Les techniques d`information et de communication et

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Les techniques d`information et de communication et
Isabelle Pailliart
Professeure en sciences de la communication à l'Université Stendhal Grenoble 3
Chercheuse au Gresec (Groupe de recherche sur les enjeux de la communication)
FRANCE
Communication, stratégies territoriales et pratiques locales
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Bogues 2001, Montréal, (n°2)
Communication, stratégies territoriales et pratiques locales
Isabelle Pailliart, professeure en sciences de la communication à l’Université Stendhal
Grenoble3, chercheuse au Gresec (Groupe de recherche sur les enjeux de la communication).
Un certain nombre de manifestations agitent régulièrement le milieu des responsables de la
communication oeuvrant au sein des collectivités territoriales. Cap'Com, Multimédiaville, les
rencontres de l'Observatoire des Télécoms dans la Ville, sans compter les différents salons
consacrés aux "communicants territoriaux" constituent parmi d'autres des lieux de rencontres
et souvent des événements durant lesquels les réalisations menées par les collectivités
territoriales dans le domaine de la communication ou de ses nouvelles techniques sont
présentées. Ils sont l'occasion d'échanges d'expériences et souvent de valorisation de celles-ci
à travers la remise de divers prix ou d’autres "récompenses", la plupart du temps bien
couvertes par la presse spécialisée. Ces manifestations offrent ainsi une diversité de
réalisations en cours : nouveaux équipements dédiés au multimédia (et à la conception de
nouveaux services), centres culturels ouverts à la consultation d'Internet, conception de sites
institutionnels, télé-procédures, sites marchands permettant aux commerçants locaux de se
présenter... La panoplie des potentialités offertes par les nouvelles techniques de
communication est montrée, elle est aussi fortement valorisée. De l'ensemble de ces
présentations, fort diverses, deux éléments communs émergent : l'accent mis sur le caractère
innovateur, l'absence d’analyse concernant le public ou les utilisateurs. C’est ce dernier point
qui va mobiliser notre attention.
Cette absence de prise en compte des utilisateurs des nouvelles techniques est étonnante à
plus d'un titre et va l’encontre des tendances actuelles. Les opérateurs, quels qu'ils soient,
cherchent de plus en plus à affiner leur connaissance des utilisateurs de leurs produits et
considèrent que leurs compétences doivent être renforcées dans ce secteur. Les élus locaux et
le personnel territorial disposent, eux, d'atouts dans ce domaine grâce à une proximité avec les
modes de vie des habitants, cependant cet atout ne semble pas mis au service d’une
connaissance précise des pratiques locales. Il existe même un paradoxe entre cet atout et
l'oubli du public dans les réalisation annoncées dans ces manifestations nationales. L'on
pourra certes objecter que ces manifestations favorisent "l'effet d'annonce", le caractère
spectaculaire de telle ou telle réalisation et même la promotion de ses initiateurs et donc ne
rendent pas compte des pratiques locales qui se forment à travers un temps long. Cependant
cet oubli du public témoigne de son caractère secondaire auprès des élus et des responsables
territoriaux : il n’est pas spécifique au secteur de l’information et de la communication mais
se retrouve dans l’ensemble des activités municipales (nous en resterons à cet échelon
territorial).
Nous voudrions dans un premier temps insister sur le fait que l’évolution de la société locale
rend de plus en plus cruciale l’approche des pratiques locales, puis dans un deuxième temps
signaler les obstacles auxquels doivent faire face les élus pour expliquer les raisons de cet
oubli du public. Plus généralement, l’absence de prise en compte du public, de la parole
publique et des pratiques locales nous semble révélatrice des problèmes que rencontre la
gouvernance locale à l’heure actuelle.
1. La prise en compte des pratiques locales : une nécessité pour les pouvoirs
La connaissance des pratiques locales se présente de plus en plus comme un enjeu. En effet,
un certain nombre d’évolutions affectent aujourd’hui la société locale et devrait conduire les
pouvoirs locaux à ne pas se satisfaire d’une approche intuitive.
Parmi ces évolutions, la croissance urbaine apparaît comme un phénomène majeur. Plus
généralement, ce sont les pratiques de l’espace urbain qui connaissent de profondes
transformations sur différents plans : relations des individus avec leur logement et leur lieu de
travail, modes de circulation, comportements face à l’emploi ou aux structures de formation,
pratiques de loisirs... Sur ces thèmes, il est rare que les responsables locaux disposent
d’analyses fines, les chiffres à leur disposition sont liés à l’activité économique (nombre
d’entreprises et de salariés). Cette méconnaissance devient un obstacle à partir du moment où
le développement urbain ne se cantonne plus au secteur de l’industrie et des services. Les
dynamiques urbaines sont aujourd’hui élargies à d’autres domaines : la santé, la formation et
la recherche, la culture... Tout suivi de l’évolution de l’espace urbain exige donc des critères
qui prennent en compte des indicateurs multiples, rendant les précédents insuffisants.
La recomposition de la société locale repose également sur des évolutions politiques. L’action
politique n’est donc pas seulement marquée par une diversification de ses modes
d’intervention, elle est également marquée par une reconfiguration des échelons territoriaux
(avec par exemple la montée en puissance des communautés de communes et
d’agglomération). Ce nouvel échelon territorial nécessite la définition, l’harmonisation et
même la centralisation de données et d’informations concernant chacune des communes
membres de ce regroupement.
En outre, les lieux traditionnels d’expression de la sensibilité locale que sont les associations
adoptent des structures ou des modes de fonctionnement qui les rendent plus proches de la vie
institutionnelle locale que des habitants ou de la formalisation de leurs aspirations et de leur
concrétisation. Par ailleurs, la connaissance intuitive dont disposent les élus se heurte à la
professionnalisation de la vie politique locale. Ce rapport intime de l’élu avec son territoire
risque alors de faire défaut. Pour ces deux raisons liées à la vie politique locale, une
connaissance plus rationalisée des pratiques serait profitable aux pouvoirs locaux. Dans
certains cas, le recours généralisé à des experts dans les municipalités témoigne bien de ce
manque : les nouveaux techniciens sont “mobilisés pour fabriquer de l’intégration (des
espaces, des groupes sociaux...). [...]. La problématisation de l’action politique en terme
d’expertise (“comment faire”?) reflète la difficulté ressentie des élus à redéfinir leur
articulation aux territoires et aux intérêts en présence. S’entourer de cabinets vise, notamment,
à trouver les modalités pour faire passer les projets (auprès des populations mais aussi au sein
des équipes municipales). Faire appel à des responsables de projets et des cadres supérieurs,
spécialistes de la médiation, est perçu, par les élus, comme une stratégie plus souple pour
s’assurer de l’appropriation générale des politiques initiées et de l’articulation d’intérêts
contradictoires. On assiste ainsi à une modification des moyens d’organiser des coopérations,
de maîtriser des flux de demandes incertains et par conséquent de construire des consensus
localisés1”.
Enfin, la place de l’information a changé dans l’élaboration des décisions publiques. Les
obligations en matière de d’information publique ont été renforcées, par exemple dans le
domaine de l’urbanisme, à travers les enquêtes publiques. Il ne s’agit pas seulement, pour les
pouvoirs locaux, de mettre en forme des documents, de diffuser des textes et des règlements
mais également de permettre l’expression des habitants. Les lois et circulaires successives des
ministres français de l’environnement (Loi Bouchardeau en1983, circulaire Bianco en 1992,
loi Barnier en 1995) renforcent les domaines d’application et les modalités de l’enquête
publique, la loi de 1995 créant la Commission nationale du débat public qui introduit la
participation des habitants à l’élaboration des décisions. Elle est relayée par les commissions
.
locales d’information et de consultation dans le cas de programme d’action publique localisée
D’une manière générale, se retrouvent au niveau local des procédures de concertation dont
« la conférence de citoyens » sur les OGM, avec un fonctionnement quelque peu différent, en
2
est une illustration . Les habitants sont donc de plus en plus sollicités pour intervenir dans un
processus de décision et exprimer de manière publique leurs avis. La mise en œuvre de ces
démarches demeure restreinte à des projets dans le domaine de l’urbanisme et de
l’équipement, ou dans celui des choix scientifiques. Cependant, pour certains auteurs, le débat
public devient de plus en plus une règle et le renforcement de la consultation pourrait ainsi
être le signe du passage de la démocratie représentative, dite « délégative » à une démocratie
3
« dialogique ».
Ainsi, la place du public dans les politiques municipales se décline de différentes manières :
comme une ressource dans l’établissement de tableaux de bord utile à la conduite de
1Cadiou S., “Le leadership urbain. Variations autour de la fonction d’expertise”. Sciences de la Société, n°53,
mai 2001, p. 99,
2
Boy D., Donnet Kamel D., Roqueplo P., “un exemple de démocratie participative : la « conférence de
citoyens » sur les organismes génétiquement modifiés », Revue Française de science politique, vol 50, n°4-5,
août-octobre 2000, pp. 779-809,
3
Callon M., Lascoumes P., Barthe Y., Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Seuil,
2001, p. 25
politiques locales, comme une nécessité pour résoudre le problème de la
« professionnalisation » des acteurs locaux, enfin comme un élément dans les modalités
d’élaboration de l’action publique. Pourtant la réalisation de ces objectifs se heurte à des
obstacles.
2. La difficile prise en compte du public dans les stratégies territoriales
Plusieurs raisons expliquent la faible prise en compte de la parole publique locale par les
responsables des collectivités territoriales. Certaines sont liées à la mise en oeuvre des
politiques, d’autres sont dues à une conception de l’information et de la communication,
enfin, une certaine représentation des utilisateurs des nouvelles techniques explique le
désintérêt des élus locaux pour la constitution d’une expertise concernant les pratiques
locales.
Les élus locaux situent rarement leur politique dans un cadre d'évaluation. Certes la mise en
place de structures d'évaluation (et la recherche de critères de cette évaluation) se développe
peu à peu au sein des services publics mais les collectivités territoriales restent peu touchées
par ce phénomène plus national que local. Il existe donc bien au niveau de l’Etat ou dans le
cadre de structures nationales des observatoires permanents (par exemple l’Office
Parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) ou bien des temps
durant lesquels a lieu l’évaluation d'une politique menée (par exemple la politique de la Ville)
mais pour l’instant la culture de l’évaluation reste faible au sein des échelons territoriaux. Et
l’Etat possède dans ce domaine des outils d’expertise que ne maîtrisent pas encore les
collectivités territoriales.
Ce retard ne s’explique pas totalement par un manque de volonté de la part des élus locaux,
des éléments spécifiques à la vie locale ne favorisent pas les procédures d'évaluation. La
temporalité de l'action municipale par exemple est rythmée par des échéances électorales
contrairement aux services publics qui disposent de la continuité de l’action de l’Etat. La
durée d'un mandat laisse peu de temps pour que mûrisse un projet, se mette en place une
action, se développent des pratiques et se déroulent des procédures d'évaluation. Certes, il
existe des évaluations dans l'activité municipale mais elles sont mises en place plutôt et plus
systématiquement lorsqu'une nouvelle équipe succède à une précédente et qu'elle souhaite se
dissocier, en début de mandat, de la gestion précédente.
Dans ce cas, se manifeste une utilisation stratégique l'évaluation qui d’ailleurs se présente plus
comme un audit de comptes que comme la réalisation d’un bilan tenant compte des réactions
des utilisateurs et de l’avis des habitants.
Cependant, dans certains secteurs, les pouvoirs locaux cherchent à connaître les utilisateurs,
par exemple pour cerner leur degré de satisfaction vis-à-vis d’un équipement culturel et d'une
politique de programmation ou bien pour chiffrer la fréquentation de certains équipements.
Ces éléments sont rarement tournés vers la satisfaction du public ou vers la recherche d'un
lien plus étroit entre des goûts, des préférences et une offre, par exemple culturelle, ils visent
plus à fournir des éléments de rationalité pour réorienter ou justifier un changement d'une
politique menée. Ils se réalisent au coup par coup, et semblent dès le départ intégrés dans des
objectifs stratégiques de politique locale.
Dans le domaine des supports de communication, le journal municipal donne également lieu à
des enquêtes auprès des lecteurs. Outil principal de l'information du pouvoir local, il est au
centre de nombreux enjeux tant en interne (sur la pertinence d'une ligne éditoriale, sur la
répartition des pouvoirs entre le directeur de la communication et le directeur de cabinet par
exemple) qu'auprès de la population. Les enquêtes menées portent sur le nombre de lecteurs
réels (puisque la diffusion gratuite du journal municipal dans les boîtes aux lettres des
habitants ne donne pas d’indications précises sur le taux de lectorat), sur les choix éditoriaux,
sur la place des élus dans le journal, sur la satisfaction du lectorat et ses attentes. Si ce type
d'enquêtes prend parfois en compte des pratiques de lectures, il reste là encore trop centré sur
un seul support pour être véritablement significatif. En outre, les résultats demeurent
confidentiels.
Par ailleurs, une conception de la communication municipale au service du pouvoir local
restreint strictement son rôle à la diffusion de l’information ou à la visibilité des actions
municipales. La question du public devrait être plus particulièrement soulevée et traitée, au
sein des services municipaux, par le service communication et ses responsables. Or, c’est
rarement le cas. Cette ignorance du public n’est pas nouvelle, la mise en place des réseaux
câblés et la question de leur audience n’a pas été prise en charge par les municipalités (et
tardivement par les opérateurs), de même la mise en oeuvre de services télématiques
municipaux n’a pas entraîné de questionnements sur leurs utilisateurs. Le public ou les
utilisateurs sont donc rarement au centre des préoccupations des promoteurs de telle ou telle
technique ou service. Il se trouve des situations où même son absence ou du moins la faible
fréquentation d’une manifestation culturelle ne remet pas en cause la manifestation ellemême, puisque l’objectif n’est pas toujours la conquête d’un public. Ainsi certains festivals,
des événements culturels de mise en valeur du patrimoine local répondent à des objectifs de
visibilité du pouvoir local, de gestion des référents identitaires, de soutien à une ou plusieurs
associations.
Cet oubli du public, nous l’avons dit, n’est donc pas nouveau mais il apparaît de plus en plus
étonnant, au fur et à mesure que s’affirme le secteur de la communication. En effet, ce secteur
est marqué par une progressive structuration qui se manifeste par le recrutement de
“professionnels” de la communication réunis autour d’un directeur de la communication, c’est
du moins le cas dans la plupart des grandes villes. L’un des enjeux essentiels de ce secteur est
maintenant, plus que la reconnaissance des compétences spécifiques qu’exige ce secteur, sa
place dans l’organigramme municipal et plus nettement le rattachement du service à telle ou
telle direction ou bien la constitution d’une direction autonome. Mais le mouvement qui se
présente à la fin des années 90 est marqué par un double aspect : une reconnaissance de ce
secteur dans la gestion stratégique de la vie municipale et du même coup, la main mise du
pouvoir politique sur ce secteur. Cette situation a été particulièrement observée au moment
des élections municipales de 2001 où, dans le cadre de la préparation de ces échéances
électorales, la plupart des directeurs ou des chargés de communication recrutés en 1995, ont
laissé place à des professionnels dont la compétence était plus politique que technique. Parfois
le directeur de cabinet cumule cette responsabilité avec la direction de la communication
(Annecy par exemple). Si, trois ans avant les échéances électorales (et donc à mi-mandat) la
responsabilité de la communication échoit à des spécialistes de l’activité politique, très
proches du pouvoir, cela signifie que ce secteur recouvre des enjeux forts qui exigent le
renforcement du contrôle politique. Ainsi, les procédures originales mises en place (le conseil
municipal en direct comme c’est le cas pour Issy les Moulineaux) paraissent correspondre à
une médiatisation des élus locaux (et surtout du maire) plus qu’à une opération de
renouvellement de la démocratie locale. La montée en puissance des “politiques” face aux
“techniciens” signifie une prédominance de la visibilité de l’action politique au détriment de
la prise en compte du public. Cette approche de la communication recouvre une vision très
instrumentale du secteur de la communication, elle révèle finalement une méconnaissance de
ce secteur.
Enfin, la mise en œuvre d’enquêtes publiques ne signifie pas toujours une plus grande
intégration des souhaits des habitants dans le processus décisionnel. Les travaux réalisés sur
ces opérations indiquent que la prise en compte des réactions reste faible et que « les avis
défavorables reposent davantage sur une analyse technique du dossier qu’ils ne sont la
conséquence d’une participation locale de la population et de la prise en compte de ses
4
revendications ». Ainsi les formes délibératives présentes dans l’enquête publique mettent en
évidence, ici aussi, un « public introuvable ». On le voit, bien que se développant et se
structurant, le secteur de la communication n’a pas favorisé la diffusion d’une « culture
communicationnelle » au sein des structures politiques locales caractérisée par une conception
dynamique du public.
3. Du public aux « besoins »
Dans le domaine des nouvelles techniques d’information et de communication, la place des
utilisateurs est plus ambiguë. La plupart des actions menées tant par l’Etat (dans le cadre du
4
Blatrix C., « Le maire, le commissaire enquêteur et leur « public ». La pratique politique de l’enquête
publique » dans Blondiaux L., Marcou G., Rangeon F., La démocratie locale : représentation, participation et
espace public, PUF, 1999, p.168,
Programme d’Action Gouvernementale pour la Société de l’Information) que par les
collectivités territoriales sont marquées par un fort déterminisme technique. De ce point de
vue, l’analyse de pratiques n’a pas de pertinence puisqu’elles sont dépendantes de la mise en
œuvre d’infrastructures et de services. Le déterminisme technique présent dans les textes
gouvernementaux mais également dans les contrats de plan signés entre l’Etat et les régions
conduisent les collectivités territoriales à centrer leurs interventions sur l’équipement de leurs
territoires en réseaux. Le comité interministériel pour l’aménagement du territoire (CIAD) du
9 juillet 2001 a ainsi fixé l’accès de « tous » aux réseaux haut débit grâce à l’aide de l’Etat
dans le financement des réseaux. C’est donc bien les projets d’infrastructures qui mobilisent
les collectivités territoriales, la question de leurs usages ne se présentant donc pas comme une
priorité.
Les pouvoirs locaux développent cependant un certain nombre d’actions à destination des
habitants, pour les familiariser aux nouvelles techniques d’information et de communication.
Ces activités sont fortement dépendantes des représentations que les élus locaux ont des
utilisateurs. La forte médiatisation qu’ont connu Internet et les produits multimédias dans leur
ensemble ont conduit les collectivités territoriales à intervenir dans ce secteur. Deux niveaux
sont à distinguer : les actions menées au sein de l’institution municipale (et liées à celle-ci) et
celles extérieures à l’institution municipale mais qu’elle accompagne. Les premières sont
relativement bien identifiées : il s’agit des téléprocédures (et la modernisation des services
publics locaux pour reprendre la terminologie employée au niveau national), de la mise en
ligne d’informations (déjà existantes sur d’autres supports et qui correspond à une
diversification des supports de la communication municipale) et enfin de dispositifs ou de
supports (dont l’objectif est d’améliorer la démocratie locale et de favoriser la participation
des habitants à la vie municipale).
Les deuxièmes sont moins bien identifiées, en grande partie parce que le pouvoir local n’en
est pas toujours l’initiateur ou bien parce qu’il n’en a pas la maîtrise totale et qu’il doit
composer avec différents acteurs. Dans ce cas-là, l’une des toutes premières actions des
pouvoirs locaux consiste à développer des actions de formation et de sensibilisation aux
nouvelles techniques pour des publics différents : les jeunes, la population locale ou les
acteurs de la vie économique (à l’occasion de salons ou d’événements médiatisés centrés sur
les nouvelles techniques dans les entreprises). Pour les responsables politiques locaux, il
s’agit de “démocratiser” les nouvelles techniques. Le terme de démocratisation mérite une
attention spécifique. Il est employé tout d’abord pour justifier les actions menées dans les
centres culturels ou les centres sociaux de quartier, ou la construction d’équipements
spécifiques consacrés aux nouvelles techniques de communication. Ces actions sont menées
au nom d’une formation aux nouvelles techniques dont les élus locaux se sentent
responsables. La formation à la consultation d’Internet, par exemple, renvoie à une démarche
classique des collectivités territoriales : dans différentes étapes de la vie municipale, les élus
manifestent l’intention de former les habitants : à la compréhension du budget communal, à
des opérations d’urbanisme,... L’objectif est également le même dans les opérations de
consultation de la population. L’intervention des collectivités territoriales dans un nouveau
secteur se situe dans la continuité d’autres opérations dans lesquelles la relation du politique
avec le public existe dans un cadre normé, celui de l’institution qui s’adresse à son public
selon un modèle classique, traditionnel, linéaire et hiérarchique sans tenir compte pourtant des
évolutions dans les modes de transmission des connaissances. Dans ce cas, les élus locaux
décident d’actions qui visent à promouvoir les techniques d’information et de communication.
Les différents publics sont imaginés dans une position d’attente ou de demande. De ce fait, la
posture de l’attente ou de la demande implicite correspond à la posture adoptée par les élus,
celle qui conforte leur situation d’offreur de services ou de produits de communication,
oubliant ainsi que “l’innovation technique réussie est celle qui naît d’une rencontre sociale5”.
Enfin, la prise en compte des utilisateurs se manifeste sous l’expression de la reconnaissance
des « besoins locaux ». Cette représentation des usagers apparaît de cette manière dans la
définition des schémas de services collectifs dans le secteur de la santé, de la culture, des
transports, de la formation… L’élaboration des schémas de services collectifs vise à définir
les actions des territoires dans les prochaines années dans le cadre de l’aménagement du
territoire et repose sur un aller-retour entre les textes de l’Etat et ceux des collectivités
territoriales (les régions par exemple). La définition des actions repose sur la satisfaction des
« besoins locaux » sans que ceux-ci soient d’ailleurs plus précisés. D’ailleurs, dans le
domaine des nouvelles techniques, les acteurs locaux (entreprises, secteur public ou
associations) se trouvent dans l’incapacité de définir leurs « besoins ». La notion est donc
faible à plus d’un titre, elle est également réductrice, elle résume cependant la place des
utilisateurs dans les projets concernant les nouvelles techniques.
Plus généralement, elle paraît révélatrice des tensions qui affectent les modes de
gouvernement et plus généralement la définition des politiques publiques. La territorialisation
des activités politiques dans le domaine des TIC donne une nouvelle responsabilité aux
acteurs locaux, l’Etat ayant perdu une partie de sa capacité à produire des référentiels puisque
« gouverner ce n’est pas « résoudre » les problèmes (ils sont résolus ou gérés ou
transformés… par les acteurs concernés) mais contribuer à rendre le monde intelligible : la
fonction de gouvernement consiste à rendre possible l’élaboration des cadres d’interprétation
6
du monde qui vont permettre aux acteurs de donner du sens à leur action ».
Elle indique l’incertitude des politiques locales dans ce domaine puisque l’objectif est de les
fonder sur les besoins et de déterminer une politique en fonction de ceux-ci. L’identification
des besoins apparaît dans un moment particulier marqué d’une part par le retrait de l’Etat
5Scardigli
V., Un anthropologue chez les automates, PUF, 2001, p.19
6
Muller P. « Politiques publiques et effets d’information, l’apport des approches cognitives », dans Gerstlé J.
(dir) Les effets d’information en politique, L’Harmattan, 2001, p. 242
français dans le domaine du financement des infrastructures de réseaux d’autre part par
l’indécision des pouvoirs locaux face à l’incertitude des nouvelles techniques (au regard en
particulier des investissements). La notion de besoins correspond à une injonction (une
politique dépend de besoins individuels ou collectifs) et en même temps ces besoins ne
peuvent être identifiés. Cette contradiction fournit sans doute un des éléments d’explication à
la faiblesse des projets dans ce domaine.
Les politiques locales en matière de techniques d’information et de communication reposent
rarement sur les utilisateurs et sur leur implication « dans la conception, l’implémentation et
7
l’évaluation d’un projet », il se joue pourtant dans ce domaine plus que la place des usagers
dans un dispositif technique. La représentation du public est alors un élément essentiel de la
définition d’une politique publique et son absence révèle une faiblesse de celle-ci.
7
Sur cet aspect, lire Van Bastelaer B., Henin L., Lobet-Maris C., Villes virtuelles entre Communauté et Cité,
L’Harmattan, 2000, p. 62