Littoral : le retour vers l`équilibre (2e partie)
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Littoral : le retour vers l`équilibre (2e partie)
CHRONIQUE Littoral : le retour vers l’équilibre (2e partie) * Henri Coulombié II. L’évolution récente de la jurisprudence du Conseil d’État dans les espaces proches du rivage Les espaces proches du rivage, directement contigus à la bande des 100 m qu’ils jouxtent vers l’intérieur des terres, sont les premiers à recevoir la pression foncière 1. Cette situation géographique explique un régime juridique très strict, doublement encadré à l’article L. 146-4-II du code de l’urbanisme, par des conditions de forme (justification selon des critères très spécifiques aux PLU, compatibilité ou conformité avec un document supra ou intercommunal, ou accord du préfet après avis de la commission des sites) et une considération de fond (règle d’extension limitée de l’urbanisation). L’appréciation jurisprudentielle du champ d’application géographique et du régime juridique de ces espaces, présente, dans les faits, une réelle importance. Parmi les enjeux en cause, celui du régime juridique de cette notion, dans les espaces déjà urbanisés des agglomérations littorales proches du rivage : – une interprétation souple des dispositions de l’article L. 146-4-II permet, dans la ville, de combler les dents creuses et les friches urbaines, et sur ses limites, en direction de l’intérieur des terres, d’assurer une croissance modérée de l’urbanisation dans le respect des autres contraintes de la loi : coupure d’urbanisation, espaces remarquables, principe de continuité avec les agglomérations et villages existants. – une interprétation rigide aboutit à dédensifier le tissu urbain littoral proche du rivage. Or, le régime juridique de l’article L. 146-4-II a récemment fait l’objet d’une double révolution silencieuse : – dans son récent arrêt Mme Barrière du 3 mai 2004, le Conseil d’État revient entièrement, à partir des mêmes critères que ceux dégagés par M. Le Chatelier dans ses conclusions sous CE S. 12 février 1993, Commune de Gassin, sur les conséquences de sa jurisprudence, pour aboutir en réalité à une solution opposée (A) ; * La première partie de cette étude a été publiée dans le BJDU n° 1/06, p. 2. 1 Cf. le remarquable Rapport Piquard, La Documentation française, 1973. À partir de ce constat, M. Piquard pose le principe d’aménagement en profondeur qui constitue la colonne vertébrale de toute réglementation littorale. Sur l’historique de la loi Littoral : H. Coulombié et J.-P. Redon, Le droit du littoral, Litec 1992. p. 82 – dans sa récente jurisprudence Cap Martin et Société Soleil d’Or, le Conseil d’État inverse également sa jurisprudence Commune de Bidart du 27 septembre 1999 pour revenir cette fois à l’interprétation des textes qu’il avait luimême initialement fixée de 1989 à 1999, à l’occasion de l’affaire Association de défense du patrimoine Sétois 2 (B). Dans les deux cas, le balancier jurisprudentiel retrouve son point d’équilibre à partir d’une lecture de la loi plus conforme à son économie générale et à la volonté du législateur, et moins empreinte de considération idéologique 3. L’onde de choc de cette jurisprudence pourrait concerner l’arrière littoral (C). A. Le champ d’application territorial de la notion d’espace proche du rivage : de la jurisprudence Gassin à la jurisprudence Barrière 1. La jurisprudence Commune de Gassin et SA Sagic 4 1.1. Les conclusions du commissaire du gouvernement Gilles Le Chatelier et la décision Dès l’été 1983, la commune de Gassin a poursuivi un projet d’aménagement touristique organisé autour d’un golf international de dix-huit trous. Cette opération doit permettre de lutter contre la baisse de fréquentation touristique hors période estivale. Le rapport de présentation du POS réserve la réalisation de l’opération, qui devra se faire par révision du POS. Le POS de 1985 classe 667 ha en zone NC, 1 121 ha en zone I ND inconstructible, représentant 72 % du territoire communal, 122 ha en zone II ND (COS de 0,01), 217 ha en zone NA d’urbanisation future, 157 ha en zone NB et 190 ha en zone U, 834 ha étant, par ailleurs, classé en espace boisé classé. 2 CE 10 mai 1989, Association de défense du patrimoine Sétois, req. n° 88904. Il s’agit ici d’une révolution au sens étymologique du terme « revolvere », c’est à dire retour au point de départ… 3 Au titre des divergences d’analyse qui animent le Conseil d’État luimême, on relèvera la position du président Bonichot sous CE 28 juillet 1999, Association Fouras environnement écologie, req. n° 189941, directement contraire aux concl. M. Seban, suivi par le Conseil d’État dans l’affaire Commune de Bidart du 27 septembre 1999, et publié au même numéro 5/99 du BJDU. 4 CE S. 12 février 1993, Commune de Gassin et SA SAGIC : Rec., p. 26, concl. Gilles Le Chatelier, JCP 1993 II 22163. BULLETIN DE JURISPRUDENCE DE DROIT DE L’URBANISME – 2/2006 CHRONIQUE L’urbanisation de la commune se caractérise par le lotissement de la frange côtière sur plusieurs centaines de mètres vers l’intérieur des terres. Le secteur tertiaire s’est en effet développé de façon spectaculaire avec le tourisme et explique cette urbanisation littorale antérieure à la loi du 3 janvier 1986. La ZAC est créée le 2 décembre 1987 et le plan d’aménagement de zone (PAZ) approuvé le même jour après accord du préfet donné le 15 octobre 1987 et avis de la commission départementale des sites du 4 février 1987. La zone est localisée à une distance du rivage de 800 à 1 000 m, dont elle est séparée par une zone urbanisée occupant, sous forme de lotissement, le versant littoral, et par une ligne de crête. Elle n’est pas visible du littoral. La zone constructible du PAZ est située sur la partie ouest du site, aucune construction ne pouvant être réalisée dans la partie haute du terrain afin d’éviter tout impact visuel depuis le rivage. La zone ne figure pas dans la nomenclature des ZNIEF pouvant intéresser la commune. Sur les 100 ha de la ZAC, 75 ha sont réservés au golf et 25 ha au programme immobilier représentant 45 000 m2 de SHON, pour un coefficient d’occupation du sol (COS) de 0,18 sensiblement identique à celui des lotissements voisins, le séparant du rivage, variant entre 0,15 et 0,20. Selon le commissaire du gouvernement Gilles Le Chatelier, l’aménagement du golf améliore plutôt l’état antérieur du site. Saisi d’un recours contre les délibérations du 2 décembre 1987 approuvant la création de la ZAC et le PAZ, le tribunal administratif de Nice les annule par un jugement en date du 4 juillet 1991 rendu dans l’instance n° 88-224. Cette décision est confirmée, aux conclusions de M. Gilles Le Chatelier, par le Conseil d’État, lequel procède cependant à une substitution de motifs. La première question posée par le dossier est celle de l’appréciation du champ d’application territorial de l’article L. 146-4-II. M. le commissaire du gouvernement Gilles Le Chatelier retient trois critères : – celui de la visibilité appréciée aussi bien depuis le rivage que de l’intérieur des terres : « Ainsi, le critère de visibilité depuis le rivage sur lequel les requérants insistent particulièrement dans leurs écritures nous paraît devoir être apprécié avec circonspection. Tout d’abord, cette interprétation nous semble pour le moins constructive, aucun élément de la loi Littoral n’évoquant un tel critère. 5 » ; – celui de la distance appréciée notamment par référence aux dispositions de l’article L. 146-7 du code de l’urbanisme : « Néanmoins, il apparaît aussi que la loi Littoral a entendu renforcer la protection non seulement des espaces côtiers, mais aussi de certains espaces de l’immédiat arrière pays contre une extension trop importante de l’urbanisation. À ce titre, la référence à la notion de lit- toral prend en compte la volonté d’une approche globale dans un cadre suffisamment large pour préserver et assurer un aménagement de qualité de zones qui, au moins pour une partie du territoire, ont déjà beaucoup souffert de constructions nombreuses et désordonnées. Aussi, le parti pris de protection s’étend nécessairement assez loin à l’intérieur des terres. On peut à ce titre citer notamment les dispositions de l’article L. 146-7 qui prévoit la localisation des nouvelles routes de transit à une distance minimale du rivage de 2 000 m. 6 » ; – celui de la configuration particulière des lieux, inspiré d’un principe de compensation entre espace déjà urbanisé et espace à protéger : « Nous voudrions enfin vous inciter à faire valoir une dernière considération tirée de l’état antérieur des lieux et surtout de l’atteinte déjà portée au site par les constructions existantes. Il nous semble ici normal de protéger une bande côtière plus large dans les régions où le littoral est déjà très largement construit et où il peut apparaître légitime de ralentir les processus d’extension urbaine, alors qu’à l’inverse, dans les zones où les constructions sont moins nombreuses, la même bande pourra être plus étroite. 7 » Le Conseil d’État statuant en formation de Section, suit les conclusions de son commissaire du gouvernement en ces termes : « Que ce terrain, bien qu’il soit séparé du rivage par une ligne de crête et par une zone urbanisée, constitue un espace proche du rivage au sens des dispositions précitées de l’article L. 146-4-II du code de l’urbanisme. 8 » 1.2. Appréciation critique de l’arrêt Gassin Chacun des critères retenus par le commissaire du gouvernement, s’il est en lui-même objectif et ne saurait être remis en cause, est interprété au cas d’espèce dans un sens, qui ne s’imposait pas, comme devant donner à la notion d’espace proche du rivage son champ d’application territorial le plus étendu : – ainsi du critère de visibilité qui est interprété contra legem depuis l’intérieur des terres alors que la notion même d’espace proche du rivage fonde un sens de lecture à partir du rivage ; – ainsi du critère de distance, très extensivement fixé en référence à l’article L. 146-7, totalement étranger à la notion même d’espace proche du rivage ; – ainsi, enfin, du principe de compensation, aussi constructif que contraire aux articles L. 146-2, L. 146-4-III, L. 146-5, L. 156-2 et L. 156-3 du code de l’urbanisme… Mais la principale critique n’est pas là. Il résulte clairement des conclusions de M. Le Chatelier que l’appréciation de la notion d’espace proche du rivage doit être faite au cas par cas, en fonction d’une analyse de chaque espèce. M. Le Chatelier précise dans ses conclusions : « De tout ce qui précède, il nous paraît résulter qu’il est particulière- 6 7 5 Concl. Le Chatelier. BULLETIN DE JURISPRUDENCE DE DROIT DE L’URBANISME – 2/2006 8 Concl. Le Chatelier. Concl. Le Chatelier. CE S. 12 février 1993, Gassin. p. 83 CHRONIQUE ment difficile de fixer une définition unique et intangible de la notion d’espace proche du rivage. Ajoutons qu’une telle tentative pourrait se révéler au surplus dangereuse, tant les rivages entrant dans le champ d’application de la loi Littoral sont différents et soumis à des pressions touristiques d’une intensité variable. Dès lors, il nous semble impossible de vous proposer une autre méthode d’interprétation que totalement empirique ayant au cas par cas à apprécier la situation soumise au juge. 9 » Il résulte clairement de là que la portée de principe de la jurisprudence Gassin doit se limiter à la mise en évidence des critères utilisés par le juge pour la qualification juridique des espaces proches du rivage, à l’exclusion de toute portée de fond de la décision. Or, en statuant pour la première fois, par une décision prise en formation solennelle, sur une question longtemps attendue, le Conseil d’État a pris le risque de donner à sa jurisprudence Gassin une portée de principe qu’elle n’a pas, mais que tout le monde aujourd’hui lui reconnaît pour considérer comme un espace proche du rivage 10 : – un espace maximum de 2 km à compter du rivage ; – sans considérer ni la visibilité du projet depuis le rivage, ni le caractère urbanisé ou non de la zone séparant le projet du rivage. C’est cette grille de lecture que va inverser la récente jurisprudence Barrière. 2. La jurisprudence Mme Barrière 11 2.1. Les faits, les conclusions et la décision Mme Mitjavile, commissaire du gouvernement, présente dans ces termes le dossier à la Haute Juridiction : « Mme Lucien Barrière, propriétaire d’un terrain d’environ 7,8 ha, situé en zone NA dans la commune de Guérande, à proximité de La Baule, a obtenu le 16 mai 1997 un permis pour y construire 240 logements emportant la création de 15 700 m2 environ de surface hors œuvre nette. Ce terrain, dit “la ferme du casino” car il abritait autrefois une ferme dont les produits étaient destinés à l’hôtellerie du casino de La Baule, est à 800 m du village et situé à l’arrière de la ville de La Baule par rapport au front de mer, en limite de l’urbanisation actuelle. Il est situé sur le site d’une ancienne décharge publique fermée en vertu des textes applicables, entre la voie ferrée qui longe la commune, et les marais salants. 12 » Le cas d’espèce est donc sensiblement identique à l’affaire Gassin : un terrain important de prés de 8 ha, situé à 800 m du rivage, séparé de lui par une urbanisation existante, réservé à un projet conséquent représentant 15 700 m2 de SHON et 240 logements, soit un ratio à peu 9 Concl. Le Chatelier. Henri Coulombié et Vincent Lecoq, « La notion et le régime juridique des espaces proches du rivage dans la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 », RFDA janvier/février 1994, p. 101 et s. Henri Coulombié, Les règles d’aménagement et de protection du littoral, édition Hôtel de Ville 1996, p. 124 et s. et, p. 137 et s. 11 CE 3 mai 2004, Mme Barrière, req. n° 251534 : BJDU 2/2004, p. 86, concl. Marie-Hélène Mitjavile. 12 Concl. Mitjavile. 10 p. 84 près identique, rapporté à la surface de terrain, que dans l’affaire Gassin. Il convient d’ajouter que le terrain de Mme Barrière est beaucoup plus sensible que celui de la SA Sagic dans l’affaire Gassin. Il est, en effet, immédiatement bordé sur sa façade arrière par les marais salants de Guérande, constituant un site exceptionnel de plus de 2 000 ha remontant au Moyen Âge, aujourd’hui classé en ZNIEFF et en ZICCO 13… Mme Mitjavile reprend sans surprise les trois critères mis en exergue par son collègue M. Le Chatelier dans la jurisprudence Gassin. Mais Mme Mitjavile, pour conclure à la réformation de la décision rendue par la cour administrative de Nantes à partir d’une application « orthodoxe » de la jurisprudence Gassin, donne à ces trois critères un sens finalement opposé à celui ayant conduit à l’arrêt Gassin : « Mais dans cet exercice d’appréciation, le juge doit tenir compte de ces trois critères sans se limiter à la distance, sauf à perdre de vue l’objectif du législateur qui était de limiter l’urbanisation en front de mer ou venant boucher toute perspective sur la mer, et non d’interdire aux communes littorales tout développement vers l’arrière […] » 14. Appréciant de façon critique la décision de la cour administrative d’appel de Nantes, soumise à son analyse, qui considérait le terrain en cause comme un espace proche du rivage alors qu’il n’était pas visible du rivage et en était séparé par un secteur urbanisé longeant le front de mer, Mme Mitjavile relève : « Cela conduit, dans le cas où l’urbanisation s’est développée, sur une faible profondeur le long du rivage, à limiter de la même manière l’urbanisation en arrière et en continuité avec l’urbanisation existante – que la loi entendait favoriser – et l’urbanisation en front de mer, que la loi veut limiter. 15 » Ainsi, à partir des mêmes critères que ceux pris en considération dans la jurisprudence Gassin par M. Le Chatelier, 13 De ce point de vue, en refusant la qualification de l’article L. 146-6 au terrain d’assiette du projet, immédiatement contigu à des marais salants, eux-mêmes protégés à ce titre, le Conseil d’État fait une application stricte des dispositions de l’article L. 146-6 et condamne implicitement mais nécessairement la « théorie du grand paysage » chère au prés. Calderaro (v. sur cette question, N. Calderaro, Loi Littoral et loi Montagne, EFE 2005, n° 1079 et s.). Le Conseil d’État reprend ici sa jurisprudence Syndicat de défense du Cap d’Antibes, req. n° 203766 où il juge très explicitement : « Que si le terrain d’assiette du projet litigieux se trouve à proximité du site inscrit de Juanles-Pins et du site classé du Cap d’Antibes, il est constant que ce terrain n’est pas situé dans le périmètre de ces sites ; qu’il suit de là, sans qu’il soit besoin d’examiner le caractère remarquable de l’espace dans lequel se situe ce terrain, que ledit terrain n’entrait pas dans les prévisions de l’article R. 146-1 ; que dès lors, le moyen tiré de ce qu’il devait bénéficier du régime de protection aménagé par l’article L. 146-6 est inopérant. » (CE 30 juillet 2003, Syndicat de défense du Cap d’Antibes : BJDU 6/2003, p. 401 et s., concl. Denis Piveteau). En toute hypothèse, la qualité du site (et la mauvaise qualité du projet…) sera fatale au dossier, non sur le terrain de l’article L. 146-6, mais sur celui de l’article R. 111-21, ce qui est quand même très différent tant en fait qu’en droit. 14 Concl. Mitjavile. 15 Concl. Mitjavile. BULLETIN DE JURISPRUDENCE DE DROIT DE L’URBANISME – 2/2006 CHRONIQUE mais en remettant la jurisprudence littorale sur ses pieds, Mme Mitjavile conclut-elle : « Le moyen tiré de ce que le permis méconnaît l’article L. 146-4-II du code de l’urbanisme doit être écarté car la combinaison des critères de distance, de covisibilité et de caractère urbanisé des espaces séparant le terrain de la mer ne permet pas à notre sens de qualifier d’espace proche de la mer, au sens de cet article, un terrain situé tout à fait en arrière du front de mer, séparé du rivage d’une distance de 800 m par tout l’espace urbanisé et une voie ferrée, ce qui vous conduira à juger que c’est à tort que le tribunal administratif de Nantes a retenu ce moyen, puis à examiner, par l’effet dévolutif de l’appel, les autres moyens invoqués contre l’arrêt. 16 » La Haute Juridiction suit en ces termes son commissaire du gouvernement : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que les terrains pour lesquels les constructions projetées ont été autorisées par l’arrêt contesté sont situés dans le prolongement immédiat d’une zone entièrement urbanisée, qui les sépare du rivage de la mer, distant d’environ 800 m, et interdit toute covisibilité entre ces terrains et la mer ; que, dans ces conditions, ces terrains ne peuvent être regardés comme constituant un espace proche du rivage au sens des dispositions sus-rappelées du II de l’article L. 1464 du code de l’urbanisme […] » 17. Commentant cette jurisprudence, le président Bonichot peut écrire au BJDU 18 : « Dans une décision capitale pour la matière, l’arrêt Barrière, il (le Conseil d’État) a précisé ce qu’il fallait entendre par espaces proches du rivage en zone urbanisée : ne peuvent être regardés comme tels, au sens de la loi, que ceux qui sont à faible distance du rivage mais aussi sont visibles de la mer et n’en sont pas séparés par des espaces déjà construits. ». 2.2. Appréciation critique de la jurisprudence Barrière Salué comme « avant tout une grande décision pour l’application de la loi Littoral » par le président Bonichot 19, l’affaire Barrière est instructive à plus d’un titre : – sur le terrain de l’analyse juridique, elle montre qu’à partir des mêmes critères et d’espèces très voisines, pour ne pas dire équivalentes, la Haute Juridiction peut renverser totalement sa jurisprudence, à partir d’une interprétation plus équilibrée de la loi Littoral du 3 janvier 1986 ; – sur le terrain des faits, elle donne de la notion d’espace proche du rivage une définition beaucoup moins stricte et plus conforme à l’économie générale de la loi Littoral du 3 janvier 1986 que celle issue de la jurisprudence Gassin, en permettant une urbanisation en continuité vers l’arrière, sans avoir, à condition d’être en continuité d’agglomération, ni à respecter le principe d’extension limitée, ni à solliciter l’accord du représentant de l’État après avis de la commission des sites. 16 Concl. Mitjavile. CE 3 mai 2004, Mme Barrière, req. n° 251534. 18 BJDU 1/2005, p. 15, note sous CE 5 février 2005, Société Soleil d’Or et commune de Menton. 19 BJDU 2/2004, p. 91, note sous CE 3 mai 2004, Mme Barrière, req. n° 251534. 17 BULLETIN DE JURISPRUDENCE DE DROIT DE L’URBANISME – 2/2006 B. Le régime juridique des EPR dans les secteurs déjà urbanisés 1. La détermination des critères retenus par le juge et l’étendue de son contrôle 1.1. Les critères Comme pour la détermination du champ d’application territorial des EPR, le juge utilise la technique du faisceau d’indices pour caractériser leur régime juridique, notamment pour l’appréciation de la notion d’extension de l’urbanisation et celle d’extension limitée de l’urbanisation. Certains critères sont totalement inopérants : – ainsi des caractéristiques architecturales ou urbanistiques d’un projet 20 ; – ainsi encore de son statut juridique au document local d’urbanisme 21. D’autres critères sont au contraire opérants et d’ailleurs contrôlés par le juge de cassation. Ce sont : – la configuration des lieux et la localisation du projet 22 ; – l’état des lieux avant-projet, notamment l’existence sur tout ou partie du terrain d’assiette de constructions déjà édifiées, l’importance et la densité de la construction envisagée 23 ; – l’implantation, l’importance, la densité et la destination des constructions envisagées 24 ; – l’implantation, l’importance, la densité, la destination des constructions et les caractéristiques topographiques de la partie concernée de la commune 25. 1.2. Le contrôle du juge Les juges du fond exercent un contrôle normal à partir des critères ci-dessus, appliqués à chaque cas d’espèce. Ce type de contrôle résulte des conclusions de M. le commissaire du gouvernement Gilles Le Chatelier dans l’affaire de Gassin, en référence au contrôle normal mis en œuvre sur les conclusions de M. Pochard dans l’affaire de Cruseilles pour l’appréciation par le juge, dans le cadre de la loi Montagne, de la légalité des procédures d’UTN au regard de 20 Concl. Le Chatelier sous CE S. 12 février 1993, Commune de Gassin et SA SAGIC : JCP 1993 II 22 163 ; v. également dans la matière voisine de la loi Montagne : CE 9 octobre 1989, Fédération Sepanso, req. n° 82094 : RJE, 2 1990, note Terneyre. 21 CE 10 mai 1989, Association défense du patrimoine Sétois et autres c/ Commune de Sète, req. nos 88904 et autres ; CE 29 décembre 1993, M. François Legall, req. n° 13248 : BJDU mars 1994, concl. Fratacci. 22 V. en ce sens concl. M. Loloum sous CE 27 avril 1994, OPHLM de Vannes, req. n° 133084 : BJDU 2-95, p. 116. 23 CE 27 septembre 1999, Commune de Bidart : BJDU 5/99, p. 336, concl. Seban ; CAA Marseille 6 juillet 2000, Ville de Nice et SCI France congré, req. n° 99MA01146 : AJDA 20 novembre 2000, p. 963. 24 CE S. 26 mars 1999, Société d’aménagement de Port Leman : Rec., p. 111 ; CE 27 juillet 2000, Fédération pour les espaces naturels et l’environnement Catalan (BJDU) ; CE 5 décembre 2001, Société Intertouristik Holiday A.G., req. n° 237294 ; CE 30 juillet 2003, Syndicat de défense du Cap d’Antibes, préc. 25 CE S. 12 février 1993, Commune de Gassin, préc. ; CE 27 septembre 1999, Commune de Bidart, préc. ; CAA Marseille 3 juin 2004, Société les Hauts de Saint-Antoine et commune de Cap-d’Ail, req. nos 02MA01516 et 02MA01729 ; CE 5 avril 2006, Société Les Hauts de Saint Antoine, req. n° 272004. p. 85 CHRONIQUE la qualité des sites et du respect des grands équilibres naturels de l’article L. 145-3 du code de l’urbanisme 26. Le juge administratif du fond est aujourd’hui acquis à un contrôle complet des dispositions des anciennes lois d’aménagement et d’urbanisme (en particulier la loi Littoral et la loi Montagne). Le Conseil d’État statuant en cassation se borne en principe à vérifier l’utilisation par le juge du fond des critères de qualification précités, sans entrer, sauf dénaturation ou erreur de droit, dans cette qualification 27. Il en résulte une assez grande liberté des juges du fond, accompagnée d’une disparité pratique de la jurisprudence selon la sensibilité de chaque cour administrative d’appel. 2. Les trois étapes de l’évolution jurisprudentielle L’évolution jurisprudentielle s’est faite ici de façon dialectique par thèse, antithèse et synthèse. 2.1. De 1989 à 1999 : la jurisprudence Association de défense du patrimoine Sétois (la thèse) L’ancienne carrière du Souras-Bas, d’une superficie d’environ 2 ha, est située à l’entrée de Sète dans un site entièrement urbanisé de façon dense, face à l’ancien port de pêche et au théâtre de la Mer. Elle était occupée par un vieil immeuble HLM et quelques habitations disparates, pour une SHON totale d’environ 2 500 m2 représentant un COS de 0,12 quand la société SEERI-SARI a envisagé d’y réaliser une couronne d’immeubles en R +6 et R +7 épousant le front de taille de la carrière, avec une maille centrale composée d’un hôtel restaurant et d’immeubles d’habitation et de commerce, après démolition des constructions existantes, selon des hauteurs dégressives en allant vers le port, pour une SHON totale de 24 000 m2représentant un COS de 1,2. Sur recours d’une association de défense de l’environnement et de divers particuliers, le Conseil d’État statuant en appel et en cassation, juge : « Considérant que les articles L. 146-4-II et L. 146-4-III du code de l’urbanisme prévoient “l’extension limitée de l’urbanisation des espaces proches du rivage” et l’interdiction des constructions “en dehors des zones urbanisées” sur une bande littorale de 100 m ; que les terrains du quartier du Souras-Bas pour lesquels ont été délivrés les permis de construire attaqués se trouvent dans un espace déjà urbanisé ; que les constructions autorisées devaient d’ailleurs être réalisées après démolition des constructions préexistantes ; qu’ainsi, bien que ces terrains aient été classés en zone I NA, “destinée à l’urbanisation future” par le plan d’occupation des sols de Sète, les articles 26 CE S. 15 mai 1992, req. n° 118573 : DA 1992, concl. Pochard. CE S. 18 novembre 1994, Société Clichy dépannage, req. n° 136941 : AJDA 20 février 1995, p. 159 et chron., p. 109 ; CE 26 juillet 1996, Mlle Pruvost, req. n° 160065 : BJDU 4/96, p. 290, concl. Combrexelle ; CE 12 mai 1997, SCI IFANA, req. n° 163352 et Société CORPROTOUR, req. n° 151359 : BJDU 3/97, p. 214, concl. Combrexelle ; CE 26 mars 1999, SARL Société d’aménagement de Port Leman : RFDA juillet-août 1999, p. 847, concl. Bonichot. 27 p. 86 L. 146-4-II et L. 146-4-III du code de l’urbanisme n’ont pas été méconnus, dès lors que les terrains en cause ne devaient être utilisés ni pour une « extension de l’urbanisation », ni pour la réalisation de constructions “hors des zones urbanisées”. 28 » Cette jurisprudence, qui écarte le régime juridique des espaces proches du rivage de l’article L. 146-4-II, dans les espaces déjà urbanisés, au bénéfice du constat de l’absence, dans de tels espaces, d’une extension de l’urbanisation, a été confirmée de 1989 à 1999 par une dizaine de décisions rendues par le Conseil d’État et par la totalité des arrêts des cours administratives d’appel 29. Ainsi, dans sa décision du 31 juillet 1996, Association des amis de Saint-Palais-sur-Mer 30, la Haute Juridiction juge-telle de façon particulièrement claire : « Considérant que si la requérante devait recueillir l’accord du représentant de l’État en application de l’article L. 146-4-II du code de l’urbanisme pour autoriser une extension de l’urbanisation d’un espace proche du rivage, il ressort des pièces du dossier que la construction litigieuse se situe dans un espace déjà urbanisé de la commune de Saint-Palais-sur-Mer et n’entraîne pas une extension de son urbanisation au sens desdites dispositions. » Cette jurisprudence, solidement établie, était également solidement fondée, tant en droit qu’en fait : – en droit, elle supposait de bien distinguer les notions « d’extension de l’urbanisation » qui s’apprécient dans un tissu déjà urbanisé, par rapport au profil urbain des quartiers contigus au projet, de la notion de « construction » qui s’apprécie en elle-même, et suppose toujours une extension de l’urbanisation ; – en fait elle permettait de reconstruire la ville dans la ville, c’est-à-dire d’aménager les dents creuses et les friches urbaines, en épargnant d’ailleurs d’autant les espaces naturels de périphérie. 2.2. De 1999 à 2003 : la jurisprudence Commune de Bidart (l’antithèse) Dans sa décision Commune de Bidart du 27 septembre 1999, rendue conformément aux conclusions de M. Alain Seban, le Conseil d’État prend une position diamétralement opposée 31 : « Que si l’application des dispositions du III de l’article L. 146-4 précité du code de l’urbanisme est subor- 28 CE 10 mai 1989, Association défense du patrimoine Sétois, req. n° 88904. CE 3 février 1993, Association en avant Saint-Laurent : DA 1993 n° 194 ; CE 31 juillet 1996, Association des amis de Saint-Palais-surMer, req. n° 129549 ; CE 9 avril 1999, M. et Mme Jordan et M. Depraz, req. n° 165303 ; CE 38 juillet 1999, Association Fouras environnement écologie et autres, req. n° 189981 ; CE 26 février 2001, Mme DorwlingCarter, req. n° 211318 ; CAA Lyon, Société Sudinvest-ville d’Antibes, req. n° 94LY01877 : BJDU 6/98, p. 410, concl. Vesling ; CAA Bordeaux 28 décembre 1995, Espilondo : AJDA 1996, p. 203 ; CAA Marseille 6 juillet 2000, Ville de Nice, req. n° 99MA01146 : AJDA 20 novembre 2000, p. 902. 30 Req. n° 129549. 31 CE 27 septembre 1999, Commune de Bidart, Société immobilière de la banque de Bilbao de Viscaye, req. n° 178866 : BJDU 5/99, p. 336, concl. Alain Seban. 29 BULLETIN DE JURISPRUDENCE DE DROIT DE L’URBANISME – 2/2006 CHRONIQUE donnée à la situation du terrain d’assiette des constructions envisagées “en dehors des espaces urbanisés”, les dispositions du II du même article sont applicables indépendamment du caractère urbanisé ou non de l’espace dans lequel se situent les constructions envisagées ; que, dès lors, la cour administrative d’appel de Bordeaux n’avait pas à se prononcer sur le caractère urbanisé de l’espace dans lequel s’insère le projet de construction litigieux pour faire application des dispositions du II de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme […] » 32. Comme l’explique M. Seban dans ses conclusions, la position du Conseil d’État dans cette affaire est explicite et peut se prévaloir de quelques décisions antérieures, au demeurant assez peu explicites sur ce point 33. Elle tend, d’une part, à écarter de l’appréciation du juge tout critère tiré du caractère déjà urbanisé de l’espace en cause, assimilant pour l’appréciation de l’article L. 146-4-II les espaces entièrement naturels et les espaces déjà urbanisés, d’autre part, à considérer tout projet de construction comme constitutif, en lui-même, d’une extension de l’urbanisation, enfin à orienter l’application de la loi vers une dédensification des centres agglomérés existants proches du rivage. Reprenant cette conception, M. Austry écrit dans ses conclusions sous CE Ass. 26 octobre 2001, Époux Eisencheteter : « Mais il n’en reste pas moins que la seule circonstance qu’une construction se situe dans un espace urbanisé ne permet pas de considérer que cette opération ne se traduira pas par une extension de l’urbanisation. ». De même, le Conseil d’État juge-t-il très explicitement dans la décision du 26 mars 2001, SCI L. 1 Antibes-lesPins 34: « Qu’une opération de construction sur des parcelles non urbanisées entourées d’espaces urbanisés constitue une extension de l’urbanisation au sens de ces dispositions (L. 146-4-II) » 35. La jurisprudence Commune de Bidart, non publiée au Recueil Lebon, a ensuite été confirmée par plusieurs arrêts explicites rendus par la Haute Juridiction 36. Comme le soulignait le président Bonichot dans ses conclusions sous CE 28 juillet 1999, Association Fouras environnement écologie 37, très significativement publiées au même numéro du BJDU que la jurisprudence Bidard précitée, cette solution n’allait pas de soi 38. 2.3. À partir de 2003 : la jurisprudence Cap-Martin et Soleil d’Or (la synthèse) Si la jurisprudence Association du patrimoine Sétois constitue la thèse, et la jurisprudence Commune de Bidard l’antithèse, les jurisprudences, Commune de RoquebruneCap-Martin 39 et Société Soleil d’Or 40, constituent assurément la synthèse 41. Dans l’affaire Commune de Roquebrune-Cap-Martin, le Conseil d’État statuait comme juge de cassation d’une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice ayant suspendu l’arrêté du 24 juin 2003 par lequel le maire avait délivré à la SCI Côte d’Azur un permis de construire de vingt-sept logements dans un secteur aggloméré dense de la commune. Le commissaire du gouvernement expose : « Il s’agissait d’un immeuble de 5 étages (R +4), à construire sur un terrain de plus de 1 000 m2, terrain situé en zone UB du PLU, révisé en 2000, et entouré selon les affirmations non contestées de la mairie, sur les 4 côtés d’immeubles collectifs allant de 5 étages (R +4) à 9 étages (R +8). 42 » Contrairement aux conclusions de son commissaire du gouvernement, le Conseil d’État retient la dénaturation en ces termes : « Considérant que l’édification, après démolition d’une construction préexistante, sur une parcelle de 1 002 m2 située dans la partie urbanisée de la commune de Roquebrune-Cap-Martin, entourée sur trois de ses côtés de parcelles supportant des immeubles de 4 à 8 étages, d’un immeuble de 5 étages comportant 25 logements constituait, du seul fait que la parcelle en cause est située dans un espace proche du rivage, une extension de l’urbanisation au sens du II de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme, et en déduisant qu’était sérieux le moyen de ce que le permis de construire dont la suspension était demandée aurait dû être précédé d’un accord du représentant de l’État, le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumises » 43. 32 CE 27 septembre 1999, Commune de Bidart, req. nos 178866 et 178969. 33 CE 10 mai 1996, Société du Port de Toga SA et autres : Rec., p. 174, BJDU 5/96, p. 309, concl. Fratacci ; CE 29 mars 1993, Commune d’Argelès-sur-Mer : Rec., T., p. 1078, concl. conformes M. Abraham ; CE 25 mai 1998, Association de défense de Juan-lesPins et de ses pinèdes, req. n° 128956. 34 Req. n° 206285. 35 CE 26 mars 2001, SCI L1 Antibes-les-Pins, req. n os 206285 et 206286 : BJDU 3/2001, p. 155, concl. Laurent Touvet. 36 CE 26 mars 2001, SCI L1 Antibes-les-Pins, préc. ; concl. Austry sous CE Ass. 26 octobre 2001, Époux Eisenchteter : « Mais il n’en reste pas moins que la seule circonstance qu’une construction se situe dans un espace urbanisé ne permet pas de considérer que cette opération ne se traduira pas par une extension de l’urbanisation. » ; CE 10 janvier 2001, Consorts Blanc, req. n° 211459 ; CE 5 janvier 2001, SA SEERI Méditerranée et SNC d’aménagement d’Antibes, req. nos 211875 à 211877 ; v. également le débat engagé devant la CAA de Nantes in AJDA 12 septembre 2005, p. 1697 et s., concl. J.-F. Coent sous CAA Nantes 19 avril 2005, Commune d’Arradon, req. n° 03NT00810. BULLETIN DE JURISPRUDENCE DE DROIT DE L’URBANISME – 2/2006 37 Req. n° 189941. « Il est soutenu ensuite que le permis violerait les dispositions de l’article L. 146-4 II du code de l’urbanisme selon lesquelles, dans les communes littorales, l’extension de l’urbanisation doit être limitée. Mais ici nous sommes en plein centre-ville. Il ne s’agit donc pas d’une extension de l’urbanisation et vous n’avez même pas à vous interroger sur le point de savoir si l’impératif législatif selon lequel une extension de l’urbanisation doit être limitée, s’applique ou non dans les espaces déjà urbanisés, ce que pour notre part, de toute façon, nous ne pensons pas » : concl. Bonichot sous CE 28 juillet 1999, Association Fouras environnement écologie, req. n° 189941 : BJDU 5/99, p. 363. 39 CE 9 juin 2004. 40 CE 7 février 2005. 41 CE 9 juin 2006, Commune de Roquebrune-Cap-Martin, req. n° 262689 : BJDU 3/2004, p. 166, concl. Mme Mitjavile ; CE 7 février 2005, Société Soleil d’Or, Commune de Menton, req. nos 264315 et 264372 : BJDU 1/2005, p. 10, concl. Yann Aguila. 42 Concl. Mitjavile sous CE 9 juin 2004, Commune de RoquebruneCap-Martin. 43 CE 9 juin 2004, Commune de Roquebrune-Cap-Martin. 38 p. 87 CHRONIQUE Ainsi, le Conseil d’État sanctionne-t-il clairement à cette occasion le principe posé par la jurisprudence Commune de Bidart tendant à assimiler toute construction réalisée dans un espace proche du rivage à une extension de l’urbanisation. Il est intéressant de relever que dans ses conclusions, Mme Mitjavile fait référence, pour apprécier la notion d’extension de l’urbanisation, au « profil urbain », c’est-à-dire à une appréciation par comparaison avec les caractéristiques des immeubles contigus. Ce n’est qu’à l’occasion de l’affaire Société Soleil d’Or et commune de Menton qu’au bénéfice d’une erreur de droit, le Conseil d’État fixe clairement sa jurisprudence en ces termes : « Considérant qu’une opération qu’il est projeté de réaliser en agglomération ou, de manière générale, dans des espaces déjà urbanisés, ne peut être regardée comme une “extension de l’urbanisation” au sens du II de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme que si elle conduit à étendre ou à renforcer de manière significative l’urbanisation de quartiers périphériques ou si elle modifie de manière importante les caractéristiques d’un quartier, notamment en augmentant sensiblement la densité des constructions ; qu’en revanche la seule réalisation dans un quartier urbain d’un ou plusieurs bâtiments qui est une simple opération de construction, ne peut être regardée comme constituant une extension au sens de la loi. Considérant qu’en jugeant que la réalisation, sur quatre parcelles réunies d’une superficie totale inférieure à 4 000 m2 située sur la partie urbanisée de la commune de Menton, d’un immeuble collectif de 3 à 5 étages, comportant 41 logements, construits par décrochages successifs à l’arrière d’une villa de caractère réhabilitée et entourée de 2 immeubles de 7 étages, avait le caractère d’une extension de l’urbanisation au sens du II de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme, le juge des référés a commis une erreur de droit. 44 » Dans ses conclusions sur cette affaire, M. le commissaire du gouvernement Yann Aguila revient sur les fondements juridico-idéologiques de la jurisprudence Commune de Bidart en distinguant clairement, pour l’application de l’article L. 146-4-II les notions d’urbanisation et de construction : « Mais urbanisation et construction sont bien deux notions distinctes. La notion d’extension de l’urbanisation suppose une dimension suffisamment importante pour que l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme puisse prévoir qu’elle doit faire l’objet d’une justification dans le plan local d’urbanisme lui-même. Confondre urbanisation et construction, c’est un peu confondre acte réglementaire et décision individuelle […] 45. La construction d’un immeuble n’implique pas, en ellemême et à elle seule une extension de l’urbanisation. Ou alors, comme le relève la ville de Menton, nous citons : « il faut décréter d’urgence que toute construction d’immeuble collectif est interdite sur l’essentiel du territoire de Menton (et de Nice et de Grasse et de Cannes et de Brest…), même en plein centre-ville, même entre des immeubles trois fois plus hauts et plus grands » – fin de citation. Le propos peut paraître excessif mais, en réalité, c’est bien ce à quoi aboutit l’interprétation retenue par le juge des référés du tribunal administratif de Nice qui, par son caractère trop mécanique, nous semble entachée d’erreur de droit. C’est sur ce terrain que nous vous proposons, à titre principal, de censurer l’ordonnance attaquée. 46 » Il en résulte selon le président Bonichot le constat suivant : « Ne devrait être regardée comme une « extension » – peut-être devrait on plutôt parler seulement d’augmentation – que l’urbanisation d’un très vaste espace encore vierge situé en ville ou des constructions qui constituent une rupture par rapport au bâti existant, notamment du point de vue de la densité ou de la hauteur. De manière générale, à notre sens, dans la lecture de la loi retenue par l’arrêt rapporté, un bâtiment unique ne devrait être regardé comme une extension de l’urbanisation que dans des cas exceptionnels. 47 » Au plan pratique, la plupart des projets situés en centre aggloméré ou dans des espaces déjà urbanisés ne devraient plus être soumis à l’accord du préfet et à l’avis préalable de la commission des sites, à défaut d’extension de l’urbanisation, dans les conditions sus-visées 48. 3. Les trois catégories d’espaces proches du rivage À l’analyse de la jurisprudence disponible, il nous semble possible de distinguer trois catégories d’espaces proches du rivage. 3.1. Les espaces agglomérés et les espaces urbanisés denses La jurisprudence analysée ci-dessus montre que si le projet n’excède pas les caractéristiques de hauteur et de densité des quartiers immédiatement contigus, il n’y a pas, a priori, et quelles que soient les caractéristiques du projet considéré en lui-même, d’extension de l’urbanisation. Dans ce cas, le projet n’entre pas dans le champ d’application de l’article L. 146-4-II, à défaut d’extension de l’urbanisation, et n’est soumis à aucune des conditions qu’il pose. Il n’a pas, notamment, à être soumis pour avis à la commission des sites et pour accord préalable au préfet. La récente jurisprudence favorise donc, conformément à l’esprit de la loi SRU, la densification des agglomérations littorales en permettant notamment de combler les « dents creuses » et les friches urbaines. 46 Concl. Aguila sous CE 7 février 2005, Société Soleil d’Or. Comm. prés. Bonichot sous CE 9 juin 2004, Commune de Roquebrune-Cap-Martin : BJDU 3/2004, p. 172. Pour un exemple de cas exceptionnel : CE 5 avril 2006, Société Les Hauts de Saint-Antoine, req. n° 272004. 48 À supposer même que les projets concernés relèvent du champ d’application géographique de l’article L. 146-4 II au sens de la jurisprudence Barrière. 47 44 CE 7 février 2005, Société Soleil d’Or, req. nos 264315 et 264372. Obs. peu amènes pour les tenant de la ligne Commune de Bidart… V. Gilles Le Chatelier : « Ne pas confondre construction et urbanisation », Le Moniteur 9 septembre 2005, p. 68. 45 p. 88 BULLETIN DE JURISPRUDENCE DE DROIT DE L’URBANISME – 2/2006 CHRONIQUE C’est encore le sens de la récente jurisprudence CE 2005, Comité de sauvegarde du Port Vauban, dans l’hypothèse de l’approbation d’une DTA, comme analysé au I A °3. On observera d’ailleurs que, par application de la jurisprudence Barrière précitée, nombre de projets devraient, en centre aggloméré des espaces proches du rivage, échapper au champ d’application de l’article L. 146-4-II comme non visibles depuis le rivage et séparés de lui par un tissu urbanisé important. 3.2. Les espaces de transition situés en périphérie des centres agglomérés dans les espaces proches du rivage L’urbanisation a tendance à se dédensifier et à s’éclaircir au fur et à mesure qu’elle s’éloigne des centres agglomérés. La plupart des documents locaux de planification favorise d’ailleurs cette tendance en instituant en périphérie des centres urbanisés anciens des zones U ou NA (devenues AU) dans lesquelles les règles d’urbanisme favorisent la dédensification, la construction individuelle ou semi-collective et les espaces verts privatifs ou publics. De tels espaces sont très hétérogènes et les situations les plus diverses peuvent se rencontrer. L’application des principes posés par la jurisprudence précitée semble devoir, mutatis mutandis, s’appliquer à ce type d’espace : la question de l’extension de l’urbanisation qui conditionne le champ d’application de l’article L. 146-4II doit précéder celle de la limitation de cette extension. Si le projet est environné de constructions et ne dépasse pas les caractéristiques du profil urbain périphérique, il pourra être autorisé sans autre formalité. Le mode urbain d’aménagement de ce type d’espace est alors beaucoup moins dense et le plus souvent moins haut qu’en centre-ville. À l’opposé, un projet excédant les caractéristiques du tissu urbain périphérique donnera lieu à l’application des conditions de forme et de fond posées à l’article L. 146-4-II : règle d’extension limitée de l’urbanisation, avis de la commission des sites, accord préalable du préfet. La jurisprudence semble aujourd’hui établie en ce sens. Dans sa décision du 27 avril 1994, OPHLM de Vannes 49, éclairée par les conclusions de M. le commissaire du gouvernement Loloum, le Conseil d’État juge légal au regard des dispositions de l’article L. 146-4-II du code de l’urbanisme, un projet de 1 386 de SHON représentant seize logements répartis en huit bâtiments sur un terrain de 14 000 m2 sis dans un secteur diffus de maisons individuelles, qualifié de fragile et de classé, à 200 m du rivage et 150 m du marais maritime de Pen-en-Toul. Dans sa décision du 20 mars 1998, Mme de la Rochefoucauld 50, le Conseil d’État juge : « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que l’opération de construction envisagée à proximité du hameau de Kernevest comporte la construction d’un établissement hôtelier ; que la SHON de l’ensemble des constructions est de 3 600 m2 sur trois étages, sur une superficie totale de 32 000 m2 ; que cette opération, localisée en continuité du hameau de Kernevest, doit être regardée comme une extension limitée de l’urbanisation au sens des dispositions du II de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme. » Dans sa décision du 9 avril 1999, M. et Mme Jordan et M. Depraz 51, le Conseil d’État juge légales au regard des dispositions du I et II de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme, des zones UB de faible densité situées en périphérie d’agglomération : « Considérant que M. et Mme Jordan soutiennent que le classement en zone UB, à vocation résidentielle de faible densité, d’un certain nombre de terrains situés au lieu-dit “Les Maraîchers”, est contraire aux dispositions du I de l’article L. 146-4 précité ; qu’il ressort cependant des pièces du dossier que ces terrains, déjà bâtis pour la plupart, se trouvent ainsi rattachés à une zone UB qui comporte une densité comparable de constructions et est soumise à un coefficient d’occupation des sols de 0,2 ; que le classement en zone UB de parcelles situées au lieu-dit “Les Huches” proche du rivage, est, lui aussi, contesté, au motif qu’il serait contraire aux dispositions du II de l’article L. 146-4 précité ; qu’il ressort toutefois des pièces du dossier que ces terrains sont déjà largement bâtis et se trouvent rattachés à une autre zone classée UB, soumise à des règles de construction contraignantes, où le coefficient d’occupation des sols est de 0,2 ; que, par suite, M. et Mme Jordan ne sont pas fondés à soutenir que le classement en zone UB de certaines parcelles situées au lieu-dit “Les Maraîchers” et “Les Huches” serait entaché d’illégalité. 52 » Dans sa décision du 26 février 2001, Mme Dorwling-Carter 53, le Conseil d’État juge légal au regard des dispositions de l’article L. 146-4-II du code de l’urbanisme, d’une part, une zone UB dotée d’un COS de 0,5 affectée à la réalisation de petits ensembles collectifs donnant à la zone un caractère relativement aéré en harmonie avec les bâtiments existants et le site, en continuité avec l’habitat groupé existant situé en limite de rivage, pour des parcelles d’une superficie supérieure à 2 000 m2, d’autre part, un permis de construire un immeuble collectif de dix-neuf logements d’une SHON de 1 169 m2 sur un terrain de 2 352 m2, doté d’une hauteur de 13 m représentant cinq niveaux d’habitation dans un quartier de villas, alors même que le projet querellé avait fait l’objet d’une décision judiciaire de démolition devenue définitive. Dans sa décision du 30 juillet 2003, Syndicat de défense du Cap d’Antibes 54, le Conseil d’État juge légal, sur un terrain boisé situé entre une zone à l’urbanisation diffuse et une zone fortement urbanisée, à proximité du site inscrit de Juan-les-Pins et du site classé du Cap d’Antibes, mais 51 Req. nos 165303 et 165457. CE 9 avril 1999, M. et Mme Jordan et M. Depraz, req. nos 165303 et 165457. 53 Req. n° 211318. 54 Req. n° 203766. 52 49 50 Req. n° 133084. Req. n° 158178. BULLETIN DE JURISPRUDENCE DE DROIT DE L’URBANISME – 2/2006 p. 89 CHRONIQUE en dehors du périmètre de ces sites, un permis de construire de 143 appartements représentant une SHON de 14 449 m2 et une densité de 1, réparti en trois immeubles de quatre étages sur rez-de-chaussée entourant un jardin paysager et disposé aux angles du triangle formé par le terrain d’assiette 55. 3.3. Les espaces naturels contigus à l’urbanisation existante dans les espaces proches du rivage Il existe enfin une dernière catégorie d’espace proche du rivage : les espaces vierges de toute construction contigus à l’urbanisation existante. La condition de contiguïté avec l’urbanisation existante est essentielle. À défaut, ces espaces ne pourraient être aménagés que dans le cadre limité de « hameaux nouveaux intégrés à l’environnement » en application des dispositions de l’article L. 146-4-I également applicable dans les espaces proches du rivage 56. Dans l’hypothèse d’une continuité d’urbanisation, la règle d’extension limitée de l’urbanisation s’appliquera en même temps que les conditions de forme visées à l’article L. 146-4-II 57. Ainsi, le Conseil d’État juge-t-il dans sa récente décision du 5 décembre 2001, Société Intertouristik Holliday AG 58 : « Considérant que le caractère limité de l’urbanisation au sens des dispositions précitées s’apprécie compte tenu de l’implantation, de l’importance, de la densité et de la destination des constructions envisagées ; que l’opération autorisée par le plan d’aménagement de zone contesté, permet notamment la construction, sur une zone naturelle de 15,5 ha proche du rivage, de plus de 200 logements représentant une SHON de plus de 16 000 m2 ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance par le PAZ des dispositions précitées du II de l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme est de nature, en l’état de l’instruction, à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la délivrance approuvant ce plan et que, cette délibération ayant eu pour objet de rendre possible l’octroi du permis de construire contesté, un doute sérieux existe quant à la légalité de ce permis de construire. » C. L’onde de choc de la récente jurisprudence relative aux espaces proches du rivage La notion d’extension de l’urbanisation est un facteur commun aux dispositions du I et du II de l’article L. 146-4. Elle devrait s’appliquer dans les mêmes conditions tant aux EPR qu’aux espaces de « l’arrière littoral », non proches du rivage, dont le régime juridique, non soumis à la règle d’extension limitée de l’urbanisation, est a priori moins contraignant que celui des EPR. L’article L. 146-4-I fixe lui-même une règle : celle de l’interdiction du mitage des espaces naturels, et distingue à cet effet deux catégories d’espace : – les espaces situés en continuité avec des agglomérations ou des villages existants, dans lesquels l’urbanisation, si elle se fait en continuité, n’est en principe pas limitée ; – les espaces naturels non contigus avec les agglomérations et villages existants, dans lesquels la règle antimitage n’autorise qu’une urbanisation d’exception sous forme de « hameaux nouveaux intégrés à l’environnement ». La jurisprudence des juges du fond tend aujourd’hui, de façon assez paradoxale, à condamner tout projet situé dans l’arrière littoral, dans des conditions beaucoup plus dures que dans les espaces proches du rivage, au bénéfice d’une définition très stricte des notions d’agglomérations et de villages 59. Ainsi, le juge du fond refuse-t-il d’admettre la continuité d’un projet, même de faible importance, avec un lotissement existant, une zone d’habitat diffus, un groupe d’habitation, alors même que le projet jouxterait des parcelles déjà construites et n’excéderait pas par ses caractéristiques, celles de ces espaces 60. Or : – d’une part, à défaut d’extension de l’urbanisation, appréciée selon la récente jurisprudence du Conseil d’État au regard des caractéristiques du projet comparées aux caractéristiques du bâti périphérique environnant, le régime juridique de l’article L. 146-4-I n’a pas à s’appliquer. Il en résulte nécessairement que de petits projets peuvent s’inscrire dans une urbanisation aérée, dès lors que ces petits projets respectent le profil urbain de leur quartier d’implantation ; – d’autre part, les notions d’agglomération et de village n’excluent pas en elles-mêmes une urbanisation de périphérie moins dense que celle des centres-villes. 55 CE 30 juillet 2003, Syndicat de défense du Cap d’Antibes, req. n° 203766 : BJDU 6/2003, p. 401, concl. Piveteau. 56 Sur l’application cumulée des articles L. 146-4-I, L. 146-4-II et L. 146-4-III : CE 2 mars 1993, Association en avant Saint-Laurent et autres, req. nos 125528 et 125572 ; CE 29 juillet 1994, Commune de Frontignan c/ SNC Nebot ; CE 10 mai 1989, Association défense du patrimoine Sétois et autres, préc. ; CE 14 janvier 1994, Commune du Rayol-Canadel, req. n° 127025 : DA n° 1172. V. Henri Coulombie, Les règles d’aménagement et de protection du littoral, éd. Hôtel de Ville 1996, p. 103 et s. et, p. 132 et s. 57 Selon M. Calderaro, le seuil de tolérance jurisprudentiel de la règle d’extension limitée de l’urbanisation des EPR est d’environ 10 000 m2 de SHON : Loi Littoral et loi Montagne, guide de jurisprudence commentée, EFE 2005, p. 384 et s., n° 904 et s. 58 Req. n° 237294. p. 90 59 Richard Le Roy : « L’extension de l’urbanisation dans l’article L. 1464-I du code de l’urbanisme », RJE numéro spécial 2004, p. 51 et s. 60 CE 3 juillet 1996, SCI Mandelieu-Maure-Vieil, req. n° 137623, BJDU 4/96, p. 296 ; RFDA 1996, p. 1055, CAA Marseille 16 mars 2000, Darde, req. n° 971630 ; CAA Marseille 6 juillet 2000, Commune de Saint-Tropez, req. n° 971717 : BJDU 4/2000, p. 284 ; CAA Bordeaux 6 novembre 2003, Société Saulnes immobilier et autres, req. n° 992342 ; CE 28 novembre 1997, Syndicat intercommunal à vocation multiple du lac du Bourget, req. n° 161572 ; CAA Marseille 31 mai 2001, Mme Colonna, req. n° 99-366 ; CE 27 juillet 2005, Commune de Narbonne, req. n° 273815. BULLETIN DE JURISPRUDENCE DE DROIT DE L’URBANISME – 2/2006 CHRONIQUE Il y a donc place pour de petits projets de périphérie, situés à l’intérieur du tissu urbanisé, dans un contexte plus diffus, comme le montre à l’évidence la jurisprudence du Conseil d’État dans les espaces proches du rivage. Enfin, la jurisprudence relative à l’arrière littoral ne peut, sans aucune raison, continuer à être plus stricte que celle applicable dans les espaces proches du rivage, alors même que son régime d’exception (hameau nouveau) serait de nature à accueillir des projets plus importants que ceux aujourd’hui interdits par la jurisprudence dans son régime de droit commun 61. Le tout aboutit d’ailleurs, contre la lettre et l’esprit de la loi, à saturer d’avantage les espaces proches du rivage, au détriment d’une extension de l’urbanisation dans l’arrière littoral 62. À un moment où le pendule contentieux de la loi se dirige assurément vers les dispositions de l’article L. 1464-I du code de l’urbanisme, il nous semble nécessaire que la Haute Juridiction fixe rapidement les conditions d’interprétation de l’article L. 146-4-I du code de l’urbanisme dans ses diverses dispositions. 61 Il n’existe, à notre connaissance, aucune jurisprudence positive relative à cette notion en droit du littoral, ni aucun critère permettant de la mettre en œuvre, le juge préférant à l’évidence sanctionner que définir. La définition de cette notion dans le volet littoral du SCOT valant SMVM obligera la jurisprudence à se prononcer. 62 Les mots du rapport Piquard résonnent encore juste : ils devraient orienter tant les politiques, dans la mise en œuvre du volet littoral du SCOT, que les juges dans le réexamen de leur jurisprudence : « Le point de départ est une constatation simple : toutes les fonctions qui demandent un espace sur la ligne de côte n’en ont pas un égal besoin. Pour certaines, une implantation “les pieds dans l’eau” est une condition sine qua non de leur existence ; c’est le cas aussi bien des zones humides utilisées par les oiseaux migrateurs que les bouchots à moules, des postes et anneaux pour les navires ; mais, le cinéma, le supermarché, la station service et tant d’autres équipements peuvent fonctionner aussi bien à quelques centaines de mètres du rivage. Il ne s’agit pas d’opérer un choix philosophique ou arbitraire entre des fonctions : privilégier la nature par rapport à la ville, la ville par rapport à l’industrie ou bien l’inverse. Mais d’établir une répartition fondée sur le bon-sens, à l’intérieur de chacune de ces grandes catégories d’utilisation de l’espace littoral, en distinguant simplement celles qui disposent de possibilités de replis dans l’arrière pays de celles qui n’en disposent pas. Sur la ligne de côte, cette répartition, en allégeant la pression pour occuper l’espace, doit limiter la montée des prix du sol, et par conséquent, rendre possible aux collectivités publiques la réalisation des équipements et des aménagements qu’elles souhaitent, leur permettre de ménager des espaces libres. Quant à l’arrière pays, la conséquence de l’aménagement en profondeur doit être de l’irriguer d’activités, de supprimer son isolement et de diversifier les ressources de ses habitants et de ses communes, trop exclusivement d’origine agricole, et par trop limitées. L’objectif est donc bien de mettre fin au contraste entre la côte congestionnée et l’arrière pays déserté, et cela dans tous les domaines : de la densité, de l’esthétique, de l’écologie comme de l’économie, des finances des collectivités, des valeurs foncières. Atteindre un tel objectif est de l’intérêt de tous : les habitants du rivage comme ceux de l’arrière pays, les habitants permanents comme les touristes de passage, les chefs d’entreprise comme ceux qui cherchent une retraite possible. » (Rapport Piquard au gouvernement, La Documentation française, 1973, n° 159 à 163). BULLETIN DE JURISPRUDENCE DE DROIT DE L’URBANISME – 2/2006 Conclusion Vingt ans après l’entrée en vigueur de la loi du 3 janvier 1986, un constat s’impose : la loi Littoral a été jusqu’ici appliquée à l’envers : – la jurisprudence a tenu lieu de planification ; – le juge s’est laissé emporter par ses convictions, au-delà du texte. Peut-être est-ce une chance. La loi DTR donne aujourd’hui aux élus locaux les outils intercommunaux de la planification littorale, abandonnée par l’État. Le Conseil d’État équilibre sa jurisprudence. Le temps est donc venu d’une gestion équilibrée du littoral, dans un cadre géographique et juridique renouvelé, permettant de garantir à une échelle pertinente tant les nécessaires protections que les nécessaires mutations. Il était temps. Chacun sait la pression qui va s’exercer dans les vingt ans qui viennent sur toutes les façades littorales françaises. Il nous semble en même temps nécessaire : – de donner au Conservatoire du littoral les moyens financiers d’une politique d’acquisition des espaces littoraux les plus sensibles ou les plus dignes d’intérêt ; – de sanctionner plus efficacement les infractions à la police de l’urbanisme sur le littoral, et plus généralement dans tous les milieux sensibles 63 ; – de donner enfin à l’agriculture littorale les moyens de sa survie économique, qui garantit mieux que toute réglementation le caractère naturel des espaces. Sur le premier point, le trait de côte crée de lui-même des plus values foncières et immobilières considérables. Il faut que ces plus values servent à financer en partie les acquisitions foncières du Conservatoire du littoral par la création à l’article L. 332-6-1 du code de l’urbanisme d’une nouvelle contribution fiscale grevant toutes les autorisations d’aménager ou de construire sur le littoral, directement et exclusivement affectée à ces acquisitions. Sur le deuxième point, il nous semble utile de créer un délit aggravé pour les infractions commises dans les espaces sensibles, notamment littoraux, assorti d’une obligation de démolition et de remise en état, dont le délai de prescription serait repoussé à dix ans. Sur le troisième point, il semble nécessaire d’assouplir les dispositions de l’article L. 146-4-I du code de l’urbanisme au seul profit des installations et constructions nécessaires à l’activité agricole 64. ■ Henri COULOMBIÉ Docteur en droit, Avocat près la cour d’appel de Montpellier 63 La « cabanisation » du littoral, encouragée par une pression foncière excessive et non maîtrisée gangrène l’espace. 64 Henri Coulombié, « Pour un toilettage de la loi Littoral », DMF n° 645, février 2004, p. 169 et s. p. 91