongeur parviendrait à s’échapper de sa cage et à parvenir jusqu’à cette
sortie. Cela n’est jamais arrivé, bien sûr. Mais comme nous hébergeons ici plusieurs lignées
transgéniques, tout risque de contamination de l’environnement extérieur doit être
proscrit. »
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La sécurité fonctionne ici dans les deux sens : si les pensionnaires ne doivent pas s’échapper,
les microbes ne doivent pas pénétrer. Après le secteur conventionnel, dédié notamment à
l’hébergement des porcs, vient un secteur EOPS (exempt d’organisme pathogène spécifique)
où tout est fait pour préserver l’intégrité des rongeurs : la pression de chaque pièce est
contrôlée, les centaines de cages possèdent des couvercles filtrants et des portoirs ventilés.
Yara Barreira nous montre même certaines cages abritant des souris transgéniques et dotées
de régulateurs individuels de pression, permettant jusqu’au dernier stade de la manipulation
de chasser d’éventuels parasites : « Ce sont des souris dont le système immunitaire est affaibli et la moindre infection serait fatale à l’expérience. » Nous avons la chance d’observer de
près les fameuses souris SCID/BEIGE, une lignée dépourvue de lymphocytes T, de lymphocytes B et présentant des anomalies fonctionnelles des cellules NK, très utilisée à travers le
monde. « Notre service a mis en place un système de manipulation des SCID/BEIGE sans la
contrainte des isolateurs, précise Yara Barreira, ce qui a été reconnu comme une innovation
très utile à l’expérimentation. »
Thérapie cellulaire
sur trois modèles animaux
Contrôle et rigueur : voici les maîtres-mots du
Service de zootechnie tel que le conçoit et le
dirige Yara Barreira. « Les chercheurs qui font
appel à nous ont besoin d’être certains que
nous maîtrisons parfaitement les conditions
de vie des animaux, que nous maintenons cet
environnement à un niveau constant dès l’arrivée de l’animal. Cela permet de s’assurer que
les observations faites au cours des expérimentations, quelles qu’elles soient, proviennent bien de l’expérimentation elle-même, et
non d’un biais lié au milieu d’élevage. » La
qualité du Service de zootechnie lui a valu
d’être labellisé en 2001 plateforme technologique
RIO/RNGénopôle : « Cela nous a apporté une
reconnaissance nationale auprès des laboratoires
de recherche, privés et publics. Il a fallu
répondre à un cahier des charges exigeant sur
les bonnes pratiques de laboratoire et sur la
veille technologique, avec des contraintes très
spécifiques propres à l’élevage et à l’expérimentation animale. Et nous sommes à présent engagé pour obtenir la certification ISO 9001. »
Outre les zones d’élevage, le Service de zootechnique héberge quatre laboratoires : transgenèse, microchirurgie, physiologie et exploration fonctionnelle, thérapie génique et cellulaire. Un équipement de pointe qui permet à l’équipe de Yara Barreira de répondre aux
attentes des laboratoires de recherche, notamment dans les domaines innovants comme celui
des biothérapies. « Nous avons mené récemment des expériences de thérapie cellulaire du
myocarde par injection de cellules souches sur trois animaux à la fois : le porc, car il est
physiologiquement très proche de l’homme, notamment par la taille de ses organes ; la souris,
car c’est l’animal dont les gènes sont les mieux connus ; le rat, car il présente des récepteurs
spécifiques dont sont dépourvus les autres rongeurs. »
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L’éthique de l’expérimentation animale
Sous nos yeux, un stagiaire sort de sa cage un rat, le caresse doucement et le replace dans son
habitacle. La manœuvre a pour seul but de s’assurer que le comportement de l’animal n’est
pas anormal, afin de pouvoir mener l’expérience prévue trois jours plus tard sur son système nerveux central.
L’éthique de l’expérimentation animale n’est pas un vain mot pour Yara Barreira - elle lui
consacre d’ailleurs un de ses cours à l’École nationale vétérinaire de Toulouse. « Quand j’étais petite, je me souviens avoir demandé à mon père si l’on ne pouvait pas prendre des animaux artificiels pour faire des expériences », se souvient-elle en riant. Depuis quelques
années, des activistes parfois violents contestent l’usage des animaux pour la recherche. Et de
manière générale, les pays nordiques font pression pour améliorer les conditions de vie des
animaux de laboratoire. « Il faut avoir une position mesurée sur ces questions, analyse Yara
Barreira. Lorsque des expérimentations in vitro suffisent, pas de problème pour se passer des
tests sur les animaux. Mais ce n’est pas souvent le cas. »
L’attention apportée aux animaux est de toute façon une condition nécessaire d’une bonne
expérimentation : « Si un rongeur est stressé, vous risquez d’entraver l’interprétation du
résultat car le stress a des effets physiologiques importants. » Le maximum de quiétude est
donc apporté aux hôtes du Service de zootechnie et Yara Barreira nous montre les petits
igloos en plastique récemment posés dans les cages, qui permettent aux souris et aux rats de
jouer ou de s’abriter. « Certains, dans les pays nordiques, veulent aller plus loin et recréer en
laboratoire des conditions de vie très proches du milieu naturel. Mais ce thème est très discuté. Nous avons besoin d’un environnement relativement homogène, notamment pour
séparer clairement les effets de l’inné et de l’acquis. » L’éthique de l’expérimentation animale
concerne aussi la fin de vie des pensionnaires du Service de zootechnie : ici comme dans la
plupart des laboratoires, les rongeurs sont désormais endormis par CO2.
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De Rio de Janeiro à la « Ville Rose »
Les portes de la partie administrative du Service de zootechnie sont peintes de couleurs vives
et plaisantes à l’œil, les murs décorés de posters ou couverts de cartes postales de vacances.
Faut-il y voir le reflet de la bonne humeur de Yara Barreira ? En effet : « J’ai choisi la décoration quand nous avons aménagé en 1997, précise-t-elle, et c’est vrai que j’aime les coloris vifs.
Sans doute mon origine brésilienne. De manière générale, j’accorde beaucoup d’attention
aux personnes de mon service et j’essaie de créer des conditions optimales de travail. Un système de rotation fait que toutes les tâches sont un peu partagées, y compris les plus répétitives ou les moins plaisantes, liées à l’élevage par exemple. »
La mention de ses origines nous incite à en savoir plus sur le parcours personnel de Yara. La
profession de vétérinaire est pour elle une vraie vocation familiale : elle a grandi dans le campus
de l’École nationale vétérinaire de Rio de Janeiro, dont son père était directeur. La figure du
père reste aujourd’hui encore prégnante : « C’est l’homme que j’admire le plus et qui a eu
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le plus d’importance pour le choix de ma carrière », confesse-t-elle sans fausse pudeur. Déjà
titulaire d’un doctorat de médecine vétérinaire, enseignant l’anesthésie et la chirurgie à
l’Université fédérale de Rio, Yara décide de passer un second doctorat en France. « Je ne puis
dire pourquoi, j’ai toujours aimé la France, la culture française. J’avais la possibilité de continuer mes études aux États-Unis, mais j’ai préféré traverser l’Atlantique. » Elle choisit le site
de Toulouse, pour des raisons notamment climatiques – le soleil et la chaleur lui rappellent
son Brésil natal. Elle en a conservé un sourire rayonnant, un esprit résolument positif et une
joie de vivre contagieuse. La rigueur dans le travail et le sens du service sont ses deux valeurs
de référence. Et tout témoigne qu’elle les incarne à merveille.

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